Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

Pour une pédagogie adaptée aux besoins éducatifs particuliers et aux sujets
Vers une Pédagogie Institutionnelle Adaptée aux singularités troublantes

 

 
Un texte de Sylvie Canat
Maître de conférences en Sciences de l’Education et psychanalyse-HDR
Directrice des sciences de l’éducation – Université Paul Valéry-UM3-Montpellier
Responsable du master 2 « Pédagogie institutionnelle adaptée aux troubles psychiques »
(faculté d’éducation-UM2)
Psychothérapeute d’inspiration analytique
sylvie.canat@univ-montp3.fr

 
*   *   *
*
 

Résumé : La PIA propose une approche clinique adaptée aux enfants souffrant de troubles du comportement ou troubles traumatiques afin de construire des ponts symboliques entre troubles et apprentissages.

Mots clés : PIA, trauma progrédient, trauma régrédient, pont symbolique.

 

Famille conceptuelle et idéologique

Les parents de cette « pédagogie institutionnelle adaptée » sont, avant tout, les enfants de l’échec scolaire, institutionnel, relationnel que j’ai accompagnés en tant qu’enseignante en Institut de rééducation.

Si ces enfants troublés, sur la scène scolaire, ont échoué dans leur scolarité, ils ont, par contre, réussi à transmettre les impensés de l’institution, de la relation pédagogique vis-à-vis de leur singularité. Cette pédagogie leur appartient pleinement ; ils me l’ont dictée – à leur manière ou leurs modalités – et je n’ai fait que traduire ce dont ils avaient besoin dans l’espace, les relations, les mots et les discours. Cette PIA est faite de signifiés élaborés et théorisés à partir de conduites ou de comportements signifiants de ces enfants de l’échec, du trouble, bien souvent orientés malgré la loi de 2005 aux périphéries des systèmes éducatifs ordinaires.

J’ai trouvé étayage, refuge et réconfort parfois dans des pédagogies en marge ou à la marge issues de courants pédagogiques critiques, de courants d’éducation nouvelle (CEMEA), de pédagogies institutionnelles et psychanalytiques portées par des penseurs du politique et du sujet : Fernand Oury, Aïda Vasquez, August Aichorn, Fernand Deligny, Jean Oury, Jacques Pain, Francis Imbert, Mireille Cifali, Jean-Claude Filloux, Jeanne Moll, Jacques Lévine, Claudine Blanchard-Laville, etc...

Cette pédagogie (PIA) renoue avec les idées de la psychothérapie institutionnelle mise en place pour les sujets exclus ou au seuil du sens commun (fous, psychotiques, autistes, troublés...) et par des sujets rêvant ou « poétisant » un collectif épuré de captures imaginaires grâce à l’analyse permanente des effets transférentiels et contre-transférentiels de la psychose.

En tant que chercheuse en sciences des éducations possibles, je conteste toute forme de violence et d’humiliations éducatives pour apaiser des peurs imaginaires ou des insatisfactions parentales, professionnelles ou de naissance. Dans cette perspective, je mets ou j’essaie de mettre en œuvre des dispositifs de formation (master 2 de PIA-faculté d’éducation-Montpellier) ou des groupes d’analyse de situations ou de « soutien au soutien » (Lévine, 2001) pour restituer aux espaces pédagogiques leur mission première, à savoir apprendre à penser, aimer penser, avoir du plaisir à penser, afin de quitter un état, une situation, une histoire ou un soi tyrannique. Il s’agit de « sortir de soi », sortir de la maîtrise d’un autre, sortir de ses croyances, sortir de ses captures imaginaires ou réelles. Le savoir n’est pas un piège, une contrainte, mais une liberté (le trésor des signifiants).

