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Au plus près des besoins de l’enfant – La difficulté scolaire
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Un texte de Claudine Ourghanlian
 

Parler des TSL,

La catégorie nosographique des TSL correspond à une certaine façon de comprendre, ici et maintenant, certaines difficultés rencontrées par des enfants qui ont à devenir des élèves. On voyait les choses autrement autrefois, on les envisage différemment ailleurs, on les pensera sans doute d’une autre façon demain, mais cette catégorie nous propose un cadre pour observer et pour penser certains phénomènes, cadre qui doit autoriser l’action.

 

Les classifications

Les définitions données se font souvent par exclusion : un enfant dyslexique n’est pas mentalement attardé, il n’a pas de trouble sensoriel, il ne grandit pas dans l’insécurité affective ou le manque de stimulations intellectuelles ou d’apports culturels. Il a reçu un enseignement approprié. Or les définitions des diverses classifications n’excluent pas tout cela, elles posent seulement que le trouble du langage n’est pas imputable à ces altérations. La dyslexie et la dysphasie ne sont pas réservées aux intelligents. On peut être dyslexique ou dysphasique et n’avoir pas toujours bénéficié de bonnes conditions de scolarité. On peut l’être aussi alors que le français n’est pas parlé à la maison.

Quelles sont les classifications auxquelles on se réfère aujourd’hui ? Il existe trois classifications médicales de référence :

La notion de troubles spécifiques du langage, englobant à la fois les troubles du langage oral et ceux du langage écrit, n’est pas directement issue de l’une de ces classifications, provient-elle de l’intitulé du rapport Ringard ou du nom de la fédération française des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, créée en 1998 ?

Ce rapport Ringard a été rendu public en 2000 par Jack Lang. Il est le fruit d’une mission associant l’Éducation nationale, le Secrétariat d’État à la Santé et aux Handicapés, les représentants des enseignants, des personnels de santé ainsi que les associations de parents. Il préconise un plan d’action pour les enfants présentant un trouble spécifique du langage, plan qui sera soumis aux ministres concernés en 2001. L’année suivante, sortira la circulaire de l’Éducation nationale sur les troubles spécifiques du langage. C’est la reconnaissance officielle des TSL dans le monde scolaire.

 

Grandes lignes du rapport et du plan

Un constat

Environ 5 % des enfants scolarisés peuvent se retrouver en situation d’échec scolaire en raison d’un trouble développemental (c’est-à-dire non acquis, indépendant de l’environnement familial et scolaire) du langage oral ou écrit alors qu’ils ne présentent aucune déficience ni sensorielle, ni motrice, ni mentale et pas de trouble envahissant de la personnalité.

On fait l’hypothèse d’un dysfonctionnement neuro-psychologique qui entraîne chez ces enfants d’intelligence normale des difficultés cognitives sur lesquelles risquent de venir se greffer des problèmes psychologiques secondaires (agressivité, inhibition, état dépressif réactionnel...), faute d’une prise en charge appropriée.

Ces enfants sont à la fois trop « handicapés » pour suivre un cursus scolaire dit « normal » et pas toujours assez pour être reconnus comme tels. On retrouve certains dans des structures relevant de la déficience intellectuelle ou des troubles du comportement, tandis que d’autres n’ont aucune prise en charge. C’est donc le problème du dépistage qui a d’abord été posé par des diagnostics erronés ou une absence de diagnostic. Ce dépistage devra déboucher sur une prise en charge appropriée mobilisant, de façon précoce et durable, les compétences d’une équipe pluridisciplinaire.

Le plan d’action comprend cinq points principaux : prévention, diagnostic, prise en charge, information et formation, qui peuvent être regroupés en deux volets.

 

Le plan d’action : volet dépistage et prévention

Le premier volet envisage le dépistage, notamment dans le cadre de l’école. Il est à rappeler qu’il n’appartient pas à l’enseignant de poser le diagnostic, d’autant plus que l’identification des TSL est complexe. C’est pourquoi un dépistage systématique des troubles du langage est mis en place en GS avec des volets remplis par l’enseignant, le RASED, le médecin scolaire. À l’issue des investigations réalisées en milieu scolaire, les parents sont invités, si nécessaire, à consulter des professionnels de santé. Dans les cas complexes, le bilan devra être fait dans un centre référent hospitalier. Le plan prévoit la création de ces centres dans les CHU. Ils seront à la fois centres de diagnostic et centres de formation pour les différents intervenants.

