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Chronique 11
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Un texte de M. Barthélémy
 

Je rentre de quelques jours de congés, au bord d’une mer ensoleillée et sans cesse renouvelée, propice au repos et au rechargement des batteries. Si je fais de cette pause le sujet de ma chronique hebdomadaire, ce n’est point pour rappeler à quelques âmes vindicatives que « les enseignants sont toujours en vacances, et quand ils n’y sont pas, ils sont en grève », mais pour souligner combien ces temps de respiration sont nécessaires à l’exercice d’un métier qui a à voir avec « toutes les misères du monde ».


Devenir enseignant référent, c’est lâcher cette relation unique d’un adulte avec un enfant en situation d’apprentissage, relation compliquée parce que cet apprentissage se passe mal... ou ne se passe pas – qui faisait le cœur de notre métier précédent d’enseignant spécialisé.

Devenir enseignant référent, c’est accepter de parler d’un élève handicapé que, souvent, l’on ne connaît pas et/ou avec lequel on n’a pas construit cette relation unique pour être celui qui assume/assure la continuité et la cohérence de son parcours scolaire.

Devenir enseignant référent, c’est, tout au long de la journée, évoquer la situation de Pierre, tétraplégique, qui vient au collège en fauteuil, et dont les parents s’inquiètent à chaque minute de leur existence de ce qu’il deviendra lorsqu’ils ne seront plus là. Puis enchaîner avec la situation d’Ahmed, magnifique gamin de 6 ans, qu’un cancer vicieux a privé de ses yeux et qui, désormais aveugle, a déjà tout compris de la vie qu’il a désormais à construire, mais dont les parents ressassent ce qu’ils vivent comme une punition infligée par un Dieu auquel, pour ma part, je ne crois pas et que je perçois comme bien peu bienveillant s’il est capable de punir les gens de cette manière. Et encore poursuivre avec la situation de Jean-Laurent, pré-ado dont l’autisme le conduit à ne rechercher que les coins de la classe où il peut s’adosser, en profitant de murs soutenants, contenants, et d’une lumière un peu moins vive, et de bruits un peu assourdis, mais qui explose en ruades désarticulées, en sirènes assourdissantes et en coups incontrôlés contre lui-même dès qu’on s’approche d’un peu trop près ou qu’il faut quitter ces coins protecteurs. Pour finir, avant de recommencer, avec la situation de Mi Lian, souriante petite fille dont la trisomie signale à chacun la déficience, dont elle n’a que faire, mais dont les « autres » par leur regard signifient assez la différence à des parents aimants, entourants, cajolants, mais brisés.


Pierre, Ahmed, Jean-Laurent, Mi Lian, je ne les ai pas en classe. Je fais partie de ces enseignants sans poste « devant élèves » que le ministère rêve de ramener devant le tableau, préservés pour le moment (le handicap est « à la mode »), au contraire de mes collègues des RASED. Mais grâce auxquels, j’ai la faiblesse de le croire, ces enfants différents trouvent une place à l’école pour tous, parce que les enseignants qui les accueillent savent pouvoir compter sur nous en cas de « coups durs », parce que les parents savent pouvoir compter sur nous pour équilibrer des emplois du temps de haute voltige, parce que les soignants savent pouvoir compter sur nous pour préserver la cohérence des temps thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques.

Ce travail a un coût : pour l’institution, certes, qui « perd » des moyens qu’elle pourrait utiliser autrement (mais que coûtent réellement 1.000 référents sur le territoire au regard des « avan­tages » qu’ils procurent en termes de « paix scolaire » ?). Mais avant tout pour les référents eux-mêmes, en termes pécuniaires (la plupart gagnant moins que lorsqu’ils étaient spécialisés « devant élèves », certains payant sur leurs deniers propres les formations qu’ils réclament mais qui ne leur sont que chichement octroyées par la « grande maison ») et, surtout, en termes nerveux, la tension quotidienne étant d’une force qu’aucune « cellule d’écoute » ne prend en compte ni n’apaise.

Alors oui, cinq jours de vacances, pour l’enseignant référent, ça vaut toutes les thérapies du monde... Pas un luxe ! Une nécessité...

M. Barthélémy
04 novembre 2008

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