Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

Pratique corporelle et démarche artistique

 

 
Un texte de Sylvie Captain-Sass
 


Références  Ce texte est en lien avec les textes d’Eugène Michel publiés sur ce site, en particulier Habitus, inventus et plasticité corporelle.

 

L’être humain ne peut s’étudier et observer le monde que dans l’humilité d’une nature donnée au départ, dans un effort réflexif permanent. La conscience humaine semble jouer avec l’illusion de son autonomie. En effet, l’être humain perçoit et conçoit le monde en fonction de sa constitution génétique, et de ses capacités sensorielles en rapport à son environnement. Sa compréhension est circonscrite aux outils dont il dispose. Il est certain que l’outil « corps » trouve ici sa place dans l’appréhension du monde qui l’entoure.

Dans la société occidentale, la pratique sportive est majoritairement tournée vers la performance, la compétition ou l’esthétique. La gymnastique scolaire se concentre sur le tonus cardiaque, les sports d’équipe et le travail au sol. Rares sont les écoles qui proposent la pratique d’un art martial, ou la sensibilisation à une écoute intérieure fine (yoga, qi kong, méditation...) Cependant, aux Etats-Unis par exemple, des classes pilotes ont proposé des ateliers de Tae Kwon Do. Kimberley Lakes et William Hoyt, de l’université de Wisconsin-Madison, ont étudié l’impact de cette pratique sur des enfants de 5 à 11 ans. Meilleure autorégulation cognitive et affective, respect des cama­rades ont été nettement observés après 3 mois de pratique.

La quasi-absence, dans les écoles d’art, d’une place dédiée au travail corporel conscient, interroge sur celle qui lui est laissée dans le rapport que peut entretenir l’artiste à sa pratique, mais aussi à lui-même. Il a cependant tout à gagner à s’approprier de nouveaux territoires et de « nouveaux » outils.

L’artiste-peintre déploie son corps dans une gestuelle qu’il tente d’apprivoiser et d’améliorer au fil de sa pratique. Il est question de tenue du pinceau bien sûr mais aussi et plus subtilement de posture physique, d’ancrage au sol et d’appui sur le souffle. Ma démarche artistique s’est elle-même développée depuis environ vingt ans à partir de la pratique d’un art martial, le Shintaïdo. Bien que relativement récent, il tire ses nombreuses racines d’un passé ancestral. Il a été créé au Japon en 1970 par un groupe de pratiquants des Arts Martiaux dirigé par Maître Aoki Hiroyuki, après de nombreuses années de recherches. Celui-ci s’est inspiré de techniques de sabre mais aussi du zen, du yoga, de techniques du bouddhisme ésotérique et de la philosophie occidentale. « Le corps est notre plus fidèle témoin et ce qui est reçu par lui ne disparait pas, parce que le corps lui-même a été transformé par le processus », explique-t-il. J’ai été surprise, en m’engageant dans cet « art de méditation en mouvement » de n’avoir pas été « éduquée » en école d’art à ce type d’approche. La pratique du Shintaïdo, qui a provoqué une véritable modification de ma démarche picturale, a construit un lien durable entre mes activités musicales, artistiques et thérapeutiques.

Je recherche aujourd’hui une posture corporelle profondément ancrée et fluide qui permette l’ouverture des mains et de l’esprit. J’ai décidé de re­donner du corps à mon corps, de lui faire confiance. Le Shintaïdo m’a permis d’ouvrir le champ de mes explorations plastiques.

J’ai ainsi constaté sur le terrain de ma pratique plastique – mais aussi en tant qu’enseignante, par la mise en place notamment d’ateliers « création et mouvement » et de workshops dans différentes écoles d’arts – que la sépara­tion occidentale du corps et de l’esprit a freiné et freine encore les capacités d’un artiste dans son exploration créatrice, dans le développement de sa poïétique. Mon intérêt relativement récent pour les neurosciences et les recherches sur le cerveau s’est effectué de manière naturelle, dans un désir de confirmer théoriquement ce que j’expérimentais depuis des années.

La découverte de la plasticité cérébrale a servi mes recherches et ma démarche. C’est en comprenant combien cette plasticité dépendait du rapport de l’être à son environnement, qu’il soit familial, social, historique, politique, etc. que j’ai convoqué de nouveau la plasticité corporelle, indispensable relais d’informations vers le cerveau à travers les cinq sens. Le corps en tant que « plaque sensible » s’impose à moi dans ce que je vis comme étant un « échange de bons procédés » entre conscience corporelle et pensée. Il s’agit ici de lier plasticité neuronale et plasticité corporelle dans la capacité de développement de la personne mais aussi plus précisément dans sa capacité de créativité. Nous connaissons aujourd’hui le rôle majeur joué par l’imagi­nation et la pensée sur les connexions synaptiques, leurs répercussions sur nos actes et ainsi sur notre rapport au monde sensible. Plasticités corpo­relle et neuronale s’influenceraient sans cesse. La boucle semble bouclée.

Il est possible que je me place ainsi, comme le propose Eugène Michel, dans la catégorie d’un « dualisme flou ». La relation « plaque sensible »/ esprit m’intéresse dans l’expérience que j’en fais au quotidien avec l’autre, mais aussi dans ma démarche picturale et pédagogique. Je constate chaque jour les bénéfices du rapport qu’ils entretiennent, dans une interaction qui ne cesse de m’émerveiller.

Je désire ici témoigner du fait que, sur le terrain d’une expérience quotidienne, une pratique et une écoute corporelles soutenues modifient la posture mentale et artistique. Le corps constitue un outil fondateur et essen­tiel de connaissance de soi qu’il faut savoir approcher avec de bonnes méthodes. Chacun a tout à gagner en partant à sa découverte. Passer par le corps pour prendre différemment contact avec son histoire, sa mémoire, développe le vocabulaire personnel de tout individu. Ce choix peut soutenir non seulement l’exploration nouvelle d’un monde intérieur, mais une percep­tion enrichie de l’univers dans lequel chacun cherche à s’inscrire.

Sylvie Captain-Sass
Septembre 2010

Sites :

 
*   *   *
*

Informations sur cette page Retour en haut de la page
Valid XHTML 1.1 Valid CSS
Dernière révision : dimanche 16 février 2014 – 12:00:00
Daniel Calin © 2014 – Tous droits réservés