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Un texte de Laurent Carle
Psychologue scolaire




Quand j’étais élève, j’ai eu à copier des pages et des pages de « cent lignes », plusieurs dizaines de fois, à titre de représailles, pour avoir seulement été au mauvais endroit, au mauvais moment. Etre présent dans un groupe d’élèves quand un « cancre » commettait une infraction scolaire anonyme et ne « se dénonçait » pas, ou parce que « la classe » avait mis trop de temps à se ranger devant la porte, après la sonnerie, valait une « punition générale », c’est-à-dire une punition collective pour indiscipline, même pour les trois ou quatre « disciplinés » qui s’étaient rassemblés en temps requis. Cette pratique de la répression collective contraste avec l’individualisation de la récompense scolaire et des classements, de « l’excellent premier » au dernier des « nuls ». Individualisme forcené et abusif qui transforme périodiquement des enseignants littéraires en comptables scrupuleux, calculant des moyennes « générales » à « 2 chiffres après la virgule ». Après moi, mes enfants ont connu ce régime disciplinaire. Aujourd’hui, les enfants de mes enfants le subissent toujours. De tous temps, l’école a bafoué et bafoue les lois de la république, la déclaration universelle des Droits de l’Homme, ainsi que la convention internationale sur les Droits de l’Enfant, en pratiquant une justice sommaire et expéditive, au nom du principe de culpabilité collective, pourtant unanimement rejeté par les démocraties modernes. N’ayant pas suivi l’évolution du Droit pénal, l’école se réfère, sans scrupules, à un Droit coutumier qui accorde à l’adulte, « éducateur », le cumul des pouvoirs de police et judiciaires. Ces pouvoirs discrétionnaires ont survécu à l’Empire, à la Monarchie, à Sedan, à Verdun, à la IIIe république, au régime de Vichy, à l’après-guerre, à la IVe, à De Gaulle et au XXe siècle.

Pour la première fois dans l’histoire de l’école, on ne va pas distribuer des bons points aux meilleurs, après les avoir retirés aux « cancres ». Au contraire, on va en faire une cagnotte collective. L’absentéisme scolaire des jeunes va être traité par la récompense financière « générale » de l’effort d’assiduité des camarades de classe déprimés. Réédition moderne du retour de l’enfant prodigue. Voilà un gouvernement de droite qui socialise la récompense ! Pour la première fois dans leur parcours scolaire, des élèves en difficulté qui avaient, depuis l’année de leur CP calamiteux, perdu, avec la candeur de leurs 6 ans, l’espoir d’obtenir, un jour, le moindre « bon point » et quelque image, vont pouvoir contribuer au remplissage d’une corbeille commune. On pourrait donc se réjouir de l’initiative ministérielle d’introduire dans le système scolaire la notion de sanction collective positive. On doit admettre que, à côté de l’artifice « commercial » du « cadeau de la maison » pour clients fidèles, c’est aussi un vrai changement en psychologie des apprentissages. A partir de la présence générale, les enseignants pourraient étendre à leur enseignement et à la vie quotidienne en classe cette notion nouvelle de solidarité entre pairs. Si ce n’est pas vraiment pédagogique, du moins, c’est, peut-être, un facteur d’unité, de cohésion sociale et de ciment scolaire. C’est un progrès, si on compare cette mesure aux sanctions individuelles traditionnelles dont l’objectif historique est la mise en concurrence individuelle afin de trier, jour après jour, bons et mauvais, avec, pour effet dévastateur, la culpabilisation de l’élève, que ses notes soient bonnes ou mauvaises, par ailleurs. Encore faut-il qu’on puisse évaluer l’efficacité éducative de la mesure ! Que les traditionalistes, conservateurs et anti-pédagogues s’en indignent est compréhensible. Si « la classe » est récompensée de manière indifférenciée, sans critère méritocratique, si les élèves, motivés, pour la première fois, par un renforcement positif, fréquentent de leur plein gré, parce que le volume de la cagnotte est lié à la présence de tous, où sera le « mérite » ? Qu’adviendra-t-il de la satisfaction magistrale de couronner la réussite scolaire, à laquelle peut prétendre tout héritier spirituel de Charlemagne ? Le prof traditionnel va perdre son privilège de sélectionneur du bon grain, d’éliminateur de l’ivraie, son pouvoir de chantage aux mauvaises notes et au redoublement. Un pan de son pouvoir absolu va être grignoté. Pire, sous peine de faire stagner le niveau des gains collectifs, on ne pourra plus mettre à la porte le contrevenant scolaire, perdant un moyen de pression efficace pour maintenir la discipline chez des élèves qui s’ennuient pendant le cours. On nous coupe l’herbe sous le pied.

Mais si l’agitation de la carotte améliore sensiblement la fréquentation scolaire, ce sera une sorte de reconnaissance officielle involontaire de l’absence d’intérêt des leçons que l’école dispense aux jeunes lycéens et de la crainte que leur inspire le système traditionnel d’évaluation des acquis. Il suffirait d’abolir la notation des élèves, depuis le CP jusqu’à la 4e, pour obtenir, sans dépenser un sou, l’assiduité des élèves. En effet, les « décrocheurs », selon les autorités, les « décrochés », selon les syndicats, sont des élèves qui, en dix ans de fréquentation scolaire, n’ont jamais obtenu un «  bon point », décroché une bonne note, entendu un encouragement. Depuis dix ans, ils font tapisserie sur le banc de touche, parce qu’à chaque séquence, ils reçoivent un carton rouge pour « devoir nul ». Peut-on persister, sans honte, à être spectateur d’une compétition dont on est exclu d’avance et, à contrecœur, s’ennuyer fermement pendant des cours où on se trouve, malgré soi, « à la remorque » ? Quelle vérité sortira de l’extinction des absences buissonnières ? Sera-ce l’aveu de l’insuffisance de compétence professionnelle du personnel enseignant actuel, que ce soit en didactique ou en pédagogie ? Encore faudrait-il que cette expérience donne le résultat attendu ? Or, tous les personnels du système scolaire, enseignants et autres, sont censés le fréquenter contre rémunération. Contrairement à ce qui est attendu de l’élève, volontaire par obligation, aucun adulte ne fréquente l’école volontairement, par pur intérêt pour le savoir, l’éducation et l’enseignement. Quel chef d’établissement a réussi à réunir ses équipes « pédagogiques » au complet, une fois par mois, sur une année entière, sans accorder aux participants réticents, décrocheurs potentiels, des indemnités en heures supplémentaires ? Pourtant, on observe chez les salariés de l’école, rémunérés au mois et à l’heure, des absences fréquentes, parfois nommées « congés pour dépression nerveuse ». Il serait intéressant d’observer si le versement dans un pot commun d’une dîme sur les salaires des fonctionnaires de l’éducation améliorerait les performances didactiques de l’ensemble et leur assiduité. Bien que l’introduction d’un changement par motivation collective soit louable en soi, je doute que les élèves soient plus performants et plus assidus que leurs professeurs, si on ne change rien au système pédagogique, au mode de recrutement et de formation des enseignants, aux valeurs individualistes traditionnelles. Ne serait-il pas préférable d’introduire dans les classes et dans les esprits la pédagogie et la psychologie sociale qui généreraient à la fois le bonheur d’apprendre et celui d’enseigner, loin de tout projet sélectif ? Pourquoi la gauche y a-t-elle renoncé quand elle était « aux affaires » ?

Laurent Carle
Octobre 2009

 
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