Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

Des questions politiques récurrentes
Texte précédent   La question du statut de l’enfant   Texte suivant

 

 
Un texte de Daniel Calin
 

Le programme du cycle III(1) fait explicitement référence à la découverte de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989(2). La France étant signataire(3) de cette Convention, elle a force de loi en France. Le statut de l’enfant à l’école, seul aspect qui nous intéresse ici, doit par conséquent être conforme aux dispositions retenues par cette Convention. On peut penser que l’application de cette Convention à l’école, dans un pays comme le nôtre, ne pose a priori aucun problème. La réalité est cependant moins évidente. Souvent, dans les pays démocratiques tout du moins, le droit ne fait souvent qu’entériner l’ordre en place ou accompagner ses évolutions. Il n’en va pas de même pour cette Convention, qui était et reste avant-gardiste à bien des égards. Elle est du coup régulièrement contestée par divers biais.

Son application elle-même pose problème en France. Comme la France a signé cette Convention, les lois françaises elles-mêmes devraient s’y conformer. Cependant, la Cour de Cassation, à partir de plusieurs arrêts successifs en date de 1993 et 1994, a longtemps considéré que cette Convention engageait certes les États signataires, mais n’était cependant pas applicable directement en droit interne. Cela signifiait qu’il était impossible aux justiciables français de l’invoquer dans leurs actions en justice. La commission des experts ad hoc de l’ONU a longtemps critiqué en vain la France pour avoir vidé de son sens sa ratification par de telles décisions. Il a fallu attendre un arrêt du 18 mai 2005 pour que la jurisprudence de la Cour de Cassation s’inverse, quinze ans après la ratification ! Ces errements indiquent bien à quel point l’application dans notre pays de certains points de cette loi sont problématiques(4).

Certes, l’école française satisfait de longue date aux exigences de l’article 28 de la Convention, qui reconnaît « le droit de l’enfant à l’éducation » et rend « l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ». Mais les choses se compliquent très vite. Par exemple, le même article invite les États signataires à « veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant ». Les pratiques pédagogiques traditionnelles, en particulier l’usage de punitions physiques, étaient manifestement en contradiction avec cette exigence de respect de la dignité de l’enfant. En France, les châtiments corporels sont théoriquement hors la loi depuis ... 1887, mais cette interdiction ne semble guère avoir été entendue par la plupart des maîtres. Elle a même été sans cesse contredite par la jurisprudence elle-même(5). La Cour d’Appel de Caen affirmait encore dans un arrêt du 7 juillet 1982, de façon étonnamment détaillée : « Il est certain que les coups de pied au derrière, la bousculade, les oreilles ou les cheveux tirés, les calottes, les gifles et même les coups de règle lorsque de telles violences sont le fait des parents, ne sauraient être considérés comme excédant leur droit de correction dès lors qu’il n’en est résulté non seulement aucune conséquence médicale, mais même aucune trace apparente établissant une brutalité excessive ». Et comme la jurisprudence s’accorde à considérer les enseignants comme dépositaires durant le temps scolaire des droits et devoirs éducatifs des parents... Il faut attendre la circulaire n° 91-124 du 6 juin 1991(6) pour voir clairement proscrire « tout châtiment corporel » à l’école élémentaire, et les autorités académiques commencer à se préoccuper sérieusement de faire respecter cette règle plus, en général, sous la pression des familles que par conviction intrinsèque. La même circulaire précise qu’aucune sanction, de quelque nature que ce soit, ne peut être infligée à l’école maternelle. Si les châtiments corporels mineurs n’ont pas complètement disparu, ils sont désormais clairement sanctionnables, et effectivement sanctionnés dès qu’ils sont portés à la connaissance des autorités académiques.

