Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Le livre de Marie
« La rééducation : un temps pour dire et écrire »

 

 
Un texte de Ludovic Cadeau,
Rééducateur


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Préambule

Lors d’une soirée de travail ayant pour thème la désinsertion(1), j’ai eu l’occasion de présenter l’histoire de Marie à une assemblée comprenant des psychanalystes, des psychologues et des éducateurs spécialisés. À la fin de la présentation, un des psychanalystes présents a pu dire :

Je n’ai pas osé alerter l’assistance sur les risques de disparition des RASED. Dans un avenir proche les élèves comme Marie devront sans doute se contenter de stage de remise à niveau ou d’aide personnalisée. Je dédie donc ce texte aux Marie, Pierre, Steven, Moustapha, Poerani qui ont eu l’occasion de rencontrer un rééducateur (ou une rééducatrice) pour se “réconcilier avec l’école”.

 

Introduction

En 2010, il peut paraître paradoxal de parler de désinsertion dans le milieu scolaire. En effet, les classes spécialisées pour les élèves en grandes difficultés ont disparu, la loi sur le handicap de 2005 impose la scolarisation en milieu ordinaire de tous les élèves handicapés. Désormais, la porte de l’école est ouverte à tous : un enfant d’âge scolaire est obligatoirement un écolier.

Mais quand on entre dans une classe, la réalité est tout autre. Comme l’écrivait Jacques Prévert, certains enfants attendent le passage de l’oiseau-lyre pour s’échapper d’entre ces quatre murs. Ces enfants sont présents physiquement mais sont totalement “débranchés” du milieu scolaire. Ce qui se passe dans la classe ne fait pas sens pour eux. Certains s’agitent, perturbent et font en sorte qu’on ne les oublie pas. D’autres patientent, sans faire de bruit, jusqu’à l’heure de la récréation pour, enfin, retrouver la vraie vie.

Marie fait partie de ces élèves discrets, presque transparents, qui s’ennuient et attendent que « leurs porte-plume redeviennent oiseaux(2) ».

 

Première année scolaire

En novembre 2006, le Réseau d’Aides est sollicité pour aider Marie (9 ans) qui est au CE2. Tout d’abord, je rencontre l’enseignante qui me fait le portrait d’une élève en grandes difficultés scolaires :

L’enseignante ajoute : « Quand je lui dis quelque chose, j’ai l’impression de parler chinois. »

 

Lors de notre première rencontre, Marie se montre souriante et paraît à l’aise dans le cadre d’une relation duelle. Elle explique ses difficultés scolaires par sa timidité et dit aussi : « Quand c’est un exercice que je n’aime pas, je m’ennuie. »

À la fin de la séance, elle dessine deux maisons reliées par un chemin. Elle explique : « C’est la maison de ma maman et de mon père. Là, c’est la maison des voisins. »

Elle me dit ensuite qu’elle va peut-être avoir un petit frère ou une petite sœur et ajoute : « J’en ai envie. »

J’ai un premier entretien avec la mère de Marie au début du mois de décembre 2006.

Elle annonce que sa fille fait « un blocage autour de l’école ». Quand je l’interroge sur ce qu’elle entend par blocage, elle met en cause les enseignants : « ils grondent beaucoup ».

Je lui demande ce que son mari pense de tout cela et elle répond : « Mon mari dit que les maîtres et les maîtresses devraient faire leur boulot et c’est tout. » Implicitement, elle reproche à son conjoint d’être peu présent à la maison et de ne guère s’occuper de sa fille.

Elle précise qu’elle a pris un congé parental au moment de la naissance de Marie et ajoute : « Marie a parlé très tard. On avait le même langage, on se comprenait. »

À la fin de l’entretien, je lui propose de continuer à aider Marie en lui précisant que l’objectif du travail est d’essayer de la réconcilier avec l’école. Elle ne répond pas directement et souhaite en parler d’abord avec son mari. Je lui propose d’y réfléchir et de me répondre par écrit. Quelques jours plus tard, une autorisation écrite me parvient signée par les deux parents.

