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La majuscule et le point

 
Production d’écrits dans un IMPro : structuration de textes et structuration de la pensée par la médiation du journal de l’institution et du projet professionnel

 

Mémoire de Corine Martres-Chaudat,
CAPSAIS Option D – Session juin 2000

 

Sommaire

Introduction
I Approche théorique
II Approche pratique
Conclusion
Bibliographie
Notes
Annexes

 
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Introduction

J’ai très souvent constaté, de façon empirique, combien l’écriture pouvait assouplir et structurer ma pensée, que ce soit lors d’une correspondance, d’une dissertation scolaire, voire d’une simple conversation avec moi-même que la seule pensée intérieure n’arrivait pas à élaborer de manière satisfaisante. Citons Moreau et Richelle : « Pour Vygotski, le langage est dans ses premiers usages essentiellement communicatif avec autrui pour devenir un instrument de communication avec soi-même. »1 Je pense que cette pensée s’applique plus encore au langage écrit.

20 ans d’enseignement, essentiellement en école “maternelle”, m’ont permis de mesurer, d’une part, l’importance d’un cadre sécurisant et porteur pour les apprentissages des enfants et d’autre part, la formidable ouverture sur le monde et sur soi-même qui résultait des activités langagières, notamment écrites, lorsque les élèves y accédaient et s’y intéressaient.

J’ai enseigné en CLIN (classe d’initiation pour enfants non francophones) et il m’a paru évident que le passage à la production écrite en français, pour ces élèves, était un accès différent à la maîtrise de la langue, à la culture et au mode de pensée du pays “accueillant”.

Mes années en ZEP (zone d’éducation prioritaire) m’ont montré comment l’entrée dans l’écrit pouvait structurer la pensée de ces jeunes enfants, parfois mal étayée sur le plan socioculturel.

Mes années de direction dans une école maternelle, dont l’une des priorités était de favoriser l’accès à la langue écrite à travers les activités du journal d’école et de la BCD (bibliothèque centre documentaire), m’ont prouvé que la dictée à l’adulte et toutes les séquences impliquant le travail sur l’écrit, soutenus par un projet investi par les élèves, pouvaient contribuer à un développement de leurs capacités intellectuelles (représentation, communication) et participer à une meilleure préparation à l’école élémentaire.

Je me souviens, notamment, de ce petit garçon mutique de 5 ans qui a commencé à parler et à communiquer lorsque, enfin, il a pu accéder à l’écrit de façon active. « Cependant, on connaît des cas où l’apprentissage du langage écrit a été possible, alors que l’accès au langage parlé était fermé. »2 Il semblerait même que dans le cas que je cite, l’apprentissage de la langue écrite ait pu être une ouverture au langage parlé.

Enfin mon année en CLIS 1 (classe d’intégration scolaire pour enfants handicapés mentaux), décisive, par ailleurs, dans ma décision d’entreprendre la formation, m’a montré que rien n’est jamais figé et que tous les enfants sont susceptibles de progrès. J’ai pu y faire également le constat que l’entrée dans l’écrit, même pour des enfants ne possédant pas la lecture, pouvait les aider à élaborer leurs représentations du monde et à se situer dans un schéma scolaire par l’accès à des outils symboliques et culturels.

« Selon moi, la représentation graphique de la parole... est un outil, un amplificateur, un auxiliaire d’une extrême importance... elle facilite la réflexion sur l’information et son organisation... elle transforme aussi les représentations du monde (les processus cognitifs) des illettrés. »3

Dans le cadre de ma formation, je suis en stage dans un IMPro (institut médico-professionnel). Lorsque j’y ai fait ma semaine d’observation, j’ai été frappée par l’investissement de ces jeunes dans leur projet professionnel et par leur désir de faire vivre le journal de l’établissement. Le projet de cet IMPro, que j’ai eu le plaisir de lire par la suite, est en totale harmonie avec le sentiment que j’ai eu. Projet et vécu des jeunes se rejoignent ici.

Il m’est alors apparu que cette dynamique de projet professionnel médiatisée par un journal vivant pouvait être génératrice de progrès dans la langue écrite pour ces jeunes gens troublés.

Mais ce qui m’a semblé apparaître comme un élément constant à travers une pratique professionnelle antérieure avec des élèves ordinaires, à savoir l’importance du langage écrit pour étayer et structurer la pensée, peut-il rester vrai avec un public d’IMPro et ce dans quelles conditions ? Gibello nous dit : « On a (re)découvert combien le psychisme et le système nerveux sont plastiques, c’est-à-dire modifiables suivant des modalités multiples. »4 De même Cyrulnik précise que : « Si rien ne s’efface, rien n’est jamais définitif dans le développement d’une personne humaine. »5 J. Hochmann s’accorde même à penser que : « L’apprentissage de l’écriture semble fluidifier leurs investissements. »6 Et Vygotski de dire que : « Le langage écrit est métalinguistique. Il exige la conceptualisation et l’abstraction, mais surtout, il les provoque. »7

Si le développement de la personne est dynamique et que l’écrit tend à provoquer une structuration de la pensée, alors un projet d’écriture peut avoir sa place en IMPro.

Comment ces jeunes à la pensée troublée, dont le langage parlé est souvent rudimentaire, pour qui l’accès aux apprentissages est entravé, et dont l’imagination est parfois restreinte, pourraient-ils s’y impliquer ?

Il me semble que la dynamique particulièrement forte de l’établissement, par rapport au projet professionnel et au fonctionnement coopératif dont est issu le journal, pourrait être le premier appui pour entrer dans l’écrit.. Ensuite, la mise en place d’un cadre sécurisant pourrait les y aider. La lecture d’articles écrits par des jeunes sur leur profession pourrait susciter une autre approche de la motivation. Enfin, un certain nombre d’outils pourraient améliorer leurs productions. Parmi ces outils, je citerai les repérages sémantiques et spatio-temporels, l’aide à la compréhension des marqueurs graphiques de la syntaxe, la mise en liste collective de mots-outils, l’énonciation de quelques règles orthographiques et syntaxiques simples. L’élaboration temporelle de ces textes pourrait suivre le développement de leur parcours professionnel.

Il me semble ici indispensable, en premier lieu, de montrer l’importance de la culture écrite dans la structuration de la pensée. En second lieu, je me propose d’étudier la pertinence et les conditions d’un projet d’écriture avec des enfants troublés, d’un point de vue théorique. En dernier lieu, l’approche pédagogique m’aidera à valider ou non ma proposition.

 

I Approche théorique

I-1 La culture écrite et la structuration de la pensée

I-1-1 Du point de vue historique et ethnologique

Jack Goody, dans son ouvrage La raison graphique8 a tenté de montrer que les modes de pensée ne sont pas indépendants des moyens de communication de ceux-ci et d’analyser les effets de l’écriture sur les processus cognitifs. « C’est l’apparition du langage, nouvel instrument de communication, qui a permis une plus large extension du processus de conceptualisation. » (p. 42, toutes les citations de ce chapitre sont tirées de cet ouvrage)

Quelles extensions cognitives le langage permet-il ? Pour ceux qui étudient l’interaction sociale, la technologie intellectuelle est décisive. Or, dans le domaine de l’interaction sociale, il y a eu des développements importants avec le développement de l’écriture et le changement du mode de communication. Le plus important progrès dans ce domaine est l’apparition de l’écriture. Ce n’est pas une unique mutation mais une série de changements selon plusieurs grandes lignes. L’introduction de l’écriture a eu des effets importants sur la politique, l’économie, la religion, mais aussi sur la parenté et ses institutions. En effet, il ne peut y avoir de dichotomie absolue entre concret et abstrait, mais la mise en œuvre de concepts abstraits dans une société sans écriture se fait d’une manière qui est liée aux circonstances de la vie, donc de manière plus concrète. Par exemple, il existe des procédés opératoires dans les sociétés primitives, mais des opérations comme la division et la multiplication sont un pur produit de la tradition écrite ; même si l’idée de ces opérations n’est pas complètement absente dans une tradition orale, cette société ne dispose pas de tables permettant des calculs compliqués. D’autre part, les innombrables mutations culturelles qui apparaissent dans le jeu des interactions verbales sont ou bien adoptées tout de suite, ou bien perdues d’une génération à l’autre en fonction de leurs utilités. Alors que, dans les cultures écrites, l’œuvre résistera au temps, ce qui stimule donc l’activité créatrice. De plus, la transcription de la parole permet de séparer les mots, de manipuler l’ordre et de repérer les contradictions.

Le mot écrit ne remplace pas la parole mais ajoute une importante dimension aux actions sociales. Les États sans écriture ont un système politique qui n’est pas forcément arbitraire et qui est établi sur des règles, mais l’écriture est une condition du développement d’États plus étendus géographiquement.

Il existe des intellectuels dans les sociétés orales qui se trouvent souvent dans le domaine religieux, et qui ont parfois introduit des changements sous la pression de l’opinion. Mais une fois encore le récit est composé en même temps qu’il est énoncé et la communication se situe dans la capacité à absorber les apports individuels et à les fondre dans l’ensemble des coutumes. Toute réalisation personnelle est rejetée dans l’anonymat. La signature personnelle est progressivement effacée au cours du temps ou, le plus souvent, d’emblée invalidée, et ce processus affecte la littérature. L’apparition de l’écriture a facilité les changements, dans le sens où le cadre écrit a permis d’avoir des références au niveau de l’écart entre les pratiques existantes et les idéaux religieux par exemple.

Donc J. Goody pense que l’écriture est un outil et qu’elle est peut être une des raisons du changement entre société complexe et société primitive. Les différences de démarches intellectuelles peuvent s’expliquer par les différences de mode de communication plutôt que par les différences de mentalités.

Il pense que le contenu et le processus de la connaissance peuvent être reliés aux modes de communication car l’écriture rend possible une nouvelle façon d’examiner le discours grâce à sa forme permanente. Elle augmente le champ de l’activité critique, de la rationalité, de l’attitude sceptique, de la pensée logique et de la possibilité d’accumuler des connaissances. Ces aptitudes existent dans les sociétés orales, mais leur accumulation, que permet l’écrit, les rend plus “performantes”. Le discours écrit ne dépend plus d’une circonstance, il est intemporel et par là même dépersonnalisé, l’écriture objective le discours. Les sociétés traditionnelles n’ont pas d’outil approprié à l’exercice de la rumination constructive. La forme orale est moins accessible à la critique. Ce n’est pas un hasard si les étapes décisives du développement de la science ont à chaque fois suivi l’introduction d’un changement capital : l’écriture en Babylonie, l’alphabet en Grèce ancienne, l’imprimerie en Europe.

« ...une des caractéristiques de la forme écrite est d’assigner à chaque élément une position unique qui définit sans ambiguïté et en permanence sa relation aux autres ». (p. 133) Ce qui renvoie à une pensée associative.

Les formes les plus anciennes d’écriture se retrouvent en Mésopotamie et en Égypte sous forme de mots et non sous forme de transcription du cours de la pensée. Ces tableaux sont importants pour comprendre ce qu’est la communication écrite au début et évaluer l’importance de l’écriture sur les opérations cognitives. Ces premiers systèmes ont influencé la vie sociale et le système des connaissances. L’écriture n’est pas seulement un redoublement du discours oral, bien qu’elle donne à la parole une forme permanente. L’écriture transforme nettement et de plusieurs manières la nature même de la pratique du langage. Elle a une fonction de stockage de l’information et elle permet l’examen, la manipulation, la réorganisation, la rectification. Il existe donc deux formes de discours oral selon qu’il y a ou pas un écrit. Dans certains cas, limites mais fréquents, le langage écrit existe en l’absence de tout langage parlé (latin savant ou chinois classique par exemple).

Lorsque l’on étudie les écrits les plus anciens, on peut se faire une idée des effets possibles de l’écriture. À Sumer, en Mésopotamie, il existe des pièces administratives des plus élémentaires dès le quatrième millénaire, purement pictographiques. L’écriture conventionnelle et phonétique apparaît dans la 2e moitié du 3e millénaire (elle n’est ni alphabétique, ni cursive). Les documents littéraires ne voient le jour qu’au 2e millénaire, lorsque le sumérien n’est plus qu’une langue morte.

Il existe donc très tôt des catalogues, ou listes, faits d’une rangée de figures, de mots, de noms. Ils sont de trois sortes : l’enregistrement de personnes, de situations, d’événements ; un guide pour des actions futures, des listes lexicales, des embryons d’encyclopédie. C’est un changement important dans les modes de pensée, au-delà du fait que ce soit une réponse à un besoin.