Complémentairement au dépistage, d’autres actions préventives sont envisagées. Il est ainsi prévu :

 

Le plan d’action : volet continuité du parcours scolaire et partenariat

Le second volet pose qu’il faut privilégier une scolarité au plus près du milieu ordinaire avec élaboration d’un projet individualisé en partenariat avec les personnels spécialisés intervenant dans le domaine des soins et des rééducations.

Les enseignants sont invités à diversifier leurs stratégies pédagogiques et à adapter leurs modalités d’évaluation afin que ne s’installe pas un vécu global d’échec.

Seuls 1 % des élèves présentant un trouble sévère peuvent relever d’un dispositif d’intégration collectif (CLIS, UPI, classe d’un établissement spécialisé) sur décision d’une commission, la CDES jusqu’ici. Le rapport Ringard envisageait pour les enfants requérant une adaptation plus fine de l’enseignement et une prise en charge spécialisée plus contraignante, la création de classes ou d’unités pédagogiques spécialisées « troubles du langage ». Cette proposition n’a pas été reprise par le Plan d’Action. Il n’a pas été décidé, au plan national la création d’un CAPA SH TSL, les classes ou UPI spécifiques crées selon des initiatives départementales n’ont donc pas d’existence officielle au plan national. Il faut dire que l’on s’oriente vraisemblablement vers la disparition des différentes spécialisations du CAPA-SH et que l’option privilégiée pour un futur proche est celle du renvoi vers l’enseignant ordinaire de la prise en charge de la grande difficulté comme du handicap.

 

Contexte, enjeux et risques

Je vais tenter d’analyser la raison de l’émergence quasi médiatique des troubles du langage en termes de contexte et d’enjeux. Puis j’insisterai sur les risques, pas pour relancer une polémique mais parce que c’est bien dans la tension entre la conscience des enjeux et celle des risques que peut s’inscrire une action mesurée.

 

Le contexte

 

Les enjeux

Pour l’enfant concerné, on vise à limiter l’impact du trouble sur la construction de l’identité personnelle, des liens sociaux et des apprentissages. Il s’agit d’éviter, en prenant en compte le plus tôt possible les besoins particuliers de cet enfant, l’échec scolaire qui risque de mener à l’exclusion sociale.

Pour les familles, l’enjeu est double. Il concerne d’une part la reconnaissance que les difficultés observées ne sont pas dues à une carence éducative et, d’autre part l’ouverture de droits à compensations pour l’enfant.

Pour les équipes pédagogiques, l’enjeu est celui de la prévention et donc de l’adaptation pédagogique : comment éviter l’apparition de certaines difficultés, comment éviter que celles qui sont déjà apparues ne prennent de l’ampleur ? C’est encore celui de la prise en compte des enfants non-lecteurs du cycle 3, qu’ils soient dys ou non : comment leur donner les moyens de construire des connaissances et de développer des compétences sans cet accès à l’écrit ?

Pour le système scolaire, l’enjeu est de scolariser, selon la loi, tous les enfants quelles que soient leurs différences. C’est aussi celui d’un levier pédagogique. Les difficultés singulières, relativement marquées de l’enfant « dys- », sont sensées apporter un effet de loupe sur celles que doivent surmonter de nombreux élèves. Ce serait ainsi, comme l’intégration de tout enfant « différent », une invitation à la prise de recul, à la bienveillance, à la prise en compte de l’hétérogénéité, à la conception et à la mise en œuvre de stratégies diversifiées.

Pour la société, l’enjeu est celui de la lutte contre l’illettrisme : il s’agit de ne pas laisser des enfants hors du lire.

 

Les risques

Pour les enfants étiquetés « dys- »(3), le risque principal est celui de la stigmatisation. Celle-ci ne peut se justifier que si l’on propose des compensations. Celles-ci peuvent être des prises en charge spécialisées mais elles doivent également être pensées en termes d’aménagement de l’environnement et du parcours scolaire. Caractériser des enfants de dyslexiques ou de dysphasiques n’a de sens que si cela débouche sur des propositions d’aide pour l’enfant, ce qui passe par des aides pour sa famille, pour l’école. Soulignons qu’on ne peut pas prescrire des séances d’orthophonie simplement parce que l’enfant parle mal. Il faut que celles-ci s’inscrivent dans un projet global de prise en charge à un moment où elles peuvent être utiles et où l’enfant peut y adhérer.

Ces mêmes enfants courent le risque d’être considérés uniquement sous l’aspect de leur langage, isolé de façon artificielle. Le garçonnet ou la fillette simplement dysphasique, c’est-à-dire présentant d’importants troubles du langage sans troubles de la personnalité et de l’adaptation, n’existent pas.