Rapidement, Marie va me faire part de ses préoccupations concernant ses parents :

« Des fois, ils se disputent alors ça me prend la tête. Des fois, ils se causent plus pendant une semaine. Des fois, je le leur en parle de ne pas se disputer. Un jour, maman est partie, pieds nus dans la forêt parce qu’ils étaient fâchés. C’est surtout pendant les vacances qu’ils se disputent. »

Elle se plaint souvent d’habiter dans une maison isolée en lisière d’une forêt : « Chez moi, c’est comme une ferme. Y’a plein de chiens autour. » Elle regrette de ne pas habiter dans un lotissement comme son cousin car : « y’a plein de maisons et plein d’enfants autour pour jouer. »

Lors de la 7e séance (janvier 2007), elle évoque un accident : « Je savais à peine marcher. En jouant avec les chiens, je suis tombée dans l’étang à côté de la maison. C’est ma mère qui m’a retrouvée allongée dans l’eau. J’ai été à l’hôpital. Je me rappelle plus de tout ça mais des gens m’ont raconté. »

Quand je lui demande si elle a des souvenirs de cet événement, elle répond :

Elle reste perplexe et finit par dire :

Lors de la 8e séance, elle choisit de raconter une histoire avec des petites figurines humaines. Elle met en scène 3 générations : une fille de 8 ans, les deux parents et les deux grands parents.

Dans son histoire, la fille ment à ses parents en leur disant qu’elle va faire des courses dans un magasin alors qu’elle « va en boîte pour s’amuser ». Le lendemain matin, elle va chez ses grands-parents et la grand-mère lui donne « des choses ».

À la fin de son histoire, Marie expliquera que la grand-mère a donné de l’argent et de la confiture à sa petite fille.

Quand Marie essaie de lire un livre, je constate que son lexique est très limité. Elle ignore le sens de mots relativement simples comme : portrait, comptine.

Régulièrement, je lui demande comment ça se passe en classe. Invariablement, elle répond d’un ton laconique : « Bien ».

Elle parle souvent de la passion de son père pour la chasse. Il possède de nombreux chiens et est louvetier. À plusieurs reprises, elle affirme que plus tard elle fera comme son père.

En avril 2007, lors de la 13e séance, Marie raconte une histoire avec des figurines animales. C’est un mouton qui aimerait rencontrer une femme « pour avoir des bébés ». Mais le mouton reste seul et décide d’adopter un enfant. Il va d’abord voir la famille des vaches qui refuse de donner un de leurs petits puis la famille des chevaux qui refuse aussi. Le mouton rencontre les deux parents cochons qui acceptent de lui donner un de leurs enfants.

Plus tard dans le courant de l’histoire, le Maire du village visite les familles d’animaux pour « les vérifier ». Il s’aperçoit que le petit cochon n’est plus avec ses parents et ordonne au mouton de restituer l’enfant. Le petit cochon est triste car il voulait rester avec le mouton. Ses parents cochons sont obligés « de l’enfermer ».

En avril, je fais le point avec l’enseignante de la classe. Les résultats de Marie sont toujours très faibles mais son attitude commence à évoluer : elle ne joue plus en classe et essaie de travailler.

C’est aussi à cette époque que le discours de Marie sur l’école change. Elle ose me dire : « C’est nul l’école. » ou « J’en ai marre de faire mes leçons. »

Fin avril 2007, au début d’une séance elle dit : « Mon papa a six sœurs. Une est morte. Mon papa m’a dit que j’étais trop jeune pour savoir. »

Lors de cette séance, elle fait part de ses inquiétudes pour l’avenir : « Qu’est-ce qui va se passer si je ne peux pas aller au collège ? J’ai entendu parler de la SEGPA... c’est quoi une SEGPA ? »

Durant tout le mois de juin, elle évoque des problèmes entre ses parents et le propriétaire de la maison qu’ils occupent. À cette époque, avec des figurines humaines, elle met en scène des querelles entre locataires et propriétaire. Lors de la dernière séance de l’année scolaire, elle invente une solution en introduisant un nouveau personnage : un avocat.

À la fin de la séance, nous parlons des vacances et elle dit, la mine inquiète :

Avec le calendrier, nous fixons la date de la prochaine séance... après les vacances d’été.

 

Deuxième année scolaire

Nous nous retrouvons le 14 septembre 2007.