Mais la dignité de l’enfant ne saurait se réduire au droit de ne pas être frappé. La dignité d’un enfant, peut-être plus encore que celle d’un adulte, peut être atteinte par bien d’autres voies. C’est l’humiliation verbale devant le groupe qui reste certainement la forme la plus courante de cette atteinte à la dignité des écoliers. Elle est parfois aux limités du sadisme déclaré, mais elle est le plus souvent « involontaire » de la part de l’enseignant, liée plus à la reprise inconsciente ou à tout le moins irréfléchie de modèles pédagogiques ancestraux qu’à une malfaisance active. Mais ce sont les pratiques ordinaires d’évaluation et de notation qui portent le plus insidieusement atteinte à la dignité des élèves, en particulier de ceux dont les difficultés font qu’ils sont constamment dévalorisés par ces évaluations. Au fond, l’école blesse la dignité des enfants dès qu’elle leur impose des tâches qu’ils ne sont pas en mesure de faire, sans leur apporter les aides nécessaires pour qu’ils puissent surmonter leurs difficultés, même lorsque ces échecs expérimentés ne font pas l’objet de commentaires désagréables. La seule expérience de l’échec suffit à blesser celui qui la vit. Il suffit d’interroger ses propres souvenirs scolaires, ou d’entendre les souvenirs de nombre d’adultes, pour réaliser à quel point les pratiques scolaires les plus ordinaires peuvent être blessantes, et le sont de fait au quotidien pour les plus mal lotis des élèves(7).

On peut faire le lien entre ces problématiques et l’article 29 de la Convention, qui stipule que « l’éducation des enfants doit viser à favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ». Il est bien question ici de personnalité, de dons et aptitudes personnels, de potentialités personnelles, et non d’un enfant abstrait et général. Il est clair que la définition des objectifs de la scolarisation en termes de programmes valables pour tous les enfants, ou de « socle commun »(8), est en contradiction avec cette exigence, ou à tout le moins en cohabitation problématique. Pour s’en rapprocher, il faut aller vers des pratiques pédagogiques réellement différenciées, y compris dans leurs objectifs, ce que nos dogmes scolaires interdisent, alors même que les réalités des acquisitions effectives des élèves ne cessent de les démentir. Il faut s’éloigner considérablement de nos modèles pédagogiques dominants pour commencer à se rapprocher de la règle posée ici par la Convention : pédagogie montessorienne, en particulier, et dans une moindre mesure pédagogie Freinet ou pédagogie institutionnelle.

D’autres aspects de la Convention sont encore plus nettement éloignés de nos réalités scolaires ordinaires que les articles que nous venons d’évoquer. L’article 13 de la Convention accorde aux enfants(9) la liberté d’expression : « L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant. » L’article 15 de la Convention accorde lui aux enfants la liberté d’association : « Les États parties reconnaissent les droits de l’enfant à la liberté d’association et à la liberté de réunion pacifique. » Ces deux articles comportent des alinéas qui imposent à ces libertés leurs restrictions ordinaires : réputation d’autrui, sécurité nationale, ordre public, santé ou moralité publiques. Mais ils n’admettent aucune restriction à ces libertés en termes d’âge. Ces libertés ne sont pas non plus conditionnées à des autorisations parentales. Or, si le Code de l’éducation reconnaît bien les libertés d’information et d’expression aux collégiens et lycéens(10), il est muet sur la question de leur liberté d’association. En tout état de cause, il ne prévoit rien pour les écoliers en ces domaines.

Quant à l’article 14 de la Convention, il accorde aux enfants la liberté de pensée : « Les États parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion. » L’alinéa suivant du même article reconnaît cependant « le droit et le devoir des parents (...) de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné », mais seulement « d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités ». Quant à la « liberté de manifester sa religion ou ses convictions », elle est, comme les libertés précédentes, soumises uniquement aux restrictions ordinaires en ce domaine : sûreté publique, ordre public, santé et moralité publiques, libertés et droits fondamentaux d’autrui. Cet article est clairement en contradiction avec la loi du 15 mars 2004 qui interdit spécifiquement aux élèves des établissements scolaires publics le port de signes religieux distinctifs, non pas d’ailleurs que cette interdiction soit en elle-même contraire à la liberté de conscience, mais uniquement parce qu’elle impose une restriction de cette liberté spécifique aux mineurs, ce que rien n’autorise dans cette convention.

