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De la mémoire mythologique à l’imaginaire de motivation

 

 
Un texte d’Eugène Michel
 

Aucun doute, nous sommes des êtres de mémoire. Toute notre existence corporelle résulte d’une construction mémorielle. Nos molécules s’agencent entre elles en une perpétuelle mémorisation, à commencer bien sûr par notre ADN, spirale d’atomes coordonnés d’une façon transmissible. La mémoire a une double fonction : permettre la reproduction et assurer le meilleur fonctionnement possible de l’organisme – comme on le voit très bien avec le système immunitaire qui est une mémorisation des micro-organismes rencontrés.

Tout ce que nous vivons participe à l’élaboration de la mémoire qui s’est complexifiée à travers les milliards d’années de l’évolution. De l’unicellulaire élémentaire, les êtres vivants sont passés à la spécialisation sensorielle, puis gestuelle, puis vocalique. Enfin, les humains ont inventé les mots prononcés oralement puis écrits. À partir de ce moment, la narration de ce que l’on vit ou a vécu devient possible. La parole, puis l’écrit génèrent le récit.

Les histoires collectives et héroïques furent les premières à se répandre. Puis se propagea l’histoire fictionnelle : contes et romans. Maintenant, grâce au progrès des aptitudes individuelles et à l’allongement de la durée de vie, se développe l’histoire intime.

En définitive, quatre mémoires simultanées se superposent  dans les représentations visuelles, les enregistrements, les écrits et en nous : la mémoire collective, la mémoire des héros, la mémoire romanesque et la mémoire personnelle. Ces quatre mémoires jouent un rôle majeur pour l’appartenance à un groupe social, depuis le plus large, l’humanité, jusqu’au plus affiné, l’amitié. Avec l’amour et l’altruisme comme fil conducteur.

La mémoire collective comprend l’histoire de l’humanité, ainsi que celle des nations et des groupes d’appartenance, comme par exemple la famille. La mémoire des héros revendique les grands personnages des divers domaines culturels : religieux, politiques, scientifiques, artistiques, etc. Notons que ces deux mémoires sont sans cesse réactivées par les commémorations officielles. La mémoire romanesque est nourrie par les œuvres littéraires classiques. Elle représente une étape vers l’individualisation.

S’agissant de la mémoire personnelle, aujourd’hui, tout humain mémorise son parcours depuis sa naissance et peut même chercher à remonter dans sa filiation. Les lacunes ou les rejets mémoriels génèrent des inconforts, voire des conflits et des souffrances. L’épanouissement semble nécessiter la revendication fière d’un continuum biographique (Cf. « Théorie de l’extensio et continuum biographique » (avril 2014)). Les personnes, les lieux, les objets, les photographies, les textes et les œuvres d’art étayent cette sculpture personnelle du temps, organisent une mosaïque plus ou moins précise et complète.

La mémoire personnelle s’ajoute aux trois mémoires précédentes pour tenter de résoudre la question fondamentale de l’action : quel présent venant de quel passé pour quel avenir ? Un enjeu fondamental se dessine : il importe de se donner une mémoire claire et valorisée pour pouvoir se projeter en confiance dans l’avenir. L’assemblage cohérent des quatre mémoires devient si crucial, malgré sa subjectivité, qu’on peut l’appeler « mémoire mythologique ».

Dire que notre mémoire est mythologique ne signifie pas que nous inventons de toutes pièces notre histoire, que nous sommes mythomanes, non, cela indique que nous faisons de notre construction mémorielle un idéal à partir d’une sélection de faits plus ou moins avérés et une oblitération de ce qui dérange.

Plus notre mémoire mythologique est construite, plus elle aide à trouver des motivations dans le présent vers l’avenir. En particulier grâce aux appartenances et aux valeurs qu’elle sous-tend. C’est pourquoi toute attaque d’une mémoire mythologique provoque de violentes résistances. Synthèse plus ou moins volontaire, sans cesse améliorée, des quatre mémoires, la mémoire mythologique permet de gratifier l’existence d’une narration stimulante. Le défi est de naviguer vaillamment dans le présent par l’estime de soi et l’admiration des groupes d’appartenance.

Mais si la motivation émerge du passé, elle dépend aussi des buts que l’on se donne. Indispensable, la vision de l’avenir nous est fournie par nos imaginaires. Fondés par les expériences passées et les transmissions, c’est-à-dire donc par notre mémoire mythologique, nos imaginaires consistent à structurer d’une façon cohérente les diverses conceptions de l’avenir que notre imagination ou nos raisonnements peuvent nous inspirer.

Pour choisir nos actes dans le présent, nous avons besoin d’une projection imaginaire dans l’avenir, qu’elle soit religieuse, politique ou personnelle. Par exemple, classiquement, pourquoi célébrer les « héros », les « maîtres », s’ils ne devaient servir de modèles, de phares ? La mythologie héroïque encourage l’imaginaire de l’exploit. La vie éternelle, l’harmonie universelle, la réussite familiale, l’amour parfait, le génie scientifique ou artistique, etc., sont des constructions argumentées imaginaires qui stimulent nos motivations. Nous appellerons imaginaires de motivation toutes les élaborations désirées de l’avenir, et portées par un raisonnement. En opposition aux imaginaires d’évasion, dont la fonction est de faire oublier un temps présent tourmenté.

Parler de mythologie et d’imaginaire pourra paraître péjoratif. Chacun doit se rendre compte que ce qu’il édifie intellectuellement comporte une part aléatoire qui suppose une aptitude au débat et une tolérance pour toute variation culturelle génératrice de facto d’une perspective différente, concurrentielle. La prise de conscience de notre subjectivité sélective du passé et de l’avenir, mais aussi du présent, permet d’accéder au détachement propice à la sérénité.

Eugène Michel
Février 2023

 
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