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Pédagogie du cycle de l’extensio

 

 
Un texte d’Eugène Michel
 


« Vous êtes libre, choisissez, c’est-à-dire inventez. »
Jean-Paul Sartre

« L’agent croit être libre, il est dans les fers. »
Pierre Bourdieu


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Le cycle de l’extensio est une découverte récente. Cf. Le cycle de l’extensio (mars 2023). Nous développons ici les déductions de ce modèle en reprenant les éléments principaux de la théorie de l’extensio.

Le cycle de l’extensio produit de l’extensio. Ainsi la première question à laquelle nous répondons est : qu’est-ce que l’extensio ? Puis nous définissons les termes du cycle. Ensuite, nous étudions pas à pas les étapes du cycle. La quatrième partie décrit comment le cycle de l’extensio se réalise chez les humains. Au passage, nous proposons le néologisme neuroextension. Après quoi, nous listons les diverses applications du cycle. Enfin, nous étudions les vitesses de rotation du cycle.


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Sommaire

  1. L’extensio
  2. Définition des termes du cycle de l’extensio
  3. Description des étapes du cycle de l’extensio
  4. Modalités de l’extensio humain
  5. Applications du cycle de l’extensio
  6. Vitesses de rotation du cycle de l’extensio

Conclusion


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I. L’extensio

Le terme extensio résume le concept d’élargissement de la relation au monde. Que faut-il entendre par « relation au monde » ?

La vie est la création d’un milieu intérieur qui ne peut exister sans relation avec l’extérieur. Nous ne parlons pas des situations de dormance dans lesquelles les graines et les bactéries semblent se passer de tout échange, mais du temps fonctionnel dynamique, qui consomme de l’énergie, et s’oriente vers la reproduction de l’individu ou de l’espèce.

La vie est ainsi, par définition, une relation au monde, et cette relation concerne d’abord les modalités d’obtention des apports indispensables au fonctionnement reproductif. Les êtres vivants existent parce qu’ils se reproduisent. Et pour se reproduire, ils ont évidemment besoin d’apports. Dans le cas contraire, ils verraient leur volume diminuer à l’infini lors des divisions cellulaires. Or ces apports indispensables à la reproduction proviennent de l’environnement.

Les techniques d’acquisition des apports se complexifient depuis l’absorption moléculaire, puis la prédation, jusqu’à l’échange par l’intermédiaire de l’argent et l’accumulation de patrimoines.

L’élargissement de la relation au monde (Erm) et l’évolution

L’être trouve les apports dont il a besoin dans son environnement. Or, du fait de la reproduction et des aléas extérieurs, l’environnement finit toujours par être défaillant dans son rôle de fournisseur d’apports. Ainsi, les espèces qui augmentent leur champ relationnel ont plus de chances d’échapper aux pénuries, et elles vont mieux se reproduire. De sorte que l’évolution va s’orienter vers l’élargissement du champ relationnel, c’est-à-dire de leur relation au monde.

Les différents règnes de la vie répondent au principe d’Erm. Cf. L’évolution est un élargissement de la relation au monde (Erm) (juin 2022)

Il y a au moins trois formes possibles d’Erm :

• la dissémination en tout milieu.

• la biodiversification.

• l’amélioration chez certaines espèces des techniques d’obtention des apports telles que la mobilité, l’échange et le stockage, ou, spécifiquement chez les humains, la parole et l’écrit.

En résumé, les êtres vivants sont en relation avec le monde, ils existent dans un environnement qui leur fournit les apports dont ils ont besoin pour se reproduire. La reproduction provoque l’évolution qui s’oriente globalement vers l’élargissement de la relation au monde (Erm). C’est ce que nous appelons « extensio ». Erm et extensio sont synonymes.

