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Mél à Ninette
ou
« La volonté peut-elle nous manquer ? »

 

 
Un texte de Daniel Calin


Présentation de Ninette  En l’an 2000, une nièce à moi très chérie, appelons-la Ninette, préparait un bac littéraire. La philo lui pesait. Elle a donc sollicité régulièrement son tonton pour un coup de pouce en philo. Par mél, puisqu’elle vit loin, trop loin. Ses sujets étaient généralement sans grand intérêt pour moi, et encore moins pour elle évidemment... Celui-là m’avait un peu réveillé, et j’avais pris quelque plaisir à écrire ce mél à Ninette. Je vous le livre tel quel. Humour indispensable.
Un second mél à Ninette  Voir aussi sur ce site un second mél à Ninette : « Qu’est-ce qui peut nous pousser à aimer autrui ? ».

 

En première approche (qui fait probablement une première partie), la réponse semble évidente, et positive : bien sûr, que ça peut manquer, c’te denrée ! Cela manque même très souvent... Dans les conversations et les re­présentations ordinaires, on parle volontiers de « manque de volonté »... Untel « manque de volonté » – ce qui veut dire : c’est un « faible », même si ce n’est pas un mauvais bougre... A contrario, on parle de « volonté de fer », pour désigner les personnes de type opposé – un « dur à cuire » admirable, mais on s’y voit quand même pas... Voir aussi, dans le même style : « quand on veut, on peut », « c’est une question de volonté »...

Bon, je m’égare un peu, puisque le sujet ne porte que sur le « manque de volonté »... Mais je ne m’égare peut-être pas tant que ça quand même... Après tout (et là, ça commence à philosopher sec, tu remarqueras), admettre que la volonté peut manquer, c’est admettre que d’autres facteurs pèsent sur notre comportement, qui sont susceptibles d’échapper à notre volonté. Refuser au contraire de l’admettre (cf. « quand on veut, on peut »), c’est soutenir que nos comportements sont totalement sous notre « bon vouloir » (notre « libre arbitre » en philo pur jus) – donc que nous sommes totalement responsables de nos conduites, « de nos actes » dirait Sartre... Voilà les deux thèses sous-jacentes à la question. « Déterminisme » contre « liberté » (et « respon­sabi­lité » par conséquent, et « culpabilité », et tout ça tout ça). Freud contre Sartre, par exemple...

– Voir Freud : actes manqués, symptômes névrotiques, etc... Nous avons beau « vouloir » quelque chose, nous faisons autre chose... Ce qui ne veut pas dire exactement, chez Freud, que la volonté manque – mais plutôt qu’à la volonté consciente s’oppose souvent une autre force, une sorte de « volonté » inconsciente, souvent plus puissante (ou plus rusée, parfois) que la volonté consciente... Et ça revient au même que la formulation classique de la volonté qui manque, même si c’est plutôt qu’il y a des forces plus fortes que notre « volonté » consciente, qui elle-même ne sait pas très bien ce qui se cache sous elle d’ailleurs, et qui n’est pas toujours joli-joli... Quel que soit notre effort de volonté, quelle que soit la mobilisation de notre conscience volontaire, des forces inconscientes pèsent sur nous, et manipulent ou trompent en sous-main cette volonté consciente, ou la mettent en échec. Voir le lapsus : je veux dire quelque chose, et je dis le contraire, sans même m’en rendre compte parfois... Qu’est-ce tu veux que j’y fasse ! Voir aussi les névroses, par exemple la timidi­té : je rêve d’être le roi des farceurs ou l’idole du rock’n roll (oui, bon, je sais, c’est ringard – mais enfin moi c’est ça qui m’aurait plu, pas rappeur de choc, tu m’y vois ?!!), et je me mets à bégayer dès que je dois parler à quelqu’un, surtout quand c’est à quelqu’un devant qui j’aimerais vachement frimer, style au hasard la plus gironde de la bande (quoi, bande ?)... Tu vas pas me dire que je le fais exprès, ça, non, hein, déjà que je m’arracherais les choses tellement que je m’en veux, hein ???!!!!...... Freud, donc. On peut broder longtemps là-dessus...

– Sartre propose au contraire une philosophie de la liberté, qui est aussi une philosophie de la responsabilité. Selon lui, on est totalement responsable de tous ses actes, on est « condamné à être libre » (c’est une citation de L’existen­tialisme est un humanisme)... S’imaginer le contraire (par exemples nos « passions » – version classique –, ou nos « pulsions » – version freu­dienne –), c’est simplement vouloir se masquer cette incontournable responsabilité. C’est, dit Sartre, faire preuve de « mauvaise foi » (parce que celui qui s’abrite derrière tout ça ne peut pas y croire totalement ; il sait bien, au fond, qu’il pourrait choisir de ne pas obéir à ses passions ou à ses pulsions...). Donc, dit Sartre, celui qui fait cela est un « salaud » (c’est vraiment le mot de Sartre, et c’est un concept philosophique central chez lui, et même un superbe !!!)... Autrement dit, pour en revenir à la question posée (il faut toujours en revenir à la question posée, dans une dissertation de philo), cela signifie que la volonté ne peut pas « manquer », pas du tout, absolument jamais. C’est toujours, quoi que nous fassions, et quoi que nous ayons envie de penser, notre volonté qui décide de nos actes. Quand ce n’est pas notre « bonne » volonté, présentable, clean, propre sur elle, avouable et avouée, ce n’est pas autre chose pourtant que notre volonté, c’est notre « mauvaise » volonté, notre volonté de salaud de mauvaise foi...