 

Axe clinique : écouter, analyser les troubles du sujet

L’élève (enfant) dont la singularité ne se traduit pas par des obstacles à la scolarité, est présent par sa capacité à substituer ses désirs et ses représentations. Un moi présent peut se conjuguer au social, grâce à un adossement structurel à un autre moi qui se tient en retrait de cette scène sociale. Ce qui se tient en retrait pour l’être ordinaire, ce sont le corps, les passions, les émotions intenses, les troubles somatiques, la régulation d’un monde interne, les fantasmes, les désirs... ; pour l’enfant troublé, ce retrait ne peut se faire sans retirer le sujet tout entier. Il n’y a pas d’écart entre les choses ou les pensées refoulées et le sujet qui refoule. Il obéit totalement plutôt que partiellement à ce retrait. Il se fait l’objet de ce retrait par obéissance à son « je » (sa subjectivité non plastique qui ne peut jouer avec les objets du savoir) plutôt qu’à son moi social.

Actuellement, il me semble que les troubles psychiques rencontrés en classe obéissent à deux logiques psychiques : une logique névrotique liée à des processus de défense qui les éloignent de la relation ou de leur désir. L’élève souffre d’un imaginaire qui a surinvesti, pour différentes raisons, l’école, la demande, le cadre, l’autorité... L’élève souffrirait d’un trop d’images ou de fantasmes sur les attentes de cet autre/Autre, ses possibles, ses impossibles, ... Ce serait donc les processus de défense du moi qui lui interdisent tout investissement dans ce lieu-là et qui déversent l’angoisse névrotique sur cette scène-là.

La deuxième étant d’ordre non fantasmatique, non imaginaire et liée justement à un défaut d’imaginaire, un court-circuitage de la représentation que je rattache aux structures limites, liées à des traumatismes régrédients qui ravivent la détresse originaire et les peurs archaïques accolées (peurs de morcellement, d’effondrement, d’intrusion, d’éclatement...). La logique subjective n’est pas une logique classique de névrose d’angoisse ; c’est une logique névrotique, certes, mais mettant en avant un défaut de substitution, un défaut de représentation, un défaut de rêverie et de transitionnalité entre un moi et un non moi, entre un je et un jeu scolaire.

Je me propose de développer cette seconde logique, car la littérature psychanalytique(1) a largement étudié les phobies ou les symptômes d’ordre névrotique touchant les défenses du moi. Et par ailleurs, les enfants que je reçois en soutien psychopédagogique et les situations d’analyse des pratiques que je conduis auprès d’enseignants spécialisés font actuellement apparaître que l’on est le plus souvent confronté à des troubles psychiques montrant des défauts dans la représentation des élèves et des nouages par l’imaginaire, défaillants et détissés.

Les causes multiples et singulières de ces troubles ont en commun d’avoir débordé la capacité de l’enfant à métaboliser l’excès du vivant ou l’excès situationnel, les expériences, les épreuves somatiques, les paroles, les conflits, les ambiances, les incohérences ou violences éducatives et les séparations. Le but est en général de trouver un contenant afin d’étayer leur limite et l’effroi ressenti face à une demande où ils devront produire à partir de leur propre intériorité.

Pour autant, le développement psychique et cognitif n’a pas été entravé, mais demeurent des poches d’angoisse et de traumatismes convoquant des détresses originaires.

Je fais l’hypothèse que dans le développement ordinaire de l’enfant sans pesanteur, le sujet a traversé et s’est construit grâce à une série de traumatismes (que je qualifie de progrédients) qu’il a pu intégrer, assimiler, relier, et adosser à un environnement symbolique et à des représentations stables grâce à la foi placée en l’autre (un autre bienveillant).

Alors que dans le cas du développement d’enfants terrifiés, apeurés par la différence, par l’autre, par l’intériorité, ces sujets se sont construits sans que certains bassins traumatiques effrayants aient pu être convertis dans le champ de la représentation, si bien qu’au lieu de fonctionner comme des points d’appui et de sécurité interne, ils produisent des états-somatiques presque incontrôlables et autonomes grâce à la foi placée en l’Autre mortifère.

Je développerai cet aspect et je proposerai, dans un deuxième temps, les adossements possibles dans le cadre scolaire afin de faire étayage plutôt que de laisser la peur d’apprendre trouver son reflet en miroir dans une peur de ne pouvoir enseigner.

 

Trauma progrédient / trauma régrédient

Ne rien pouvoir, ne rien savoir, ne pas parler, ne pas marcher, ne pas tenir assis... ainsi commence la vie de tout enfant par l’expérience ou l’épreuve de sa condition humaine.

