Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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« Darcos m’a tuer »
ou
Pas de pitié pour le petit personnel (spécialisé) des écoles !

 

 
Un texte de René Jansen,
Rééducateur de l’Éducation Nationale, RASED Claude Tillier, 58500 Clamecy.

 

Le lundi 16/10/2008 à 14h00, une institutrice spécialisée a été retrouvée pendue dans sa salle de travail d’une école primaire de Massy (91). Elle exerçait la fonction de rééducatrice (maîtresse spécialisée dans l’aide en individuel ou en petit groupe) au sein de l’équipe d’un RASED, Réseau d’Aides Spécialisées aux Élèves en Difficulté. Elle avait appris, comme 3 000 de ses collègues, par la presse du 27 septembre, que son patron (Darcos, Ministre de l’Éducation) avait décidé de supprimer purement et simplement sa fonction et de ponctionner dès septembre 2009 un tiers des 11 400 postes affectés à l’aide aux élèves en difficulté !

Ce qui signifiait que tous les efforts personnels réalisés depuis des années pour suivre des formations spécialisées et obtenir les diplômes ad hoc, puis s’adapter à de nouvelles fonctions très exigeantes, tout cela était réduit à néant par son employeur, d’un trait de plume et sans préavis !

Aussitôt, recteur et responsables s’empressèrent de clamer à tout va qu’il s’agissait de problèmes « purement personnels », histoire de balayer d’un revers de main un fait divers dramatique et dommageable à l’image de marque de la maison.

Mais l’évidence était criante pour tous et il n’y avait nul besoin d’être devin ou psychanalyste pour voir la vérité qui saute aux yeux : un suicide qui se déroule sur un lieu de travail (qui plus est une école, enceinte protégée) renvoie à des questions DE personnel et non pas à de simples problèmes personnels. Pour l’enseignante concernée, pour ses collègues, pour l’institu­tion et la société toute entière, le message est limpide : « il y a quelque chose de pourri au royaume de l’Éducation Nationale et de sa gestion. »

Avec ses propos hâtifs, l’autorité Académique n’a su que rajouter l’injure au mépris. Une entreprise qui insulte ainsi l’intelligence de ses 310 000 employés-instituteurs du primaire montre aussi le peu de cas qu’elle fait réellement des 6 millions d’élèves qui lui sont confiés.

Alors pourquoi prendrait-elle des gants quant au sort de 3 000 fonction­naires, le petit personnel spécialisé des écoles ?

Chacun sait que le poste de commande du Ministère de l’Éducation Nationale réside désormais dans le bunker de Bercy, il s’agit d’un logiciel de comptabilité du Ministère des finances, acheté aux USA, du temps de Ronald Reagan...

Alors comment voulez-vous faire appel aux sentiments humains d’un logiciel de comptabilité ?

À qui voulez-vous parler d’humanisme, de respect des élèves, de la souffrance des quelques 15 % d’enfants concernés par l’action des RASED (soit près d’un million d’élèves !), et du dévouement des quelques 14 930 membres du petit personnel spécialisé des écoles qui y travaillent (en incluant les 3 630 psychologues scolaires) ?

En suivant la même logique, il est permis de penser par ailleurs que la suppression pure et simple du cabinet du ministre de l’éducation (devenu sans objet) permettrait de financer au bas mot l’équivalent de 300 postes d’instituteurs, dans un premier temps...

Le dessous des cartes : « Une bonne saignée » !

Avec la mise en place précipitée dès cette rentrée des deux heures hebdo­madaires d’aide personnalisée, on veut nous faire croire que le problème de la difficulté scolaire sera résolu. Bien entendu, tous les enseignants et nombre de parents ont reconnu d’emblée l’inanité d’un tel système, relevant de la théorie du flacon à moitié vide. Comme s’il suffisait de rajouter une pincée de maths ou de français, en dehors du temps de classe, pour résoudre par miracle les difficultés scolaires !