Le cycle de l’extensio

Ayant défini l’extensio, nous pouvons donner le schéma du cycle de l’extensio chez les humains :

Forme1

Cycle de l’extensio© Eugène Michel

Le cycle commence avec la mémoire mythologique et l’habitus, et, en passant par l’imaginaire de motivation et l’inventus, il produit de l’extensio, c’est-à-dire un élargissement de la relation au monde (Erm). À chaque fin de cycle, la mémoire mythologique intègre le nouvel extensio. Cette modification fait évoluer l’habitus, puis l’imaginaire de motivation. L’inventus est constamment suscité et, s’il génère de l’extensio, il sera mémorisé pour une éventuelle intégration dans l’habitus.

Pour les unicellulaires, le cycle de l’extensio est bien entendu plus simple. Il tourne avec l’ADN comme mémoire, la reproduction comme habitus, il n’y a pas d’imaginaire, les mutations génèrent l’inventus, et l’extensio se réalise par la dissémination et la biodiversité.


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II. Définition des termes du cycle de l’extensio

Mémoire mythologique

Cf. De la mémoire mythologique à l’imaginaire de motivation (février 2023)

Trois mémoires narratives simultanées se superposent dans les représentations visuelles, les enregistrements, les écrits et en nous : la mémoire familiale, la mémoire collective et la mémoire personnelle. Ces trois mémoires jouent un rôle majeur pour l’appartenance à un groupe social depuis le plus large, l’humanité, jusqu’au plus affiné, l’amitié. Avec l’amour et l’altruisme comme fil conducteur.

La mémoire familiale contient toute l’histoire familiale en s’appuyant éventuellement sur l’arbre généalogique ; la mémoire collective comprend l’histoire de l’humanité, ainsi que celle des Nations et des groupes d’appartenance. Elle inclut la mémoire des héros qui revendique les grands personnages des divers domaines culturels : religieux, politiques, scientifiques, artistiques, etc. Ces deux premières mémoires sont sans cesse réactivées par les anniversaires et les commémorations officielles.

S’agissant de la mémoire personnelle, aujourd’hui tout humain mémorise son parcours depuis sa naissance. Les lacunes ou les rejets mémoriels génèrent des inconforts, voire des conflits et des souffrances. L’épanouissement semble nécessiter la revendication fière d’un continuum biographique. Cf. Théorie de l’extensio et continuum biographique (avril 2014). Les personnes, les lieux, les objets, les photographies, les textes et les œuvres d’art étayent cette sculpture personnelle du temps, organisent une mosaïque plus ou moins précise et complète.

La mémoire personnelle s’ajoute aux deux mémoires précédentes pour tenter de résoudre la question fondamentale de l’action : quel présent venant de quel passé pour quel avenir ? Un enjeu fondamental se dessine : il importe de se donner une mémoire claire et valorisée pour pouvoir se projeter en confiance dans l’avenir. L’assemblage cohérent des trois mémoires devient si crucial, malgré sa subjectivité, qu’on peut l’appeler « mémoire mythologique ».

Imaginaire de motivation

Nos actes volontaires résultent d’une anticipation du résultat. Plus on s’éloigne d’une certitude, plus l’imaginaire entre en jeu. Nous imaginons toutes les possibilités.

Pour choisir nos actes dans le présent, nous avons besoin d’une projection imaginaire dans l’avenir qu’elle soit religieuse, politique ou personnelle. Par exemple, classiquement, pourquoi célébrer les « héros », les « maîtres » s’ils ne devaient servir de modèles, de phares ? La mythologie héroïque encourage l’imaginaire de l’exploit.

La vie éternelle, l’harmonie universelle, la réussite familiale, l’amour parfait, le génie scientifique ou artistique, etc. sont des constructions argumentées imaginaires qui stimulent nos motivations.

On peut supposer que les êtres très actifs possèdent un imaginaire précis qui porte leur action tandis que les êtres hésitants ou tourmentés subissent des imaginaires conflictuels. Enfin les personnes peu actives manqueraient d’imaginaire. « Réussir » sa vie serait alors agir constamment en fonction d’un imaginaire plus ou moins conscient que l’on valorise soi-même hautement.