La présentation sous forme de liste diffère de la parole normale en ce sens qu’elle a une limite spatiale, une mise en ordre par numérotation, qu’elle disjoint les éléments et les traite abstraitement. Lorsque l’on établit une liste, on montre des capacités intellectuelles pour la monter qui sont différentes de la mémoire. Lorsque l’on établit une liste de dons dans une cérémonie mortuaire, on peut la faire chronologiquement ou sur plusieurs colonnes selon différents critères (hommes, femmes, par exemple). La liste ne fait appel qu’à la mémoire immédiate pour noter, et elle permet un mécanisme général de tri de l’information par sa fixité mais aussi par une plus grande souplesse d’utilisation. Si le cerveau devait retenir les informations, chaque élément devrait être pris dans son contexte, ce qui est impossible. Les listes de rois qu’ont faites les Sumériens, soit par sujet, soit par chronologie, sont des matériaux historiques qui connurent une grande extension, un développement et des révisions. Le fait de réagencer des informations fixe en l’état un savoir et participe au progrès de la connaissance. Lorsque l’on établit des listes d’objets par catégorie, qui n’ont pas d’intérêt immédiat pour ceux qui les établissent, on fait preuve d’un travail d’abstraction, de décontextualisation, d’une activité ludique, d’un certain art de s’enfermer dans des concepts. Il y a eu aussi des listes par ressemblance morphologique, qui n’ont plus aucun rapport avec le langage parlé. Dans d’autres listes, la combinaison de deux critères (champ sémantique et unicité) supprime la correspondance entre le sens du langage oral et les listes écrites.

L’écriture a donc sur la classification un effet didactique : elle accentue la dimension hiérarchique du système classificatoire et permet de s’interroger sur la nature des choses. Elle met en œuvre dans ces listes des systèmes différents de ceux présents dans le discours oral (déterminatifs, couleurs, graphies spéciales, écarts). C’est donc un développement de ce processus, que Bruner considère comme définissant le langage humain et appelle « représentation symbolique ». Le langage n’est pas une unité du monde perçu puisqu’il lui impose une structure discontinue en morphèmes et phonèmes. Mais l’écriture cristallise cette discontinuité puisqu’elle peut être réarrangée. Elle transforme la liste, qui transforme la série et la classe. Puisqu’il y a du visuel, il y a des limites, un commencement, une fin. Il y a un processus d’hypergénéralisation parce qu’il faut faire des choix de classement. Elle assure la victoire d’un schéma déterminé et cette fonction d’explicitation amène les progrès de la connaissance. « L’existence de l’écriture, qui entre autres effets entraîne un développement de l’activité de mise en liste, implique aussi des modifications à l’intérieur même du psychisme ; ou que, du moins, reconnaître son rôle devrait changer notre compréhension des processus psychiques. » (p. 192)

Jack Goody n’entend-il pas par là que la classification ou la séparation entraîne une mise en lien ?

On n’écrit pas comme on parle. L’écriture permet de naviguer dans l’espace et le temps, alors que la parole est linéaire. « L’écriture est génératrice d’une conscience plus grande de formes et de formalisations » ; « L’écriture a une importance décisive, non seulement parce qu’elle conserve la parole dans le temps et dans l’espace, mais aussi parce qu’elle transforme le langage parlé : elle en extrait et abstrait les éléments constitutifs, elle permet de procéder à des examens rétrospectifs ; ainsi la communication par l’œil engendre des possibilités cognitives nouvelles par rapport à celles qu’offre la communication par la voix. » (p. 221)

I-1-2 Du point de vue psychologique

I-1-2-1 L. S. Vygotski

Vygotski aborde l’étude de la conscience humaine par ce qu’il appelle « la méthode instrumentale », c’est-à-dire l’analyse des signes. Il étudie le langage d’abord comme un instrument majeur de l’activité humaine. Pour lui, le développement des formes supérieures du comportement procède de deux groupes de phénomènes :

Le développement de l’enfant est un processus complexe qui associe, lors de l’ontogenèse, le processus d’évolution biologique et le processus de développement historique (l’évolution culturelle de l’homme).

Dans le comportement de l’homme, il y a des adaptations artificielles pour contrôler les processus psychiques. Ces adaptations donnent corps à ces instruments psychologiques cités ci-dessus. Intégrés dans le processus comportemental, l’instrument psychologique modifie le déroulement et la structure des fonctions psychiques en déterminant par ses propriétés la structure du nouvel acte instrumental ; par exemple, la langue, système de signes et ensemble de formes de communication, détermine le langage et ne se contente pas d’exprimer la pensée, mais la modifie.

L’usage des instruments psychologiques augmente les potentialités du comportement, chacun pouvant accéder au résultat du travail de ses ancêtres.

Pour Vygotski, l’éducation est primordiale, il la définit comme étant le développement artificiel de l’enfant qui restructure de manière fondamentale toutes les fonctions du comportement. En effet, la méthode instrumentale étudie les processus de développement naturel et celui de l’éducation comme un tout indissociable. L’enfant qui a atteint des niveaux supérieurs du développement se différencie du plus jeune par le niveau de son outillage. Les différences entre dons et pathologie sont liées en grande partie au type et au caractère du développement instrumental. L’incapacité, ou non, à utiliser les fonctions naturelles propres et à contrôler les instruments psychologiques définit le développement de l’enfant.

Comment se situe le développement du langage écrit dans cette théorie ? « Le développement du langage, mais surtout le développement structurant du langage écrit par la médiation de l’adulte sera cause d’une systématique structuration de l’enfant et de l’adolescent à l’école. »9

Du point de vue ontogénique et phylogénique, le langage est la fusion de deux racines intellectuelles différentes : la pensée préverbale (la représentation) et le langage pré-intellectuel (la communication). Il y a des conditions biologiques et sociales pour que la fusion s’opère ; pour être communicable, il faut que la pensée soit signifiante, avec des significations générales, socialement élaborées. Par ailleurs, la communication doit dépasser le niveau des actions concrètes et se situer dans un registre indépendant de l’action qui la suscite. La fusion de ces deux racines pour créer le langage se fait donc par une représentation communicable et par une communication représentée. Le langage est donc la capacité de l’espèce qui se concrétise dans la langue (système de signes et ensemble de communication propre à un groupe social). Comment situer la construction du langage écrit d’une manière analogue, quels sont les présupposés sociaux et les outils servant à le construire ?

On a vu que les fonctions psychiques supérieures se développent à partir de fonctions naturelles ou culturelles existantes et qu’elles sont élaborées grâce à des séries de pratiques, de techniques et d’instruments que possède chaque société.

L’utilisation de la langue écrite ne suppose pas de rapport direct entre les interlocuteurs, elle est utilisée dans des situations différentes de la langue orale et ce sont les situations sociales qui ont permis de la développer. La situation de production prime sur la situation concrète.

Le langage oral est dynamique, le langage écrit est, lui, volontaire, indépendant, libre par rapport à la situation. « Les faits langagiers deviennent conscients en tant que tels, ce qui fait que l’attention est plus facilement concentrée sur eux. »10

Il y a une élaboration consciente de la structure des mots et leur transformation en graphème ; le travail sur les significations demande des explicitations, du fait de la décontextualisation, par exemple. Tout cela amène à l’hypothèse fondamentale que « le langage écrit, comme le langage intérieur, est une fonction particulière du langage qui se développe par différentiation à partir du langage parlé. »11 « Le langage écrit, fonction langagière particulière qui, de par sa structure et sa fonction, ne diffère pas moins du langage parlé que le langage intérieur diffère du langage extérieur. »12

Les particularités du langage écrit comme celles citées précédemment mettent en évidence la nécessité d’un fonctionnement psychologique spécifique. « Le scripteur doit quasiment adopter un rapport “méta-textuel”à son texte, prendre celui-ci comme objet, le commenter, le structurer, le manipuler, le clarifier. »13

Par ailleurs, dans la théorie de Vygotski, la genèse des systèmes cognitifs complexes va toujours de l’interspychique vers l’intrapsychique. Et lorsque le langage extérieur devient langage intérieur, il y a une transformation de sa structure (condensation extrême, agglutination des significations), sa forme correspond à sa fonction (un outil pour agir sur soi-même, pour mieux contrôler sa pensée). Le langage intérieur devient pensée verbale. Il y a à l’identique une transformation de forme dans le langage écrit. Et les multiples situations de productions d’écrits pour les enfants, allant de la formation de signes aux textes élaborés, vont leur permettre de passer de l’acte à la compréhension. On passe d’un contrôle extérieur de l’activité langagière à un contrôle intériorisé. Pour qu’un texte soit communicable, il faut qu’il réponde à une série de critères particuliers, la décontextualisation par exemple, qui va participer à une pensée plus abstraite.

De plus, pour Vygotski, l’intervention de signes (instruments psychologiques) transforme radicalement l’activité et fait apparaître de nouvelles fonctions psychiques. La formation des concepts, par exemple, se développe selon lui à partir de l’activité de classification. Les mots et leurs significations interviennent dans ce processus en le soutenant et en le modifiant. Ils aident à intégrer plusieurs fonctions primitives (classification, analyse, symbolisation, synthèse) en une nouvelle fonction complexe : la formation des concepts. L’activité écrite, par la possibilité de retour sur la production, de correction, d’analyse, par son caractère permanent, entre spécifiquement dans ce processus.

I-1-2-2 B. Gibello et les contenants de pensée

Bernard Gibello a développé une théorie centrée sur ce qu’il appelle les contenants de pensée. Il en a défini trois : les contenants archaïques, les contenants symboliques complexes et les contenants culturels et groupaux.

Cette théorie permet de comprendre le fonctionnement de la pensée et ses anomalies par l’opposition contenus/contenants. En effet, tant qu’un contenu de pensée n’a pas été reçu par un contenant et traité afin d’être transformé en élément de pensée, il reste invalide. Les contenants, en effet, sont des systèmes qui permettent aux contenus de prendre sens. Par exemple, certaines personnes ont des “capacités intellectuelles” normales dont elles ne peuvent absolument pas se servir pour mémoriser, mettre en lien, créer, car leurs contenants de pensée sont altérés.

Les différents contenants de pensée se constituent dans le temps tout au long du développement de l’enfant. Parmi les contenants archaïques, Gibello a défini l’organisation cognitivo-intellectuelle, qu’il a désigné sous le nom de contenants cognitifs. Elle existe dès le début de la vie au même titre que les autres contenants de ce type : fantasmatiques et narcissiques. Dans les premiers mois de la vie, ils sont clivés, puis réciproquement liés. Ce sont les contenants cognitifs qui vont ordonner les perceptions élémentaires de ce monde. Ils vont se construire progressivement durant le développement de l’enfant selon, approximativement, les stades piagétiens. Ce sont eux qui donnent sens aux objets du monde, qui permettent d’élaborer les représentations, de résoudre les problèmes et de contrôler les objets du monde extérieur. Les pensées organisées par les contenants cognitifs prennent en compte la réalité. Mais chaque contenant, fantasmatique, cognitif et narcissique, permettra de construire la représentation d’un objet total. Les contenants cognitifs mettront en outre en jeu des représentations de transformations qui ont pour source “les actions du bébé sur les objets” et “les effets des objets sur le bébé”. Ces représentations de transformations constituent un élément fondamental de la pensée. Elle permet au bébé de se construire et a un rôle unificateur sur l’effet des différents contenants. Elles permettent de passer de l’imitation et de l’imaginaire au symbolique.

Vers le troisième trimestre de la vie, apparaissent les contenants de pensées symboliques complexes dont le langage fait partie. Ils vont remplacer les contenants archaïques de la toute première enfance, dont les représentations vont devenir pour la plupart inconscientes. Ce sont des systèmes diversifiés de la fonction sémiotique. Ils ajoutent aux représentations des choses des représentations symboliques.

Le langage sert à représenter avec un système de signifiants arbitraires, la plupart des contenants de pensée. « L’accès de l’enfant au langage est une véritable métamorphose de la pensée. »14 L’univers des représentations, jusqu’alors limité à l’expérience propre, devient infini car le langage permet l’accès à l’expérience d’autrui et le langage écrit permet d’étendre encore le champ de la pensée. « Il permet l’accès à la parole de personnes absentes ou disparues, voire même inconnues autrement que par leurs écrits. La pensée dispose alors, grâce aux livres, des formidables ressources d’une mémoire extérieure à l’individu. »15

Il ajoute de plus à la pensée ses liens associatifs propres (analogiques, phonologiques, grammaticaux, etc.) qui vont constituer une trame de signification pour tous les autres contenants. Dans le langage écrit, ces liens associatifs, que l’on pourra grâce à la permanence de l’écrit, manipuler et étudier, vont permettre d’élargir encore les contenants cognitifs.

Le langage est un contenant clé, car « il permet une extension extrême des contenants de pensée cognitifs, par la substitution des représentations verbales aux représentations archaïques, par la possibilité d’accéder non seulement au souvenir de ses propres expériences, mais encore à celles d’autrui, et, par le moyen de l’écriture, de matérialiser durablement la pensée hors de soi. »16 L’accès au langage écrit est donc un pallier supplémentaire dans la structuration de la pensée.

