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Au plus près des besoins de l’enfant – La difficulté scolaire

Comment l’intégration des élèves en situation de handicap
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Un texte de Pascal Ourghanlian
 

L’histoire de la grande difficulté scolaire et du handicap à l’école est complexe et mêlée. Elle ne fera pas l’objet des développements qui suivent.

Quelques remarques préliminaires, cependant, ne serait-ce que pour tenter d’élucider pourquoi les termes de « grande difficulté scolaire » et de « handicap » sont ainsi rapprochés.

L’objectif républicain de l’école pour tous pose la question de la scolarisation de ceux qui n’allaient pas à l’école : les « estropiés » et les « débiles ». Longtemps ces derniers étaient demeurés à la ferme (leurs bras pouvaient toujours servir) alors que les premiers étaient considérés comme des « poids morts » dans l’économie du monde rural. A contrario, ceux que l’on n’appelait pas encore les « handicapés » fournissaient des sujets d’étude intéressants pour des philosophes ou des clercs cherchant des réponses à la question existentielle (« qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal ? »), alors que les « arriérés d’école » étaient relégués vers l’infra-humain.

En 1909, des écoles et classes de perfectionnement pour enfants arriérés sont créées par la loi(1) (sur proposition des communes...), dont le développement sera très lent jusqu’à la 2ème Guerre mondiale. C’est le début « officiel » de l’enseignement spécial, sur un mode proche de la ségrégation.

De 1945 à 1970, se développe une politique de spécialisation et de prise en compte de l’inadaptation(2) qui conduit à une explosion des repères, des catégories et du nombre des enfants concernés et fonde, au sein de l’Éducation nationale, le secteur de l’Adaptation et Intégration Scolaires (AIS).

La loi de 1975(3) sur les personnes handicapées initie une troisième période, celle de l’intégration, qui promeut l’accueil dans l’école ordinaire des enfants handicapés. La concomitance de cette loi et de celle « relative à l’éducation » de René Haby(4) va faire apparaître et se développer la notion d’échec scolaire.

La loi du 11 février 2005(5) – renvoyant à une Maison Départementale des Personnes Handicapés (MDPH) la mise en œuvre d’un projet personnalisé de scolarisation – ouvre une nouvelle période qui sépare de fait le traitement du handicap à l’école de celui de la grande difficulté scolaire, nouveau cadre en cours de construction dont il n’est pas encore possible d’anticiper les conséquences.

 

La grande difficulté scolaire a longtemps relevé d’un traitement « à part » : l’élève « en difficulté » était « sorti » de sa classe ou du cursus ordinaires pour suivre une scolarité parallèle, de structure en filière, qui avait à la fois l’avantage de lui permettre d’avancer à son rythme et l’inconvénient de l’enfermer dans le rôle de l’« autre », du « différent », de l’« a-normal »(6). Je fais partie de ces enseignants qui regrettent le temps où des structures, pour un temps fermées, permettaient à des enfants en souffrance d’école un détour par des lieux dans lesquels ils pouvaient être aidés à se reconstruire. Les classes d’intégration scolaire (CLIS), ayant pour vocation de scolariser les élèves handicapés, ne sont pas du même ordre. Elles n’accueillent pas les enfants qui sont installés dans la « peur d’apprendre »(7), mais ceux pour lesquels un handicap moteur, sensoriel ou cognitif est avéré, ceux en « mal d’apprendre »(8). La grande difficulté scolaire, le retard scolaire, n’y sont pas accueillis(9) (ou ne devraient pas l’être, à la lecture des textes officiels). Et les moyens existant auparavant (enseignant spécialisé, petits effectifs) sont pour l’essentiel reportés sur la prise en compte du handicap, de manière louable « grande cause nationale », mais dans une dissolution qui ne peut bénéficier ni aux uns ni aux autres...

La Circulaire 113 de 2002(10) organise la difficulté scolaire selon une gradation dont la logique générale consiste à faire de l’école ses ressources propres :

 

La scolarisation en classe ordinaire d’un enfant handicapé, par l’attention qu’elle nécessite, risque de ne pas permettre à l’enseignant de la classe d’être à lui-même ses propres ressources s’agissant de la grande difficulté. Il aura alors tendance à recourir aux aides extérieures à la classe, se sentant dépassé par la multiplicité des différenciations à mettre en place. A contrario, l’enfant handicapé, qui pourrait aussi avoir besoin des aides spécifiques du RASED, n’en bénéficiera pas, les prises en charge extérieures le concernant étant déjà multiples. Je rejoins ici l’analyse proposée par Pierre Bonjour et Michèle Lapeyre(13). Leur implication de longue date auprès des enfants handicapés ne pouvant laisser présupposer un quelconque parti pris, je ne peux faire autrement que de les citer un peu longuement.

« Ce clivage étonnant s’avère particulièrement pénalisant pour les élèves en grave échec scolaire. Tel enfant identifié handicapé par la CDES(14) va bénéficier de toute une série de mesures d’accompagnement quand son voisin de bureau en classe, avec quelques points supplémentaires de QI, mais en souffrance au moins aussi importante face aux exigences scolaires, se voit refuser l’aide d’un SESSAD(15) (...) La formule générale « enfant en difficulté » recouvre des réalités parfois très différentes. Si son flou a l’intérêt de gommer tout stigmate(16), il a le tort de ne pas suggérer de formule compensatoire suffisante. Trop d’enfants en difficulté restent les laissés-pour-compte d’une société plus soucieuse de classification que de pragmatisme. Les RASED qui ont à charge théorique ces 20 % de la population scolaire en difficultés d’apprendre, voient leur secteur s’enfler, leurs postes diminuer, leurs actions dénigrées. Pris entre l’enclume de la rentabilité scolaire et le marteau des souffrances familiales, leur efficacité est interrogée en termes statistiques »(17).