Nous appellerons « imaginaires de motivation » toutes les élaborations désirées de l’avenir, portées par un raisonnement. En opposition aux « imaginaires d’évasion » dont la fonction est de faire oublier un temps présent tourmenté.

Habitus

L’habitus concerne les habitudes sociales qui sont transmises à tout nouvel individu par les parents et le groupe d’appartenance.

Le mot « habitus » est ancien, il provient de la philosophie et fut utilisé en sociologie en particulier par Marcel Mauss (1872-1950) et Norbert Elias (1897-1990). Pierre Bourdieu (1930-2002), agrégé de philosophie devenu sociologue, l’a popularisé. Pour Bourdieu, les habitus sont des « systèmes de dispositions durables et transposables ».

L’habitus, en définitive, résume l’ensemble des éléments routiniers qui génèrent l’appartenance à un groupe social. Et comme personne n’existe sans une appartenance sociale, nous possédons tous un habitus, qui bien sûr est corporel puisqu’il s’agit de notre existence relationnelle physique et de notre quête des apports par les échanges.

L’habitus pose la question du déterminisme des naissances et de la transmission des inégalités sociales.

Inventus

Cf. L’invention de l’inventus, matière à discussion ? (novembre 2021)

Quelle que soit la force de l’habitus, la quête des apports n’est jamais garantie, l’incertitude reste toujours présente. L’atavisme des pénuries perdure. Le concept d’inventus résume l’aptitude intrinsèque du corps à explorer le champ relationnel et à améliorer ses techniques relationnelles. La créativité et l’innovation sont des cas particuliers d’inventus.

Une question essentielle est celle de l’amélioration des apports avec accumulation de patrimoine affectif, économique et culturel pour garantir la valeur des échanges. En effet, plus un échange est effectué dans l’urgence, plus il risque d’être dévalorisé. La transmission de patrimoine est un habitus individuel et collectif que l’inventus cherche sans cesse à améliorer.

Le terme « inventus » est proposé car celui d’habitus ne nous semble pas pouvoir recouvrir à la fois les récurrences corporelles de comportement et la créativité.

L’habitus représente la stabilisation mémorisée, l’inventus l’exploration incessante autour de la mémorisation.

La nouveauté est continuelle dans l’historicité individuelle et collective. La répétition (fastidieuse et angoissante) pour l’acquisition d’un habitus et pour sa pratique ne peut s’effectuer qu’accompagnée de l’exploration (ludique et rassurante) pour l’acquisition d’un inventus et pour sa pratique.

L’inventus apporte une critique radicale de l’habitus de Bourdieu. Il est une protestation. L’habitus n’existe que parce que l’inventus le précède. Aucun enfant ne peut apprendre si la transmission n’est pas accompagnée d’une exploration. De même, il est bien connu que les métiers ne peuvent être entièrement codifiés.


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III. Description des étapes du cycle de l’extensio

Forme2
 

De 1. Mémoire mythologique à 2. Habitus

L’habitus ne vient pas de nulle part. Il est transmis par la famille et les groupes d’appartenance. Cette transmission est raisonnable, mais n’est pas raisonnée.

Par exemple, parler une langue commune dans un pays est un habitus. La langue française est un habitus en France. La transmission se fait dans une évidence. Or, cette transmission n’est possible que parce que la langue est mémorisée. Mais on pourrait aussi bien penser que d’autres langues devraient être prioritaires. L’anglais par exemple, ou l’espéranto, ou la langue d’origine. Plus la langue française sera mythifiée en France, et la qualité de sa transmission, plus l’habitus de sa pratique sera conforté.

Il en va ainsi de tous les habitus. Parmi tout ce qui est mémorisé, les mémoires les plus valorisées, celles qui intègreront ce que nous appelons la mémoire mythologique, génèreront les habitus les plus solides, comme les traditions.