Plus cette origine est repoussée, recouverte, repoussée, oubliée et plus le sujet aura élaboré des processus d’adaptation, de défense et de symbolisation de cet originaire. C’est le temps des premières écritures ou traces de la vie psychique pré-représentative, baignée de sensations et de perceptions. L’inconscient n’est pas encore constitué ; il se constitue par l’expérience et par l’écart entre vie biologique, vie portée par l’autre, vie pensée ou rêvée par cet autre ou vie effractée et menacée par cet excès de vivant(2) et cette grande dépendance. L’enfant dépend de son environnement et des fils tendus pour construire un équilibre somatique et psychique. Le seul mécanisme de défense présent dans ces temps originaires est le contre-investissement(3). Le sujet doit contre-investir cet excès du vivant (qui peut-être menaçant) et ces effractions liées à l’augmentation des excitations intérieures qu’il ne peut réguler seul à l’origine.

Comme le dit Lacan, dans ses séminaires de 1953/1954, « L’intégration dans l’histoire comporte évidemment l’oubli d’un monde entier d’ombres qui ne sont pas portées à l’existence symbolique. Et, si cette existence symbolique est réussie et pleinement assumée par le sujet, elle ne laisse aucun poids derrière elle »(4). L’acceptation de cet oubli fondamental pose un refoulement originaire sans retour du refoulé.

À l’origine, l’enfant est soumis à sa condition d’être inachevé, hors représentation, hors sens, hors autonomie et sans grande capacité de contenance et de transformation des excitations multiples. Le détournement de cet inachèvement par l’autre (la mère, le père...) permet alors de dériver l’excès au-dehors, de le transformer par un traitement ou traduction issus du lieu de l’autre. Ces chaos originaires sont donc accueillis, pris en charge, liés par l’environnement qui en fait un pré/texte à dialogue : « comme tu as faim, c’est le ventre qui te fait mal, c’est la nuit... tu vas faire un gros dodo.... » autant de mots et de gestes que de turbulences originaires et notre enfance sait encore combien ces chaos (ou angoisses psychotiques selon Winnicott), s’ils restent sans accueil, délient ou morcellent notre corps et abîment notre psyché. Dans un espace ouvert, non saturé par de la violence, de l’abandon ou de la dépression mais au contraire soutenant, cet excès du vivant que je nomme trauma progrédient trouve refuge et apaisement du lieu de l’autre. Ce refuge permet selon Freud une décharge de ce débordement somatique et pulsionnel qui transforme des états somatiques déplaisants en états somatiques vivables.

Trauma progrédient car effractions, débordement de l’enfant par toutes ces excitations intérieures et extérieures ; progrédient car la capacité d’adaptation et de transformation de ce débordement permet à l’enfant de développer ses capacités à s’adapter à l’inconnu, au hors sens et aux effractions liées à l’expérience quotidienne.

Pour moi, le désir d’apprendre et la capacité à soutenir l’angoisse liée à ce désir d’apprendre remonte à ces expériences originaires et à ces premières traces.

Mais ces effractions originaires peuvent aussi ne pas trouver de réponse et d’accueil et inscrire ainsi au creux de cette origine des espaces de non-réponse et de fixation originaire dans un au-delà du principe de plaisir : c’est alors un trauma originaire régrédient.

Pour certaines subjectivités, on pourrait s’autoriser à penser qu’elles se sont éloignées de ce développement progrédient normal et qu’elles sont alors soumises à la tyrannie des états-somatiques et émotionnels plus qu’à l’apaisement de ceux-ci et à la représentation.

Les enfants envahis par des troubles ou des terreurs ont affaire à cette tyrannie pulsionnelle et à cette détresse originaire. Rien en eux n’apaise le débordement et rien en eux ne peut contenir la détresse devant des situations parfois insignifiantes... au regard de la normalité. Ces temps originaires de liaison sont devenus la matrice du traitement des effractions et déterminants dans leur rapport à l’école et aux savoirs. Apprendre devient une menace car sollicite des ponts entre corps et représentations qui n’ont pas toujours été bien symbolisés et qui du coup font chuter l’enfant dans des états de peur, de panique très originaires qui n’ont pas été étayés.

