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Au plus près des besoins de l’enfant – Accompagner l’élève
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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

C’est « l’ensemble des aides ou des supports qu’une personne peut offrir à une autre personne en vue de lui rendre plus accessible un savoir quelconque (connaissances, habiletés, procédures d’action, solutions, etc.)(1).

À la lecture de cette définition, on imagine bien l’essor qu’a pu connaître cette notion dans le champ qui est le nôtre. Et notre texte de départ de poursuivre : « L’instituteur, le maître, mais aussi les copains, la maman, le grand frère, le père, l’ami, dans leur relation d’aide, d’assistance et de guidance à l’enfant ou à l’adulte, sont, à ce titre, des médiateurs. L’enseignant est un médiateur ».

L’étymologie, avant que le XVème siècle ne donne à ce terme une connotation religieuse, peut nous permettre d’avancer encore : la médiation était une opération mathématique, puis juridique, qui conduisait « à diviser par deux »(2) - ce qui indique assez que chacun, du tuteur et du « tutoré », fait la moitié du chemin.


Trois noms « viennent à l’esprit » lorsque l’on aborde cette notion capitale.

 

Lev Semionovitch Vygotski(3)

Ce philosophe russe (enfin, à l’époque, soviétique), né la même année que Piaget (1896), n’a été découvert en Occident que trente ans après sa mort et son ouvrage le plus célèbre, Pensée et Langage, n’a été traduit en anglais qu’en 1962 et en français en 1985 ! Sa théorie de l’interactionnisme social pose que « l’enfant est d’abord un être social. Le développement de sa pensée, de son langage, de toutes les fonctions psychiques supérieures, est le fruit d’une interaction permanente avec le monde des adultes (...) Par intériorisation progressive, en alternant des phases de maturation physiologique avec des phases d’apprentissage, un système « intrapsychique » autonome et individuel s’élabore à partir d’un système « interpsychique » collectif »(4).

Dans cette théorie, on comprend l’importance de la médiation. Voici l’analogie que propose Vygotski pour éclairer la manière dont il entend celle-ci :

« La structure des systèmes cognitifs complexes correspond parfaitement à leur genèse sociale. Il s’agit en effet, selon Vygotski, d’activité médiatisées par des systèmes de signes sociaux et notamment le langage. L’idée fondamentale peut être explicitée par analogie avec l’utilisation d’outils dans le travail. L’action de l’homme sur la nature, le travail, n’est jamais immédiate, mais médiatisée par des objets spécifiques, socialement élaborés, fruits des expériences des générations précédentes et par lesquels, entre autres, se transmettent et s’élargissent les expériences possibles. Les outils se trouvent entre la nature et l’homme qui agit ; ils déterminent son comportement, le guident, affinent et différencient sa perception de la nature. Les activités médiatisées par les outils sont donc formées socialement. Elles ont une origine sociale. L’activité ne se déroule pas entre deux pôles, homme et nature, mais entre trois : homme – outils – nature. (...) La même structure se retrouve – telle est l’idée fondamentale de Vygotski – au niveau du fonctionnement psychique de l’homme. Ce ne sont évidemment pas des outils servant à agir sur la nature extérieure qui assurent le rôle de médiateur, mais des signes, stimuli artificiels créés par l’homme pour contrôler l’activité - son activité ou celle des autres. Diverses formes de signes peuvent assumer une telle fonction : signes mnémotechniques ou œuvres d’art ; schémas, diagrammes ou dessins. Le langage est sans doute le moyen de contrôle le plus puissant de l’activité »(5).


Une notion capitale chez Vygotski illustre ce fonctionnement, celle de zone proximale de développement (la ZPD). Elle se fonde sur deux éléments indissociables :

L’écart entre ces deux niveaux caractérise la zone proximale de développement, champ étroit à l’intérieur duquel interagissent les processus d’apprentissage et les activités d’enseignement.

 

Jerome Bruner

C’est à Bruner que revient le mérite d’avoir découvert Vygotski ou, pour le moins, de l’avoir fait connaître, en préfaçant la version américaine de Pensée et Langage. En privilégiant la démarche inductive et en préconisant une pédagogie de la découverte, il s’inscrit en droite ligne des travaux de Vygotski qu’il a approfondis.

Dans un article publié en 1976 et repris dans Savoir faire, savoir dire en 1983, « Le rôle de l’interaction de tutelle dans la résolution de problème », Bruner étudie « la nature du processus de tutelle, les moyens grâce auxquels un adulte ou un « spécialiste » vient en aide à quelqu’un qui est moins adulte ou spécialiste que lui ». Il montre que l’intervention du tuteur « comprend une sorte de processus d’étayage qui rend l’enfant ou le novice capable de résoudre un problème, de mener à bien une tâche ou d’atteindre un but qui auraient été, sans cette assistance, au-delà de ses possibilités [c’est la définition même de la zone proximale de développement, ou ZPD, de Vygotski]. Ce soutien consiste essentiellement à « prendre en mains » ceux des éléments de la tâche qui excèdent initialement les capacités du débutant, lui permettant ainsi de concentrer ses efforts sur les seuls éléments qui demeurent dans son domaine de compétence et les mener à terme ».

La tâche choisie pour l’expérimentation est « drôle, à multiples facettes et donc excitante, aisément à la portée des savoir-faire de l’enfant et créatrice d’un accroissement continu de connaissance [c’est moi qui souligne] ».