De 2. Habitus à 3. Imaginaire de motivation

L’habitus est une pratique dans le présent qui découle du passé. Mais l’avenir existe, on y pense nécessairement. Toute décision dans le présent se base sur une vision de l’avenir.

Ainsi, quand bien même il serait fondé par la mémoire mythologique, tout habitus doit rassurer sur sa pertinence pour l’avenir. L’habitus porte en lui-même une qualité de cheminement vers l’avenir qui suscite notre motivation. L’habitus génère un imaginaire de motivation, c’est-à-dire un imaginaire qui justifie une pratique sans cesse transmise car supposée féconde pour l’avenir.

L’habitus est la base de la vie en société au quotidien. Il n’est pas immuable, le cycle de l’extensio le fait évoluer lentement. Cependant, une contestation radicale pourra provenir de la proposition d’un autre imaginaire de motivation.

De 3. Imaginaire de motivation à 4. Inventus

Cependant, l’environnement est perpétuellement modulé, le monde change sans cesse. Les apports ne sont jamais garantis autrement qu’à court terme. Des rencontres, de multiples évènements, des catastrophes, des innovations surviennent. La projection vers l’avenir se modifie constamment. De sorte que l’imaginaire de motivation est toujours porté vers des nouveautés.

La conséquence est la nécessité de trouver de nouvelles solutions, c’est l’inventus. L’inventus résulte de l’impossible fixité de quoi que ce soit. L’inventus n’est pas une qualité optionnelle, il est intrinsèque aux êtres vivants. Force ou faiblesse, l’inventus est inévitable. C’est lui qui produit le nouvel habitus. D’où la formule : tout habitus est un inventus qui a réussi.

Chez les humains, plus l’imaginaire de motivation - le désir - se développe, plus l’inventus s’intensifie.

De 4. Inventus à 5. Extensio

Nous sommes ici au cœur du sujet. L’inventus est permanent puisque le monde change sans cesse. Mais, par définition, l’inventus, contrairement à l’habitus, est une exploration incertaine. Tout est possible au royaume de l’inventus, alors que tout est contraint dans celui de l’habitus. Schématiquement, l’habitus relève d’un déterminisme plus ou moins imposé, tandis que l’inventus s’ouvre vers le libre-arbitre.

Or, tout un chacun sait que toutes les créativités ne seront sauvegardées par la collectivité, loin de là. Quel est le critère qui va valider les inventus ?

Ce critère, c’est l’extensio. L’inventus retiendra l’attention de l’individu ou du groupe s’il en découle un sentiment d’élargissement de la relation au monde.

De 5. Extensio à 1. Mémoire mythologique

Là se referme le cycle de l’extensio. L’extensio est un principe vital. Sa survenue est explicitement recherchée. Elle apporte la satisfaction. Le bénéfice qui s’est produit va bien sûr être mémorisé. Et si ce bénéfice est consolidé, il va être inclus dans la mémoire mythologique. La modification de la mémoire mythologique va provoquer des réajustements d’habitus. Et ainsi de suite.

Posséder une mémoire mythologique stable et appréciée par soi-même et par les groupes d’appartenance est la condition essentielle pour que tourne le cycle de l’extensio et que les bénéficiaires éprouvent un sentiment durable de satisfaction. La mémoire mythologique se fonde sur le souvenir des extensios réussis individuellement ou collectivement.

Le doute sur les origines, les exils, les racismes, les mépris et dénigrements, les traumatismes – que l’on peut caractériser par des fragilisations d’extensios – risquent toujours d’affaiblir la mémoire mythologique des personnes concernées. Le cycle de l'extensio montre que la faiblesse et les conflits de la mémoire mythologique vont fragiliser l’ensemble du cycle et provoquer une souffrance d’extensio.


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IV. Modalités de l’extensio humain

Les trois étapes de l’extensio occidental

L’élargissement du champ relationnel (Erm) s’effectue depuis les origines de la vie puisqu’il s’agit d’un principe constitutionnel. Il a donc eu le temps de passer par de nombreuses étapes vers une complexification et diversification des organismes.

