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L’odyssée de l’Ulis

 

 
Un texte de Thibaut Colin
Enseignant spécialisé en Ulis

 

Depuis le 4 septembre à 8h, je suis un collégien !

Pourtant, des copains de l’école m’avaient dit que je n’irais jamais au collège. Au début, je n’avais pas compris. C’est vrai quoi, tous les élèves vont au collège un jour ou l’autre.

Et puis, quand j’en ai parlé à mon maître, il m’a parlé de Julien, mon meilleur copain qui est dans ma classe depuis qu’on a 7 ans. On s’entend vraiment bien, on se comprend et on ne se quitte jamais. Il faut dire que je n’ai pas beaucoup d’autres amis. Certains se moquent de moi, d’autres ne veulent même pas me parler et il y en a aussi que maman m’interdit de voir parce qu’elle dit qu’ils se sont servi de moi et m’ont fait faire n’importe quoi. Je dois dire que je n’ai pas bien compris ce qu’elle voulait dire.

Pour revenir à mon maître, quand il m’a dit que Julien n’irait pas au collège, j’ai été surpris et triste à la fois. D’habitude, le maître Antoine est super rigolo mais là, quand il m’a expliqué que Julien a trop de difficultés en classe et qu’il sera mieux dans une école plus « adaptée » pour lui, avec des éducateurs et plein d’autres personnes qui pourront l’aider, il était très sérieux. Là non plus, je n’ai pas tout compris, mais j’ai ressenti une grande tristesse à l’idée que Julien, mon meilleur copain, mon seul copain, ne viendrait pas avec moi au collège. Quand il a vu ma réaction, le maître Antoine m’a demandé de m’asseoir à côté de lui et a poursuivi son explication. Il m’a dit : « Tu sais, Benoît, les élèves qui sont en CLIS, comme Julien et toi, ont ce qu’on appelle un handicap. Tu te souviens qu’on en a déjà parlé en classe ? » L’autre fois, en atelier philo, le maître nous avait demandé ce que c’est qu’une personne handicapée et un handicap. Justine a parlé de fauteuil roulant, Damien, des gens qui sont aveugles. Moi, j’ai dit que les gens handicapés ne peuvent rien faire tout seul. Après que l’on ait tous dit ce qu’on en pensait, le maître nous a dit que tous les élèves de notre classe avaient un handicap.

On s’est tous regardé. Julien a dit que ce n’était pas vrai et qu’on n’était pas des handicapés. Moi, j’étais du même avis. Pourquoi on serait handicapé ? Et puis, le prof nous a expliqué que si on était dans une classe d’inclusion scolaire (c’est ça que CLIS veut dire) c’est parce qu’on a tous des difficultés, soit pour lire et écrire, pour compter... en gros pour réfléchir et c’est pour ça qu’on dit qu’on a un handicap.

D’accord, c’est vrai que c’est difficile pour moi en classe et que, souvent, je ne comprend pas tout, mais quand même, je ne suis pas un handicapé !

Enfin bref, le maître m’a dit que moi je pourrais aller au collège, en 6ème, mais que je devrais aussi aller dans un truc qui s’appelle une ULIS. Il m’a dit que c’est un peu la même chose qu’une CLIS, mais au collège, avec d’autres élèves « en situation de handicap ».

Quand il m’a dit ça, j’étais à la fois content, parce que moi je pourrais faire comme les autres, devenir collégien, mais aussi un peu inquiet d’être dans une ULIS. Est-ce que les collégiens allaient faire comme certains élèves de la « petite école » et me regarder de travers, me traiter de « gogolito » ? J’espérais que les choses changent au collège. Le maître m’a un peu rassuré en me disant que tout se passerait bien et que je pourrais bien réussir.

C’est vrai, après tout, j’étais le meilleur élève de la CLIS : je suis le seul à savoir faire des multiplications et j’arrive même à lire un grand texte d’une page ! Alors, je me suis dit qu’on verrait bien en septembre.

 

Donc, me voilà au collège. Le jour de la rentrée, il y avait beaucoup de monde et j’étais content d’avoir mes parents près de moi. Il n’y avait que les élèves de 6ème et j’ai reconnu plusieurs élèves qui étaient dans mon école d’avant.

Le principal du collège est venu nous dire bonjour et nous dire que maintenant on était des collégiens. J’étais vraiment fier ! Puis ce fut le tour des professeurs principaux, ce sont eux qui vont tout nous expliquer sur le collège. Ils ont commencé à appeler les élèves de 6ème1, de 6ème2 et enfin ceux de 6ème3. Je n’ai pas compris parce que moi et 3 autres élèves, on n’a pas été appelés. J’ai senti les larmes monter tout près du bord de mes yeux. Et puis, j’ai vu un monsieur qui est venu parler au principal tout en nous montrant du doigt. Un peu après, j’ai su que c’était le professeur de l’ULIS qui rappelait que nous devions faire la rentrée avec notre classe (le principal avait oublié de le dire aux professeurs principaux). Alors, on a été appelés et on est montés dans nos classes. Moi, je suis en 6ème2.

