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Rencontre clinique : la phobie scolaire

 

 
Un texte de Claire Anatole
Psychologue scolaire


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Un livre avec Claire Anatole  Claire Anatole a participé à l’ouvrage collectif Psychologie de l’éducation (Tome 3 – Cas d’enfants – Situations d’école, situations d’élèves), sous la direction de Serge Netchine, col. Lexifac-Psychologie, Bréal, 2009.

 

Dans l’inattendu de l’énoncé de la demande prononcé dans cette première rencontre, il arrive qu’un diagnostic tombe, un savoir pré-écrit par la famille elle-même ou par un spécialiste.

Il faut alors toute la liberté psychique du psychologue pour penser au-delà de l’évidence et ne pas figer le vécu et l’avenir d’un enfant dans un savoir clôt.


Ce matin de septembre, le message téléphonique laissé sur mon répondeur a la tonalité de l’urgence, sans toutefois contenir de question.

Maxence, explique sa mère, est scolarisé en CE1 mais ne veut plus venir à l’école. Il souffre de maux de ventre tous les dimanches soirs à l’idée de devoir débuter une nouvelle semaine et a fait plusieurs crises d’angoisse le matin devant la grille de l’école. Elle parle d’une phobie scolaire évoquée par le médecin de famille et demande à me rencontrer en urgence pour envisager une scolarisation à domicile.


C’est un diagnostic singulier et rarement posé dans la scolarité élémentaire, tout aussi singulier que la structure phobique est singulière, intime, mythique, comme l’indiquait J. Lacan dans le séminaire sur la relation d’objet à propos de la phobie du petit Hans.


À vrai dire, de mon expérience et après avoir consulté les quelques rares études sur l’absentéisme à l’école élémentaire, nous ne rencontrons que rarement des figures réelles de la « phobie scolaire » chez les jeunes enfants.


Elles sont décrites plus généralement dans la scolarité secondaire, avec une fréquence grandissante à partir de la quatorzième année… dans cette période cruciale de crise identitaire qu’est la traversée de l’adolescence. C’est déjà là un indice contextuel important.


La rupture avec l’école se consomme au moment précis où l’identité se façonne...


Mais pour Maxence, la rupture est précoce et interroge les coordonnées de cette relation de l’enfant au milieu scolaire, bien que nous sachons, comme le rappelle J. Lacan, qu’il « n’y a aucun rapport direct entre l’objet et la prétendue peur qui le colorerait de sa marque fondamentale en le constituant comme tel, comme un objet primitif ».(1)

Si, comme pour une alektorophobie (phobie des poulets) ou une arachnophobie (phobie des araignées), nous ne doutons pas que l’animal lui-même n’est pas vraiment en cause dans la peur qui le colore, nous devinons qu’il serait vain d’interroger l’école de Maxence, l’enseignante ou ses camarades pour mettre en sens cette phobie.

Ce vécu est en effet des plus anodins.

En effet, l’enseignante décrit Maxence comme un bon élève, bien qu’un peu dispersé, bien intégré dans le groupe classe, sans soucis particuliers ni d’apprentissage ni de socialisation.


Dans ce premier entretien, seule la mère de Maxence a pu venir.

Le registre de discours est celui de la plainte. Elle souffre de devoir ainsi imposer à son enfant l’école alors qu’il manifeste au près d’elle un tel degré de mal être. Elle envisage sérieusement une scolarisation à domicile.

La famille vient de s’installer dans la commune et Maxence découvre donc cette nouvelle école. Mais son enfant, précise la mère, avait cette même difficulté dans son école précédente. Il semble cependant qu’en cette rentrée scolaire, les symptômes s’accentuent.


Quand nous réécrivons ensemble l’histoire de cet enfant, nous notons de multiples souffrances somatiques dans la toute petite enfance.

Maxence a fait une allergie au lait maternel au bout de dix jours d’allaitement, générant des douleurs digestives et des régurgitations importantes. Ces dernières étaient telles que l’enfant a longtemps dormi dans un transat, la position horizontale lui étant impossible.