Dans l’histoire humaine depuis l’invention de la parole il y a 100 000 ans, on remarque que l’Erm s’effectue par cercles concentriques en gigogne. Le premier cercle, le plus proche, est celui de la famille. Le second cercle, celui du groupe social. Enfin, un troisième cercle s’est généralisé au XXe siècle, celui de l’individualité.

On peut ainsi définir ainsi trois étapes d’extensio : l’étape familiale, l’étape collective et l’étape individuelle. Ce schéma est surtout valable dans les pays occidentaux, des variations peuvent bien sûr exister en fonction des diverses cultures. Par exemple, on peut imaginer une étape collective immédiate.

Les trois étapes sont clairement décelables dans l’histoire collective occidentale : du village à prédominance familiale, on passe à la ville légiférée, puis au pays. Le champ relationnel collectif s’élargit si bien que l’on parle aujourd’hui de mondialisation. Cf. Théorie de l’extensio et mondialisation (mai 2013)

L’Erm, dans ses trois étapes, est très net chez les enfants en France. Les enfants élargissent leur champ relationnel à partir de la famille vers la collectivité, puis à l’adolescence, ils accèdent à une autonomie individuelle. Cf. Théorie de l’extensio et individualisation : les effets de la généralisation de l’enseignement supérieur (mai 2018) D’une certaine façon, on peut dire que l’extensio individuel reproduit dans ses grandes lignes l’extensio collectif. Mais toujours l’individu, dans son acquisition de l’extensio collectif, va explorer une suite ou des variantes à cet extensio collectif. 

La neuroextension

En dehors de la dissémination, l’Erm est une amélioration des performances corporelles. C’est l’acquisition d’outils relationnels qui permet d’améliorer les performances, en particulier d’augmenter les distances.

Chez les animaux, la relation est d’abord sensorielle. La perception sensorielle est indispensable pour appréhender le monde. Il s’agit de transformer un signal physique en décision musculaire. L’outil gestuel suit l’outil sensoriel. L’aptitude gestuelle se démultiplie en proportion du sensoriel. Puis, chez les humains, apparaissent il y a environ 100 000 ans la parole et 6 000 ans l’écriture.

L’étape familiale utilise principalement la parole, tandis que l’écriture collective permet à l’étape collective de se développer. Enfin, l’écriture personnelle génère l’étape individuelle.

La prolifération des neurones au cours de l’évolution animale a amplifié la relation des groupes et des individus à leur environnement, permettant ainsi une meilleure reproduction. Il y a un rapport direct entre les possibilités conceptuelles des espèces et leur quantité de neurones. Les invertébrés en possèdent depuis quelques dizaines comme chez les vers jusqu’à plusieurs milliers pour les escargots. La limace de mer en compte vingt mille, les insectes de cent mille à plusieurs millions, l’araignée un million, la pieuvre cinq cents millions. Les vertébrés dépassent le milliard de neurones jusqu’à l’être humain dont la spécificité dans le règne animal est de disposer du plus grand nombre de neurones, soit de 10 à 30 milliards.

La multiplication neuronale a pour corollaire un accroissement proportionnel du nombre de connexions – nommées synapses. Le nombre de synapses dans le cerveau humain serait de 600 millions par mm3. Ce foisonnement vertigineux, accompagné par un constant affinement, en amont, des capteurs sensoriels et, en aval, des muscles, rend possible les capacités de mémorisation, d’analyse et d’action.

À la multiplication neuronale, il faut ajouter la superbe diversification de la cellule neuronale par ses dendrites et par l’allongement de son axone qui peut aller jusqu’à plus d’un mètre. De même, l’isolation par la myéline et l’accompagnement par les cellules gliales.