Dans les pathologies du fantasme, le sujet ne cesse de dérouler la bobine signifiée l’éloignant du signifiant de la détresse originaire par des stratégies défensives du moi, alors que dans les pathologies liées à des traumatismes régrédients, il se trouve dans l’impossibilité de substituer, captif de la répétition mortifère d’une détresse originaire.

Lorsque les enseignants rencontrent ce type de manifestations spectaculaires, bruyantes et faisant obstacles à la scolarité, ils se trouvent très démunis pour construire un lien, une pédagogie adaptée à cette problématique.

Je me propose d’évoquer quelques axes prioritaires susceptibles de permettre aux enseignants d’accueillir ces terreurs liées à des traumatismes régrédients et d’éviter qu’ils ne fassent appel à un processus de défense du type identification à l’agresseur qui les conduiraient à développer eux-mêmes des peurs d’enseigner.

 

Axe pédagogique

La PIA propose une approche clinique adaptée à la situation scolaire et aux obstacles psychopédagogiques ou institutionnels rencontrés avec des enfants troublants afin de construire des supports et des pratiques pédagogiques adaptées aux singulières demandes.

Cette PIA essaie d’articuler la logique de l’affect et la logique de la représentation.

Pour cela, nous avons à écouter et à analyser les obstacles psychopédagogiques construits entre scène psychique (l’autre scène) et scène sociale (scène scolaire et rapports aux savoirs et à l’autre). Nous avons aussi à contenir et poser un cadre à cet excès d’affects, d’agitation ou d’agressivité afin d’articuler rencontre-relation-savoirs ; puis à déplacer les coordonnées « subjectives » à un objet de connaissance ou d’apprentissage afin de reconstruire des ponts entre sujet et connaissance ; sujet et objet ; entre perception et représentation et pour repousser la logique de l’affect et la mettre au service de la représentation et enfin à proposer des supports et des savoirs signifiants à haute valeur symbolique pour le sujet et le groupe. La PIA tente de convertir, de traduire des vécus chaotiques par la connaissance, par des textes qui, parce qu’ils font miroir, peuvent contenir et cadrer les détresses originaires des élèves.

Dans une situation qui fait échec, accueillir, écouter, comprendre la leçon originaire, dictée sous forme d’énigme, d’empreintes laissées dans "le sable scolaire" par le comportement, les attitudes, les violences, les peurs de l’élève... me semble primordial pour pouvoir "secondariser" cette leçon originaire et singulière pour en faire une leçon plus universelle et partageable.

Traduire, comprendre l’esquisse de l’autre est fondamental puisque cette traduction permettra de construire des médiations psychopédagogiques nécessaires pour réarticuler l’élève à un discours plus universel et moins singulier.

Fenêtre clinique : histoire scolaire du petit Wil et de son “je” acté à par un comportement troublé

Wil est orienté en institut de rééducation (IR) car il présente des troubles du comportement. D’une intelligence normale et vive, il est freiné et limité dans ses apprentissages par une agitation constante dans l’espace classe, dans les liens et pouvant être provocant et agressif. Néanmoins, Wil se présente comme un garçon très affectueux, attachant... mais coupant tout lien avant qu’il ne devienne trop encombrant... Dès qu’il franchit la porte de la classe, il commence ses ballades incessantes, ses jeux de cache à cache, il ne reste pas plus de dix minutes à sa table, il occupe tout son temps scolaire à une production de mouvements, d’apparition et de disparition et donc à bien autre chose qu’une réponse à mes demandes très scolaires.

Si je rédige "un cahier pédagogique adapté à Wil", avec, sur la page de gauche, les productions de Will, se dessine alors une quantité énorme de va-et-vient, de jeux de cache-cache, de présence/absence, de disparation, de fugues, de là et pas là où le corps est pris en otage par la répétition enfermante qui ne propulse pas l’élève vers l’ouvert, l’envie d’apprendre, de comprendre. L’élève, contrairement aux discours entendus, n’y est pour rien, aucune volonté de perturber la classe ou l’enseignant ; il en est bien sûr l’auteur mais le texte le fait auteur et non l’inverse.