Marie est au CM1 et a changé de maîtresse. Je lui demande comment se passe la rentrée scolaire. Elle ne me répond pas directement mais me dit :

Puis, elle parle de la série télévisée Plus belle la vie. Elle évoque les mariages, les divorces et s’interroge sur les raisons d’un divorce. Puis elle se demande si les acteurs s’embrassent « pour de vrai ». Elle réfléchit un instant puis dit « ils mettent peut-être un plastique ».

Ensuite elle m’annonce :

Puis, elle s’interroge :

À plusieurs reprises, lors de cette séance, Marie “s’interroge” à voix haute en évoquant des préoccupations d’ordre sexuel : les acteurs qui s’embrassent, une femme qui couche avec un autre homme que son mari. Marie ne s’adresse pas directement à moi mais utilise la scène rééducative pour élaborer et formuler ses “théories sexuelles infantiles” dont on sait l’importance dans l’émergence du désir d’apprendre et de savoir : « la pulsion de savoir est une pulsion de recherche, pulsion de voir et de savoir suscitée par l’énigme de la sexualité adulte. » (Nicole Mosconi – Professeure en sciences de l’éducation.) Pour qu’un enfant soit disponible aux appren­tissages scolaires, il faut qu’il ait élaboré des réponses satisfaisantes (et forcément provisoires) à des questions se rapportant à la conception et à la naissance des nourrissons.

La semaine suivante, elle semble très fatiguée et dit :

Je lui demande :

Ensuite, elle parle de ses difficultés à se faire des copines. Elle m’explique que ses anciennes copines sont dans l’autre classe de CM1. Elle me raconte le déroulement d’une récréation et me dit qu’elle est souvent toute seule : « J’ose pas leur demander de jouer et elles me parlent pas. » À la fin de la séance, elle me demande s’il n’est pas possible de se voir deux fois par semaine.

Début octobre, elle m’annonce :

À la fin de la séance, elle me dit :

Dès le début de la séance suivante, elle m’annonce : « Ça y est, j’ai des nouvelles copines. On joue aux billes. »

Mi-octobre, elle reprend les petits animaux et joue une scène dans laquelle les parents hurlent leur désaccord au sujet de l’éducation de leurs deux jumeaux. À la fin de l’histoire, un des enfants crie : « Laissez-nous tranquilles, on peut même pas vivre nos vies. »

Mi-novembre, je fais le point avec la nouvelle enseignante de Marie. Les difficultés scolaires demeurent mais l’attitude de Marie en classe est positive : elle participe à l’oral, son travail est soigné et elle fait preuve de beaucoup de bonne volonté. Un élément nouveau apparaît : Marie commence à demander l’aide de la maîtresse quand elle n’a pas compris une consigne.

En séance, Marie me parle régulièrement de son enseignante. Visiblement, le courant passe bien. Un jour, elle me dit : « C’est ma meilleure maîtresse que j’ai jamais eue. »

Fin-novembre, elle entre dans la salle et annonce :

Je lui demande comment elle sait tout ça. Elle me répond avec un petit sourire au coin des lèvres :

Début janvier, elle parle du réveillon de la Saint-Sylvestre qu’elle a fêté chez ses voisins :

À partir de fin-janvier 2008, durant plusieurs séances, elle va utiliser les figurines humaines pour raconter la même histoire : un couple de parents qui se déchire et des enfants qui semblent perdus.

Au bout de trois ou quatre séances, j’ai l’impression que l’histoire se répète. À chaque fois, Marie ne semble pas trouver d’issue : elle bute invariablement sur un mur. À la fin d’une séance, je lui demande :

Toutes les histoires que Marie met en scène lors de ces séances font penser à une tentative d’élaboration d’un “roman familial”. Ce concept introduit par S. Freud désigne l’activité de l’enfant qui, s’apercevant que ses parents ne sont pas parfaits, s’invente une nouvelle famille souvent plus prestigieuse, plus aimante. La création d’une autre filiation, d’une autre vie participe à l’individuation du sujet car « il s’agit toujours pour l’enfant de prendre une distance par rapport aux parents réels en s’inventant des parents imaginaires et idéalisés. » (Bernard Golse – Pédopsychiatre).

Mais Marie semble être dans une impasse : dans les histoires qu’elle répète, les enfants souffrent et désespèrent face à des parents en perpétuel conflit. Les parents imaginaires de Marie semblent trop proches de ses parents réels pour espérer trouver une faille qui lui permettrait d’échapper à la fatalité et ainsi de continuer son “roman familial”. C’est en vérifiant l’étymologie du mot “roman” (composition écrite en langue romane) qu’il me vient une idée : pourquoi ne pas passer à l’écrit ?

