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En quête des origines – Enquête aux origines

 


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Un texte de Daniel Charlemaine,
psychologue




Je vais tenter d’apporter un point de vue sur les enjeux psychiques de cette question, qui me semble davantage traitée par les sociologues, juristes et du point de vue politique. Pour ma part, je vais me centrer sur les questionnements induits sur et par la psyché. Notre époque est souvent en quête de personnes désignées « expertes », dès lors que leurs recherches ou leur expérience se sont vues médiatisées. L’expert est celui qui sait, celui qui vérifie, plus qu’il ne questionne. Mon point de vue est autre, il s’appuie sur ma capacité à soutenir mon ignorance du savoir de ceux que j’écoute, tout en revendiquant de les conduire dans les méandres de leur méconnaissance. J’entends par là qu’il n’est pas question de devinettes. Je ne vais pas leur révéler ce que je sais d’eux ou ce que je pourrais en débusquer au travers de tests ou de questionnaires. Le savoir qui surgit appartient au sujet, nous le coproduisons grâce à une écoute impliquée soutenue par le transfert. Lorsqu’une maîtresse d’école accueille l’annonce faite par l’un de ses élèves d’une information le concernant et qu’elle lui réplique « Ah, je le savais déjà ! », elle se prive et le prive d’être à l’origine de son étonnement, de sa capacité à se laisser entamer elle, en tant que détentrice des connaissances, par le savoir apporté par son élève. Elle se/le prive de créditer ce savoir en devenir.

J’ai la conviction qu’il n’est pas du ressort des professionnel.le.s du soin psychique de se prononcer sur des enjeux sociétaux au nom de leur expérience. Les psychanalystes n’ont pas vocation à dire la norme, ils accueillent toute parole demandant à être entendue, sans jugement, sans a priori. Dans le cas contraire, ils dérogent à leur position. Jacques Lacan avait affirmé que « la résistance est du côté de l’analyste ». Cet adage guide mon écoute : ce que je n’entends pas est à situer du côté de ma propre résistance à entendre. Dès lors, je n’ai pas à me positionner sur les inventions sociétales. J’ai à en prendre acte et en recueillir les effets, les symptômes, lorsqu’ils me sont apportés.

Je reçois en entretien familial un garçon de 8 ans. La maîtresse constate son immaturité et doit insister pour qu’il se mette au travail. Elle remarque qu’il forme ses lettres à l’envers (retournant vers l’origine au lieu d’avancer dans le sens de l’écriture). Nous nous verrons régulièrement durant l’année de CE2. Parmi les repères récurrents, je demande à chacune de nos rencontres à l’enfant de « s’inscrire », c’est-à-dire d’écrire son prénom, son nom et son âge. Je lui demande aussi son année de naissance pour sortir son dossier. En somme, nous repartons chaque fois de l’origine de sa venue au monde. Alors que nous avions entrepris d’explorer la généalogie familiale, vient une question relative à l’année de naissance d’un ancêtre comparée à la sienne : Qui est le plus grand ? L’errance nous gagne tous car on ne sait plus s’il s’agit de grandeurs numériques, d’âges, de tailles, d’enfants et de « grandes » personnes. L’embarras cognitif général est à son comble : comment 2008 (année de naissance de l’enfant) peut-il être plus grand que 1941 ? La confusion entre la dimension générationnelle du nombre calendaire et l’aspect quantitatif du nombre est délicate à démêler en cet instant. Ma position de psychologue m’emmène sous l’effet du transfert à éprouver le désarroi de l’enfant, là où ses parents s’impatientent de son incompréhension.

Les théories sexuelles infantiles désignent la manière dont chacun se représente d’où viennent les enfants et comment on les fait. L’idée, c’est que chacun a une hypothèse singulière, qui dépasse l’entendement rationnel. Si l’on met cela en regard de la question du droit à connaître ses origines, la connaissance des géniteurs donneur ou donneuse deviendrait une réponse supposée clore la question de la conception. Ne négligeons pas néanmoins le roman familial des névrosés, qui fait que chacun d’entre nous s’imagine, se raconte parfois, être issu d’autres parents que les siens. Une naissance illustre aurait ainsi pu nous être cachée… Souvenons-nous de l’histoire d’Aurore Drossart, à qui sa mère avait révélé qu’elle était la fille d’Yves Montand. L’analyse d’ADN post mortem apporte un démenti à cette conviction, pourtant Anne Drossart affirme : « J’ai la certitude de la paternité d’Yves Montand sur ma fille ».