Parallèlement, les parents risquent de s’enfermer dans un schéma linéaire : à un trouble doit correspondre un traitement ; à un trouble du langage doit correspondre une rééducation orthophonique, réclamée de façon insistante.

On peut également identifier un risque concernant la distribution des moyens : ceux-ci seraient attribués de façon privilégiée à quelques enfants, reconnus « dys », alors que d’autres enfants, présentant notamment d’importantes difficultés avec l’écrit mais qui échappent au diagnostic, méritent tout autant notre attention et notre mobilisation. Peut-on déontologiquement considérer comme normal, inévitable, l’échec d’un élève issu de milieu défavorisé et suspecter une dyslexie chez un enfant qui avait tout pour réussir, parce que c’est ce que veulent entendre ses parents, prêts à se mobiliser ?

Le dispositif de dépistage, la diffusion de l’information et la connaissance de l’existence de certains moyens pouvant être accordés aux enfants « dys- » peut provoquer à court terme une augmentation conséquente des enfants étiquetés dyslexiques ou dysphasiques et qui feront l’objet de projets individualisés et surtout de dossiers en vue d’une orientation : « S’il est dysphasique, c’est qu’il relève de la CLIS ».

Du côté des enseignants, on peut craindre une tendance à se décharger. Poser un diagnostic c’est considérer que ces enfants relèvent d’une expertise autre que celle de son enseignant. Et celui-ci risque d’être tenté par la déresponsabilisation : « cet enfant ne relève pas de moi » et peut alors s’effacer devant l’orthophoniste. Par ailleurs, la mobilisation de multiples compétences (celles des parents, de l’enseignant, des membres du RASED, du médecin scolaire, de l’orthophoniste, ...) peut déboucher elle aussi sur une dilution des responsabilités.

On peut également craindre que l’enseignant devienne un prestataire de service du médecin du Centre Référent du langage ou de la Commission des Droits et de l’Autonomie.

Un autre risque serait de considérer les difficultés d’apprentissage du langage oral ou écrit comme des difficultés fonctionnelles et de promouvoir un modèle d’enseignement qui traite séparément différents aspects de la langue : la phonologie, le lexique, la syntaxe... et de revenir à un CP consacré aux seules correspondances grapho-phonétiques.

 

Le problème actuel

Il faut observer qu’avec la loi de janvier 2005, il y a un éclatement de l’AIS, avec la partie adaptation qui revient aux écoles avec une responsabilité accrue des directeurs, et la scolarisation des enfants handicapés qui revient à la maison du handicap. Il y a du coup des hésitations sur où situer les troubles spécifiques du langage.

D’où vraisemblablement, le glissement qui s’est fait de l’acronyme TSL (trouble spécifique du langage) à trouble sévère du langage comme si, selon la sévérité, les TSL pouvaient relever de l’adaptation (aide du maître et dans le cycle, intervention du RASED, possibilité de suivi extérieur) ou de l’intégration (aide du maître mais plus du RASED, suivi extérieur intensif, actions coordonnées par l’enseignant référent et formalisées dans le Projet Personnalisé de Scolarisation).

 

Pour ne pas conclure : Information ou formation ?

Par ces pages, j’ai contribué à la mission d’information prônée pour la reconnaissance par les enseignants de l’existence des troubles spécifiques du langage et leur sensibilisation aux difficultés graves qu’ils peuvent entraîner. Les circonscriptions, les antennes et les départements développent cette information. Ils présenteront, bâtiront et diffuseront des outils de dépistage et d’évaluation. Mais dans quelle mesure l’information et la diffusion d’outils peuvent-ils tenir lieu de formation, sans un temps d’appropriation et de réflexion personnelle ? Il convient d’admettre qu’on a, à l’heure actuelle, peu de recul sur les troubles du langage et les adaptations pédagogiques souhaitables. À l’issue d’un stage récent, les formateurs du CNEFEI reconnaissaient que les stagiaires, travaillant pour la plupart au contact quotidien d’enfants dysphasiques, en savaient à peu près autant qu’eux sur la question. L’enseignant doit donc faire face au sentiment d’incompétence et d’impuissance pour accorder toute la place voulue à l’observation de l’enfant-élève, à l’auto-formation et à la créativité. Nous sommes encore dans une période où l’information remonte autant quelle descend.

Claudine Ourghanlian
Septembre 2006


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Notes

(1) Diagnostic and Statistical Manual – Revision 4.

(2) Référence au livre d’Érick Orsenna, Stock, 2004.

(3) Voir, par exemple, l’article de Jacques Fijalkow, « Dyslexie, le retour » in Psychologie et Éducation n° 47, décembre 2001, consultable ICI (format DOC).


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