Le grand secret de ce réseau sophistiqué inextricable est de se mettre en place en fonction des stimulations de l’environnement et de la réussite des actions. Le premier sens du terme « épigenèse » est celui de l’édification neuronale après la naissance. Si la plupart des neurones sont présents à la naissance, une grande partie de leurs connexions dépendra des premières années de l’existence. En toute logique, la durée de l’épigenèse augmente avec l’évolution animale pour atteindre une vingtaine d’années chez les humains actuels.

Nous nommerons cette évolution biologique de la cellule neuronale et de la plasticité connective, la neuroextension. C’est bien sûr l’ensemble de la plasticité corporelle qui permet l’Erm. Mais chez les animaux, la neuroextension joue un rôle central.


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V. Applications du cycle de l’extensio

L’enfant

L’enfant est l’être en développement par excellence, son Erm est très visible. Le cycle de l’extensio aide à comprendre pourquoi les acquisitions (habitus) ne peuvent se passer d’explorations (inventus). Chercher à transmettre d’une façon rigide expose à des détournements cachés ou rebelles.

Le cycle montre aussi l’importance de la mémoire mythologique qui ne doit être ni excessive ni trop faible. Dans le premier cas, l’enfant risque d’être contraint ; dans le second, délaissé. La rotation du cycle est rapide chez l’enfant car l’acquisition de nouvelles aptitudes est incessante du fait du développement corporel.

L’imaginaire de motivation ne doit pas non plus être excessif, mais pire serait son absence. L’enfant doit être stimulé dans son imaginaire et félicité aussi bien dans son acquisition des habitus que dans sa mise en œuvre de l’inventus.

L’adolescent

L’adolescence est l’âge des choix personnels, en particulier dans le cadre de la mémoire mythologique. Certains habitus vont se stabiliser, et l’inventus se précisera. L’extensio se poursuit vers un allongement du rayon d’action relationnel par les voyages, la vie sportive et intellectuelle, les liens affectifs.

L’élaboration de l’imaginaire de motivation est fondamentale. Les adultes doivent accompagner attentivement cet affinement pour veiller à ce que l’imaginaire se développe en plusieurs échelons conscients du réalisme à l’utopie.

Dans l’éducation, la transmission des habitus doit être précise mais souple. Une priorité doit être donnée à l’encouragement pour un inventus raisonné.

L’adulte

Il importe que l’adulte limite son esprit de routine pour ne pas négliger l’inventus. L’adulte doit faire le point sur sa mémoire mythologique et analyser quelle part revient à ses trois mémoires : familiale, collective et personnelle. Il peut alors évaluer l’attention qu’il porte aux trois étapes de l’extensio : familiale, collective et individuelle qui représentent en définitive trois extensios. Selon les périodes de l’existence, l’un ou l’autre des extensios est favorisé.

Cf. Théorie de l’extensio : nos trois vies conflictuelles (septembre 2016)

L’adulte doit veiller à cultiver son imaginaire sans jamais renoncer.

Le cycle de l’extensio, fondé sur l’analyse de la neuroextension, montre la double responsabilité des adultes de donner aux enfants un environnement stimulant, et d’encourager le grand âge à pratiquer les quatre outils sens, gestes, parole et écriture. Cf. Théorie de l’extensio et bonne santé neuronale (octobre 2018)

L’entreprise

Tout responsable d’entreprise sait que le développement est indispensable. C’est son premier objectif. L’extensio est ainsi une évidence pour lui.

La mémoire mythologique de l’entreprise inclut son histoire, les grands noms fondateurs, et tout ce qui est regroupé sous le nom de « culture d’entreprise ».

Cette culture décrit les habitus et veille aux inventus. Les managers veulent que l’imaginaire de motivation soit partagé par tout le personnel.

La publicité, toujours inventive, est le lieu de démonstration de l’imaginaire de motivation. Elle est un catalyseur du cycle d’extensio.

Les extensios doivent être progressifs. Mais on constate que, dans la compétition, il n’y a pas de limites.

La Nation

Cf. Théorie de l’extensio et croissance économique (septembre 2015)

L’extensio des Nations se mesure de multiples façons : superficie, nombre d’habitants, PIB, balance du commerce extérieur, etc.

