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Des questions politiques récurrentes
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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

En 1968, le sociologue Pierre Bourdieu fonde le Centre de sociologie européenne, rattaché en 1975 à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

« Centrées, à l’origine, sur la reproduction sociale et le fonctionnement spécifique des différents espaces sociaux, les recherches ont progressivement suscité de nouvelles questions portant sur les interférences entre ces espaces relativement autonomes et leur incidence sur les transformations des structures sociales et mentales »(1).

C’est dans ce cadre que Bourdieu publie, en collaboration avec Jean-Claude Passeron, deux des ouvrages qui marqueront pour longtemps le champ de la sociologie de l’éducation : Les Héritiers. Les étudiants et la culture, en 1964, et La Reproduction. Éléments d’une théorie du système d’enseignement, en 1970 – dont les titres, et l’événement-rupture qu’ils encadrent, Mai 1968, disent assez l’orientation. S’y expriment, à la fois, une théorie générale de la manière dont fonctionne le système scolaire et une remise en cause de l’idéologie égalitariste développée sous la IIIème République au profit de la thématique de l’héritage culturel congruent à l’origine sociale.

Si l’idée de ce déterminisme fait désormais partie d’une forme de la pensée collective, la modélisation qu’il ouvre ne permet pas de rendre compte des parcours de réussite non prévisibles : comment se fait-il que certains enfants, qui ont tout pour échouer à l’école, réussissent tout de même ?

C’est à cette question, entre autres, que s’attachent à répondre, chacun à leur manière, Bernard Lahire(2), sociologue au CNRS, d’une part ; et le groupe E.SCOL(3), fondé en 1987 par Bernard Charlot, et désormais animé par Élisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex.

Pour Bernard Lahire(4), il s’agit de concilier une sociologie des inégalités scolaires et « la compréhension des processus cognitifs en jeu dans les apprentissages et les processus de différenciation sociale et scolaire (...) Les travaux de Lahire ont montré que l’autonomie et la responsabilité personnelle sont des valeurs inégalement présentes selon les cultures et selon les univers sociaux. Son approche anthropologique de la réflexivité ou des compétences métacognitives conduit à les concevoir comme des dispositions sociolinguistiques et sociopolitiques, non universelles, ancrées dans une époque, un type de structure sociale, et d’organisation politique »(5).

Les travaux de l’équipe E.SCOL fondent la distinction entre « norme » et « normativité ». Pour certains élèves, acquérir des savoirs, c’est se conformer aux normes de l’organisation scolaire, c’est établir une équivalence entre les disciplines d’apprentissage et les tâches scolaires. Pour d’autres, il s’agit, au-delà de ces tâches, de percevoir le sens des disciplines, de s’interroger sur le processus de normativité à l’œuvre lorsque l’on apprend. « On retiendra donc l’idée d’une distinction importante entre normes (rituels, routines) et normativité, permettant de comprendre les difficultés cognitives et les réussites des élèves. La prise en compte de la normativité des savoirs, c’est-à-dire des principes épistémologiques qui les fondent, des lois qui les régissent, des contraintes qu’ils imposent aux élèves, est une dimension à ne pas négliger. Elle aide à interroger la pertinence des processus d’apprentissage du côté des élèves et la pertinence des processus d’enseignement du côté des enseignants »(6).

On est ainsi passé d’un modèle global, statistiquement fondé mais peu à même de rendre compte des réussites individuelles (même si les réalités décrites gardent, près de quarante années plus tard, tout leur triste poids de souffrance et de révolte potentielle), à une attention minutieuse portée aux parcours de chacun dans lesquels le rapport aux autres (et, particulièrement, aux membres de sa propre constellation familiale) et à la « culture » prend une place prépondérante dans l’explication des réussites ou des échecs.

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) Présentation de l’histoire du centre sur son site.

(2) Au-delà d’une interrogation renouvelée sur le travail sociologique et sur l’épistémologie des sciences sociales en général, Bernard Lahire explore une sociologie de la culture et de la connaissance et une sociologie des pratiques culturelles à l’École normale supérieure de Lyon.

(3) Au sein de l’école doctorale « Pratiques et théories du sens » de l’Université Paris 8 de l’équipe « Éducation, Socialisation, Subjectivation, Institution » – ce qui en indique, à la fois, les objectifs et les modalités de recherche. Les axes de travail de l’équipe E.SCOL portent sur : 
• l’évolution socio-historique des contextes et des formes d’éducation et d’enseignement,
• la différenciation scolaire et différenciation sociale,
• la socialisation scolaire et non scolaire
• et la recomposition des modalités du travail éducatif entre les différentes institutions que sont la famille, l’école, les associations périscolaires...

(4) Pour une présentation aisée des travaux de Lahire par lui-même, voir « La réussite scolaire en milieux populaires ou les conditions sociales d’une schizophrénie heureuse », in Ville-École-Intégration n° 114, septembre 1998, pp. 104-109.

(5) C. Bouissou, « Pour une approche non dualiste des processus éducatifs et pour des rapports renouvelés entre psychologie et sociologie », colloque « Inégalités d’accès aux savoirs, processus cognitifs et rapports sociaux », atelier 3, juin 2005.

(6) C. Bouissou, art. cit.


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