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Pourquoi les médecins de l’Éducation Nationale doivent y rester !

 

 
Un texte du Dr Élisabeth Villez


Un autre texte du Dr Élisabeth Villez  Voir aussi sur ce site un autre texte du Dr Élisabeth Villez : Médecins à l’éducation nationale : un enjeu de santé publique.

 

L’histoire des médecins de l’Éducation Nationale sera-t-elle celle d’une profession qui a failli exister ?

L’annonce, par le premier ministre, du projet de décentralisation, deux jours après la communication du ministre chargé des affaires scolaires, du plan concernant la santé des jeunes à l’école, laisse planer un doute suffisant pour déclencher un mouvement de grève de longue durée, fait inhabituel dans une profession plutôt discrète, et qui se fait toujours scrupule de faire défaut aux enfants et aux adolescents.

Mais c’est peut-être justement parce que, dans cette histoire, il s’agit moins de défendre le statut d’obscurs fonctionnaires, que de défendre le statut de l’enfant dans une institution quasiment obligatoire, que la profession a décidé de porter le débat sur la place publique.

Revenons un instant sur ces déclarations liminaires qui fondent notre inquiétude.

En annonçant le transfert des conseillers d’orientations à la région, des assistants sociaux et des médecins au département, M. Raffarin justifie le maintien des infirmiers par le fait qu’ils sont « intégrés dans les processus éducatifs ». Cela revient à dire, si l’on poursuit le syllogisme, que ceux, qui « ont vocation à être décentralisés », ne le sont pas.

Inutile de dire que bon nombre d’entre nous en ont avalé leur agenda, particulièrement aux pages marquées « équipes éducatives », « réunion de suivi scolaire », « comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté », « élaboration d’actions de prévention », « commission départementale de l’éducation spécialisée ». La liste n’est pas limitative, elle est beaucoup trop longue pour être citée in extenso.

On pourrait encore excuser un Premier Ministre surchargé de mal connaître un corps professionnel, somme toute restreint, au sein de la Fonction Publique. Mais que dire de la méconnaissance de notre spécificité, qui transparaît tout au long de la communication de M. Darcos, sur la santé des jeunes en milieu scolaire ?

Passons sur le fait que cette communication, en date du 26/2/2003, ne fait nullement mention d’un quelconque transfert, qui sera pourtant annoncé 48h plus tard.

Devrions-nous passer sur le fait qu’aucun médecin de l’Éducation Nationale, aucun conseiller technique départemental n’a été consulté ? On en arrive à une situation ahurissante, où, au milieu de considérations pas forcément sottes sur l’état de santé des jeunes, se dessine une réponse institutionnelle complètement morcelée, qui verrait le tabagisme traité par des infirmières Education Nationale, la toxicomanie par la mission interministérielle, la formation aux gestes d’urgence par les CESU, et, en guise de cerise confite, les bilans systématiques, par ailleurs déplacés et remaniés sur des critères imprécis et non évalués, pratiqués par des médecins généralistes, voire des internes en médecine.

Glissons, une fois de plus, sur le fait qu’en ces temps de pénurie annoncée de médecins, on a peu de chance d’en trouver de suffisamment disponibles, pour nous pencher sur ce signe inquiétant de schizophrénie institutionnelle.

Depuis 1991, l’État investit, non seulement sur le recrutement, par le biais d’un concours extrêmement sélectif, mais aussi sur la formation initiale et continue d’une profession spécifique, d’un nouveau métier, avec pour antienne « vous faites partie intégrante de l’équipe éducative et vous devez contribuer, par votre statut d’expert, à la réussite de chaque élève, quel que soit son état de santé », et il ne le sait pas.

Il y a donc dans l’air du temps, une double question : faut-il décentraliser un service qui comprend tout au plus 2000 professionnels, dont 1300 titulaires sur l’ensemble du territoire national ? Le risque, en l’occurrence, est de l’émietter. Les départements n’auront pas tous les moyens, ou l’envie, de créer un pôle Éducation Nationale au sein des conseils généraux. On risque de retrouver, dans certains départements, deux ou trois titulaires qui auront bien du mal à exister en tant que profession autonome, tant vis à vis d’une institution scolaire massive, que d’une institution départementale, déjà réduite à quia pour satisfaire ses obligations de prise en charge de la petite enfance et des personnes âgées.

