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L’appel des appels
Pour une insurrection des consciences

 


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L’appel des appels
Pour une insurrection des consciences

Éditions Mille et une nuits, 381 pages, 19,90€.


Extraits


Naissance d’un mouvement par Roland Gori
(psychanalyste, professeur de psychopathologie)


[...] Nous assistons ces dernières années à une véritable éclosion de pétitions et d’appels en tout genre qui témoignent de signes de colères et de chagrins, de symptômes de souffrances sociales et psychiques de ce grand corps malade qu’est la société française à l’heure européenne. Il y a eu Sauvons la recherche, Sauvons l’université, Sauvons les Rased, Sauvons la clinique, Sauvons l’hôpital, La Nuit sécuritaire, etc. Et la plus emblématique de toutes Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans qui a recueilli le soutien de 200 000 signataires refusant que la souffrance psychique d’un enfant de moins de 3 ans puisse être considérée comme un signe prédictif de la délinquance [...].

Comment ne pas voir dans toutes ces pétitions les signes multiples et convergents d’une maladie de civilisation qu’il convient de diagnostiquer et de traiter au-delà de ses symptômes ? Comment penser cette crise des valeurs dans la tradition d’opposition sociale et culturelle des consciences qui se révoltent contre l’inique et l’absurde d’une culture du court terme où « le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ». C’est sur la base de cette analyse qu’avec Stéphan Chédri, nous avons, le 22 décembre 2008, rédigé le Manifeste de l’Appel des appels. Nous l’avons proposé au départ à la signature d’une centaine d’amis et de collègues en vue de le publier dans les médias afin d’alerter l’opinion et les pouvoirs publics sur ce qui nous paraissait constituer une véritable crise de civilisation. [...] Au-delà des 200 premiers signataires que nous avons personnellement contactés [...], nous avons décidé de mettre l’Appel des appels en ligne. Les 200 premiers signataires constituent pour nous l’instance morale et scientifique sur la base de laquelle le mouvement pouvait légitimement être lancé. Ce fut une déferlante. [...].

 
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L’Etat schizophrène, Dieu, et le « nous » raisonnable par Barbara Cassin
(philologue et philosophe, directrice de recherche au CNRS).


[...] « il a fallu des décennies pour créer le savoir-faire des ouvriers de Saint Nazaire, il faudrait quelques mois et une crise de trésorerie pour les laisser partir. Une fois que c’est parti, on ne le retrouve plus ». Nicolas Sarkozy dit beaucoup de choses vraies, celle-là, par exemple. Nous, qui signons l’Appel des appels, nous avons conscience que des décennies de savoir-faire viennent d’être, sont et se préparent à être congédiées, contrariées, et même brutalement interdites en quelques mois. Beaucoup de ces savoir-faire, nos cœurs de métiers, sont directement ou indirectement liés à ce qu’on appelle en France non sans vérité du beau nom de « service public », vécu comme tel, comme service et comme public par ceux qui le pratiquent : la justice, l’enseignement, la recherche, la culture, l’information, la santé et le soin, le travail social, l’accueil des migrants. Cette conscience fait le lien entre nous, qui différons les uns des autres non seulement par le métier lui-même, mais par le type d’engagement politique, syndical, par le statut social, les appartenances, les revenus, les soucis. C’est parce que nous sommes si différents les uns des autres, à la fois infirmières et patrons, présidents d’université et maîtres auxiliaires, apolitiques et très politisés, et parce que nous nous retrouvons si nombreux, que nous constituons un « nous » considérable – à prendre en considération. Un nous au singulier pluriel : pour la première fois peut-être, un lobby français consistant mais sans structure prédéterminée et sans intérêt autre (industriel, commercial, financier, corporatiste, partisan) que le bien public. Exactement comme le gouvernement, en principe. Un lobby d’opinion impressionnant qui nous impressionne nous-même qu’on l’intitule mouvement citoyen ou insurrec­tion des consciences. Un nous qu’il va bien falloir, c’est-à-dire qu’on ne pourra pas ne pas entendre et écouter : la sagesse démocratique l’exige, dans cette démocratie « adulte et apaisée » dont la France veut donner l’image.