Le parcours de vie de Maxence était tellement difficile dans les premiers âges (succession de maladies infantiles), précise la mère, qu’elle a choisi d’arrêter de travailler afin de s’occuper de son enfant.

Durant cette période, la famille habite en province mais le père a son activité professionnelle sur Paris. Le quotidien s’organise donc avec une mère la plupart de temps seule avec son enfant, tandis que le père accumule la fatigue et le stress occasionnés par ses nombreux déplacements.


Durant la troisième année de Maxence, deux événements majeurs surviennent dans la vie de cette famille : l’entrée en petite section de maternelle de Maxence, moment intense avec beaucoup de pleurs et le père de Maxence eut un grave accident de voiture en janvier. Ce dernier, en effet, harassé de fatigue par ses trajets et par la pression professionnelle, semble s’être endormi au volant. Heureusement, il ne gardera aucune séquelle physique de cet accident, mais traversera une période de fragilité psychologique, sans doute post-traumatique.


La mère de Maxence prend le temps d’expliquer qu’elle est elle-même fille d’enseignante et qu’elle sait l’importance de l’école pour son enfant, mais il lui est insupportable d’imposer plus encore cette souffrance à son enfant. Par ailleurs, explique-t-elle, Maxence part volontiers en vacances chez ses oncles et tante et ne semble pas souffrir d’angoisse de séparation. C’est particulièrement et uniquement l’école qui génère chez Maxence cette si intense appréhension, ses troubles du sommeil et ses maux de ventre.


Je propose alors de rencontrer Maxence pour quelques séances sur le temps scolaire, cinq séances qui devraient permettre de temporiser avant que la demande de déscolariser l’enfant soit définitive.

Madame s’empresse alors de m’expliquer ce que Maxence risque de ne pas me dire. Elle me rappelle qu’il ne se plaint jamais à son enseignante et risque de banaliser ses difficultés.


Je choisis alors d’aller chercher l’enfant dans sa classe, afin de lui reformuler cette proposition et le cadre de ces entretiens en présence de sa mère. Maxence, surpris, me suit cependant volontiers et retrouve avec une joie manifeste sa mère dans mon bureau. Il m’écoute en souriant et accepte de venir en séance tous les mardis matins. Je précise à madame que, pendant ces cinq séances, je travaille avec Maxence sans échange avec elle, mais qu’à la fin de ces cinq séances, je la rencontrerai à nouveau en présence de monsieur pour leur donner mon regard sur la souffrance de leur enfant.

*
 

Maxence investit assez rapidement le cadre de nos rencontres.


Ce matin même de notre première séance, il a pleuré au moment de l’entrée à l’école.


Il isole la survenue de sa crise d’angoisse à l’instant du seuil, de l’instant où il laisse sa mère à la grille et qu’il se retourne et la voit posant son regard inquiet sur lui par-delà la grille du portail de l’école. À cet instant, une terrible tristesse et la peur l’envahissent. Il s’isole alors dans la cour de récréation pour pleurer quelques minutes. Le reste de la journée se déroule sans problème majeur pour lui, mais cet instant de passage est extrêmement douloureux.

Ce même sentiment, mais moins intense, revient au moment de la sortie.

Il ignore pourquoi ce moment est si douloureux pour lui et confirme que son appréhension est telle que venir à l’école devient très difficile pour lui.


Venir à l’école est différent d’être élève. Maxence nous signifie bien là la différence. Il n’est pris d’anxiété que dans ce passage accompagné du regard maternel et dans l’anticipation de ce passage. Ce regard inquiet porté sur lui par-delà la frontière par cette mère anxieuse le plonge lui-même dans un état anxieux, qu’il ne comprend pas.


Ce qu’il voit dans le regard traversant la grille de l’école posé sur lui n’est pas sans évoquer le schéma optique de Lacan.