Quand je suis arrivé devant la porte de ma classe, elle était fermée. Tous les élèves étaient déjà rentrés. La surveillante a frappé à la porte, nous sommes entrés et les élèves m’ont regardé un peu bizarrement, sauf Cloé, une copine qui était dans ma classe l’année dernière et qui a toujours été gentille avec moi.

Même Madame Rambert, ma prof principale, a fait une drôle de tête et elle a dit qu’elle n’avait pas de Benoît dans sa liste (là aussi, on avait oublié de nous inscrire). Quand la surveillante a dit que j’étais un élève de l’ULIS, la prof a dit : « Ah oui, c’est vrai que j’en ai un ».

J’aurais bien aimé m’asseoir à côté de Cloé mais il y avait déjà quelqu’un. D’ailleurs, tous les élèves étaient par deux. Madame Rambert m’a dit de m’installer au fond, à la table qui restait libre.

 

Ensuite, toute la matinée, elle nous a expliqué le fonctionnement du collège, mais je n’ai pas tout compris, j’ai un peu tout mélangé. Du coup, le collège a commencé à me faire un peu peur. J’avais peur de me perdre dans les couloirs, de ne pas trouver ma salle, d’arriver en retard...

 

L’après-midi, le maître de l’ULIS, enfin, le « professeur » de l’ULIS, est venu nous chercher et nous a amené dans sa salle, dans notre salle. Je n’osais pas parler, mais je me sentais un peu rassuré parce qu’on n’était que 4 élèves.

Le prof, Monsieur Dinard, nous a tout ré-expliqué sur le fonctionnement du collège. Il nous a aussi expliqué ce que c’est une ULIS, que ce n’est pas une classe et que notre classe c’est la 6ème1, 2 ou 3. J’étais content. Il nous a dit qu’on serait avec lui seulement pour les matières dans lesquelles ce serait trop difficile de suivre dans notre classe. Il y avait aussi une dame, Nathalie, qui pourrait venir avec nous en classe pour nous aider.

Ça avait l’air d’être bien et c’est vrai que ça ressemblait beaucoup à la CLIS, sauf que là on a une « vraie classe ».

 

Au bout de deux semaines, Monsieur Dinard a dit qu’il avait fini de voir ce qu’on savait faire ou pas et il nous a distribué notre emploi du temps définitif. Moi, j’étais sûr que j’irais en maths et en français parce que le maître Antoine me disait toujours que j’étais dans les meilleurs de la classe. Alors, quand j’ai vu que je ne ferais pas ces deux matières en 6ème2, je n’ai pas compris et j’étais en colère après le prof. Je lui ai dit que je voulais y aller mais il m’a dit que ce serait trop dur pour moi, même avec Nathalie. J’ai insisté mais rien n’y a fait.

 

Après les vacances de Noël, j’ai encore demandé d’aller en maths dans ma classe. Comme il a vu que je continuerais à lui demander, Monsieur Dinard m’a dit qu’il allait voir avec la prof de maths pour que je passe une heure avec ma classe, « pour que je me rende compte ».

J’y suis enfin allé ! La prof m’a dit qu’en ce moment ils travaillaient sur les fractions. Là, j’ai dit d’accord, mais en fait je ne savais pas de quoi elle me parlait. Pendant tout le cours, je n’ai rien compris et quand je suis revenu en ULIS, j’ai dit à mon prof que ça s’était bien passé et que j’avais compris « un peu ». Après ça, je n’ai plus demandé pour retourner dans ma classe en maths. J’étais déjà en arts plastiques, EPS, musique, techno et SVT, même si je ne comprenais pas grand chose dans cette dernière matière. J’arrive pas à retenir les nouveaux mots mais parfois, quand on revoit le cours en ULIS, j’arrive un peu plus a comprendre.

 

Dans la cour, on est souvent entre nous, les élèves de l’ULIS. Parfois, des élèves nous demandent pourquoi on n’est pas toujours dans notre classe, ce que c’est qu’une ULIS, si c’est vrai qu’on est handicapés. Quand ça arrive, je dis que l’ULIS c’est nul, que ça sert à rien et que je n’ai rien à y faire. Pour la dernière question, bah, souvent, je dis que c’est lui le handicapé.

D’autres élèves sont plus sympa. Ils m’aident parfois quand je ne sais pas où je dois aller. C’est bien mais quelquefois je n’aime pas, parce qu’ils me parlent comme si j’étais un bébé. Je ne leur dis pas mais ça m’énerve beaucoup.

Il y a encore des élèves qui se moquent de moi, mais moi, je fais comme si je ne les entendais pas. Je n’en parle jamais, ni à Monsieur Dinard, ni à mes parents. Je dis toujours que tout va bien, ça fait moins mal... enfin, je crois.

 

Je suis fier d’être au collège, mais j’ai hâte d’avoir rattrapé mon retard scolaire et de ne plus être handicapé, pour être tout le temps dans ma classe.


Benoît
Mars 2013

 
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Dernière révision : samedi 25 janvier 2014 – 17:15:00
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