Et, surtout, QUE va-t-on décentraliser ? Une conception archaïque de la médecine scolaire qui réduit l’activité du médecin à un dépistage de masse, un simple inventaire des déficits ?

Il semble temps de le dire : le rattachement des médecins scolaires à l’Éducation Nationale a constitué un réel progrès. Pour les élèves, et pour une certaine conception de la médecine. Les effets de ce qui était, au départ, une simple mesure administrative, méritent d’être mis en lumière.

Pendant des décennies, la question de la séquelle scolaire a très peu été inventoriée. Lorsqu’un enfant était atteint d’une pathologie chronique, les prises en charge éducatives et médicales tournaient isolément. L’hôpital se satisfaisait d’avoir bien soigné, quant à l’école, elle admettait de fait les scolarités chaotiques, voire même l’absence de scolarité collective. Depuis dix ans, par un ensemble de mesures, les choses ont changé. Imparfaitement, certainement, faute de moyens, mais néanmoins significativement. En créant des contrats d’intégration personnalisés, des classes spécifiques au sein d’écoles de quartier, en organisant, par les « projets d’accueil individualisés », la prise de médicament au sein de l’école, pour éviter les trop fréquentes absences, l’école s’est dotée d’un arsenal de protocoles limitant les effets de la maladie ou du déficit. Parallèlement, les services hospitaliers se sont mis à s’intéresser au devenir scolaire de leurs jeunes patients. Les progrès de la médecine sont tels, que pour bon nombre d’entre eux, parvenus à l’âge adulte, la séquelle la plus durable, la plus discriminatoire devient l’absence de formation, et la sous qualification, entraînée par les ruptures de cursus.

Ce n’est nullement du hasard si cette préoccupation s’est généralisée, au moment où apparaissait un corps professionnel capable d’inventorier, tout à la fois, les enjeux individuels représentés par l’état de santé d’un enfant, les enjeux collectifs de l’école qui reposent sur le choix de normes sociales, et les enjeux familiaux, qui accompagnent diversement l’enfant dans la construction de son avenir.

Répétons cette tarte à la crème toujours méconnue : le déficit d’un paraplégique, c’est l’impossibilité d’utiliser ses membres inférieurs pour marcher. Son handicap, lui, est généré par la hauteur des trottoirs et des boutons d’ascenseur.

Evaluer ce qui handicape un enfant dans sa scolarité, demande une parfaite connaissance, non seulement des variations normales du développement psychomoteur et cognitif des enfants et adolescents, mais aussi et surtout, des lieux, des gens, des postulats éducatifs, des conditions de travail des enseignants et des ressources institutionnelles, qui permettent de bâtir un projet.

Ce n’est pas médire des médecins généralistes de ville, et encore moins des internes, que de dire qu’il ne connaissent pas grand-chose à ces derniers points. Prendraient-il à cœur de s’y former aussi longuement que nous l’avons fait, qu’ils s’apercevraient simplement qu’ils ont cessé d’être des praticiens de ville pour devenir... des médecins de l’Éducation Nationale.

L’intégration des élèves malades ou porteurs d’un déficit est un volet essentiel de notre pratique, mais il est loin d’être le seul. Dans certains secteurs, il est même devenu numériquement minoritaire, au regard de la place grandissante que prennent les enjeux psychologiques. Ce n’est un secret pour personne : des élèves souffrent À l’école, certains souffrent DE l’école, et bon nombre d’entre eux FONT souffrir l’école. À moins de rompre le pacte de l’école pour tous, jusqu’a 16 ans, on ne voit pas bien comment l’institution pourrait faire l’économie d’une prise en charge de ces problématiques, qui mette en œuvre la totalité de la communauté éducative. Dans les ZEP, les médecins scolaires ont contribué à la généralisation, dans les écoles maternelles et primaires, des équipes éducatives qui réunissent, autour d’une table, enseignants, parents, psychologues scolaires et personnels médicaux. Dans les secteurs où l’on a suffisamment donné de moyens humains pour professionnaliser cette pratique, elle est infiniment précieuse. Elle permet de replacer les parents comme premiers éducateurs, de réaffirmer l’importance de la scolarité comme gage d’autonomie à l’âge adulte, et de lister les aides possibles, qu’il s’agisse des prises en charges psychologiques, sociales, orthophoniques, etc.. Cette approche pluridisciplinaire est également précieuse aux enseignants, et beaucoup nous l’ont témoigné depuis le début de notre grève. Car le propre de la vie psychologique est de fonctionner avec un temps qui, malheureusement, n’est pas calqué sur les échéances scolaires. Le déclenchement des prises en charge ne signifie pas pour autant l’amélioration immédiate de ce qui pose problème en classe. Les enseignants ont besoin de partenaires pour répondre à cette question finalement si complexe : « comment, malgré tout, enseigner à un enfant qui va mal, et continue à le faire savoir ? »