Les Nations produisent toujours une mémoire mythologique. Elles glorifient leur histoire. Elles fonctionnent selon des habitus précis, le premier étant la langue vernaculaire. Elles choisissent un drapeau, un hymne, une devise. L’imaginaire de motivation des Nations peut être catastrophique, les poussant à la guerre pour conquérir du territoire.

Les grandes puissances, en particulier pour imposer une cohésion unificatrice, tentent toujours de proclamer une idéologie qui mélange mémoire mythologique et imaginaire de motivation. L’Europe cherche à se construire sur des principes espérés universels tels que la démocratie ou la laïcité, mais elle pâtit d’une mémoire mythologique pour le moins chaotique.


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VI. Vitesse de rotation du cycle de l’extensio

Blocage du cycle

Le cycle de l’extensio est le principe de fonctionnement de tous les êtres vivants. Sa vitesse de rotation au niveau de chaque espèce dépend bien sûr de la richesse nutritive de l’environnement. Le cycle accélère si le milieu est propice, il ralentit dans le cas contraire et peut même s’arrêter. Dans ce cas, en dehors de la dormance des graines et de la sporulation des bactéries, l’espèce va décliner et disparaître. Chez les humains, individuellement ou collectivement, tout blocage du cycle de l’extensio provoque une souffrance. Les traumatismes, par exemple, annihilent la mémoire mythologique en imposant une mémoire inutilisable. L’acquisition des étapes postérieures est alors perturbée en proportion de l’intensité du traumatisme.

Rotation lente

Une rotation lente, voire très lente, du cycle de l’extensio n’est pas en soi un problème tant qu’un extensio est ressenti. Certaines périodes rendent nécessaires cette lenteur. Cependant, beaucoup de personnes vivent dans une certaine errance. En dehors des traumatismes, la lenteur du cycle peut provenir d’une mémoire mythologique faible. Les fondations incertaines n’aident pas à se donner des habitus précis porteurs d’un imaginaire de motivation intense. Dans ce cas, le cycle de l’extensio n’est pas bloqué, mais il tourne lentement. Le risque est de s’ennuyer ou même de s’inquiéter. Également, on peut se placer dans une subordination excessive à l’extensio d’autrui.

Un habitus excessif, imposé, peut aussi ralentir la rotation du cycle. L’émancipation vers un imaginaire de motivation est nécessaire.

Rotation rapide

Les enfants sont les champions d’une rotation rapide du cycle de l’extensio. Les parents ont souvent du mal à suivre. Mieux vaut prendre les devants.

Pour les adolescents, la rotation est très variable, passant par des ralentissements inattendus et des accélérations. Il est essentiel d’accompagner les adolescents dans leur recherche de leur extensio préférentiel.

Chez les adultes, le cycle de l’extensio prend en général un rythme de croisière. L’extensio se déclinant en extensios familial, collectif et individuel, l’adulte peut donner priorité à l’un ou l’autre en fonction des périodes de sa vie. Il y a un attrait certain pour les accélérations soudaines, porteuses d’enthousiasmes, confirmées par le sentiment de réussite.

Pour les entreprises ou les Nations, la rotation rapide est risquée car l’inventus n’est pas garanti. Il faut être prudent. Mais la compétition pousse à la rapidité. Les attitudes prédatrices sont la règle. Il faudrait analyser, en termes de volonté d’extensio disproportionnée, pourquoi des dirigeants poussent leur pays à la guerre.

Emballement de la rotation

Cf. Modérer notre extensio ! (avril 2017)

Si l’extensio des individus et des groupes, en tant que principe inséparable de la vie, doit être encouragé et partagé, sa régulation par la modération et la diversification est indispensable. Pour l’heure, notre cycle de l’extensio s’est emballé. Le philosophe Hartmut Rosa parle d’accélération sociale. Les signaux d’alarme se multiplient : surpopulation, réchauffement climatique, pollution de l’air, des mers et des sols, sixième extinction animale, épuisement des ressources naturelles, risque nucléaire, etc.

