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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

Si le terme de « pédagogie » est relativement « récent » (1495 tout de même), celui de « pédagogue » renvoie à l’Antiquité grecque. Dans la démocratie athénienne, le pédagogue était un esclave, lié à un clan (une famille), qui avait pour charge de conduire les enfants du maître à l’école (selon l’étymologie, païs = enfant et agôgué = conduire) afin de lui éviter mauvaises rencontres et tentations de faire l’école buissonnière. Cette charge en recouvrait d’autres, éducatives (comparables à celles d’un surveillant d’internat : levers, repas, études, couchers, hygiène), « pédagogiques » (celles d’un répétiteur) et morales (celle d’un directeur de conscience, d’un confesseur ou d’un confident).

Cette origine ignoble, à laquelle sont associées des missions de la plus haute importance pour une société qui veut se survivre à elle-même, explique l’ambivalence que le terme recouvre encore aujourd’hui et son utilisation parfois péjorative, y compris chez des professionnels tenants d’un savoir pur et dur...

Si l’histoire est riche d’individus ayant eu à cœur de mieux comprendre l’enfant et l’enfant en train d’apprendre (Comenius ou Jean-Baptiste de La Salle, par exemple), ce n’est que sous la IIIème République qu’apparaissent les premiers centres de formation des maîtres, les Écoles normales supérieures et les Écoles normales primaires, ces dernières remplacées en 1991 par les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM).

Parallèlement à cette histoire, la pédagogie a eu à souffrir de la comparaison avec les « sciences humaines », auxquelles elle a abondamment recours, sans pour autant s’en voir attribuer le statut, subrepticement subtilisé par les Sciences de l’éducation(1) dont le pluriel marque assez que l’unicité de son champ n’est pas aussi simplement balisée que le laisserait supposer son étiquetage. L’histoire de l’institution scolaire, des idées pédagogiques ou des disciplines renvoient à l’Histoire ; les théories de l’apprentissage, la mise à jour des représentations ou des interactions aux diverses Psychologies ; l’analyse des savoirs autant à la Didactique qu’à l’Épistémologie ; etc.

Toutes références nécessaires – indispensables à tout enseignant désireux de nourrir sa pratique et de poser sur elle un regard critique – mais non suffisantes pour expliquer ce qui se passe au plus près de la relation qui se joue entre les trois pôles que sont l’apprenant, le savoir et l’enseignant. Ce que Philippe Perrenoud synthétise en une formule lapidaire : « Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude »(2).

Cette définition montre que la pédagogie :

Ce dernier point permet l’entrée en scène d’un troisième larron, quelque part entre pédagogie et sciences de l’éducation, ou à côté, indispensable cependant : la didactique, qui interroge les savoirs, la manière dont ils sont spécifiquement transmis par l’enseignant et acquis par l’apprenant, tant il est vrai que l’apprentissage se fait en contexte et porte sur des objets de savoirs propres à chaque discipline. Comme le souligne Michel Develay : « Tout montre que pour envisager une situation d’apprentissage/enseignement, didactique et pédagogie sont intimement confondues... Didactique et pédagogie sont tricotées ensemble au niveau de l’action, alors qu’il est possible de les détricoter au niveau de l’analyse. On pourrait dire encore que la didactique pense la logique de la classe à partir de la logique du savoir et que la pédagogie pense la logique du savoir à partir de la logique de la classe »(3).

Cette dialectique – Philippe Meirieu parle de tension(4) – s’articule selon cinq impératifs :

1. « Le maître doit parfaitement maîtriser les savoirs qu’il est chargé d’enseigner » ;

2. « Le maître ne peut se passer de la réflexion pédagogique » ;

3. « La pédagogie ne peut ignorer les contraintes spécifiques à chaque situation d’enseignement » ;

4. « La programmation didactique se heurte inévitablement à la négativité qui impose de penser les problèmes en termes pédagogiques » ;

5. « La réflexion pédagogique et la réflexion sur les contenus d’enseignement se fécondent mutuellement ».


Manière élégante, circonstanciée et apaisée de sortir de l’opposition infructueuse entre les partisans des savoirs et les tenants de la pédagogie, régulièrement réactivée par les premiers aux dépens des seconds...

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) Les Sciences de l’éducation – de création récente (de trois universités pionnières en 1967, Bordeaux, Caen et La Sorbonne, à 29 départements universitaires en 2001) – restent encore aujourd’hui l’enjeu d’un combat entre les tenants de leur spécificité et les zélotes des disciplines « mères » qui leur refusent celle-ci.

(2) P. Perrenoud, Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Savoirs et compé­tences dans un métier complexe, ESF, 1996.

(3) M. Develay, « Didactique des disciplines, pédagogie, didactique générale » in Bulletin de l’AECSE n° 13, 1992, p. 23.

(4) P. Meirieu, Faire l’École, faire la classe, ESF, 2004. Voir, dans la 2ème partie : Le maître : tensions pour un métier, la tension n° 11 « Spécialiste des savoirs à enseigner et expert en pédagogie, l’enseignant enrichit en permanence son potentiel d’action par l’interaction entre ces deux domaines », pp. 133-141.


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