L’autorité, liée à ma fonction, ne l’inquiète pas et ne ricoche pas sur une culpabilité en lui. Toute exclusion, toute punition, toute tentative psychopédagogique glisse sur lui. Avaient été soulignées par l’équipe thérapeutique (psychologue et psychiatre) une impossibilité à la frustration, une incapacité à se plier à la règle, une psychologie d’enfant-roi envers l’adulte et ses pairs.

D’un point de vue éducatif, Wil avait grandi au sein d’une famille monoparentale (avec la mère). Il n’avait pas connu son père qui l’avait abandonné à sa naissance.

Il m’a semblé important d’écouter autrement ses symptômes pour les convertir en obstacles et pour les traduire. J’ai fait l’hypothèse que Wil ne souffrait d’aucune maladie, ni de psychopathie sociale mais qu’il nous racontait en gestes ou en mouvements une histoire ou plutôt un mythe personnel originaire dans un décor scolaire.

Je l’ai traduit ainsi : « Je viens en classe mais je ne veux pas faire ce que tu me demandes, je ne peux pas faire ce que tu me demandes ; je vais échapper à ton regard, être à ma table m’est insupportable, être sous ton regard et ton autorité m’est insupportable ; je peux être là à condition de ne pas être là ; je peux apprendre en bougeant, en disparaissant ; je ne peux pas être dans le lieu désigné, je peux vivre dans un entre-deux, le ici et l’ailleurs caché ; je dois le répéter, je suis un être qui est à la recherche ».

La traduction en mots (non dictés par un surmoi culpabilisant) de son corps dessinant des mots m’a permis de faire des liens avec ce que Freud élabore dans le jeu du fort/Da. Wil ne jetait pas l’objet du Fort-da mais se jetait lui-même à travers l’espace classe et les cachettes inventées. Traduire n’enferme pas le sujet dans un passé qui verrouillerait tout avenir, tout futur allégé de l’ombre du passé. Ce que Will créée en classe, c’est une porte, certes encore fermée mais qui indique quel passage l’enseignant va devoir franchir pour ouvrir la répétition mortifère de ce jeu et à partir de quelle porte, l’élève construira un patio pour fabriquer d’autres liens, d’autres modes relationnels pour son être ainsi advenu au monde. C’est une logique psychopédagogique ou psychothérapeutique où la réponse est beaucoup plus importante que la cause (abandon, maltraitance, ratage éducatif, accident de vie...).

En classe, les enfants hypo-adaptés présentent davantage de servitude involontaire à l’égard de leur être plutôt qu’à l’égard du social et du maître. L’imaginaire du bon élève ne réunit pas leur corps, leur attention, leur désir. Il est trop brisé par des lignes de faille du passé ou du corps.

J’ai donc mis en place une activité pédagogique convoquant le ici et l’ailleurs, le « là et pas là », la cachette si nécessaire à Wil. Nous avons fabriqué des masques et exploité toute la dimension culturelle et psychologique du masque. Le masque, c’est carnaval, c’est Venise, c’est un autre, c’est personne, etc. Wil fit ainsi un objet scolaire transitionnel, il plaça le masque sur son visage et par ce jeu ou cette partie de cache-cache entre lui et moi, entre son empreinte et l’empreinte culturelle ; Wil gagna en présence à l’école et habita autrement l’espace. Son masque lui permit de se stabiliser à sa table et d’augmenter sa concentration et ses performances scolaires. L’obstacle levé grâce à un troc entre signature culturelle et empreinte singulière a permis à Wil d’absorber ses origines sans en faire un symptôme figé. Il a franchi cet obstacle seul, sans punition, et l’empreinte qui a orienté le choix de l’activité pédagogique a été un support pédagogique pour l’ensemble de la classe. C’est pourquoi j’attache autant d’importance à la traduction plus qu’à l’interprétation, à l’avenir plus qu’au passé, à l’obstacle plus qu’au symptôme, car l’exploitation d’un signe particulier peut faire communauté de travail et en même temps réordonner certains éléments de la vie subjective d’un élève.

Les coordonnées du sujet ont été transférées à l’objet pédagogique réel (le masque) et symbolique, un au-delà du masque, c’est-à-dire l’élévation du masque à des textes, de la transmission, des jeux de semblant des communautés étayées par la culture.