Le succès de l’extensio humain depuis l’invention de l’écriture est appréciable : nous sommes plus nombreux, nous vivons plus longtemps, la diversité des activités est immense. Cependant cela semble nous conduire à un anéantissement digne de celui d’une colonie de bactéries. Notre boîte de Petri est certes grande – c’est la planète – elle n’en est pas moins circonscrite.

Le genre Homo étant né il y a environ deux millions d’années, ses inventions de la parole et plus encore de l’écrit s’avèrent récentes. Ainsi, il faut considérer que nous nous trouvons par rapport à la pratique de ces deux outils dans une situation archaïque. Et, du fait de leur trop grande efficacité, les langages parlés et écrits nous entraînent vers la destruction de notre écosystème, donc de nous-mêmes.

On peut en déduire que c’est par une amélioration de l’utilisation de ces outils, vers la modération et la subtilité, qu’un virage pourra s’effectuer. Mais d’abord, la prise de conscience que continuer à rivaliser en extensio à travers les villes, les pays et les continents nous mène au désastre semble indispensable. Le partage mondial doit devenir notre priorité... même s’il peut paraître impossible.


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Conclusion

L’identification de ce que nous appelons le cycle de l’extensio n’a qu’une raison d’être : son utilité. Cette utilité se trouve dans le principe d’élargissement de la relation au monde. Tous les individus, et par corollaire toutes les entités que les individus produisent – la famille, l’entreprise, la ville, la Nation, etc. – ont pour principe d’existence l’élargissement de la relation au monde. En cas d’empêchement, il y a souffrance, plainte ou protestation individuelles ou collectives.

L’affirmation des trois étapes – familiale, collective, et individuelle – de l’extensio humain clarifie la jungle existentielle. Comprendre l’extensio permet d’acquérir une lucidité sur nos origines, sur la vie que l’on subit ou choisit, et de réfléchir aux meilleurs choix possibles.

En découle aussi une responsabilité politique. L’extensio est basé sur une description du développement neuronal aussi bien au cours de la phylogenèse que de l’ontogenèse, ce que nous appelons la neuroextension. La biologie neuronale démontre en particulier la nécessité d’intervenir pour que tous les enfants reçoivent une qualité de vie permettant une connectivité neuronale positive. Si rien n’est fait, les jeunes gens qui sortent d’un historique dépréciatif ou traumatisant qui se sera fixé sur une connectique neuronale se retrouvent confronté à une inextricable concurrence inter-individus dont le résultat est une souffrance durable et aliénante à laquelle il est très difficile d’échapper.

S’agissant des apports indispensables à tout être vivant, le cycle de l’extensio confirme la nécessité morale de compenser les inégalités de patrimoine économique et culturel afin d’éviter les préjudices dans les situations d’échange, en particulier celles du travail rémunéré. Tout échange effectué dans l’urgence encourt une dévalorisation.

Quant aux évolutions planétaires, le cycle de l’extensio montre que personne n’est aux commandes, personne ne tire les ficelles, et c’est cela qui doit nous inquiéter. La communauté internationale n’a pas d’autre choix que d’apprendre à modérer son extensio grâce à une concertation mondiale.

Le cycle de l’extensio est un mode d’emploi. La compréhension de la neuroextension permet de prendre conscience de l’importance d’une vigilance neuronale à tout âge. (Cf. Théorie de l’extensio et bonne santé neuronale (octobre 2018). Nos initiatives individuelles ou collectives, tout au long de notre vie jusqu’au grand âge, doivent aller vers l’extensio, en recherchant l’entraide et la créativité et, au contraire de l’emballement, la modération. Pour paraphraser un célèbre titre, nous dirons que Le cycle de l’extensio est un humanisme.

 
Eugène Michel
Avril 2023

 
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Dernière révision : jeudi 22 juin 2023 – 12:45:00
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