Et alors et alors et alors........ Sékikarézon ?????????

Biiiiiiiiiiiiiiinnnnnnnnnnn........

Moi personnellement j’ai un faible pour Sartre, même si je sais que c’est plutôt Freud qui a raison... Bon, c’est pas évident, quoi...

Le problème avec Freud (comme avec toute autre forme de déterminisme, qui montre que nous sommes les jouets de notre inconscient – ça c’est Freud –, ou de notre biologie – très à la mode ça –, ou de notre environnement social – plus à la mode, ça, suspect de marxisme, pouah caca, et pourtant c’est très vrai... –), le pb. avec F., donc, comme avec tous les autres déterminismes, c’est que c’est trop facile ; ça excuse tout et n’importe quoi, ça tend vite à annuler toute responsabilité... N’importe quel petit délinquant minable aujourd’hui est capable de s’amnistier d’avance en expliquant comme un pro que c’est pas sa faute, mais celle de la société (méchante, la société !), ou de sa maman (salope, sa maman !), ou de la conjonction du soleil et de la lune en passant par Jupiter... Fastoche ! Trop fastoche, bien sûr...

Alors, Sartre. Lui, au moins, pas de salut. Tu fais une saloperie, donc t’es un salaud. Clair et net. Faut pas me prendre pour un con ! Et c’est pas la peine de me raconter des salades comme quoi la société ou maman ou les astres ou les hormones... D’ailleurs, y’en a d’autres qu’ont des sociétés pourries, des mamans tarées, des astres défavorables, ou des hormones faisandées, hein, et c’est pas pour ça qu’ils pissent à la raie de leur voisin, non, mais, salopard !!! Des baffes !!! Ou une balle dans la peau dans les cas graves...

Bon, comme tu vois, le problème avec Sartre, c’est que ça ne rend pas très compréhensif... Style « quand on veut on peut », quoi... Parce que, quand même, ça existe, la merde, les sociétés pourries, les mamans ravagées, les papas désastreux, les astres catastrophiques, les inondations naturelles, et même les hormones qui flanchent... Et comment ! Facile d’être clean et « droit dans ses bottes » (ça, c’est du Juppé) quand on a une société confortable, une maman-gâteaux, un papa-sévère mais juste, les hormones nickel-chrome, et tous les vents qui soufflent dans le bon sens... Comme Sartre, d’ailleurs (heu, non, lui, pas de papa, justement, mais quand même un super-papy qui l’a bien rescapé du Bounty). Et comme Juju ! Qu’est-ce tu ferais, toi, si t’étais à la place de tous ces malchanceux de l’existence, ces mal-partis, ces noyés d’avance ??? Y a tous les jours des gosses qui naissent en manque, avec en guise de maman une pute toxico, et un père non identifiable... Z’ont peu de chances de donner des philosophes ou des présidentiables !

Tout ça débouche sur de drôles d’idées... Attention, c’est les miennes, et c’est pas vraiment banal... T’en fais ce que t’en veux...

Deux idées, en fait (liées, au fond, bien sûr) :

1/ On n’est pas égal en « volonté »... La volonté, ça se fabrique dans l’enfance. La volonté au sens le plus fort, c’est-à-dire la capacité à ne pas se laisser ballotter par tous les aléas de l’existence (passions, pulsions, hormones, milieux, situations...), la capacité à choisir, à penser ses choix, et à s’imposer ses choix les plus pensés. Et, dans cette fabrication de la « capacité à vouloir », il y a des bons ingrédients et des mauvais ingrédients... C’est compliqué, on pourrait en parler longtemps, mais ce n’est plus tout à fait le sujet...

2/ Reste que, pour soi, c’est la philosophie de Sartre qui est la bonne, ou plutôt c’est celle qu’il faut choisir, qu’il faut s’efforcer de s’appliquer à soi-même. Sinon, on est foutu. À tous les coups on devient à toute vitesse un salaud ou un minable, et en général les deux... Il y a un vieux mot que j’aime bien pour désigner ces gugusses qui auraient les moyens de faire les bons choix et qui font les mauvais, ceux que Sartre nommait les salauds : « veules »...

Conclusion : Sartre pour soi (« être exigeant avec soi-même »), toujours, le plus possible en tous cas ; Freud et tous les déterminismes pour les autres (ça peut s’appeler la « compassion », c’est une vieille vertu, pas forcément gentille, un peu méprisante sur les bords, mais elle a fait ses preuves pour humaniser le monde), au moins comme point de départ, quitte à nuancer après pour ne pas se faire prendre pour un con par de vrais salauds rusés et pourris jusqu’à la moelle...

Bisous à toute la famille !

Tonton Daniel
2000


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Dernière révision : samedi 15 février 2014 – 16:00:00
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