Le stade du miroir, nous dit Lacan, c’est « lorsqu’un enfant se reconnaît et s’identifie à son image reflétée sur un miroir, il se retourne aussi vers la maman qui le tient dans les bras et lui dit : « c’est toi là devant ».

Quand Maxence se retourne, ce qu’il lit dans le regard de sa mère, ce n’est sans doute pas quelque chose qui lui dirait : « là, c’est toi, élève de CE1 ».


Dans ce regard de l’autre maternel, Maxence voit le manque qui vient à manquer. Il voit sa présence dans l’absence à cet instant du seuil dans le regard de sa mère qui va au-delà de la grille.

À ce point précis où l’espace scolaire débute, où Maxence devrait aller vers son identité d’élève, dans cette traversée, il est encore pris sous le regard de sa mère qui l’enveloppe. Si l’école est ce lieu de l’Autre séparateur, à cet instant, ce dernier est inopérant.


« Or, ce qu’il y a de plus angoissant, nous dit J. Lacan dans le séminaire sur l’angoisse, c’est justement quand le rapport sur lequel il s’institue, du manque qui fait le désir, est perturbé, et l’est le plus perturbé quand il n y a pas de possibilité de manque, quand la mère est tout le temps sur son dos. »(2)


L’école, rappelons-nous, est aussi le lieu maternel pour la mère de Maxence. La grand-mère de Maxence était enseignante et a inscrit de sa marque maternelle cet espace social.


Maxence confirme qu’une fois le seuil de la grille passé, il s’apaise assez vite car cet enfant aime apprendre et a de bonnes relations avec ses pairs.


Ce n’est qu’en isolant la question posée par le symptôme, en la mettant au travail de l’élaboration, que nous pouvons avancer avec Maxence. Cela sera bien plus difficile d’ouvrir sur ce questionnement avec les parents.

*
 

Le matin de notre deuxième rencontre, je trouve un message sur mon répondeur et un autre sur celui de mes collègues du réseau laissé par la mère de Maxence pour m’expliquer, avec toujours cette intensité d’urgence, que Maxence n’ose pas tout me dire et que je dois la rappeler, car elle, elle sait, elle pourra me dire.

Je ne rappelle pas. Maxence est libre de dire ou de ne pas dire. Cela fait partie du cadre de toute rencontre clinique avec un psychologue. Ici, il s’agit de maintenir une césure, de préserver un espace d’altérité pour Maxence, afin qu’il puisse y expérimenter sa subjectivité, sa parole, sa vérité intime.


Mon silence sera difficilement tolérable pour cette mère, les appels se multiplieront et quand, finalement, elle réussira à me joindre, je lui rappellerai la nécessité de garder le cadre énoncé au départ.


Après avoir isolé avec Maxence la puissance de ce regard porté par-delà la grille, l’enfant a décidé simplement de ne plus se retourner. Ce choix est devenu pour lui une évidence dans ce travail de mise en mots. Maxence est donc venu triomphant à sa troisième séance en expliquant qu’il n’avait pas pleuré cette fois. Si je mesurais alors la fragilité de cette victoire, l’enfant, lui, était enthousiaste.


À partir de cet instant, de nouveaux questionnements émergèrent. Outre les jeux symboliques de Maxence, dont les thématiques autour des accidents de voiture ou de dinosaures se dévorant les uns les autres venaient en échos à son histoire, une préoccupation revint avec insistance chez Maxence jusqu’à la fin de ces cinq séances : « Maman va appeler pour te dire que je ne vais plus venir à l’école ».

Je l’assurai alors à chaque fois que je reparlerai de tout cela comme nous en avions convenu au bout de ces cinq séances, dans l’entretien de restitution avec ses deux parents.

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Finalement, j’appris lors de l’entretien de restitution que madame, malgré le levée partielle du symptôme principal (disparition des pleurs en allant à l’école), avait pris rendez-vous avec une pédopsychiatre. Cette dernière avait proposé un suivi thérapeutique tout en soutenant la nécessité de scolariser l’enfant. Malheureusement à mon sens, elle évoqua une possible précocité intellectuelle chez Maxence, suggérant que l’enfant s’ennuyait peut-être à l’école. Cette hypothèse, validée par les parents, fit à nouveau écran et une demande de bilan psychologique fut émise.