 

Un équilibre devra nécessairement être trouvé. Il ne pourra l’être que dans une professionnalité(18) accrue des enseignants, assise sur une formation initiale et continue de qualité(19).

Pascal Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) « Loi relative à la création de Classes de Perfectionnement annexées aux écoles élémentaires publiques et d’Écoles autonomes de Perfectionnement pour les Enfants arriérés » du 15 avril 1909.

(2) Circulaire n° IV-70-83 du 9 février 1970 : « Prévention des inadaptations. Groupes d’aide psycho-pédagogique. Sections et classes d’adaptation ».

(3) Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 « d’orientation en faveur des personnes handicapées ».

(4) Loi n° 75-620 du 11 juillet 1975 « relative à l’éducation ».

(5) Loi 2005-1002 du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».

(6) La loi de 1909, dans l’esprit de ses concepteurs, Bourneville et les médecins pédagogues par exemple, posait à la fois l’incurabilité des arriérés et leur éducabilité. Leur volonté était de ne pas distinguer « anormaux d’asile » et « anormaux d’école » – ce qui sera le cas, cependant.

(7) Je donne à cette expression, reprise du travail indispensable de Serge Boimare, L’enfant et la peur d’apprendre, Dunod, 1999, une acception plus large que l’auteur mais dans le même esprit.

(8) Selon le titre du dossier coordonné par Marie-Luce Verdier-Gibello qui leur est consacré dans le n° 28 de l’excellente revue Enfances et Psy, Erès, septembre 2004.

(9) Pour être complet, on peut cependant citer les « classes d’adaptation » qui sont une des modalités de regroupement temporaire des élèves en difficulté par l’enseignant spécialisé chargé des aides à dominante pédagogique (dit « maître E »).

(10) Circulaire n° 2002-113 du 30 avril 2002, sur « les dispositifs de l’adaptation et de l’intégration scolaires dans le premier degré ».

(11) « Objectif-obstacle : objectif dont l’acquisition permet au sujet de franchir un palier décisif de progression en modifiant son système de représentation et en le faisant accéder à un niveau supérieur de formulation ». P. Meirieu, Apprendre... oui, mais comment ?, ESF, 1987.

(12) Je ne résiste pas à la malice de citer cette équipe d’enseignants spécialisés qui, construisant la charte de leur RASED, l’intitulent : « Charte pour l’aide aux élèves [qui sont et qui nous mettent] en difficulté ». P. Birbandt, IEN Briey 1, juillet 2001.

(13) P. Bonjour et M. Lapeyre, Handicap et vie scolaire : l’intégration différenciée, Chronique sociale, 1994.

(14) Les CDES, commissions départementales de l’éducation spéciale, avaient pour compétence de poser le handicap chez les personnes de moins de 20 ans et de mettre en œuvre les aides nécessaires pour les accompagner. Depuis la loi du 11 février 2005, cette mission revient à la CDA, commission des droits et de l’autonomie, qui élabore un plan de compensation du handicap.

(15) SESSAD : service d’éducation spécialisée et de soins à domicile.

(16) Dans le cadre qui nous occupe ici, la notion de « stigmate » a été conceptualisée par Erving Goffman, sociologue américain d’origine américaine, qui, privilégiant l’observation participante, introduit la notion d’« institutions totales » dans lesquelles, plus que les individus, il observe les interactions. Dans Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, 1963, il précise qu’« un individu est dit stigmatisé lorsqu’il présente un attribut qui le disqualifie lors de ses interactions avec autrui (...) Cet attribut constitue un écart par rapport aux attentes normatives des autres à propos de son identité » (trad. franç., Éditions de Minuit, 1975, pp. 13 et 15).

(17) P. Bonjour et M. Lapeyre, Le projet individualisé, clé de voûte de l’école inclusive ?, Érès, 2004, pp. 73-74.

(18) Voir l’avis d’un IEN, qui a le sentiment que cette identité professionnelle des enseignants est mise à mal : « Mettre au rang des priorités nationales l’aide aux élèves en difficulté, l’intégration des handicapés n’est guère contesté. Pourtant, les enseignants ont le sentiment que c’est sur eux seuls que repose la mise en œuvre de cette politique, que l’on ne prend pas en compte les réalités rugueuses de leur travail : les élèves qui « pètent les plombs », l’enfant autiste qui erre dans la classe et qui à lui seul nécessiterait une présence permanente à ses côtés, (...) L’identité professionnelle des enseignants est malmenée. Le socle de leur métier est déstabilisé par l’exigence d’exercer des rôles et des fonctions pour lesquels ils se sentent démunis : rôle d’infirmier pour accueillir des enfants malades ou handicapés, rôle d’éducateur spécialisé... De plus, ils sont confrontés à de multiples intervenants extérieurs, à la fois concurrents et collaborateurs appréciés (...) ». In R. Bobichon, « Du ressenti à l’histoire : pour comprendre le malaise de l’IEN », octobre 2005.

(19) Depuis 1991 pour la formation initiale, depuis 1998 pour la formation continue, elle est assurée par les IUFM. L’expérience, et les plans de formation, montrent que les domaines de l’adaptation et de l’intégration scolaires n’y sont pas les mieux lotis, le sujet épistémique étant toujours la référence, et non les sujets réels... Sans compter que les modifications récentes de la formation initiale des enseignants spécialisés (transformation du CAPSAIS en CAPA-SH) ont conduit à diviser par deux leur temps de formation...


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