Gibello affirme que, s’il existe une difficulté à l’accès aux contenants symboliques complexes, le développement cognitif en sera fortement altéré, ainsi que la pensée en général. Au vu de tous les éléments théoriques que j’ai essayés d’analyser, je m’interroge sur la possibilité de développer la pensée en favorisant l’accès à un de ces contenants en le travaillant et en l’étayant.

I-2 La production écrite avec les enfants à la pensée troublée

I-2-1 La pensée pathologique

L’étiologie de la pathologie mentale peut être diverse. Cependant, les fonctions des contenants de pensée peuvent être altérées de façon analogue par conflit intrapsychique ou anomalie biologique. Il s’ensuit une symptomatologie, singularisée bien évidemment par chaque cas, mais qui est souvent très stéréotypée. Quelle que soit l’étiologie, les contenants de pensée sont souvent tous plus ou moins “attaqués”, même s’il y en a un initialement touché plus particulièrement. La pensée normale se spécifie par son activité de représentation (que ce soit en impressions, intuitions, rêves, mots, phrases, récits, activités artistiques, élaborations mathématiques, logiques, spirituelles, dans l’action, etc.). Elle a un caractère créatif, par sa réflexion sur elle-même et sur la pensée des autres (les associations d’idée peuvent être logicisées, contrôlées après coup, en général). Elle peut établir de nouveaux liens associatifs, élaborer de nouveaux systèmes de représentation, de nouvelles voies de compréhension.

La pensée décontenancée est caractérisée par la brièveté des liens associatifs, la faiblesse de capacité à les combiner et la pauvreté des idées. La créativité a disparu, remplacée par des répétitions stériles. Cette pensée a perdu plus ou moins sa capacité à donner sens à des représentations psychiques. Elle est arrêtée dans son dynamisme. Son exercice devient une souffrance. Des défenses, comme le clivage ou l’introjection, initialement mis en place chez le bébé, participent à l’élaboration de la personnalité et disparaissent ensuite. Chez l’adulte “ordinaire” également, la pensée fait appel à des systèmes de défense pour réduire la tension pulsionnelle. Lorsque la pensée est troublée, ceux-ci deviennent pathologiques, ils deviennent rigides, mal adaptés aux réalités internes et externes, utilisés exclusivement, et entravent par là même le fonctionnement mental dans sa souplesse et son adaptation. Ces défenses enkystées se retrouvent dans la grande dépression et la pensée psychotique. Elles entraînent toujours une déficience de la mise en lien et une grande difficulté à structurer.

I-2-2 L’éducabilité

I-2-2-1 Plasticité du psychisme et du système nerveux

Mais il semble qu’aussi graves que soient les troubles de la pensée, ils peuvent évoluer favorablement. Depuis une vingtaine d’année, on a pu découvrir la plasticité du système nerveux central : « Certaines cellules nerveuses peuvent se déplacer, certaines synapses entre les terminaisons cellulaires peuvent se modifier et se multiplier. »17 De plus, la querelle de l’inné et de l’acquis n’a plus lieu d’être. Nous savons actuellement que les cinq mille premières connexions neuronales, programmées par la génétique, ne se repèrent absolument plus dans un cerveau arrivé à maturation. On sait également que l’activité qui se situe dans l’environnement aboutit à l’interaction neuronale, mais que chaque connexion ne donne pas les mêmes interactions. Donc, le cerveau de toute personne est modifiable à n’importe quel moment.

D’autre part, Boris Cyrulnik pense que les deux étages qui suivent le façonnage de l’intelligence au niveau neurologique sont celui de l’affectif et celui du culturel. « Tout enfant affaiblit son intelligence si son cerveau n’est pas stimulé par l’affectivité familiale qui met en lumière certaines valeurs, et par les organisations culturelles qui créent les structures où s’exerce l’intelligence. »18 La plasticité de l’intelligence et du psychisme est donc très grande et la stimulation au niveau affectif améliore les performances cognitives.

Tout cerveau est soumis à la plasticité et tout enfant est donc éducable. Il l’est à l’aide des soins thérapeutiques, de l’aide éducative et de la scolarisation.

I-2-2-2 L’éducabilité et les effets de la scolarisation

Jacques Hochmann pense que : « L’apprentissage a une valeur structurante car il contribue à organiser la psyché selon des lignes de force. »19

La scolarisation a des effets positifs sur les enfants à la pensée troublée car l’école est un lieu socialisant, l’enfant ne s’y voit plus comme un handicapé, mais comme un écolier. C’est un cadre favorable à l’identification à la normalité. Lorsque l’enfant est témoin d’une relation pédagogique avec un autre élève, il peut s’apercevoir que la situation d’apprentissage n’est pas si dangereuse. Il peut démythifier la violence qu’elle entraîne souvent chez lui et qui gèle sa capacité à penser.

L’école est aussi le lieu de la réalité et de la transmission des connaissances. Son accès pour tout enfant troublé est une ouverture à ses symboles. Il conviendra donc de mettre en place des situations d’apprentissage investies et une relation d’apprentissage contenante, étayante et valorisante.

Dans ce vaste domaine que sont l’éducabilité et les effets de la scolarisation, quelle sera la fonction spécifique de l’écrit ?

I-2-3 Approche pédagogique

I-2-3-1 Production écrite : une aide à la structuration et à la mise en lien

Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, l’accès à l’écrit entraîne, historiquement et psychologiquement, des extensions cognitives. La production écrite est volontaire, puisque le contexte dans lequel elle s’accomplit se fait en l’absence de tout interlocuteur direct. Il y a donc un contrôle extrême de l’activité langagière afin que le texte soit compris par un tiers. Il faut qu’il réponde à des critères spécifiques, compréhensibles par tous. Donc, le producteur doit manipuler les signes de la langue dans une symbolique accessible à tous.

Le fait même de la permanence de l’écrit permet de travailler concrètement sur les liens associatifs. On peut manipuler, réorganiser, hiérarchiser les éléments d’un texte, et de ce fait même, travailler sur l’analyse et la compréhension, donc sur la mise en liens.

Pour les jeunes dont la pensée est bridée par des liens associatifs brefs ou inexistants, et par une pauvreté des idées, souvent stéréotypées, la production écrite peut être source d’un développement cognitif. Elle peut susciter un effort de clarification et d’explicitation, elle peut stimuler la prise de repère, l’expérimentation de la pensée comme fiable et communicable (ce qui n’est pas forcément le cas dans la communication orale en présence d’un tiers), donner au souvenir une signification, donc, améliorer la structuration de leur pensée.

L’écrit est une des disciplines les plus représentatives du système scolaire et donc, par ce fait, une inscription réelle pour l’enfant dans la dimension centrale de ce système. Mais c’est aussi une des disciplines les plus complexes, de par son haut niveau de symbolisation. Il s’agira donc, avec des jeunes présentant une pensée déficiente, de mettre en place un contexte investi, des situations d’apprentissage, abordables et supportables.

I-2-3-2 Quelle pédagogie pour le maître D ?

I-2-3-2-1 Les instructions officielles

Pour mettre en œuvre un projet d’activité avec des enfants ou des jeunes, il est indispensable de s’appuyer sur les instructions officielles. Dans le chapitre consacré à la formation générale des adolescents déficients intellectuels de la circulaire 89-17 du 30 octobre 1989, il est dit : « Il est important à ce stade d’éviter tout ce qui pourrait entretenir le désintérêt éventuel des enfants. En particulier, on portera attention au fait que les centres d’intérêts sont ceux des enfants et adolescents du même âge réel quels que soient les retards constatés dans les acquisitions scolaires. Il en est tenu compte dans le contenu des lectures et des activités... On évitera de sous-estimer comme de surestimer les possibilités des élèves. Si des phénomènes de désintérêt peuvent se produire, éveils et démarrages tardifs ne sont pas exclus. On se gardera donc, sans nier les difficultés psychiques ou la déficience, de pronostics définitifs quant aux acquisitions. Les activités de calcul, celles liées à la langue française devront trouver leur motivation dans la vie de l’adolescent et ses perspectives, reconnues par lui, de vie sociale ou professionnelle... L’expression écrite fera place aux lettres et comptes-rendus orientés vers les nécessités de la vie pratique. »20

Il est souhaitable, par ailleurs, d’utiliser un référentiel de compétences correspondant à l’âge réel des enfants ou des jeunes, afin de situer correctement l’élève dans ses apprentissages, même si celui-ci peut être aménagé individuellement, en fonction de son handicap. Le référentiel de compétences21 correspondant à l’âge des jeunes avec qui je travaille, nous donne cet objectif dans le domaine de la langue écrite :

Les capacités suivantes doivent être mises en œuvre :

Le jeune doit utiliser un ensemble de procédés pour obtenir le résultat escompté :

I-2-3-2-2 Le cadre et la dynamique du projet d’écriture

Si la relation et le cadre sont importants dans une pédagogie ordinaire, ils sont primordiaux dans la pédagogie du maître D. Les enfants et les jeunes à qui il s’adresse ont un vécu scolaire fréquemment douloureux et une pensée souvent très pauvre. Le maître doit faire preuve d’empathie, créer un cadre étayant pour que des apprentissages puissent s’accomplir.

Si l’on se réfère à la psychanalyse, on pourrait dire que le maître D doit avoir « la capacité à penser l’autre et y trouver du plaisir », en référence au « holding » décrit par Winnicott ou à la rêverie maternelle de W. Bion. Il va donc s’agir de créer un cadre contenant et une dynamique de plaisir pour mettre en place un projet d’écriture.

« Dans un premier temps, il n’est pas nécessaire de comprendre les mécanismes profonds qui entravent le fonctionnement intellectuel ; il s’agit simplement de reconnaître leur existence et de le signifier, dans un mouvement empathique, afin de diminuer la culpabilité et la tension et d’amorcer l’instauration d’un climat de confiance. »22 Cette reconnaissance du handicap, des difficultés et de la souffrance constitue un des premiers liens entre l’élève et le pédagogue. C’est l’instauration de ce climat de confiance qui permettra l’entrée dans les apprentissages. Écrire est un art difficile, mais son accès est valorisant et structurant.

Dans la classe et au sein de chaque activité, l’adulte doit être le garant de la loi, afin que chaque jeune puisse y trouver sa place. Il s’agira, lors de l’activité d’écriture, de préciser un certain nombre de règles et de veiller à leur respect. Le groupe va également être contenant. Il oblige chacun à avancer avec les autres, tout en respectant un rythme individuel, le maître en étant le régulateur. Il met également à distance l’adulte et évite la relation duelle où l’élève pourrait se perdre. De plus, l’activité même de production écrite impose un cadre contenant, car contraignant. Écrire, c’est pouvoir établir des liens et faire des efforts de clarification.

Enfin, « Si l’école est pour eux synonyme d’échec, l’exercice d’un métier suppose une réussite scolaire antérieure et, est à ce titre valorisant. »23 Le projet professionnel, moteur de la dynamique de l’IMPro dans lequel je travaille, va donc servir le projet de l’activité “production écrite”.

I-2-3-2-3 Médiation et zone proximale de développement

Au-delà de la relation, qui est, à mon avis, première dans la pédagogie du maître D, celui-ci peut se référer à une théorie pédagogique élaborée initialement pour des élèves de l’école ordinaire. La théorie à laquelle je me réfère est celle de la médiation. Elle prend en compte cette dimension de relation. La définition de la médiation pour le dictionnaire Robert est la suivante : « Le fait de servir d’intermédiaire, ce qui sert d’intermédiaire. »

En situation pédagogique, il y a différents niveaux de médiation : le maître est médiateur entre l’élève et le savoir, les actions qui vont servir l’apprentissage sont des médiations, l’interaction entre les pairs va également être une médiation. Il existe des supports de médiation, qui vont être utilisés comme des outils. C’est Vygotski qui est l’initiateur de cette théorie pédagogique de la médiation. Elle s’appuie sur le socio-constructivisme.

De cette théorie de la médiation découle celle de la ZPD, zone proximale de développement. Vygotski dit qu’elle est la distance entre le niveau de développement actuel de l’enfant lorsqu’il résout des problèmes seul et son niveau de développement lorsqu’il résout des problèmes assisté par l’adulte ou en collaboration avec d’autres enfants plus avancés. Il la résume par ces mots : « Le seul bon enseignement est celui qui précède le développement. »24 (p. 111)

Il y a donc deux éléments à considérer : tous les aspects de la médiation et la ZPD, dans lesquels elle va s’inscrire. La médiation va servir d’intermédiaire entre l’apprenant et le savoir. Dans le cas des élèves à la pensée troublée, la médiation est indispensable dans le sens où elle fait “tampon” entre l’être avec toute sa douleur et ses difficultés face aux apprentissages, et le savoir dont il a souvent le sentiment qu’il n’y accédera pas. Ce sentiment est la résultante de deux possibilités, l’une étant que l’élève considère que le savoir est au-dessus de ses possibilités, l’autre, au contraire, étant que l’élève se place dans une position de toute puissance qui lui évite le contact avec les apprentissages. Ces deux possibilités sont l’une et l’autre un écueil et empêchent souvent l’enfant de se confronter au non savoir et à la difficulté d’apprendre.