Il y a donc eu une substitution de son “je” ligoté à un jeu répétitif de cache-cache en activité scolaire (le masque) et en textes avec la dimension imaginaire du carnaval. Le masque (objet réel aux coordonnées transitionnelles) permet un déplacement métonymique du jeu de cache-cache alors que les références culturelles, les rituels... permettent un déplacement métaphorique du jeu de cache-cache.

Si la posture de Wil à l’origine présentait de la rigidité comportementale, l’objet/sujet (le masque et l’imaginaire du masque) a permis tout un jeu de substitution et de déplacement à valeur symbolique pour Wil qui est sorti de ces attaches troublantes pour s’organiser autrement autour de ses origines. Wil montre comment un regard autre peut recréer de l’ouvert pour dépasser une détresse originaire.

Wil a croisé un autre regard qui s’est épuré des reflets négativant celui-ci. Wil au miroir ne coïncide plus avec ses troubles mais coïncide avec son origine dont il ne pouvait se détacher. L’origine agitant Will a été dérivée par mon activité scolaire signifiante qui ne tombait plus à coté de cet élève. Le fait d’avoir déplacé la cachette dans le masque a permis à Will de jouer avec l’objet masque qu’il pouvait enlever et mettre. Cet objet a ouvert la répétition infinie dans laquelle son propre corps se perdait et a du coup permis une métabolisation de son obstacle.

Cette détresse activant des troubles dans le lien a trouvé ainsi un autre (l’enseignant) avec qui il a pu construire un pont pour franchir l’enfermement de son je ne pouvant tricoter un moi social se conjuguant à la culture.

Les enfants de l’échec représentés par leurs troubles ou leurs symptômes ont besoin de ces ponts pour rejoindre les savoirs et la culture. L’école peut être le lieu où des supports ou activités signifiantes à valeur symbolique et culturelle pourront réorganiser la vie relationnelle et psychique.

La PIA défend l’idée d’une école comme lieu du symbolique fabriquant de l’appétence. Car savoir vivre en communauté commence par avoir envie de vivre dans cette communauté. Ce n’est pas qu’une question d’estime de soi, c’est aussi une question d’estime de l’autre qui nous porte symboliquement par son regard et ses pratiques pédagogiques où j’existe en tant que sujet à qui l’on s’adresse.

Sylvie Canat
Janvier 2013

 
*   *   *
*

Bibliographie

*   *   *
*

Notes

(1) Nos références sont essentiellement les textes de Freud sur la phobie et la névrose en général : Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF., 1986. Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1985. Vue d’ensemble des névroses de transfert, Paris, Gallimard, 1985; le texte d’Anna Freud, Le moi et les mécanismes de défense, Paris, PUF., 1993.

(2) Le terme Hilflosigkeit (détresse du nouveau-né) dans la théorie freudienne est au principe de la dépendance du petit humain à son environnement et au principe de sa structuration psychique. C’est aussi le prototype de la situation traumatique.

(3) Par contre-investissement est entendu un processus économique qui repousse l’attraction des traumas originaires. C’est un processus économique selon Freud qui est à l’origine de nombreuses activités défensives du moi. Ses modalités défensives indiqueront des éléments de structure du sujet. Si le sujet contre-investit mal, il ne pourra acquérir une force énergétique suffisante pour s’éloigner de cette détresse originaire et elle sera au service du refoulement originaire plutôt qu’au service du refoulement secondaire. Les représentations dialectisent mal le préconscient/conscient et le sujet est mal représenté par la métaphore ou la métonymie. Peu de jeux de substitutions et de tissages signifiants et signifiés. On pourrait dire que le sujet devient le gardien d’un moi très originaire plutôt que le gardien du discours et de la critique.

(4) Lacan J., Les écrits techniques de Freud, Séminaire I, Paris, Seuil, 1975, p. 216.

 
*   *   *
*

Informations sur cette page Retour en haut de la page
Valid XHTML 1.1 Valid CSS
Dernière révision : vendredi 24 janvier 2014 – 15:20:00
Daniel Calin © 2014 – Tous droits réservés