On entre ici dans des débats difficiles, voire dans une mise en cause de la validité de la lettre, ou de l’esprit même de cette convention. Liberté de pensée, liberté d’expression, liberté d’association : la Convention Internationale sur les Droits de l’Enfant étend aux enfants les constituants fondamentaux de ce qu’il est convenu d’appeler les droits de l’homme. Ou plus exactement ce qu’on nomme en France depuis 1789 les droits de l’homme et du citoyen. Cela met largement entre parenthèse la distinction entre majeurs et mineurs. Aucun article de cette Convention ne fait appel à cette distinction, ni explicitement, ni même implicitement. On pourrait dire qu’elle fait accéder les enfants à l’essentiel de la citoyenneté, à l’exclusion notoire du droit de vote. Cela pose à l’évidence problème. Appliqués aux bébés ou aux très jeunes enfants, les articles 13 à 15 semblent surréalistes. Quel sens peut bien avoir la liberté d’association donnée sans nuances par l’article 15 à de tels âges ? Que peuvent bien signifier les notions de liberté de pensée ou de liberté d’expression pour les enfants des crèches et des écoles maternelles ? Avant d’avoir la liberté de penser ou de s’exprimer, il faut bien en acquérir d’abord les moyens, à commencer par les capacités linguistiques. Au fond, cette Convention, dans ces articles, porte jusqu’à l’absurde la notion de droits naturels de l’homme. Ces droits sont tout sauf naturels. Ils ont été historiquement construits, tardivement construits. Ils restent fragilement et très inégalement construits dans le monde contemporain. Et chaque nouvel être humain doit reconstruire les moyens personnels de les exercer, tant en termes d’autonomisation affective qu’en termes de développement cognitif. Ces mêmes droits ne peuvent guère être raisonnablement conçus que comme devant se construire au cours du développement individuel, comme ils ont dû être construits au cours de l’histoire collective. C’est pourquoi les considérer comme donnés d’emblée, comme le fait très systématiquement cette Convention, ne peut que déboucher au bout du compte sur des absurdités.

On bute là, au fond, sur le paradoxe fondamental de l’éducation : la liberté de l’adulte passe d’abord par la soumission de l’enfant à une autorité éducative(11). Même le principe du respect de la dignité de l’enfant est susceptible d’être revu sous cet angle. Quelle dignité à respecter chez un enfant qui fait un caprice ? La dignité de l’enfant ne doit-elle pas elle-même faire l’objet d’une construction éducative ? Peut-on sérieusement penser les problèmes éducatifs sans en passer par une reconnaissance de ce que les psychanalystes nomment la violence fondamentale(12) ?

Daniel Calin
Septembre 2006


*   *   *
*

Propositions bibliographiques


*   *   *
*

Notes

(1) Texte intégral ICI.

(2) Texte intégral ICI.

(3) Au 7 août 1990.

(4) Explorer ce dossier sur le site du juge Jean-Pierre Rosencveig.

(5) On retrouve là une constante dans l’histoire du droit : quand une loi est par trop en décalage par rapport à l’esprit du temps, non seulement elle n’est pas respectée, mais elle n’est pas même « appliquée », puisque les institutions chargées normalement de son application ne remplissent en rien leur mission. Durant plus un siècle, ni la Justice, ni l’administration de l’Éducation nationale ne se sont préoccupées de l’application de la loi de 1887, bien au contraire !

(6) Texte intégral ICI.

(7) Voir mon article Les réactions psychologiques à l’échec scolaire.

(8) Article L 122-1-1 du Code de l’éducation, introduit par la loi Fillon.

(9) Le terme enfant est défini ainsi par l’article premier de la Convention : « (...) un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans (...) ».

(10) Article L 511-2.

(11) Voir le point 5.1.3.

(12) Jean Bergeret, La violence fondamentale, Dunod, 1985.


*   *   *
*

Informations sur cette page Retour en haut de la page
Valid XHTML 1.1 Valid CSS
Dernière révision : mercredi 01 janvier 2014 – 00:00:00
Daniel Calin © 2013 – Tous droits réservés