L’enseignant médiateur va donc agir par le biais de l’étayage au niveau de l’élève en tant qu’être psychologique, au niveau du groupe comme facteur lui-même de médiation et au niveau de la didactique des savoirs. Il va également gérer les interactions inhérentes à ces trois pôles.

Dans la pratique de la production écrite, il est nécessaire qu’il y ait un support de médiation fort car la tâche est valorisante, mais difficile. Le journal de l’IMPro, où je travaille, et le projet professionnel de l’institution semblent répondre à cette exigence. J’y reviendrai dans la partie pratique. À partir de cet outil, il s’agira de produire des textes, qui grâce à mon travail de médiateur et à l’interaction du groupe (implication dans la dynamique commune du projet, échanges, remarques, corrections) pourront s’élaborer de manière de plus en plus aisée. En essayant de déterminer où se place l’élève dans la production écrite et en travaillant avec lui à l’élaboration d’une production plus riche, j’espère le faire aboutir à la production d’une structure de texte qu’il pourra maîtriser seul, ultérieurement, et donc l’aider à structurer sa pensée. Le développement de la pensée se fait d’abord dans la nécessité de la communication et dans l’interaction avec les autres. Il est ensuite intériorisé pour servir à la pensée propre.

 

II Approche pratique

II-1 Présentation de l’établissement

II-1-1 La structure

Mon stage se déroule tous les vendredis dans un institut médico-professionnel qui accueille 68 jeunes de 14 à 20 ans et 5, de 20 à 24 ans. Cette institution existe depuis 25 ans. L’indication d’admission est le handicap mental, les jeunes sont orientés par la CDES (commission départementale de l’enseignement spécialisé). L’établissement accueille des jeunes ayant des troubles divers.

Tous les élèves sont scolarisés et partagent leur temps entre la classe et l’atelier. L’équipe pluridisciplinaire se compose du personnel administratif, médical, paramédical, éducatif, enseignant. Toute l’équipe est mobilisée autour du jeune et travaille ensemble pour une meilleure compréhension de ses difficultés et une aide adaptée. Il existe des prises en charge psychothérapiques individuelles (un quart de l’effectif total) et collectives au sein de l’établissement. La relation avec les parents est privilégiée grâce au fonctionnement de groupes animés par le référent pédagogique et le médecin psychiatre.

L’accent est mis, dans ce travail d’équipe, sur la compréhension des impasses d’apprentissage dans lesquelles se trouvent les jeunes. Des tests de performances et de personnalité sont faits par les psychologues, ils sont éclairés par une approche clinique et une évaluation pédagogique. L’idée est de réunir tous ces éléments pour réfléchir sur les pratiques de chaque membre de l’équipe dans la perspective d’améliorer le bien-être et les performances de chaque jeune. Des synthèses pédagogiques et générales ont lieu chaque semaine. « Il ne s’agit pas de laisser de côté ni d’ignorer le handicap ou la pathologie, il s’agira bien de valoriser des aptitudes, des mérites et des compétences. »25

II-1-2 Dynamique et projet de l’établissement

Les jeunes vont à l’école ! C’est une des premières remarques que je me suis faites lors de ma semaine d’observation. Elle n’est pas sans fondement. Cette structure, comme sa présentation a pu le laisser pressentir, possède une dynamique fortement axée sur le scolaire et l’enseignement professionnel dans la perspective d’une insertion socioprofessionnelle dans un milieu qui convienne le mieux au jeune. Elle possède, de plus, une tradition forte d’insertion en milieu ordinaire de travail, c’est une véritable culture de l’établissement. En 25 ans, plus de 40% de sortants sont allés y travailler. Il existe au sein de l’établissement un service d’insertion sociale et professionnelle, qui travaille avec le jeune, trois ans avant sa sortie et le suit pendant quelques années encore, ensuite. Ce service et les équipes pédagogiques, éducatives et thérapeutiques travaillent ensemble autour du contenu du projet de sortie. Il est bien évident que cette perspective est travaillée dès l’admission et passe par un fort investissement du scolaire et de l’atelier.

Il y existe de plus un foyer coopératif qui a pour objet de rendre vivante l’institution et de proposer un cadre régulateur aux jeunes. Dans le cadre de cet esprit coopératif, il existe un journal de l’établissement qui paraît tous les quinze jours et dont la lecture collective est faite à chaque parution dans le foyer de l’établissement. Cette lecture est préparée en synthèse pédagogique et animée par un membre de l’équipe au nom de tous. Ce début d’année scolaire a vu la 171ème parution. C’est un organe de communication, d’expression, d’information et de coopération. Les articles sont pour la plupart écrits par les jeunes.

Je me suis donc appuyée sur cette inscription dans le scolaire, sur la perspective socioprofessionnelle et sur l’esprit coopératif pour mettre en place mon projet pédagogique. Ce projet d’écriture a immédiatement trouvé sa place dans cette dynamique et a pu s’imposer dans un cadre repéré par les élèves et moteur pour eux, donc s’inscrire comme activité contenante et ayant du sens.

II-2 Présentation de la classe et du groupe d’élèves

II-2-1 La classe

Les répartitions classe-atelier ne sont pas faites en fonction de l’âge ou du niveau. Les groupes sont hétérogènes et leur structure participe de ce fait à la dynamique de l’institution où chaque jeune est susceptible de prendre ou d’apporter au groupe. La classe dans laquelle je travaille est en binôme avec l’atelier EDB (Entretien-Décoration-Bâtiment). Elle est constituée de dix-huit jeunes de 14 à 20 ans, répartis en deux groupes, fréquentant alternativement la classe et l’atelier. Le maître d’accueil est coopératif, aidant et me laisse toute latitude pour l’élaboration de mon projet. Le groupe qui est en classe le vendredi matin est toujours le même. Il est composé de neuf élèves. Cinq sont non-lecteurs, quatre déchiffrent et écrivent. Ils sont donc répartis de ce fait en deux sous-groupes. J’ai choisi de travailler avec le groupe de lecteurs, la durée du stage est réduite et il m’a semblé que l’expérimentation avec des non-lecteurs ne pourrait pas s’avérer pertinente sur une durée aussi courte.

II-2-2 Les élèves

Loïc, 15 ans 1/2, a été scolarisé en maternelle, puis en IME. Il arrive à l’IMPro en septembre 1998. Il a un gros retard psychomoteur (il ne marche pas seul à deux ans et commence à parler seulement à trois ans). Les tests cognitifs sont faibles. Le diagnostic qui a été posé est celui d’une dysharmonie évolutive à noyau psychotique. Au niveau scolaire, il déchiffre depuis 1997. Il est très volubile et très instable, il a des problèmes relationnels, mais lorsqu’il est apaisé, il peut y avoir une bonne évolution, de l’attention et de l’envie.

Émeric, 16 ans, est également entré à l’IMPro en 98, après un cursus en maternelle puis en internat au Kremlin-Bicêtre, avant d’être scolarisé dans un IME, à l’âge de 10 ans. C’est un bébé prématuré réanimé. Il ne marche qu’à 2 ans et 2 mois. Un retard de langage est noté à 3 ans 1/2. Le diagnostic posé par la psychologue de l’établissement est celui d’une déficience intermittente dans une organisation limite avec une pathologie du narcissisme. Au niveau scolaire, Émeric est sérieux et autonome, travaille en groupe, comprend les consignes. Il a beaucoup de difficultés à s’exprimer oralement et pense qu’il sait lire, alors qu’il a un petit niveau de déchiffrage et qu’il lit souvent globalement. Il est très lent, repousse les choses par peur de se tromper. Il se sert de l’humour comme défense.

Claude a 16 ans. C’est un jeune trisomique, entré à l’IMPro en janvier 97, après une scolarité en milieu ordinaire dans des classes d’intégration scolaire. Il a fait en 94 un plein-temps en CE1. Les parents veulent du scolaire. Claude a peur de l’échec. Les tests d’intelligence effectués en octobre 99 révèlent une déficience profonde. Il a un retard de parole et de langage et des difficultés de structuration spatio-temporelle, de mémorisation et d’attachement à la réalité extérieure. Par contre, il possède une relative capacité d’apprentissage et d’abstraction. Au niveau scolaire, le travail en groupe est difficile, il accepte mal l’erreur, la frustration, l’échec. Il peut alors entrer dans de la colère ou de la bouderie. Il peut faire illusion par une attitude très scolaire, mais il a beaucoup de difficulté de compréhension. Il lit, mais ne comprend pas forcément.

Cyril, 15 ans ½, est entré à l’IMPro en septembre 98. C’est un prématuré, hospitalisé 26 jours à la naissance. Il a une déficience visuelle importante qui n’a été dépistée qu’en 91, ce qui a participé à un manque d’étayage. Cyril n’a pas encore subi les tests. L’examen clinique montre un jeune qui est entré dans les apprentissages, mais qui garde une grande fragilité et une profonde inhibition où transparaît une structure dysharmonique. Au niveau scolaire, il possède un bon niveau oral mais a de grosses difficultés en lecture et en écriture. Il a une grande envie d’apprendre.

II-3 Les séances

II-3-1 La démarche

Les élèves à qui je m’adresse sont des jeunes qui ont des problématiques diverses mais dont les points communs sont une difficulté extrême de l’appropriation et de la restitution des apprentissages. Il existe pour tous une difficulté, voire une impossibilité à structurer leur pensée et bien évidemment une pauvreté des idées et une fragilité de la mise en lien.

L’activité de production écrite peut être un outil pour aider à cette structuration. Après avoir établi un climat de confiance et d’étayage, après avoir obtenu leur adhésion au projet et leur envie d’y participer activement, je me propose de leur demander d’élaborer quatre articles chronologiques pour le journal de l’institution. Ces articles auraient pour thème le projet professionnel. Il y aurait production de quatre textes correspondant à quatre vécus ou projections différents : un vécu ou projection d’ordre général, un vécu en atelier à 15 ans, une projection en stage professionnel à 17 ans, une projection dans le monde du travail à 20 ans.

Ma visée pédagogique est avant tout la structuration du texte : apprendre à utiliser la ponctuation, les mots de liaison et à construire un écrit compréhensible. À l’aide de repérage systématique de l’ordre chronologique du texte avec les éléments de personne, de lieu et de temps, à l’aide du titre et de la signature, à l’aide d’éléments d’orthographe syntaxiques simples qui aideront à la compréhension, leur production pourra s’enrichir.

Je me propose de faire une évaluation initiale à partir de leur premier jet. Ensuite, chaque texte sera corrigé individuellement. Des fiches-outils seront établies collectivement après un repérage des difficultés communes. Elles serviront à la correction, puis à l’élaboration de la suite du texte et aux textes suivants. Nous établirons également des fiches collectives ou individuelles, à partir de mises en listes qui serviront aux productions ultérieures. Chaque élève retravaillera son texte individuellement, fort de la correction et de la fiche-outil. Sa lecture collective aux autres membres du groupe pourra être un indicateur du niveau de compréhension que celui-ci dégage.

J’ai renoncé dès la première séance à travailler sur l’orthographe lexicale, le temps de l’expérimentation étant trop restreint. De plus, cet objectif n’est pas prioritaire au regard du niveau de difficulté de ces jeunes. Les mots inconnus seront donc écrits au tableau.

II-3-2 Les séances

Les élèves travaillent avec moi sur la production d’articles pendant quatorze séances de deux heures chacune environ. Au fil des séances, de plus en plus d’outils ont été élaborés. Mon parti pris a été de partir de leur production pour les construire avec eux, afin qu’ils puissent véritablement se les approprier, qu’ils puissent les investir et en appréhender la nécessité pour l’écriture de leurs articles en cours ou futurs. Je me réfère à la théorie de Vygotski qui dit que la production écrite va de l’acte à la compréhension. À mon avis la compréhension passe par cette phase d’élaboration d’outils.

Avant de commencer les séances proprement dites, j’ai participé à la classe activement, afin de situer le groupe avec lequel je travaillerai et afin d’entrer avec les élèves dans une relation de confiance et d’étayage affectif et pédagogique.

Je leur ai dit, assez rapidement, que le journal de leur établissement et leur pratique professionnelle m’intéressaient, et que j’avais constaté que peu d’élèves écrivaient à propos de leur travail en atelier. Par contre, certaines rivalités entre ateliers semblaient poindre dans quelques articles, sans pour autant expliquer le fonctionnement de chacun. Je leur fais remarquer qu’il serait peut-être intéressant qu’eux, atelier EDB, commencent une série de textes pour présenter le monde du travail en IMPro. La motivation pour l’écriture des articles est donc trouvée et correspond réellement à leur vie et à leurs perspectives. Ils y adhèrent facilement tout en redoutant le moment où il leur faudra écrire et encore plus celui où leur article paraîtra dans le journal. Mais mon attitude rassurante, leur assurant mon aide, mon indulgence et la reconnaissance de leur handicap et de leurs difficultés a assez vite raison de leur peur. D’autant plus que je sens quel poids peut avoir pour leur ego et leur pathologie narcissique le fait d’écrire dans le journal des articles signés de leurs noms et lus par la collectivité.