Dans le primaire, on peut espérer que ces équipes éducatives survivent, les rééducateurs et psychologues scolaires n’étant pas touchés par la décentralisation.

Qu’en sera-t-il du secondaire ? C’est peu dire qu’il y a urgence. D’une part, la caractéristique de la problématique adolescente fait du collège, en particulier, le lieu de toutes les crispations. Entre la bruyante, déconcertante, mais salutaire crise de maturation, et la constitution d’éléments durablement pathologiques et de conduites authentiquement dangereuses, l’expertise est parfois difficile. Trop extérieurs, les médecins risquent de n’être appelés que lorsque l’institution s’émeut. Et, comme tout institution, elle a une tendance naturelle, et innocente, à ne s’émouvoir que de ce qui gêne son fonctionnement. De plein droit dans l’espace scolaire, le médecin ne fait pas qu’y intervenir : il y traîne, attrapant souvent un signe, un appel déguisé en n’importe quoi, et, à la surprise générale, demande à voir un élève, jugé sage et sans problème. Sauf que c’est celui-là justement qui était menacé de s’effondrer. La véritable prévention est coûteuse en temps, la police le sait aussi bien que nous.

D’autre part, une fois le repérage fait, reste, comme en primaire, le problème du traitement. La pratique de vraies équipes éducatives reste encore timide, malgré l’abondance de réunions. Qu’en sera-t-il lorsqu’on aura fragmenté la communauté éducative, obligeant les uns à travailler à l’échelon national, les autre à l’échelon départemental, et les derniers à l’échelon régional. Est-ce réellement augmenter la cohérence autour des adolescents ?

En un temps où l’on se met à parler, de façon fort pertinente, de la prise en charge globale du cancer, de ses aspects sociaux, professionnels, psychologiques, imagine-t-on un hôpital qui, parce que son mandat premier est la thérapeutique, se refermerait sur les seuls soignants, et périphériserait tous les autres acteurs ?

C’est malheureusement ce qui risque d’arriver à l’école. Or, nous sommes beaucoup à penser que la seule façon de permettre aux enfants et aux enseignants de se recentrer sur les apprentissages, c’est de leur offrir, aux uns comme autres, des partenaires qui prennent charge les autres enjeux, et ce, dans le même espace institutionnel.

Le modèle de fonctionnement de la médecine scolaire est loin d’être parfait. Il n’empêche qu’il est peu d’exercice qui intègre aussi profondément tous les aspects de la santé : cliniques, psychologiques, familiaux, professionnels, ergonomiques, collectifs, individuels, éducatifs...

Pourquoi, sans aucune évaluation, ni de l’état des lieux, ni des conséquences, remettre cela en question ?

On est bien loin de préoccupations corporatistes. La question n’est pas de savoir si les médecins se trouveront bien d’être fonctionnaires territoriaux. La question est de savoir si les élèves ont le droit d’avoir, placée au cœur même de l’institution où ils passent tant de temps, une vraie médecine du travail.

Et parce que cette question est, comme toujours, d’autant plus cruciale que l’on est démuni, malade, marginalisé, j’en finirai sur une métaphore de l’exclusion comme cancer social. Dès lors que l’on cesse de gagner, fut-ce de façon infime, on perd... de façon exponentielle.

Dr Élisabeth Villez
3 avril 2003

 
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