Lors de la séance suivante, je lui propose d’écrire l’histoire qu’elle met en scène depuis presque un mois. Rapidement ma proposition va déclencher, chez Marie, un enthousiasme inattendu. Dès son arrivée dans la salle, elle installe les figurines sur la table et continue l’histoire interrompue la dernière fois. Je l’aide à mettre son texte en forme et elle passe ensuite 3 séances à le taper sur un ordinateur. Enfin, le 04 avril, l’histoire est terminée et les pages sont imprimées.

Marie est surexcitée, elle saute dans la salle en criant :

Elle précise :

 

L’histoire écrite par Marie


Il était une fois

Il était une fois, un papi et une mamie qui vivaient dans une ferme.

Un matin, le papi se leva pour donner à manger aux animaux. La mamie alla traire la vache.

À ce moment là, le téléphone sonna et la mamie alla répondre. C’était son gendre Pascal qui l’appelait. Ils se disputèrent car la mamie pensait que son gendre tapait sa femme.

Chez lui, Pascal réveilla ses enfants et toute la famille partit à la ferme des grands-parents.

Quand ils arrivèrent, la mamie demanda à sa fille Isabelle :

  • « Est-ce que ton mari te fait souffrir ? »

Plus tard, Pascal reprocha à la mamie de ne pas lui avoir dit bonjour. Puis il se fâcha et dit :

  • « Je m’en vais chez moi, j’en ai marre de vous. »

Isabelle et ses enfants restèrent chez les grands-parents. Plus tard, Pascal revint à la ferme et ramena les enfants chez lui en disant :

  • « Votre mère est nulle. »

Isabelle se fit consoler par sa mère et dit :

  • « Il va me le payer. »

Isabelle retourna chez elle et appela la police criminelle. Quand les policiers arrivèrent, ils reconnurent Pascal, le mari, qui était recherché par la police. Isabelle était contente et elle dit :

  • « Mes enfants, je les ai faits toute seule. »

Le policier emmena Pascal en prison et Isabelle lui cria :

  • « Je ne viendrai jamais te voir. »

Isabelle partit deux jours en Espagne et laissa ses enfants chez leurs grands-parents. Le premier soir, elle appela ses enfants au téléphone et annonça qu’elle ne rentrerait pas le lendemain comme prévu car elle avait trouvé du travail.

Les deux grands-parents se disputèrent car ils devaient garder les enfants.

En Espagne, Isabelle pensait à ses enfants et disait :

  • « Ils me manquent. »

Un soir, elle rencontra un homme dans une boîte de nuit. Il s’appelait Raphaël. Ils dansèrent la valse. La nuit, ils dormirent dans la même chambre. Le lendemain matin, ils décidèrent de retourner chercher les enfants d’Isabelle à la ferme.

Isabelle téléphona à ses parents pour leur annoncer la nouvelle :

  • « J’ai rencontré un homme. Je rentre demain avec lui. »

Le lendemain, Isabelle et son ami Raphaël arrivèrent à l’aéroport. La grand-mère alla les chercher.

En arrivant à la ferme, Isabelle présenta ses deux enfants à son ami :

  • « Voici Chipie et Stéphane. »

Ensuite, elle dit à Raphaël :

  • « Tu vas annoncer à mes parents que je suis enceinte de toi. »

La grand-mère n’était pas contente et le grand-père dit :

  • « Voilà le malheur. »

Isabelle répondit :

  • « Ce n’est pas un malheur, c’est mon bonheur ! »

Bien plus tard, Isabelle eut mal au ventre et elle partit à l’hôpital. Elle accoucha d’une petite fille qu’elle ramena à la ferme. La grand-mère était très contente. Raphaël fut très heureux de découvrir sa fille.

Chipie et Stéphane entendirent pleurer et ils virent leur nouvelle petite sœur. Ils étaient contents.

Mais le lendemain matin, Raphaël dit :

  • « Je ne me sens pas bien ici, ce n’est pas mon pays. Ça sent la vache. Ça pue ! »

Trois jours plus tard, il dit à Isabelle :

  • « Je t’ai menti pour les vaches mais je n’ai pas envie de rester avec tes parents. Tu n’as pas un petit chez toi ? »

Isabelle emmena son ami et ses enfants dans une nouvelle maison dans un lotissement.