II-3-2-1 Premier texte

Dans l’objectif de les familiariser avec des textes qui ne seraient pas le fruit d’un travail de journaliste, mais qui seraient de vrais articles, parus dans un vrai journal, je leur propose de consulter, durant la première séance de travail, un supplément du journal Libération. Ce supplément a l’avantage de rassembler des articles de jeunes gens de vingt ans du monde entier. Ils parlent de leur vie et de leurs aspirations d’une manière qui est la leur et fort éclectique au demeurant, puisqu’ils viennent tous de milieux et de pays fort différents. Le but de cette lecture est de leur montrer que chacun peut avoir quelque chose à écrire de sa vie, quel qu’il soit, pauvre ou riche, illettré ou érudit. Ces articles les touchent, vraisemblablement à cause de la proximité de l’âge et du fait que ce soient des histoires “vraies”. Ils me demandent d’en lire quatre plus précisément. Je ne m’étendrai pas sur le choix de ces articles, qui n’est pas neutre et fait écho à leurs questions et à leur souffrance.

Puis commence le temps de l’écriture. Le premier texte, d’ordre général, “calqué” sur les articles que l’on vient de lire, est censé parler d’eux d’une manière générale. Émeric dit qu’il a peur et propose un article sur le cross ! Ce sujet ne le touche pas de près (il n’a pas participé au cross). Ma réponse est claire : « c’est possible ». L’écriture ne peut se faire qu’avec leur entière adhésion et j’ai également posé le principe d’une parution soumise à leur accord. Ces deux éléments sont indispensables pour que l’expérience ne soit pas ressentie comme totalement déstabilisante et pour que ne se mettent pas en place des défenses trop rigides. Ces élèves ont peur du changement, peur des apprentissages qui vont déstabiliser l’équilibre précaire établi pour vivre. Émeric exprime sa peur. Le cadre doit être apaisant.

Je leur propose de relire l’article que j’ai écrit dans La Gazette, un mois auparavant, pour me présenter (Annexe 2). J’ai parlé de moi, « je vais toujours bien », ce n’est pas si dangereux ! Ils sont alors d’accord pour écrire l’article mais Émeric dit qu’il ne veut pas que le sien paraisse dans le journal. Sa demande est entendue, mais en fait, l’interaction du groupe fait qu’au moment de la parution, il se joindra volontiers aux autres.

Le premier jet est écrit. Je suis effrayée par ce que je lis ou ne peux lire. Globalement, les textes sont sans structure, très elliptiques (pas de précision de lieu ni de temps, pas d’imagination), il n’y a pas de déterminant, les verbes ne sont pas conjugués, les confusions et les inversions de sons sont nombreuses, surtout pour Loïc et Cyril. Leur compréhension m’est parfois inaccessible sans traduction orale. Et pour tous, ils ne possèdent ni majuscule, ni point. Ce point précis participe en grande partie à la difficulté de compréhension. Il n’y a pas de séparation, donc il n’y a pas de lien. Cet élément m’apparaît comme totalement parlant. Il me renvoie à la notion de séparation en psychanalyse. Il n’y a pas de lien sans séparation. Toute la pathologie de la pensée me semble être exprimée dans cette absence de ponctuation précise. Le problème du clivage, de l’adhésivité, de la mise en lien, me semble trouver, ici, son expression. Le travail sur la majuscule et le point pourrait-il être générateur de mise en lien pour ces élèves qui n’en font pas ? (Évaluation, annexe 1)

Je corrige les textes avec eux et ils sont lus aux autres. On détermine quelques règles simples. Chacun recopie son texte. Émeric met un titre, ne se trompe pas en recopiant, Loïc et Cyril non plus. Claude corrige laborieusement avec mon aide et recopie avec des erreurs. Les textes sont prêts. Émeric accepte que son article paraisse dans La Gazette (Textes 1, annexe 3).

La lecture de ces articles est faite en synthèse pédagogique et au foyer. Se pose alors la question de la signature. En effet, ces textes sont sommaires, mais l’écriture n’en revient qu’aux élèves. Jusqu’à présent, aucune différence n’avait été faite entre des dictées à l’adulte, des réécritures, des élaborations à partir de mots phrases, des textes de groupe ou de véritables écrits, tous étaient signés du prénom de l’élève. L’animation de ce groupe de production écrite amène l’équipe à soulever la question de la démarche d’écriture et à affiner la signature afin de restituer au plus juste le degré de capacité d’élaboration écrite de chacun. La signature est redéfinie, chaque article se verra attribué sa véritable nature, donnant ainsi sa véritable dimension “d’écrivain” à chaque jeune (La Gazette, annexe 4).

II-3-2-2 Deuxième texte

Nous lisons ensemble La Gazette. Ils sont fiers et l’expriment par des sourires et un inhabituel état de détente. Loïc, le premier, remarque qu’il y a eu des changements par rapport à leurs textes initiaux. J’ai effectivement, lors de la transcription sur l’ordinateur, ajouté des éléments de temps et de lieux. C’est la seule fois où je serai obligée de le faire. C’était indispensable pour une meilleure compréhension. Le fait de les ajouter sans le leur dire a produit l’effet souhaité : l’ajout est repéré, la discussion du “pourquoi ?” est engagée. Je leur propose, pour alimenter la discussion autour de la construction d’un texte, de leur lire un article tiré du supplément du journal Libération du 24 novembre 1999. C’est un article écrit par un jeune et qui traite du problème de l’école au Maroc. Cette présentation a deux objectifs : leur donner un support pour qu’ils puissent écrire sur leur école et leur travail en atelier et étudier la structure d’un article pour en tirer une fiche-outil, utilisable par eux. À l’aide de mes questions, on constate qu’effectivement, le lieu, le temps, les personnes sont cités. On note les explications qui permettent la compréhension, le titre et la signature, qui situe l’article. On repère bien évidemment les majuscules et les points.

Je leur demande un article sur leur école et plus particulièrement sur leur atelier. On élabore ensemble une série d’outils qui seront utiles pour l’écriture. Nous faisons une mise en liste des mots dont ils auront besoin : les mots de temps, de lieux, ceux utilisés dans leur atelier, les mots qui amènent un explication, les phrases qui donnent des impressions. On précise à nouveau qu’un article doit avoir un début, un milieu, une fin, un titre et une signature. Les règles d’orthographe simples sont citées, l’usage des déterminants et de la ponctuation est rappelé ainsi que l’obligation de conjuguer les verbes. Tout ceci est fait de manière orale dans un premier temps. Puis ils me le rappellent pour que je l’écrive au tableau. Je note les grandes parties, charge à eux de les compléter. Claude est totalement absent, y compris durant la partie orale. Les autres le lui font remarquer. Il essaie de prendre l’attitude de l’élève intéressé, personne n’est dupe. La transcription au tableau se passe bien, ils se souviennent de ce qui a été dit et s’encouragent mutuellement (hormis Claude). Loïc prend toute la place, je dois lui demander de la laisser aussi aux autres, d’autant plus que Cyril et Émeric, qui ont des choses à dire, ne peuvent le faire que par “lâchés fugitifs et monocordes” pour Émeric et sur un ton presque inaudible pour Cyril.

Au moment de commencer leur texte, Émeric soupire, Loïc dit qu’il ne sait pas, Claude “disparaît” dans le dictionnaire, Cyril est silencieux... Cette séance studieuse les a épuisés. La feuille blanche les effraie. Il est midi, l’heure du déjeuner

Le vendredi suivant, Claude est absent. Je leur donne une fiche-outil individuelle tapée sur l’ordinateur (Fiche-outil 1 annexe 5). Ils essaient de se souvenir de la séance précédente avec un relatif succès. La fiche les aide, nous reprécisons chaque point. Ils commencent à écrire leur article avec des soupirs, c’est un exercice difficile, même si l’envie ne leur manque pas et que je suis attendue chaque semaine. Loïc se perd dans des répétitions (Michel est cité trois fois en quatre lignes). On retrouve ici sa stéréotypie, qu’il pourra corriger puisqu’elle est écrite. Il me demande de l’aider à mettre points et majuscules. Il ne sait pas, il est désemparé et l’exprime dans l’agitation. Mon aide le rassure et le calme. Il a bien situé le lieu avec le titre, je lui demande de préciser le temps. Il donne volontiers des explications. Les déterminants sont là. Les verbes sont presque tous conjugués. Je corrige les fautes avec lui et recopie son texte car il est fatigué. Il le termine en donnant une explication que je lui ai demandée. Son début de texte est cohérent et plus riche que le premier. Émeric avance lentement, recopie systématiquement le texte à chaque fois qu’il doit le corriger, ainsi il atténue la peur de se tromper. Il essaye de faire des phrases dont le découpage est assez juste (pourtant il m’a dit détester les points et les majuscules !), mais son premier jet reste incompréhensible sans traduction. Je l’aide à structurer son écrit, à préciser le temps, il gomme et réécrit. Son brouillon ne comporte pas de rature, il faut qu’il corresponde au plus près à un écrit scolaire. Il se sert de la fiche, parfois de façon erronée (“ce” à la place de “le”), mais elle le rassure. Il écrit trois lignes avec peu d’éléments. Cyril se jette sur la mise en liste des travaux de l’atelier qu’il va recopier. Je l’aide à classer ces mots par catégorie, puis lui demande d’élaborer son texte avec des phrases. Le résultat est concluant, même si la syntaxe et l’orthographe sont toujours inexistants. Pas de point, pas de majuscule, par contre sur les mots de la liste, il a ajouté chaque déterminant. Il ne marque pas le pluriel.

Ils ont tous mis un titre, Émeric en a même changé trois fois pour l’affiner. Globalement, la fiche les a aidés, soutenus, repérés.

La semaine suivante, Claude est de retour et me donne un texte qu’il a fait chez lui. L’écrit est une demande claire pour aller à l’atelier cuisine. Je sais par son maître que c’est son désir. Loïc me donne aussi un texte, tapé à l’ordinateur. Il parle de ce qu’il fera lorsqu’il sera plus vieux (17, 18, 19 et 20 ans). Il me dit que c’est pour lui donner des idées. L’écrit commencerait-il à leur servir ? (Textes libres annexe 6) De plus, La Gazette est sortie avec leurs premiers articles, on relit leurs textes, ils sont fiers.

Nous essayons de réfléchir sur l’utilité des “petits mots” (et, car, parce que, avant, maintenant, dans, avec, etc..). Qu’introduisent-ils, pourquoi les utilise-t-on ? Chacun continue son texte, Claude le commence. Il ne peut pas sortir de son idée fixe : aller en atelier cuisine. Mais il explique qu’il n’aime pas l’atelier où il se trouve, il prend un prétexte pour cela (il s’est sali les mains). Son texte a une structure assez cohérente au niveau de la suite des idées, il est à ce moment-là dans l’émotionnel. Pour ce qui est des majuscules et des points, il n’a aucun repère, il les met au hasard, par souci de répondre à la consigne. Il n’utilise aucun “petit mot” et ne peut guère se corriger, même lorsque je lui donne des éléments. Loïc est très dispersé. La situation le rend très volubile, très excité. La difficulté rencontrée exacerbe ses défenses. Par contre, il élabore un texte qui se tient. Je dois cependant toujours lui faire préciser sa pensée. Le point est mis à la fin ! Cyril écrit seul, laborieusement, son problème de vue le gêne. Il parle des chantiers extérieurs, c’est le seul. Il a d’énormes difficultés orthographiques, je traduis son texte. Mais les points commencent à apparaître, bien placés. Émeric écrit deux fois deux lignes, il met des points bien placés, oublie les majuscules. Son texte est pauvre, il n’ose pas, il dit qu’il n’a pas d’idée (Textes et article 2 annexe 7).

II-3-2-3 Troisième texte

La séance suivante commence par la lecture de leur deuxième article qui paraîtra dans la prochaine Gazette. Une discussion s’entame sur l’insertion de la photo. Émeric dit qu’il n’est pas d’accord pour qu’elle paraisse, puis accepte avec une espèce de fierté mesurée.