Le quotient intellectuel, effectué dans un second temps, se révélera sans surprise, avec un profil entrant dans le cadre des variations à la normale.

L’entretien de restitution fut cependant très riche. Je proposai tout d’abord de réfléchir sur les appels téléphoniques de Madame. Cette difficulté de respecter le cadre de ces rencontres cliniques, son sentiment de savoir et de devoir dire pour son fils furent, au fil de la discussion, mis en mots et nous pûmes ouvrir un début de questionnement sur l’anxiété de cette mère.

La présence du père de Maxence était un atout alors très important, il apportait un regard différent et proposait d’autres angles de mise en sens. Monsieur pu dire quelque chose de sa place de père auprès de son fils. Cet homme exprimait une forte culpabilité, s’accusant d’avoir été trop absent du fait de ses conditions de travail et d’avoir traversé une période difficile après l’accident, période où il regrettait d’avoir manqué de patience envers son fils.

Déculpabiliser ce père et l’inviter à prendre place auprès de l’enfant, et dans le discours de la mère, fut un de mes objectifs au cours de cet entretien de restitution.


La psychologie scolaire n’est pas un cadre thérapeutique. Au-delà de ce diagnostic de phobie scolaire, nous pouvons soutenir auprès de cet enfant et de cette famille une élaboration afin de dépasser le registre de la simple plainte et ouvrir vers un questionnement.

Les maux de ventre de la petite enfance qui ont si souvent et longtemps mobilisé et alimenté l’inquiétude maternelle n’étaient-ils pas les coordonnées primitives des maux de ventre de l’angoisse dont souffre Maxence aujourd’hui tous les dimanche soir ?

L’angoisse du père dans cette rencontre traumatique avec le réel qu’est un accident de voiture et son indisponibilité psychique qui s’en suivit ne font-elles pas échos à la peur de Maxence dans sa première rencontre avec l’école, premier espace véritablement séparateur de la relation mère-enfant dans sa troisième année ?

Quelle valeur l’espace scolaire prend-il dans l’imaginaire maternel chez cette mère elle-même fille d’enseignante ?


Autrement dit, la phobie scolaire ne nous dit pas grand-chose sur l’école. Elle questionne quelque chose du côté du corps maternel, de ses limites et de son au-delà...


« La phobie est construite en avant du point de l’angoisse »(3), nous indiquait J. Lacan dans le séminaire sur la relation d’objet. En effet, si la phobie de Maxence avait effectivement pour objet l’école, elle se construisait sur quelque chose de bien antérieur.


Pour conclure, je cite encore J. Lacan : « S’il nous faut absolument tenter d’indiquer dans quelle direction s’amorce (...) son sens (de la phobie), elle introduit dans le monde de l’enfant une structure, elle met précisément au premier plan la fonction d’un intérieur et d’un extérieur. Jusque-là, l’enfant était en somme dans l’intérieur de sa mère, il vient d’en être rejeté, ou de s’en imaginer rejeté, il est dans l’angoisse, et le voilà qui, à l’aide de la phobie, instaure un nouvel ordre de l’intérieur et de l’extérieur, une série de seuils qui se mettent à structurer le monde. »(4)


Venir à l’école, c’est donc faire ce difficile chemin qui va du corps maternel au corps institutionnel, de l’intérieur vers l’extérieur. La phobie scolaire questionne cette traversée et il serait erroné, me semble-t-il, de penser cette dernière sous l’angle unique de la problématique scolaire.

Claire Anatole
Février 2013

 
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Notes

(1) Lacan J., Séminaire IV, Introduction, page 22, Le Seuil.

(2) Lacan, Séminaire, Livre X, page 67, Le Seuil.

(3) Lacan, Séminaire, Livre IV, page 246.

(4) Idem.

 
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