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Les enseignants référents entrent en résistance

 

 
Un texte de Daniel Calin
 

Le Bulletin officiel de l’Éducation nationale du 31 août 2013 a publié le décret et l’arrêté instaurant une « indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves » (ISAE) versée aux enseignants du premier degré « afin de réduire l’écart entre le salaire des enseignants du primaire et du secondaire » (dixit le gouvernement). Le versement de cette prime, en deux fois, pour un montant total annuel de 400 euros, « est lié[e] à l'exercice effectif des fonctions enseignantes et de direction ». Certains personnels du premier degré, dont les enseignants référents, ne la percevront donc pas, au prétexte qu’elle concerne les personnels actifs devant élèves.

Une sérieuse mise au point s’impose par rapport à l’enrobage gouvernemental de l’ISAE. Cette prime a pour vraie fonction de « compenser » l’érosion des salaires de tous les enseignants(1), progressive mais conséquente, puisque leur pouvoir d’achat a baissé d’environ 20% en 25 ans, de 1981 à 2004(2). Et cette chute s'accélère : la valeur du point d'indice, qui sert de référence pour les salaires de tous les fonctionnaires, enseignants compris, a baissé de 13% depuis 2000(3). Maigre consolation d’ailleurs, puisque, d’une part, on est très loin du compte, et que, d’autre part, les primes n’étant pas intégrées au calcul des retraites, cela ne compense pas du tout leur effritement tout aussi conséquent. Le prétexte avancé par le ministère est absurde puisque, précisément, les professeurs des écoles ont, depuis leur création, la même grille indiciaire que les professeurs certifiés, donc le même salaire. La différence entre ces deux corps ne vient pas du tout du salaire, mais de ce qui s’y ajoute, à savoir très peu de choses pour les enseignants du primaire(4), mais des heures supplémentaires et diverses primes assez conséquentes pour les enseignants du secondaire. Depuis une trentaine d’années, les divers gouvernements ont multiplié les primes... et la pression en faveur des heures supplémentaires pour masquer la perte de pouvoir d’achat pour les professeurs de lycées et collèges, mais pas pour les professeurs des écoles. Il faut donc voir dans l’ISAE une sorte d’égalisation de cette longue escroquerie de l’État.

Comme les solfériniens Hollande, Ayrault et Moscovici ne peuvent rien faire « proprement », pas même leurs arnaques, ils rognent autant que possible leur « cadeau » au moment même où ils le consentent : rien, donc, pour ces enseignants référents « sans élèves », juste occupés à gérer des « dossiers ». Une mesquinerie similaire touche les enseignants spécialisés exerçant dans le second degré, SEGPA, EREA, ULIS, etc., auxquels on refuse également l’ISAE(5). Par rapport au budget de l’État, par rapport aux dizaines de milliards de cadeaux faits au MEDEF, aux centaines de milliards abandonnés aux fraudeurs du fisc, les sommes gagnées sont ridicules. Mais pourquoi se priver de faire petit et minable, puisque de toute façon cette ISAE est déjà en soi une duperie ?

Les enseignants référents ne gèrent pas des dossiers, mais le parcours scolaire des élèves reconnus comme « handicapés » par les MDPH. L’essentiel de leur travail consiste à rencontrer les familles, les enseignants, les soignants, les travailleurs sociaux et, souvent, les élèves concernés eux-mêmes, même s’ils sont, comme toujours, les grands oubliés des textes officiels qui les concernent. C’est là, très précisément, une mission « de suivi et d’accompagnement des élèves ». Refuser cette indemnité à ceux des professeurs des écoles dont le travail est le plus conforme à l’intitulé officiel de cette nouvelle indemnité relève de la farce de très mauvais goût.

Les enseignants référents touchent déjà une prime spécifique, instaurée par un décret de 2010. Les « autorités » en tirent parfois prétexte pour justifier le refus de leur verser l’ISAE. En réalité, cette prime spécifique a été instaurée, avec déjà bien du retard, pour compenser le fait que, bien qu’enseignants spécialisés, les enseignants référents ne perçoivent pas la NBI que touchent leurs collègues spécialisés en charge de la scolarisation des élèves handicapés. Les autres enseignants spécialisés exerçant dans le primaire ont droit à l’ISAE, qu’ils cumulent donc soit avec la NBI pour ceux qui sont en charge de la scolarisation des élèves handicapés (CLIS), soit avec l’indemnité de fonctions particulières pour les autres (RASED). Pourquoi pas les enseignants référents ?

Chacun s’accorde à dire(6) que la réussite de l’école pour tous et de la politique inclusive qu’elle requiert dépend pour une bonne part de la forte implication des enseignants référents dans leur mission auprès des élèves handicapés et de leurs familles, bien au-delà de ce que leur imposent les textes réglementaires. Ce sont eux qui « font tourner », tant bien que mal, un cadre légal aberrant qui, sans eux, produirait une bureaucratie kafkaïenne insupportable.

Leur travail, comme tout travail, mérite salaire. Leur rémunération souffre déjà de deux injustices, contraires au droit du travail(7). La plupart d’entre eux utilisent massivement leur véhicule personnel, sans que leurs frais de déplacement ne soient correctement remboursés. La plupart d’entre eux ont une charge de travail qui dépasse de loin les obligations légales, sans que leur soit versée la moindre heure supplémentaire.

Face à cette maltraitance institutionnelle redoublée, les enseignants référents du Val d’Oise(8) ont pris la décision de ne pas abonder l’enquête nationale qui, chaque année au mois de décembre, permet au ministère d’opérer un état des lieux de l’avancée de la scolarisation des jeunes handicapés. Cette démarche collective a pour objet d’attirer l’attention de tous, politiques, décideurs, mais aussi parents concernés et enseignants, sur un sentiment de délaissement qui, à terme, risque de conduire ces personnels à une application a minima des textes officiels : une seule réunion de l’ESS par an, quelle que soit la complexité de la situation de l’enfant ; réunions tenues exclusivement au bureau de l’enseignant référent, conduisant parents et professionnels de l’école à se déplacer ; etc..

Ils méritent notre soutien.

Daniel Calin
04 décembre 2013

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Notes

(1) Comme, plus ou moins, de tous les fonctionnaires.

(2) Voir cet article publié sur Le café pédagogique.

(3) Voir cette étude publiée par la FSU en novembre 2013.

(4) Les surveillances de cantine, par exemple, pour ceux qui y participent.

(5) Sous le prétexte, en ce qui les concerne, qu’elle est allouée uniquement « aux personnels enseignants du premier degré exerçant dans les écoles maternelles et élémentaires ».

(6) Et à écrire : voir le rapport Delaubier de juillet 2012 sur la mise en œuvre de la loi de 2005 dans l’Éducation nationale.

(7) Le ministère de l’Éducation nationale compte probablement parmi les pires employeurs de France. Il est d’ailleurs régulièrement condamné, en particulier par les tribunaux prudhommaux auxquels peuvent s’adresser ses employés les plus précaires, puisqu’ils sont sous contrat de droit privé.

(8) Probablement bientôt suivis par ceux d’autres départements.


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