Je leur propose un exercice : mettre majuscules et points sur le texte que j’ai écrit pour introduire les leurs dans le journal (Exercice 1 annexe 8). Je fais deux constats : ils ont compris la majuscule du début et le point de la fin, ils n’associent pas majuscule et point, le point n’entraîne pas pour eux la majuscule. Nous lisons à haute voix chaque texte auquel ils ont ajouté la ponctuation. On repère les endroits ou le point est à la bonne place, ceux où il ne l’est pas. Lorsqu’une phrase ne veut rien dire, le point est à la mauvaise place. Un exemple intéressant est celui de Loïc qui a mis un point après « élèves », ce qui donne : « Voici les derniers textes, qui ont été écrits par les élèves. ». La phrase a du sens, mais la lecture de la suite donne : « Avec qui je travaille. », cette phrase ne veux rien dire. Le point, bien placé si la suite n’avait pas existé, n’a pas sa place après « élèves », mais après « travaille ». Le groupe est très actif pendant la discussion, Loïc et Cyril sont très présents, Émeric est un peu en retrait, mais suit correctement. Claude, par contre, est totalement absent. Une fois de plus, il ne trouve pas sa place dans l’interaction groupale. Les débats et les explications vont trop vite pour lui, il a l’air vide sans support scolaire. Il avait méticuleusement fait l’exercice en mettant majuscules et points au hasard, mais il était dans le “faire”. Il se trompe d’ailleurs en corrigeant. Loïc, lui, est complètement moteur au sein du groupe, il est même cadrant : « On aide quand les autres n’arrivent pas, on dit pas à sa place ! », dit-il. Aujourd’hui, son excitation est au service d’un travail élaboré avec les autres.

Je leur propose, pour finir, une fiche-outil qui les aidera à écrire l’article sur les stages, et que j’ai préparée seule, en reprenant, par le biais de questions, les éléments de la fiche-outil 1. Nous la lisons ensemble et l’explicitons (Fiche-outil 2 annexe 9).

Le 4 février, Claude me donne à nouveau un texte, écrit chez lui. Inlassablement, la demande se répète : aller en atelier cuisine. En “étude de cas”, sa demande sera entendue. Il ira faire un stage en atelier cuisine. Son texte est toujours aussi mal structuré, sans point, sans mots de liaison, sans déterminant. Mais Claude est dans l’expression. Je reparlerai de ce point précis dans la synthèse que je me propose de faire sur ce jeune.

La séance commence. Nous lisons La Gazette, retravaillons sur la nouvelle fiche-outil. Je leur propose un texte au tableau, sur le thème de ce que pourrait être mon avenir (Texte-outil annexe 10). Nous recherchons ensemble les différentes parties du texte qui pourraient correspondre aux questions de la fiche-outil. Le groupe est bien mobilisé, le repérage se fait facilement, ce travail apaise et régule le groupe, ensemble, ils se sentent plus forts. Seul, Claude reste en retrait et ne semble pas s’intéresser. Puis, vient le moment d’écrire. Loïc est vidé : « non, je ne sais pas, je ne sais plus, je ne veux pas ! ». L’angoisse de la feuille blanche et de ces idées qu’il va falloir avoir, manier, structurer pour leur donner un sens acceptable pour les autres et pour soi. Je le laisse s’exprimer, je le rassure. La mise au travail du groupe l’entraîne. Émeric soupire : « ah, oui, majuscule, oh ! ». Cyril me demande de l’aider à “construire” sa phrase. Le mot est de lui. Il avait de lui-même, ajouté un mot manquant pour la compréhension : “stage ” Loïc me demande l’autorisation de s’aider du texte qu’il avait produit seul, « pour me donner des idées », dit-il. Il peut, bien évidemment, l’utiliser, je lui demande de corriger ses fautes en se servant de la fiche-outil. On revoit ensemble la place des points et des majuscules de façon aisée. Émeric se rend compte seul que sa phrase n’est pas construite. Il a beaucoup de difficultés à le faire, je l’aide et il progresse. Claude ne demande aucune aide, mais me donne à nouveau un texte sur son désir d’atelier cuisine. Je lui fais remarquer qu’il n’est pas dans le sujet. Il commence un nouvel article. L’atmosphère est laborieuse, ils mesurent tous leurs difficultés, ils peinent. Mais ils ne se découragent pas. La séance se termine par l’écriture de leur début de texte sur l’ordinateur. La transcription se fait presque sans faute. Les majuscules et les points sont à leur place.

Je leur propose en début de matinée un exercice de ponctuation avec le texte que j’avais écrit au tableau, lors de la séance précédente (Exercice 2 annexe 11). Loïc est très excité, Cyril totalement hypotonique. Ils partent en transfert le lendemain. Leur angoisse se manifeste différemment, mais elle est prégnante. Cyril ni ne participera, ni ne travaillera jusqu’au moment où je lui dis comprendre sa peur de partir et où il peut l’exprimer. À ce moment-là, soulagé par la reconnaissance et l’acceptation de son état, il se mettra au travail. En ce qui concerne Loïc, il faudra que je pose clairement par des mots l’existence des autres et l’impossibilité pour lui de m’accaparer de manière aussi envahissante. Le message est entendu. Tout au long de la séance, l’atmosphère n’est pas à la détente. Ce travail sur l’écrit qui leur demande un tel effort est, ce jour-là, plus laborieux encore, sous-tendu par l’idée du départ, de la séparation, de la perte. Maintes fois, je l’aborderai en essayant de les rassurer. L’heure du déjeuner sonnera presque quelque chose de l’ordre de la délivrance. Les articles sont prêts et leur donnent une fois de plus la preuve qu’ils peuvent réussir !

Au niveau du travail, la ponctuation du texte s’est faite sans mal pour Émeric et Loïc. On retrouve à nouveau ce problème de lecture d’ensemble qui fait que le point, même bien placé pour la phrase, ne l’est pas forcément dans le texte. Mais ils repèrent la difficulté et ils la comprennent. Claude n’a toujours pas de compréhension métalinguistique. Il ne comprend pas l’exercice. Majuscules et points sont mis au hasard. La suite de l’écriture de leur texte se passe dans cette atmosphère électrique et pesante. Loïc ne se souvient plus du stage qu’il voulait faire, puis ne sait plus ce que fait un maçon. Il est dans le vide, dans la perte de pensée. La mise à l’écriture le recentre. Il ponctue son texte et donne des éléments de lieu et des explications. Émeric écrit comme à son habitude, deux lignes, scrupuleusement recopiées plusieurs fois. Mais il réussit à donner des explications, à élaborer des phrases. Cyril ira travailler sur l’ordinateur directement. Il est dans un tel état que j’essaie de lui ôter la difficulté supplémentaire que lui pose son problème de vue. Je ne le lui avais pas proposé jusqu’à présent, afin de ne pas susciter l’envie et la jalousie chez les autres. Effectivement, le problème est immédiatement soulevé par Loïc, dans des termes de privilège. Je lui demande alors s’il veut échanger ses yeux avec ceux de Cyril. La réponse fuse et la question est réglée... Cyril termine son article en donnant une explication. Le point final est mis. Claude repère les consignes que je lui donne, s’y tient, mais a beaucoup de mal à les mettre en œuvre (Textes 3 article 3 annexe 12).

II-3-2-4 Quatrième texte

Cet article portera sur l’âge adulte et le métier à la sortie de l’IMPro. Cyril et Loïc sont absents pour deux semaines. Nous allons consacrer une séance avec Émeric et Claude à relire une vingtaine de Gazette, afin de rechercher des articles concernant les stages et le métier des jeunes entrés dans la vie active. Ceci pour deux raisons : d’une part, mettre un pied dans une réalité professionnelle (que fait-on, potentiellement, lorsque l’on sort de l’IMPro ?), d’autre part, faire une mise en liste de ces métiers sur laquelle la production écrite pourra s’appuyer. En effet, l’écriture est toujours laborieuse et je pense que tout un travail préalable de classement et de modélisation pourrait être bénéfique.

Claude est assez performant au début, il lit mieux qu’Émeric. Mais il saute des articles : il ne lit que le titre qui, s’il n’est pas indicateur, ne lui permet pas de retenir le texte. Il peut aussi lire un seul mot dans un article, ne pas balayer le contexte, et se tromper. Cet échec lui procure rapidement un vif désintérêt. Il entend la consigne initiale mais ne peut l’appliquer. Une fois de plus, sa pensée se bloque et il invoque la fatigue. Émeric est plus lent, mais son attention plus soutenue. Nous avons finalement une liste de domaines d’activités à laquelle nous ferons correspondre des métiers (Liste des métiers annexe 13).

Le vendredi suivant, je leur propose une fiche-outil qui leur permettra de classer ces métiers par proximité d’activité, puis par préférence. Ensuite, je les invite à dresser une liste des actions qu’implique ce métier à l’aide d’une modélisation qui devrait faciliter la mise en lien (Fiche-outil 3 annexe 14). Ce travail avec support les rassure. Émeric essaie de classer seul, par domaine d’activité. Il est perdu parce qu’il n’utilise aucune procédure et part tout azimut. Je lui en donne une, il suffit de prendre un métier et de chercher tous ceux qui vont avec. Il s’y tient, fait un bon classement malgré ses problèmes de lecture. Claude rapproche immédiatement “jardinage” et “horticulture”, ses performances en lecture l’aident. Mais au bout d’un moment il se fatigue, ne trouve plus, il faut le rappeler à l’ordre. Il finit également par faire le classement. Celui des préférences est plus aisé pour eux. Mais ils vont se cantonner à la liste des métiers qu’ils aimeraient faire (liste des “oui”) et à celle de ceux qu’ils ne veulent surtout pas faire (liste des “non”) ! Émeric regrette qu’il n’y ait pas “standardiste”. Il réclame une autre feuille pour séparer les “oui” des “non”. Il ajoute finalement un “peut-être” à la liste des “oui”. Claude est à l’aise dans ce travail, il est directement concerné. Leurs choix sont cohérents, ce sont des domaines proches. Le travail sur les actions que demande chaque métier est un plaisir pour Émeric, et une difficulté pour Claude. Nous avons pourtant décidé de ne traiter que les métiers qu’ils préfèrent. Mais Claude a toujours du mal avec la réflexion, l’application des consignes, la structuration. Émeric, par contre, est fou de joie lorsqu’il pointe la mise en lien de deux métiers (bien évidemment, entre deux domaines proches, on trouve forcément des actions communes). La modélisation avec ses bulles et ses flèches concrétise le lien, qui n’aurait pas forcément été perçu. Claude ne comprend pas, même si je pointe ce lien pour lui.

Loïc et Cyril sont rentrés. On fait le point sur le travail accompli par les autres pendant quinze jours. Émeric donne des explications assez claires. Claude se tait. Loïc est éteint, fatigué. Cyril demande si le classement de la première liste a été fait par ordre alphabétique. Ce à quoi Loïc répond immédiatement que ce n’est pas possible puisque le premier mot commence par un “J”. Le groupe commence à s’animer. Claude participe un peu lors de l’explication des critères de la seconde liste. Une fois encore, il montre qu’il est plus à l’aise lorsque ses choix, donc ses affects, sont touchés. Loïc et Cyril se lancent dans le classement. Celui par domaine d’activité se fait aisément. Celui des préférences laisse à voir un choix éclectique pour Cyril (« il ne veut être que mécanicien pour réparer la voiture qui tirera la remorque qui contiendra le matériel... »), et un choix qui n’est absolument pas cerné pour Loïc. Il a envie d’être aussi bien mécanicien qu’hôtelier ou jardinier.

Je propose un nouvel outil à Émeric et à Claude (Fiche-outil 4 annexe 15). Il devrait leur permettre, à l’aide de modélisations, de mieux repérer les structures du texte et donc d’écrire plus facilement. Il s’agit de relier à des bulles centrales, qui sont des questions (quand, où, quoi, pourquoi, comment, avec qui, avec quoi), des mots, des phrases qui puissent être des réponses, en relation bien sûr avec le sujet de l’article à écrire. Un rappel des règles déjà vues est joint à cette fiche. Émeric remplit les bulles liées aux questions facilement, le support l’aide visiblement beaucoup. Il réclame, d’ailleurs, durant une séance de vidéo, de travailler sur son texte. « J’ai des idées », me dit-il. Claude est dans la difficulté. Il n’arrive pas à répondre au “pourquoi”. Il donne à la place des noms de lieu ou se place dans l’émotion (« trop dur », « commence travailler ») (Exercice 3 annexe 16).

La suite du travail de groupe durant les dernières séances a continué à être décalé du fait de l’absence de Cyril et Loïc. Pour une lecture plus aisée, je vais arrêter la description linéaire par séance pour décrire ce que chacun produit selon les étapes du travail. Je noterai simplement que Loïc a rattrapé Émeric et que Claude s’est mis au rythme de Cyril.