[...] L’une des premières choses que nous refusons est le mensonge d’Etat. D’ailleurs, « on ne rétablira pas la confiance en mentant mais en disant la vérité », nous voilà encore une fois d’accord. La crise économico-financière donc sociale, est lourde : cela fait partie de la vérité. Nous intégrons, par exemple, que chaque jour l’impôt direct serve à payer les intérêts de la dette. Mais ce qui est inacceptable, et qui constitue le premier mensonge d’Etat, c’est de faire passer pour des réponses inéluctables à la crise des réformes qui n’y sont aucunement liées ; de présenter ces réformes-là comme notre seul destin raisonnable tel que les refuser soit frileux, corporatiste, réactionnaire au sens strict, et anti-moderne [...].

[...] Les réformes, donc. Nous voulons des réformes, intelligentes et mûres, et même nous en voulons rapidement. Nous ne voulons pas de réformes en retard d’une guerre, liée à un type d’économie qui a fait la preuve de son échec [...], le seul intérêt de la crise étant d’en avoir fourni la preuve. Comment supposer raisonnablement que cet échec patenté permettra d’améliorer les rares domaines qui n’étaient pas soumis à son régime ? Pourquoi étendre la faillite à ce qu’elle n’a pas en France vocation d’atteindre ? Comment peut-on commettre et contraindre un pays à commettre une pareille erreur ?

 
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Quand l’école devient une entreprise comme les autres par Christian Laval
(sociologue, chercheur à Paris-X-Nanterre et à l’Institut de recherches de la FSU).


[...] la logique qui sous-tend la modernisation de l’école est maintenant commune à toutes les institutions publiques. C’est celle de la concurrence et de la surveillance. L’argument qui la motive dans l’enseignement est connu. Les professeurs pèsent sur les fond publics, accroissent la dette « laissée aux générations futures », cela pour un résultat économiquement peu rentable à l’heure de l’« économie de la connaissance ». Comment faire pour que les enseignants se centrent désormais sur leur mission principale : produire « des compétences nécessaires à la compétitivité de l’économie française immergée dans la compétition mondiale » ? [...] La mutation, déjà bien entamée, a commencé dans le champ de l’enseignement par l’usage de la langue économique (offre, demande, marché, compétences, capital humain, calcul des « rendements »). Les professeurs, de la maternelle à l’université, ont été peu à peu regardés comme des salariés d’entreprises scolaires, des techniciens du rapport pédagogique, des opérateurs d’une « ingénierie didactique et pédagogique » élaborée par des experts de laboratoire. [...] Une immense littérature a répandu l’idée que la seule véritable justification des investissements scolaires résidait dans une formation professionnelle adaptée aux besoins des entreprises permettant l’insertion professionnelle. L’Etat a mis très activement en place les outils nécessaires à la construction d’un marché scolaire. Le changement a commencé dès les années 80 par une réforme du « pilotage » des établissements secondaires à l’occasion de la décentralisation. La « demande » des familles est alors érigée en principe régulateur du système d’enseignement selon une logique concurrentielle. [...] Le modèle de management par « la pression du client » commence alors à s’imposer dans le service public, favorisant une mutation de ses missions et de ses valeurs. La diversification de l’« offre » de chaque établissement en fonction des publics (les « projets d’établissements » de la loi Jospin en 1989), une dépendance accrue aux financements locaux, la création d’indicateurs de productivité (la « valeur ajoutée des établissement ») qui sont largement diffusés par la presse (les « palmarès annuels des collèges et des lycées ») sont sensés donner aux familles les instruments objectifs de leurs « choix » dans les meilleurs établissements et les inciter à faire pression sur les équipes pédagogiques et les collectivités locales pour améliorer l’école. La construction du marché scolaire se poursuivra tout au long des années 90 par l’assouplissement progressif de la carte scolaire et cela jusqu’à sa suppression complète annoncée pour 2010 [...].

