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« Le clair et l’obscur » pour être sujet de son histoire

 

 
Un texte d’Eric Fiat
Philosophe, Maître de conférence à l’Université de Marne-la-Vallée


Publication originale  Texte initialement publié dans le Guide pour les établissements sociaux et médico-sociaux, Le dossier de la personne accueillie ou accompagnée – Recommandations aux profession­nels pour améliorer la qualité, Ministère du Travail, des Relations Sociales et de la Solidarité, Juin 2007, pages 3-4.

 

D’où vient que les tableaux de Rembrandt qui nous donnent à voir le clair-obscur nous touchent tant ? Sans doute de ce que le séjour le plus propre à l’homme est bien le clair-obscur. Nous ne sommes pas faits pour vivre dans l’ombre : notre besoin de reconnaissance, si grand que nous n’aimons d’autre solitude que provisoire et choisie, nous en arrache toujours et nous fait chercher la lumière. Mais nous ne sommes pas faits non plus pour vivre en pleine lumière ! Parce qu’il n’est pas d’homme sans secrets, l’idée même d’être totalement transparent aux yeux d’autrui nous est sujet d’effroi.

Il faut donc chercher une juste mesure entre l’ombre et la lumière, l’opacité et la transparence, et le présent livret peut y aider.

Longtemps en effet dans notre beau pays de France, la rencontre de l’aidé et de l’aidant fut conçue dans le champs médico-social comme celle d’une confiance et d’une conscience. Ce vieux paradigme ne nous paraît nullement désuet ! La confiance n’est pas la crédulité, et s’en remettre à quelqu’un de consciencieux ce n’est pas se soumettre à lui. Mais il semble que l’homme contemporain ait de plus en plus tendance à voir dans la confiance quelque chose comme une mise en dépendance, ou même une aliénation. Devenu usager, ne voulant plus qu’on le réduise au triste statut d’objet de soin, ne voulant plus qu’on fasse son bien malgré lui (et il est vrai que la pratique médicale française fut longtemps plus inspirée par le souci de faire le bien de la personne aidée que par celui de respecter son autonomie), il exigea donc que la rencontre de l’aidant et de l’aidé fût arrachée à l’ombre dans laquelle elle avait lieu, et que la lumière fût.

Inspirées par un goût de la lumière et de la transparence hérité de ces philosophes qu’on dit des Lumières, les lois du 2 janvier et du 4 mars 2002 promurent alors les droits des usagers, imposant que la relation de l’aidé et de l’aidant se déroulât sous un autre paradigme : celui du contrat. À l’asymétrie qui liait l’aidé (devant faire confiance) à l’aidant (qui pouvait abuser de la dite confiance s’il manquait de conscience), on voulut substituer la symétrie liant deux sujets contractants. Offrir à l’usager un service de qualité, c’est désormais d’abord respecter son autonomie, et ce respect oblige à l’informer, le consulter, à ne laisser dans l’ombre aucune des informations et décisions le concernant. La lumière serait toujours bonne, l’ombre toujours mauvaise ; savoir toujours bon, ne pas savoir toujours mauvais. Mais ce nouveau paradigme n’est pas sans dangers, lui aussi ! Certaines informations peuvent être des violences ; et le souci de l’autonomie ne doit pas faire oublier celui de la bienfaisance. Et si nul ne saurait vouloir que l’aidant n’ait que des droits et l’aidé que des devoirs, nul ne saurait non plus vouloir que l’aidant fût réduit au statut de prestataire de services, simple moyen au service d’un usager n’ayant que des droits.

Tenter de prévenir les effets pervers de toute bonne idée était d’après Aristote l’un de secrets de la sagesse pratique : le dossier qu’on va lire peut aider à la recherche d’une juste mesure, entre la bienfaisance et l’autonomie, le devoir et le droit, et l’ombre et la lumière.

Oui, l’homme n’est fait pour vivre ni dans la pure ombre, ni dans la pure lumière. Oui, le clair obscur est le séjour le plus propre à l’homme...

Eric Fiat
Décembre 2007

 
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Dernière révision : mercredi 19 février 2014 – 18:35:00
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