Lorsque Loïc et Cyril écrivent les actions, ils n’éprouvent que peu de difficultés (Cyril va jusqu’à rechercher dans son dossier une ancienne fiche-outil pour citer les actions du peintre). Loïc ne peut faire de mise en lien, puisque les domaines choisis sont trop éloignés. Cyril les fait parfaitement et les comprend. Lorsqu’il aborde l’exercice de modélisation pour répondre aux questions de temps, de lieux, etc., ils le font sans trop de mal, profitant vraisemblablement de l’expérience d’Émeric. Claude finit par trouver les “pourquoi”, qu’il confond encore un peu avec le “quoi” (Exercice 3 annexe 16). Lorsque Émeric commence son texte, il s’appuie tellement sur tous les outils qu’il en oublie les “je + verbe” et se contente d’aligner les réponses aux questions. Il met ensuite, seul, les points qu’il avait oubliés. Il continue son texte assez facilement et je suis étonnée de la longueur qu’il produit en peu de temps, sans trop de fautes. Loïc écrit son texte en un temps record. Il est sommaire mais complet. Il a su utiliser les outils pour le structurer, bien qu’il ait encore du mal lorsqu’il passe d’une idée à l’autre (parler du moyen de transport qu’il utilisera après la description de ce qu’il fera par exemple). Claude, qui m’a encore donné deux textes libres faits chez lui sur ses désirs, n’arrive pas à se servir des outils pour élaborer son texte. Pour cet article, encore, il a fallu que je l’aide beaucoup, malgré tout le travail préparatoire qui avait été fait. Il me sera très difficile d’évaluer Cyril, qui a bien participé aux exercices préparatoires, mais qui a été visiblement paralysé au moment d’écrire. Il était dans une totale incohérence : une suite de mots sans lien, qui n’évoquaient pas la vie adulte de travail mais les stages et 19 ans. Je pense que pour lui la projection dans le monde adulte a été difficile et que, malgré la préparation, au moment de l’élaboration, sa pensée s’est figée. Il a fallu une fois de plus que cette peur soit reconnue et que je la verbalise pour que Cyril puisse écrire. Pourtant, il m’avait dit en début de séance avoir plein d’idées. Je l’ai beaucoup aidé (Textes et article 4 annexe 17).

II-4 Évaluation et synthèse

II-4-1 Évaluation

L’évaluation montre des progrès plus ou moins sensibles selon le jeune et selon la compétence désignée. D’une manière générale, la lisibilité est meilleure car la structure du récit a pu bénéficier des progrès en ponctuation et a été amendée. L’investissement dans le projet et tout le travail effectué sur la mise en lien au cours des séances ont porté leurs fruits pour améliorer la cohérence (Annexe 1).

II-4-2 Synthèse

II-4-2-1 Cyril

Comme je l’ai dit précédemment, l’évaluation de Cyril a été difficile car il lui a été presque impossible de se projeter dans le monde des adultes et son dernier article a été laborieux. On peut donc, ici, constater les limites des effets de la production écrite sur la possibilité de penser. Ses affects l’ont empêché de structurer son texte et il lui a fallu la verbalisation de cette peur et toute mon aide pour écrire un article cohérent mais qui est resté succinct. Tout au long de ces séances, j’ai pu constater comme Cyril était dans la crainte. Son “histoire de garde du corps” en est une expression. Il ne sortira pas de cela, bien que cette éventualité et sa réalité aient été discutées à plusieurs reprises. Cette peur peut le paralyser et l’empêcher d’avancer. Je me demande si, au sein d’une institution comme celle dans laquelle se situe ce travail, l’expérience de l’écriture ne pourrait pas, parfois, servir au travail thérapeutique. Cependant, tout au long de ces séances, Cyril a montré une véritable appétence. C’est un jeune qui a envie d’apprendre, de se rapprocher de la normalité et son inscription dans l’activité lui en a donné les moyens. Tant que sa pensée n’était pas paralysée par ses affects, il a su utiliser à bon escient les outils proposés, les mises en liste, les classifications. Il faudra que je lui propose la production d’un écrit qui n’implique pas trop ses peurs pour apprécier plus correctement les effets de ce travail.

II-4-2-2 Claude

Claude est sûrement celui qui a le moins progressé. Est-on, ici, face aux limites de la déficience ? C’est le seul jeune trisomique. Son appartenance au groupe est due à son efficience en lecture, mais son maître m’a souvent dit qu’il n’avait pas le même niveau que les trois autres, bien qu’il ne puisse pas se trouver non plus parmi le groupe des non-lecteurs, voire de ceux qui ne possèdent pas le langage oral. Claude n’a aucun regard métalinguistique sur ses écrits. Souvent, il ne saisit pas la pertinence de la consigne et ne peut l’appliquer. Il reste dans des stéréotypes scolaires et se contente d’adopter l’attitude de l’écolier. Il ne participe pas aux discussions collectives. Il ne peut se servir des outils proposés. Le travail sur la clarification et l’explicitation n’est que peu investi. C’est le seul qui ne maîtrisera pas du tout la majuscule et le point (seuls la majuscule du début et le point de la fin auront été intégrés). Pourtant, il a participé à tous les articles et a même produit des textes chez lui. Il n’a jamais été boudeur ou opposant, ce qui lui arrive souvent, en classe, lorsqu’il est dépassé. Il a bénéficié de l’étayage proposé. Il a toujours été calme et de bonne volonté, mais son écrit ne s’est guère structuré. Qu’en est-il de la structuration de sa pensée ? Il me semble que Claude est resté dans l’expression et ne s’est servi de l’écriture que pour exprimer ses sentiments et ses désirs. Celui d’aller en atelier cuisine en est un exemple. On peut se réjouir qu’il ait pu être entendu par l’équipe et que ce travail lui ait au moins été bénéfique à ce niveau-là. Je pense qu’il aurait fallu, particulièrement pour Claude, plus de temps et un travail duel plus soutenu. L’outil médiateur a servi son expression, mais la médiation du maître et du groupe ne l’ont guère fait progresser.

II-4-2-3 Émeric

Émeric, comme Cyril, est dans la peur. Mais son angoisse se situe dans la peur de l’échec. Il est donc d’une lenteur absolue, qui va lui éviter d’être confronté à cet échec trop rapidement. Il a progressivement investi le projet, bien qu’il n’était pas sûr d’y réussir. Les premières publications lui ont donné un peu de confiance en lui. Le groupe l’a protégé et l’a entraîné. C’est un garçon qui aime être dans le scolaire, il joue à “l’intellectuel” dans le groupe et bien évidemment, cette activité répondait à tout cela. Il a donc tout au long des séances essayé de bien faire. Il a su se servir des outils, est souvent aller les consulter seul. Petit à petit, son écrit s’est structuré, lentement, à l’image de sa capacité à produire. Et puis, il y a eu le quatrième texte avec les mises en liste et les modélisations. Émeric s’est alors “emballé” ! Il m’a dit avoir des idées, son travail a été suivi, pertinent et le texte long et fait rapidement. Il était en état de jubilation. Pour lui, il est évident que ce travail préparatoire a été fructueux. C’est à ce moment-là qu’il a mis le doigt sur la mise en lien, matérialisée par une flèche. J’avais l’impression que quelque chose avait bougé dans sa pensée et qu’il en était étonné lui-même. Et puis, les majuscules et les points ne lui ont plus fait peur, il ne les a plus détestés, puisqu’il pouvait les maîtriser un minimum. Cette constatation me met face à une de mes faiblesses. J’aurais dû leur proposer ce travail bien plus tôt et c’est précisément le constat de progrès lents et difficiles qui en a été le déclencheur. Mais il est vrai aussi que cette élaboration a demandé cinq séances et que nous avons toujours été pressés par le temps, temps de mon stage, temps de la parution de La Gazette. J’ai parfois hésité à prendre du temps. Tout me paraissait déjà avancer tellement lentement. Mais n’est-ce pas une spécificité du travail avec les élèves à la pensée troublée ?

II-4-2-4 Loïc

Loïc s’est montré plus calme et moins “adhésif”, tout au long des séances. Il a bien investi le projet et a souvent été moteur dans le groupe. Cependant, il y a eu des moments d’excitation où sa pensée rencontrait le vide, le néant. Il ne savait plus, ne pouvait plus penser. C’était en général lié à des phénomènes extérieurs (départ en transfert, par exemple). Ces moments-là ont été repérés, verbalisés et cela a pu aider Loïc. J’ai vraiment dû être très contenante pour lui, parfois même physiquement, afin de le recentrer, de l’apaiser. L’écrit a été aussi contenant, puisque l’on pouvait toujours s’y référer, le corriger, le manipuler et qu’il ne disparaissait jamais. L’écrit a été source de clarification et d’explicitation. Loïc ne s’est jamais mis en colère comme il peut le faire lorsqu’il se trompe. C’était lui qui corrigeait ses erreurs. L’effet a été bénéfique. Ses progrès ont été constants. C’est sûrement celui qui a le plus progressé. Il a écrit, lors de la dernière séance, puisqu’il avait terminé son travail, la suite d’un texte que je lui ai proposé, qui ne laisse aucun doute sur ce constat (Texte Loïc annexe 18). Loïc a compris le sens de la majuscule et du point et sait presque les utiliser correctement.

 

Conclusion

Ce travail est globalement positif, si on se réfère à ce qui précède. On peut considérer que le résultat est probant et que l’écriture peut aider, pour certains, dans la limite de la pathologie, à structurer la pensée. Il est évident que les jeunes ont adhéré au projet, s’y sont investi. Le cadre déjà présent les y a aidés. Ils ont toujours été calmes et de bonne volonté. Leur maître m’a dit qu’ils m’avaient toujours attendue, qu’ils n’avaient jamais exprimé quoi que ce soit qui ressemble à du découragement ou à du rejet. Il m’a même confié que ces articles avaient assouvi leur envie d’écrire dans La Gazette et qu’il n’y avait plus de demande. Pour lui, ils ont progressé, notamment en lecture. Loïc a même pu lire un transparent de rétroprojecteur placé à l’envers par le maître ! Ces séances ont tout de même été élaborées dans une constante tension, presque une souffrance pour ces jeunes, dont l’écrit était au départ si loin de la normalité. Ils ont été immédiatement dans la difficulté. J’ai pu mesurer combien le soutien de cette activité, une fois par semaine pendant plusieurs mois, avait été laborieux pour eux. Laborieux par la concentration qu’elle nécessite, par l’effort qu’elle demande. J’ai pu constater combien une activité banalisée avec des jeunes « ordinaires » pouvait pour ce public devenir quelque chose d’excessivement difficile, voire insurmontable, parfois. J’ai pu prendre toute la valeur de cette phrase : « l’apprentissage est une violence » Dans ces moments-là, j’ai pu apprécier l’ampleur des mots “projet”, “étayage” et “holding”, en référence à Winnicott. Ils sont indispensables à la pédagogie du maître D. Cette expérience m’a profité particulièrement à ce niveau-là. Je ne pourrai plus aborder le handicap mental uniquement d’une manière théorique. J’ai navigué avec les jeunes dans ses sphères, parfois bien éprouvantes. Et pourtant, tout est possible, tous sont éducables, tous peuvent profiter d’une scolarité adaptée. Cette expérience, en elle-même, est positive, aussi bien en référence à leur réussite, différente pour chacun, qu’à leur ténacité devant la difficulté. Peut-être les a-t-elle un peu réconciliés avec l’image d’eux-mêmes. Pour certains, il y a eu, en plus, ce déclic de la mise en lien. Aussi délicate soit cette pratique, je pense que ses effets positifs ont permis de mettre au second plan la souffrance engendrée et de peut-être l’accepter, afin de progresser.

Corine Martres-Chaudat
Avril 2007

 
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Bibliographie

 

Livres :

C. Charbit, A. Cervoni (1993) L’enfant psychotique à l’école Païdos/Bayard éditions.

B. Cyrulnik (1995) La naissance du sens Hachette col. Pluriel.

B. Gibello (1995) La pensée décontenancée Bayard éditions.

J. Goody (1977) La raison graphique Les éditions de minuit.

J. Hochmann, Pour soigner l’enfant autiste Odile Jacob Col. Opus

M.-L. Moreau et M. Richelle, L’acquisition du langage Pierre Mardaga Éditeur.

B. Schneuwly et J.-P. Bronckart (1985) Vygotsky aujourd’hui Delachaux et Niestlé.

L. S. Vygotsky, Pensée et langage Messidor col. Terrains / Éditions sociales.

 

Revue :

M.-L. Martinez (1989) Contribution à la recherche Aide à la structuration cognitive. La médiation pédagogique dans l’apprentissage du langage. CNEFEI Centre national de Suresnes.

 

Textes officiels :

Adaptation et intégration scolaire. Textes fondamentaux. 1999 Centre national de Suresnes.

Référentiel des domaines généraux des CAP B.O. du 21 mai 1990.