Le but du tuteur est « de permettre à chaque enfant de faire aussi bien qu’il lui (est) possible (...) Son dessein (est) de laisser autant que possible l’enfant régler tout seul son rythme de travail ».

La relation de tutelle vise à « enrôler l’enfant » par « une combinaison de rappel faits à l’enfant sur les exigences de la tâche [Bruner appelle cette manière de faire la « réduction des degrés de liberté »] et de rectifications des tentatives qu’il fait pour essayer de la mener à bien [par la « signalisation des caractéristiques déterminantes »] ».


Le modèle du médiateur ainsi constitué comporte alors 6 temps, qui éclairent très précisément ce que peut être une séquence de classe :

  1. Le tuteur enrôle l’enfant dans la tâche : il éveille sa curiosité, le motive, etc.
  2. Il en réduit les difficultés : il simplifie la tâche pour la circonscrire dans des limites surmontables par l’enfant.
  3. Le médiateur maintient l’orientation vers le but de la tâche, pour éviter à l’enfant de se disperser, de dériver vers autre chose.
  4. Il signale qu’elles sont les caractéristiques déterminantes de ce qui est attendu.
  5. Il contrôle les frustrations de l’enfant, en valorisant son travail, en l’aidant à faire le point sur ce qui a déjà été accompli et sur ce qui reste à faire, etc.
  6. Le « spécialiste » récapitule les essais de l’enfant sous forme d’un « modèle » imitable de ce qu’il sait faire.

 

Reuven Feuerstein

Sur ces bases, se développe en Occident un « marché » des méthodes d’éducabilité cognitive dont le « Programme d’Enrichissement Instrumental » (PEI) de Feuerstein est le plus connu. Ce dernier, élève de Piaget, « suggère que l’individu apprend d’avantage (et mieux) si un adulte médiateur lui permet de trouver des modes de traitement de l’information plus efficaces »(6).

Il s’agit d’un programme parce que l’enchaînement des tâches est gradué et réparti en paliers successifs, d’enrichissement parce qu’il s’agit de proposer des stratégies d’apprentissage et de pensée diversifiées, instrumental parce les outils proposés dans une série de 14 cahiers d’exercices sont présentés comme des prérequis nécessaires au développement des capacités cognitives du sujet.

De nombreuses polémiques concernant les méthodes d’éducabilité cognitive, le PEI en particulier, ont éclaté, leur aspect mercantile et leur efficacité aléatoire n’étant pas les moindres. Leurs réussites sont-elle le gage de leur fiabilité ou le signe de l’engagement du formateur ? Les compétences transversales qu’elles visent à entraîner favorisent-elles un véritable transfert ?

Leur intérêt le plus marquant vient essentiellement de l’attention qu’elles font porter à la qualité de la définition de la tâche, à la formulation des consignes, à la simplicité des modalités d’évaluation.

Voici les éléments soulignés par Feuerstein qui méritent d’être retenus(7) concernant la médiation :

1. Intentionnalité et réciprocité : le but de la tâche est définie et le médiateur s’assure qu’elle est bien comprise.

2. Transcendance : le problème qu’il s’agit de résoudre est situé dans un contexte, par rapport à un but.

3. Signification : le sens des contenus est précisé et/ou spécifié.

4. Sentiment de compétence : le sujet prend conscience de ce qu’il sait faire et de ce qui lui manque pour parvenir à faire.

5. Régulation du comportement : c’est le fameux « une minute, je réfléchis ! » où l’apprenant diffère l’entrée dans la tâche.

6. Coopération : le point de vue de l’autre est pris en compte, par collaboration et/ou interactions verbales.

7. Différenciation psychologique : il s’agit de la prise de conscience par le sujet de sa spécificité.

8. Recherche des buts, planification et réalisation des objectifs.

9. Changement : c’est le retour réflexif qui permet la prise de conscience des progrès effectués.


Au-delà de ce qui pourrait apparaître comme des recettes ou des exemples à suivre, les trois grands mérites des pédagogies de la médiation (et il n’est pas question des médiations dans le champ des rééducations ou dans le champ de la prise en charge psychologique) sont :

Tous éléments qui n’ont pas fini de montrer leur valeur heuristique à l’école...

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) In F. Raynal et A. Rieunier, Pédagogie : dictionnaire des concepts clés, ESF, 1997, article « Médiation », p. 220.

(2) Voir le Trésor informatisé de la Langue française, CNRS, 2005, article « Médiation ».

(3) Le travail de Vygotski dépasse le cadre du seul concept de médiation. Une présentation récente, et facile d’accès, des diverses facettes de son œuvre se trouve dans l’article d’Yves Clot, « Lev S. Vygotski : le social dans la psychologie », in Sciences humaines n°170, avril 2006, pp. 54-57.

(4) F. Raynal et A. Rieunier, op. cit., article « Vygotski », p. 378.

(5) In B. Schneuwly et J.-P. BronckartVygotski aujourd’hui, Delachaux et Niestlé, 1985, pp. 172-173.

(6) F. Raynal et A. Rieunier, op. cit., article « Médiation », p. 221.

(7) R. Feuerstein, Y. Rand, M. Hoffman et R. Miller, Instrumental enrichment : an intervention program for cognitive modifiability, University Park Press, 1980.


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