Plus tard, Stéphanie, la petite sœur apprit à marcher.

FIN

 

Lors de la séance suivante, Marie me dit :

En écrivant “son livre”, Marie se livre et essaie de se faire entendre de son entourage. D’ailleurs, sa mère ne s’y trompe pas : le « C’est du n’importe quoi ! » semble montrer que la mère a entendu le message(3).

Étonnante, cette démarche, pour une élève qui avait des difficultés de compréhension en lecture, d’utiliser l’écrit pour mettre du sens sur l’histoire de sa vie : comme beaucoup d’auteurs, Marie en élaborant son récit « se désenglue de son vécu non symbolisé, non élaboré pour lui donner du sens, tout en s’en distanciant. » (Frédérique Mattei – Rééducatrice).

Au retour des vacances de Pâques, Marie me dit :

Lors de la séance suivante, elle m’annonce qu’elle va « m’expliquer les fractions ». Ses explications sont un peu nébuleuses mais elle semble avoir compris le principe des fractions. Elle conclut en affirmant :

Il semble que Marie s’intéresse à ce qui se dit et ce qui se passe dans la classe : on ne parle plus chinois entre ces quatre murs !

Fin mai, je fais le point avec l’enseignante de la classe. Marie a toujours de grandes difficultés scolaires en particulier en français mais l’enseignante la qualifie de « rigoureuse et consciencieuse. »

Courant juin, elle choisit de lire un livre. Je suis étonnée de ses progrès en lecture et je lui en fais la remarque. Elle me répond avec un grand sourire :

Et elle ajoute :

Et pour la première fois, elle critique aussi son père :

Le cadre rééducatif est suffisamment sécurisant pour que Marie analyse et critique l’attitude de son père. Déjà en début d’année scolaire, elle avait annoncé qu’après avoir réfléchi, elle renonçait à son souhait d’être louvetier comme son père. Aujourd’hui, elle lui reproche son absence aux réunions scolaires. Entre une mère qui assure que sa fille fait « un blocage autour de l’école » et un père qui reste bloqué au portail de l’école, il n’est pas aisé de trouver un interstice pour s’échapper de la “niche familiale” et aller vers “le monde social et culturel(4)”. La situation semble évoluer, Marie s’intéresse aux fractions, aux rois de France... à la culture ? Peut-on parler de “sortie de l’Œdipe” ?

Fin juin, elle réalise un dessin à la peinture. Elle m’a posé, à plusieurs reprises, des questions sur les 2 ou 3 dessins qui sont accrochés au mur derrière mon bureau. Elle dessine une fleur et précise :

Lors de la dernière séance de l’année scolaire, elle essaie de jongler avec 3 balles de mousse. Après bien des difficultés, elle réussit et dit :

Nous prévoyons de nous revoir quelques séances après la rentrée de septembre.

 

Troisième année scolaire

Nous nous retrouvons le 22 septembre 2008.

Elle demande à changer l’horaire de la séance car « je n’ai pas le temps d’écrire mes leçons. »

Puis elle me dit :

D’elle-même, Marie met fin à l’aide rééducative. Elle me fait comprendre que l’écriture de ses leçons prend le pas sur les séances et, peut-être pour m’aider à supporter cette séparation, elle me recommande le fils de ses voisins !

Lors de la dernière séance, elle me dit :

Cette fois-ci le “bien” semble authentique.

Ludovic Cadeau
Mai 2010

 
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Notes

(1) Désinsertion : fait de ne plus être inséré dans la société, d’être marginalisé.

(2) Cf. Page d’écriture de Jacques Prévert.

(3) J’avais pourtant pris la précaution de demander à Marie de supprimer 2 ou 3 détails de son histoire qui me paraissaient trop proches de son univers familial. Malgré cela, le “livre de Marie” semble avoir déclenché chez la mère des émotions qu’elle a eu du mal à supporter.

(4) Cf. Boris Cyrulnik, Sous le signe du lien (Une histoire naturelle de l’attachement), Hachette, Paris, 1992.

 
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Dernière révision : vendredi 31 janvier 2014 – 12:30:00
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