Toute personne douée d’un peu de sens commun réalise que ce système ne peut résoudre que les difficultés d’apprentissage les plus légères, chose que l’école arrivait parfaitement à faire jusqu’alors !

Comme il est difficile d’admettre que l’ignorance crasse et la bêtise la plus épaisse règnent en maîtres au sommet du Ministère de l’Intelligence (l’Éducation Nationale), il ne reste plus qu’une seule explication pour justi­fier l’empressement délirant à mettre en œuvre un tel dispositif, dont on sait pertinemment qu’il n’aura aucun effet significatif sur l’échec scolaire. On est obligé de constater le cynisme ambiant et de réaliser alors que le seul objectif de tout ce barouf n’a rien à voir avec la pédagogie et se révèle purement comptable : récupérer 11 340 postes d’instituteurs sans toucher aux classes, et en fauchant l’herbe sous le pied à ceux qui crieraient aussitôt à la non-assistance à élève en difficulté ! Un ersatz d’aide, un soupçon de soutien, et hop, ni vu ni connu, je t’embrouille ! (« Une bonne saignée ! vous dis-je, et le patient décédera en bonne santé ! »)

Donc, avec l’aval de l’Élysée (qui augmente son budget de 12 % pour 2009), notre brave Darcos, en sus d’ignorer sciemment (voir le Guide prati­que des parents) et de maltraiter à dessein le petit personnel spécialisé des écoles, veut ignorer et maltraiter tous les enfants de France et de Navarre qui rencontreraient de quelconques problèmes psychologiques et sociaux ! Malheur aux pauvres, aux vaincus et à leurs enfants !

Que penser d’un employeur qui aurait dépensé des sommes conséquen­tes à former son personnel à des tâches spécialisées, qui se priverait ensuite des compéten­ces et de l’expérience acquises, en renvoyant 11 340 personnes (sur 3 ans) à la case départ, et qui sait qu’ensuite, fatalement, l’échec scolaire s’aggravera sérieusement ?

Que penser d’un Ministère de l’Éducation Nationale qui ne serait pas en état de réaliser que sa seule richesse est celle de sa « ressource humaine », son personnel, qu’il n’est même pas capable de traiter de manière humaine ou intelligente ? Sans même évoquer davantage le sort des millions d’élèves, cette autre matière humaine dont le sort n’est jamais pris en compte par le Grand Logiciel de Comptabilité qui gère ce ministère !

(Par analogie, imaginons une compagnie maritime exploitant des paquebots, qui déciderait soudain d’économiser des milliers de litres d’huile par an. Les rouages, engrena­ges et arbres de transmission ne seraient plus lubrifiés qu’au dixième du nécessaire, et avec un produit de moindre qualité. Dans un premier temps, tout irait bien, l’action de la société serait surcotée en bourse, les actionnaires heureux. Jusqu’au jour où, en pleine tempête, un navire se retrouverait en panne de machine suite à une surchauffe du métal, avec des milliers de passagers à bord. Le naufrage du bateau et de la société serait alors certain.)

 

Il en va de même du paquebot « Éducation », que nos dirigeants rêvent de faire sombrer pour voir fleurir écoles privées et confessionnelles de tout acabit, débarrassant l’État de ce fardeau !

Mais on voit actuellement où la gestion à la petite semaine, l’obsession du profit à court terme et la politique du toujours moins d’État peuvent mener le monde, avec le krach économique en cours.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est certain que dans quelque temps la gestion purement comptable et à courte vue de l’éducation mènera elle aussi à la catastrophe sociale.

Encore merci aux apprentis sorciers, nos gouvernants, qui refusent de voir que la seule richesse d’un pays au XXIe siècle réside dans l’exploitation intelligente de sa matière grise, liée au niveau de formation de sa population.

Et que chaque euro soustrait au budget de l’éducation oblitère d’autant l’avenir de la nation et de ses enfants...

René Jansen
Novembre 2008

 
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