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L’aliénation de l’être au savoir...

 

 
Un texte de Claire Anatole
Psychologue scolaire


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Un livre avec Claire Anatole  Claire Anatole a participé à l’ouvrage collectif Psychologie de l’éducation (Tome 3 – Cas d’enfants – Situations d’école, situations d’élèves), sous la direction de Serge Netchine, col. Lexifac-Psychologie, Bréal, 2009.

 

La quête du savoir semble éternelle et originelle, elle anime les philosophes et les scientifiques d’un désir intense de mise en sens de nos réalités.

De l’évidence énoncée par Virgile « On se lasse de tout, sauf de comprendre » à l’expérience de Simone Weil « Rien au monde ne peut empêcher l’homme de se sentir né pour la liberté. Jamais, quoi qu’il advienne, il ne peut accepter la servitude ; car il pense. », l’humanité s’est alimentée d’incertitude et de questionnement.

Mais la certitude peut paraître séduisante et économique pour quiconque ose prêter un savoir véritable à tel expert qui « pansera » les blessures de l’être. Le diagnostic vient poser sur le sujet une vérité qui le définit à un point de souffrance mais le nie dans la complexité de son être. Savoir entendre les témoignages des personnes qui évoquent l’instant dramatique de la révélation d’une pathologie, c’est faire une place au sujet en souffrance. De nombreux travaux éthiques portent sur cette question incontournable qui pourtant n’est à aucun moment soulevée dans le diagnostic de troubles spécifiques de la langue. La banalisation et la récurrence de leurs évocations au chevet du non-lecteur posent une véritable question d’éthique dans notre façon d’appréhender ce sujet entre autre apprenant qu’est l’élève.

Aussi, la valeur et l’effet pervers de tout diagnostic semblent lever une question méritant réflexion à l’heure où l’éducation nationale n’a de cesse de faire appel aux expertises diagnostiques sur ces enfants qui obligent à penser par leur différence. L’évaluation systématique en grande section de maternelle par les médecins scolaires afin de déterminer les déficits de conscience phonologique interroge sur la conception même de l’acte d’apprendre.

La pratique d’un psychologue scolaire n’est faite que de ces rencontres essentielles avec ce qui chez l’autre fait symptôme et donc ne suit pas le sens linéaire tracé par l’institution.

Alors, il faut entendre la valeur de déculpabilisation de tout diagnostic posé sur cette différence.

Pour la famille autant que pour l’enseignant, accueillir un diagnostic sur la position de rupture d’un élève face aux apprentissages équivaut à venir colmater une brèche ouverte faite de multiples questionnements et insécurités sur le pourquoi n’apprend-il pas ?

Est-ce ma méthode pédagogique ? Suis-je trop sévère ? murmure l’enseignant.

Suis-je trop maternante ? répond en écho la mère inquiète tandis que le père de l’enfant grimace en pensant à toutes ces occasions qu’il n’a pas saisies pour être accompagnant auprès de l’enfant.

Survient alors le remède miracle à toutes ces pensées cheminantes, et l’enfant devient soudain en l’espace d’un « dys-cours », un être bancal qui va pouvoir être réparé à grand renfort d’entraînement instrumental et opérant. Ce n’est « rien », c’est juste une dyslexie. On ignore encore la cause mais il n’est plus nécessaire de penser, le petit Thomas « est » dyslexique et tous les regards reconnaissants se tournent vers l’orthophoniste qui aura le privilège d’être « remédiant ».

Ce qu’il advient du petit Thomas et de l’image que lui renvoie cette nouvelle « infirmité » est occulté par le gain économique, indéniable, qu’apporte la certitude et le désengagement teinté de fatalisme.

Thomas est-il véritablement dyslexique ?

La réponse à mon sens, est incontournable, il ne l’est pas, mais cet enfant a sans doute un retard d’acquisition de la langue écrite.

La nuance n’est pas anodine car elle ouvre un espace de possibles et renvoie à la complexité de tout être en devenir.

La question de l’étiologie de ce symptôme est rendue obsolète ou différable (peut-être neurologique, ou génétique, la science explore et hésite encore) puisque « on est dyslexique et on le reste ».

Même s’il est indéniable que cette explication fait sens pour l’enfant, peut-être surtout parce qu’il passe ainsi de l’identité lourde de mauvais élève à celle du « pauvre dyslexique », ou encore parce que le symptôme a alors rempli sa fonction première qui reste de mobiliser l’attention et de faire parler de l’enfant, je ne peux que regretter ici la facilité avec laquelle on court-circuite toute pensée en enfermant les non-apprenants dans des dysfonctionnements instrumentaux.

Etait-ce le rôle de l’Education Nationale de « médicaliser » l’acte d’apprendre ?

Est-il sans conséquence de banaliser le diagnostic de dyslexie et peut-on encore sans se questionner envoyer parfois jusqu’à un quart des élèves de cycle II vers des prises en charge orthophonique ?

Ne serait-il pas temps d’utiliser ces éléments certes parfois pertinents avec plus de prudence et en menant une véritable réflexion éthique autour de l’effet pervers de la révélation de tout diagnostic ?

Continuons à penser l’élève dans sa différence, dans ses singularités et ne le résumons jamais à un savoir économique et bien pratique qui oublie à mon sens un élément incontournable de tout apprentissage : le désir.

Claire Anatole
Octobre 2005

 
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Dernière révision : mercredi 22 janvier 2014 – 15:10:00
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