 

Autre :

Projet de fonctionnement 2000 de l’IMPro

 
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Notes

(1) M.-L. Moreau et M. Richelle, L’acquisition du langage, Pierre Mardaga Éditeur, p. 216.
(2) B. Gibello (1995), La pensée décontenancée, Bayard Éditions, p. 167.
(3) J. Goody (1977), La raison graphique, Les Éditions de Minuit, p. 193.
(4) B. Gibello (1995), La pensée décontenancée, Bayard Éditions, p. 167.
(5) B. Cyrulnik (1995), La naissance du sens, Hachette, col. Pluriel, p. 95.
(6) J. Hochmann, Pour soigner l’enfant autiste, Odile Jacob, Col. Opus, p. 296.
(7) L. S. Vygotski, Pensée et langage, Messidor, col. Terrains/Éditions sociales, p. 14.
(8) J. Goody (1977), La raison graphique, Les Éditions de Minuit.
(9) M.-L. Martinez (1989), Contribution à la recherche « Aide à la structuration cognitive », La médiation pédagogique dans l’apprentissage du langage, CNEFEI, Centre national de Suresnes, p. 14.
(10) L. S. Vygotski (1934), Pensée et langage, Messidor, Col. Terrains/Éditions sociales, p. 337.
(11) B. Schneuwly et J.-P. Bronckart (1985), Vygotski aujourd’hui, Delachaux et Niestlé, p. 179.
(12) L. S. Vygotski (1934), Pensée et langage, Messidor, Col. Terrains /Éditions sociales, p. 329.
(13) B. Schneuwly et J.-P. Bronckart (1985), Vygotski aujourd’hui, Delachaux et Niestlé, p. 180.
(14) B. Gibello (1995), La pensée décontenancée, Bayard Éditions, p. 162.
(15) B. Gibello (1995), La pensée décontenancée, Bayard Éditions, p. 167.
(16) B. Gibello (1995), La pensée décontenancée, Bayard Éditions, p. 131.
(17) B. Gibello (1995), La pensée décontenancée, Bayard Éditions, p. 232.
(18) B. Cyrulnik (1995), La naissance du sens, Hachette, col. Pluriel, p. 132.
(19) J. Hochmann, Pour soigner l’enfant autiste, Odile Jacob, Col. Opus, p. 293.
(20) Adaptation et intégration scolaire. Textes fondamentaux, 1999, Centre National de Suresnes, p. 87-88.
(21) Référentiel des domaines généraux des CAP, BO du 21 mai 1990.
(22) C. Charbit, A. Cervoni (1993), L’enfant psychotique à l’école, col. Païdos, Bayard Éditions, p. 61.
(23) C. Charbit, A. Cervoni (1993), L’enfant psychotique à l’école, col. Païdos, Bayard Éditions, p. 58.
(24) B. Schneuwly et J.-P. Bronckart (1985), Vygotski aujourd’hui, Delachaux et Niestlé, p. 111.
(25) Projet de fonctionnement 2000 de l’IMPro, p. 2.

 
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Annexes

Annexe 1 – Évaluation
  Loïc
Év.
Initiale
Loïc
Év.
finale
Claude
Év.
Initiale
Claude
Év.
finale
Emeric
Év.
Initiale
Emeric
Év.
finale
Cyril
Év.
Initiale
Cyril
Év.
finale
Sens du récit
Lisibilité non oui un peu mieux un peu oui non non, oui avec mon aide
Adéquation du récit avec le sujet oui oui oui non, oui après Oui oui oui non, oui avec mon aide
Argumentation non oui non un peu non non un peu non
Imagination un peu un peu un peu un peu un peu un peu oui un peu
Implication oui oui un peu un peu oui oui oui oui
Cohérence un peu oui non non oui avec mon aide un peu oui oui non, oui avec mon aide
Structure du récit
Mots bien coupés non oui oui oui oui oui parfois oui
Ponctuation non assez bien non non non assez bien non oui avec mon aide
Utilisation de verbes oui oui oui oui parfois oui Oui oui
Conjugaison des verbes oui mal ortho-graphiés oui au présent oui mal conjugués un peu non encore qqs verbes à l’infinitif non oui avec mon aide
Utilisation de déterminants oui oui parfois parfois parfois oui Oui oui
Utilisation de conjonctions oui (et) oui   oui non oui (et) Oui (et) non
Utilisation d’adverbes oui oui parfois oui Mal utilisés oui Oui non
Repérage du lieu non oui non non, oui avec mon aide parfois oui oui oui
Repérage du temps non oui oui ? non, oui avec mon aide non oui oui oui
Repérage des personnes oui oui oui oui oui oui oui oui

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Annexe 2


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Annexes 3
Articles publiés

Bonjour,

Je vous avais annoncé, lors d’une précédente édition du journal, que je travaillerai dans la classe d’Alain Marchand tous les vendredis. Voilà qui est commencé. Avec quatre jeunes, Cédric C., Ludovic G., Emmanuel et Clément P., nous avons décidé de produire des textes qui parleraient de leur activité et de leur projet professionnel et de les éditer dans le journal. En voici la première mouture. Il est bien évident que ces textes peuvent appeler des réponses. Alors, à vos plumes !

Corine Chaudat

À l’IMPro, les professeurs sont gentils. Ils nous apprennent à lire et à écrire.

Et, à l’atelier, on fait de la peinture. Plus tard, je ferai un stage. J’ai envie de faire des stages.

Loïc

J’ai 15 ans et je suis à l’IMPro. J’apprends le lessivage. En classe, j’apprends les mathématiques (les surfaces).

Quand j’aurai 20 ans, je ferai le métier de garde du corps et j’apprendrai les techniques de défense. Je le ferai pour défendre Sandrine et maman. Mon deuxième métier pourrait être gardien d’immeuble pour faire le ménage, sortir les poubelles et faire les rondes de nuit.

Cyril

J’ai 16 ans. Je veux faire un métier : remplacer Alain Marchand. J’ai envie tous les midis de manger avec les adultes pour parler des élèves et du travail de l’atelier E.D.B. Ça serait bien.

Claude

Le métier

Je veux faire un métier : standardiste. Je ferai des stages avec l’IMPro. Je ferai ce métier peut-être. Ou un autre métier : être professeur, les remplacer pour aider les jeunes à l’Impro ou à l’extérieur. Je préfère le métier de standardiste.

Emeric

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Annexes 4








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Annexe 5 – Fiche-outil 1


OUTILS POUR ECRIRE UN TEXTE

Il faut :

1) Situer le lieu
par exemple : à l’IMPro, à l’atelier, sur un chantier, etc...

2) Situer le temps
par exemple : aujourd’hui, hier, demain, dans le futur, avant, maintenant, ensuite, il y a longtemps, plus tard, etc...

3) Donner des impressions
par exemple : j’aime, je n’aime pas, je préfère, je pense, etc...

4) Donner des explications
par exemple : parce que, car, pour, etc...

5) Trouver un titre et ajouter sa signature

6)Construire son texte avec un début, un milieu, une fin

7)Les mots de l’atelier EDB

travauxtrier
peinturechercher
lessivagecouper
carrelageponcer
parkingpeindre
bennebrûler
claustraaller
chantier extérieur
foyer

8) Respecter quelques règles de grammaire :

  • faire plusieurs phrases dans le texte avec des majuscules et des points
  • mettre la marque du pluriel, ex : une benne, des bennes
  • ne pas oublier les déterminants : un, une, des, le, la, les, ce, ces, etc...

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Annexes 6




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Annexes 7










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Annexe 8


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Annexe 9 – Fiche-outil 2


28 janvier 2000

Pour écrire un texte sur ce que vous envisagez de votre travail à l’IMPro lorsque vous aurez 17 ans et notamment sur vos stages, je vous ai préparé des outils. Je vous demande de les lire et de vous en servir pour écrire votre texte.

Pensez à écrire :

1) Quand ? par exemple, « quand j’aurai 17 ans »

2) Où ? par exemple, « à l’IMPro » ou « en stage accompagné » ou « en stage », etc.

3) Ce que vous avez envie de faire ? par exemple, un stage de peinture, ou un stage de jardinage, ou un stage de cuisine, etc.

4) Pourquoi vous avez envie de le faire ?

5) Comment vous imaginez que cela se passera ?

N’oubliez pas les points et les majuscules entre chaque phrase, c’est-à-dire entre chaque « idée ».

N’oubliez pas les déterminants (un, une, des, le, la, les, mes, mon, ma, ces, etc.)

N’oubliez pas de conjuguer les verbes Exemple : on n’écrit pas «  je faire », mais « je fais » ou « je ferais ».

N’oubliez pas le pluriel Exemple : Un stage - Des stages
 

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Annexe 10 – Texte-outil


L’année prochaine, en 2000/2001, je serai institutrice spécialisée dans une classe d’intégration scolaire ou en IME, à Palaiseau ou à Massy. J’ai envie de faire ce métier parce que j’aime enseigner aux enfants ou au jeunes et particulièrement à ceux qui ont des difficultés. Je souhaite vivement les aider et je pense que ça se passera bien.

 

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Annexe 11 – Exercice 2

Vendredi 25 février 2000

Reprenez la « fiche-outil » du 28 janvier 2000.

Lisez le texte ci-dessous attentivement.

Que manque-t-il dans ce texte ?

Pouvez-vous le corriger ?

Essayez de repérer dans le texte les différents éléments indiqués dans la « fiche-outil » du 28/2/00.

l’année prochaine, en 2000/2001, je serai institutrice spécialisée dans une classe d’intégration scolaire ou en IME à palaiseau ou à massy j’ai envie de faire ce métier parce que j’aime enseigner aux enfants ou au jeunes et particulièrement à ceux qui ont des difficultés je souhaite vivement les aider et je pense que ça se passera bien
 

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Annexe 13 – Liste des métiers
DOMAINE METIER
PEINTURE PEINTRE
MENUISERIE MENUISIER
RESTAURATION
  • RESTAURATEUR
  • SERVEUR
  • PLONGEUR
  • CUISINIER
  • HOMME D’ENTRETIEN
METALLURGIE
  • METALLURGISTE
  • TOLLIER
ENTRETIEN HOMME D’ENTRETIEN
JARDINAGE
HORTICULTURE
  • JARDINIER
  • HORTICULTEUR
AGRICULTURE
  • AGRICULTEUR
  • FERMIER
ELEVAGE ELEVEUR
CONDITIONNEMENT CONDITIONNEUR
MECANIQUE MECANICIEN
ELEVAGE DE CHEVAUX
  • ELEVEUR
  • PALEFRENIER
HÔTELLERIE
  • HÔTELIER
  • VALET DE CHAMBRE
  • LIFTIER
  • HOMME D’ENTRETIEN
PISCICULTURE PISCICULTEUR
ENTRETIEN VOIRIE CANTONNIER
POSTE COURRIER EMPLOYE DES POSTES
LINGERIE
BLANCHISSERIE
BLANCHISSEUR

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Annexe 14 – Fiche-outil 3

Vendredi 10 mars 2000

PRODUCTION D’ECRITS

FICHE-OUTIL N°3

Voici le tableau des domaines d’activité et des métiers correspondants que nous avons réalisé la semaine dernière, après la lecture d’articles de la gazette.

Nous l’avons élaboré afin de mieux situer les possibilités des jeunes à la sortie de l’IMPro

1. Classe-les par proximité d’activités (par exemple : jardinage et agriculture sont des activités proches et devront se suivre dans la liste.)

2. Classe-les, ensuite, par ordre de préférence, en mettant en premier le métier que tu aimerais faire lorsque tu sortiras de l’IMPro.

3. Pour chaque activité, essaye de dresser une liste des actions qu’elle implique. Par exemple, pour le domaine de la peinture, on peut trouver :

  • poncer
  • peindre
  • décaper
  • vernir
  • etc.

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Annexe 15 – Fiche-outil 4

17 mars 2000

OUTIL-TEXTE N°4

Pour écrire ton texte à propos de ce que tu voudrais faire lorsque tu auras quitté l’IMPro, aide-toi de ces interrogations :

  • QUAND ?
  • OÙ ?
  • QUOI ?
  • POURQUOI ?
  • COMMENT ?
  • AVEC QUI ?
  • AVEC QUOI ?

Voici quelques éléments qui te serviront pour répondre aux trois premières interrogations :



Pour les autres interrogations, essaie de trouver, seul ou avec mon aide, les différentes possibilités. Aide-toi des mêmes diagrammes.

Pour que ton texte soit compris par tout le monde, il faut que :

  • Tu n’oublies pas de séparer tes idées par des majuscules et des points pour qu’elles puissent, ensuite, se relier entre elles. Si tu ne mets pas de majuscule et de point, tout est mélangé, on ne comprend pas.
  • Tu n’oublies pas les « petits mots » qui s’appellent des déterminants : un, une, des, le, la, les, ce, cette, ces, mon, ma, mes, etc.
  • Tu n’oublies pas que les verbes soient conjugués :
    • Je « travailler »
    • Je travaille
  • Tu n’oublies pas de faire attention au pluriel des noms et des verbes :
    • Mon collègue
    • Mes collègues
       
    • Je travaille
    • Les jeunes travaillent

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Annexe 18


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Dernière révision : dimanche 26 janvier 2014 – 18:20:00
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