Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Mail à mon syndicat

 

 
Un texte de Mme B.,
psychopédagogue diplômée de l'Éducation Nationale
 

Je vous envoie quelques réflexions matinales parce que, finalement, je ne défilerai pas le 5 décembre. Pas par crainte du froid. Pas par manque de convictions au sujet de notre école. Je pense, comme la fin de la circulaire interne sur les résultats de l’enquête PISA, que « La priorité au primaire a besoin d’un coup d’accélérateur : celui de la pédagogie, sur le temps scolaire, au service d’une meilleure réussite des élèves ».

Par contre je suis sceptique sur la toute fin : « Ce sont ces demandes qui seront affirmées lors de la grève du 5 décembre ». Ah ??

La question qui met des collègues dans la rue demain n’a rien à voir avec la question pédagogique, mais avec celle du temps scolaire. On peut relier les deux artificiellement, mais ne soyons pas dupes.

Je l’ai dit au hasard des rencontres ou des mails depuis la rentrée, ce qui se passe en classe est très préoccupant. La façon de considérer les élèves est terriblement préoccupante. La façon d’aborder les contenus reste pourtant essentielle et constitue, avec la relation que l’on établit d’adulte à enfant, le cœur de nos métiers.

Je ferme ma bouche par loyauté pour le système qui me nourrit. Mais ce dont je suis régulièrement témoin, en tant que personnel mis à disposition d’un CMPP, ne grandit pas les enseignants.

J’ai de plus en plus de mal à aller me geler pour défendre les conditions de travail des enseignants, dont je suis, alors même que les discussions que je peux avoir me prouvent que nous cheminons souvent sur des planètes éloignées. Et je n’ai pas le sentiment que cela puisse s’assouplir, j’ai même peur que la tendance se fasse de plus en plus lourde.

Il y a certes les choix budgétaires, mais pas seulement, loin de là, et c’est ce qui coince aussi pas mal.

« Les enseignants ont besoin de travailler autrement avec leurs élèves en étant solidement armés professionnellement. Pense-t-on sérieusement inverser la courbe de nos résultats avec seulement 300 postes “plus de maîtres que de classes” à la rentrée prochaine, en laissant plus d’une classe maternelle sur deux travailler avec plus de 25 élèves ou sans proposer de la formation continue aux 330 000 professeurs des écoles ? Au vu du retard pris par l’école primaire, ces réponses reposent aussi sur des choix budgétaires de grande ampleur. »

Certes.

Dans les écoles que je fréquente, les élèves sont à 22 par classe. Et les enseignantes que je rencontre n’estiment pas avoir besoin de « travailler autrement » que le sempiternel frontal « moi je sais, vous ne savez pas, alors écoutez », mais de pouvoir mettre dehors (pour leur bien ! toujours !) ceux qui montrent une inadaptation à l’inadaptation de l’adulte à son propre travail...

« Et puis zut ! puisque ça ne vous intéresse pas, on fera pas de vocabulaire aujourd’hui, tant pis pour vous, moi ça m’est égal ! » (pas plus tard qu’avant-hier, en CE2 : punis de vocabulaire et de récré, NA ! ça tombe mal pour ceux qui ont besoin de bouger, ils étaient déjà punis de sport...).

Je me punis de manif en retour, et vais plutôt bouquiner (ça c’est possible hors de toute formation obligatoire, si si !!) au sujet de ces enfants dits précoces ou à haut potentiel, pour changer des « inadaptés inintelligents » dont je m’occupe de « restaurer l’estime d’élève » depuis 20 ans de loyaux services dans la grande maison Éducation.

Le SYSTÈME scolaire serait utopiquement à foutre en l’air (ah, la Refondation !!), mais ne va pas tant que ça évoluer et notamment dans une de ses pires composantes : la déshumanisation qui s’est emparée de lui (ou qui s’est accentuée depuis que l’on éduque les masses, tout en s’obstinant à ne vouloir voir qu’une seule tête). Je ne crois pas qu’un syndicat, aussi généreux que puisse être le SNUipp, puisse réellement porter cela, tout simplement parce qu’on ne peut pas y parler des pratiques (arghh !!! le retour des emmerdeurs pédagogistes !) sans culpabilités ou taxation de jugement individuel, de manquer d’humilité, voire de cracher dans la soupe...

Je crois qu’aucune loi en discussion dans le domaine éducatif ne peut demain permettre d’introniser nos actuels élèves dans la citoyenneté, dans le partage, dans l’Etre ensemble. L’école est un laminoir. Un broyeur d’envies. Un écrabouilleur de rêves.

Cette machine, de plus en plus normalisante, s’emballe actuellement sous la moulinette de pratiques folles d’évaluations.

De plus en plus déconnectée de la réalité des élèves, des enfants, des personnes, des sujets, elle s’enferme dans un socle de bon sens qui ne cesse de créer des élèves démotivés, qui remuent trop, qui bavardent trop, qui n’écoutent pas, qui appliquent mal... non impliqués... défendus...

Mais la machine à stress est lancée dès le plus jeune âge et, sous couvert d’y remédier, des décisions politiques vont encore un peu en rajouter dans la mise en concurrence.

Je nous sens collectivement bien cernés.

Mme B.
05 décembre 2013


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Dernière révision : jeudi 05 décembre 2013 – 18:10:00
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