 
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Réforme ou assassinat de la recherche et de l’enseignement supérieur
par Isabelle This Saint-Jean (professeur à l’université Paris-XIII et présidente de Sauvons la recherche)
et Michel Saint-Jean (physicien, directeur de recherche au CNRS).


La transformation brutale imposée par le gouvernement à l’enseigne­ment supérieur et à la recherche constitue un bouleversement tel qu’elle menace les conditions d’existence et de fonctionnement de ce secteur. Pierre après pierre, le gouvernement actuel – dans la continuité de ses prédéces­seurs – démolit le système antérieur, institution comme statut [...]

Pour imposer toutes ces réformes, le gouvernement a développé une stratégie en 5 temps selon une méthode que l’on retrouve à l’identique dans d’autres services publics, comme la justice ou la santé. Le premier temps est celui la « pédagogie » de la peur. Le gouvernement nous explique ainsi que la recherche française serait sur le déclin. Nos chercheurs les plus compétents fuiraient, tandis que les autres se contenteraient de maigres et pâles résultats ; et le danger serait d’autant plus grand que nous serions menacés par les puissances émergentes, plus dynamiques que nous. Selon nos gouvernants, des études « scientifiques », fondées sur des indicateurs quantitatifs (aussi peu satisfaisants que celui de Shanghai qui classe les universités), le prouveraient. Ainsi, alors que la recherche publique française est reconnue et récompensée internationalement (prix Nobel, médaille Field, prix Turing, etc.) et ce en dépit de la faiblesse des moyens qui lui ont été alloués ces dernières années, alors que l’enseignement supérieur a réussi à faire face sans moyens suffisants à l’arrivée massive d’étudiants, Valérie Pécresse déclarait dans le journal Le Monde que dans « ce contexte alarmant », « le pacte pour la recherche a posé les premières fondations du redressement scientifique de notre pays » et que la LRU «  est une réforme nécessaire pour nos étudiants, pour nos universités et pour le France » !

Pas en reste, Nicolas Sarkozy, dans son caricatural discours du 22 janvier 2009 – discours qui a joué un rôle moteur dans la mobilisation du milieu universitaire – stigmatisait les scientifiques français pour leur médiocrité, déclarant que les prix Nobel n’étaient rien d’autre que « les arbres qui cachent la forêt ». Dans un 2e temps, pour diviser et affaiblir la communauté scientifique, le gouvernement a engagé simultanément une multitude de « réformes », chacune étant attachée à un secteur particulier du système et présentée comme une « simple mesure technique ». Un tel « saucissonnage » s’accompagne d’un « enfumage » constitué de pseudo-concertations, de commissions désignées de manière parfaitement had hoc, d’innombrables effets d’annonce et de déclarations mêlant amalgames hasardeux et fausses évidences. Le 3e temps de cette stratégie a été une communication omnipré­sente dans les médias, portée par une ministre qui, dans d’innombrables interventions publiques, a vanté les mérites supposés des reformes engagées, auprès de la population prise à témoin.

Le 4e temps est la menace directe. Celle qu’on entend par exemple lorsque Nicolas Sarkozy martèle dans son discours du 22 janvier qu’il n’y aura « pas de moyens sans réforme » ; celle qui pèse sur tous les présidents d’université (via les négociations sur le budget de l’établissement), et dont on espère ainsi qu’ils se feront les hérauts dociles des réformes. Enfin, la rhétorique de l’évidence est le 5e et le dernier de ces points. Ces réformes seraient « inévitables » et s’imposeraient au nom d’un « réalisme » et d’un « pragmatisme » et seuls des idéologues de mauvais aloi pourraient les contester. La preuve en est qu’elles sont déjà engagées « partout ailleurs en Europe ». Ce même argument est d’ailleurs utilisé dans chacun des pays européens pour faire accepter – au mépris des spécificités qui font la force et la faiblesse de chacun – des réformes en bien des points analogues à celles que nous subissons ; tous étant sommés, depuis la stratégie définie à Lisbonne en 2000, d’adapter leurs universités et leurs organismes de recherche à la « compétition mondiale ».

 
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Dernière révision : samedi 15 février 2014 – 20:00:00
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