Désormais, les possibilités multiples permises par la science viennent nuancer l’adage de droit romain « Mater certissima, pater semper incertus ». Elles n’ont cependant pas le pouvoir d’arrêter les fictions individuelles ou collectives. Qu’est-ce qu’un père, qu’est-ce qu’une mère ? restent des questions en chantier permanent, sans réponse ultime, puisque même ce qui n’est pas permis ici l’est ailleurs. Les frontières du pensable et du possible sont donc poreuses.

En fait, chacun d’entre nous reste fasciné par le trou de la serrure de la chambre parentale : qu’est-ce qu’ils font dans ce lit conjugal ? Quel que soit le mode de conception présidant à notre venue au monde, pour chacun d’entre nous, nous n’aurons pas été là à cet instant ou durant le moment de notre fabrication. Ce pourrait être l’un des ressorts de ce mystère des origines à percer. Parce qu’une énigme existerait pour certains, du fait de la modalité de leur conception, il deviendrait alors possible d’aller chercher à l’origine, au commencement. D’être géniteurs, cela donne-t-il un statut parental ? Est-il juste de parler comme le fait le code civil de « parents de naissance » ? Ou bien la parentalité relève-t-elle de son exercice ? Peut-être convient-il d’établir une distinction entre le droit et la Loi symbolique. L’appareil juridique a vocation à réguler un fonctionnement sociétal là où la Loi symbolique vise à séparer, à empêcher le marasme fusionnel, qui conduit au délire. Parfois, l’appareil juridique fait tiers, mais à la différence de l’arbitraire de la Loi symbolique, qui s’impose à nous, le droit doit justifier de ses décisions. De surcroît, lorsque le verdict est énoncé, cela engage bien au-delà de la situation examinée et doit être source de cohérence généralisable.

Que font les comités d’éthique clinique, sinon constater l’existant et en examiner les contours, le caractère éventuellement délirant, aberrant, puis d’émettre un avis en tentant d’examiner l’ensemble des enjeux sous-tendus par la situation. Quand l’usage se multiplie, il se banalise et finit parfois par s’inscrire dans la norme. Ce qui depuis la possibilité contraceptive est mis en débat, c’est la possible disjonction entre acte sexuel et procréation et, plus avant, la liberté féminine qui en découlerait. L’AMP désigne l’assistance médicale à la procréation, c’est-à-dire que la médecine porte assistance à l’aide de sa technique à une femme, à un couple infertile dans le processus de conception d’un.e enfant (ou de plusieurs, comme c’est souvent le cas). Dans l’intitulé PMA (procréation médicalement assistée), la procréation est première et donne lieu à un dispositif médical d’accompagnement, mais peu à peu son usage s’est étendu. Par le passé, la Poste assurait ce service. Cela s’appelait alors l’Assistance au Mari par Postier. Le fils du facteur désignait le résultat d’une infidélité conjugale, mais il pouvait également relever du traitement d’une infertilité masculine ou conjugale...

Le secret est toujours au service d’un pouvoir. Par conséquent, face au secret, diverses questions surgissent : à qui profite l’ignorance ? À qui revient la détention ou la rétention du secret ? Qui protège-t-on par le secret ? Je crois que les enfants fonctionnent à partir de la logique. Ils déduisent la norme à partir de ce qu’ils observent. Si ce que nous voulons leur transmettre est en contradiction manifeste avec ce que nous faisons, avec ce qu’ils observent, soit ils nous questionnent, soit ils sacrifient leur intelligence pour protéger leurs parents. La logique de l’erreur nous renseigne souvent sur une compréhension autre, plutôt que sur ce qu’improprement on désigne comme faute.

Quel est le devenir de ce futur enfant issu d’une non rencontre d’un homme et d’une femme ? Un enfant est-il concevable hors sexe et, puisque oui aujourd’hui, cela a-t-il potentiellement des conséquences sur son devenir ? Le fantasme galope, l’imaginaire est sans limites et la morale bienpensante est toujours prompte à savoir à la place de l’autre ce qui est bon pour lui au nom d’une norme, d’une croyance.

Quand et où se pose la règle du tout dire ? Il n’y a que chez le psychanalyste que l’analysant doit tout dire. Le peut-il ? On a abusivement fait dire à Françoise Dolto qu’il faudrait tout dire à l’enfant. Je crois que son invitation était plutôt de soutenir qu’il est possible de parler de tout, de tout parler lorsque l’enfant se questionne, nous questionne ou bien qu’il nous pose question. Lorsque l’enfant consulte, plus exactement, lorsque ses parents le conduisent auprès d’un psychologue, il est le véhicule de multiples questions au travers des symptômes, qu’il présente, incarne ou que son entourage a décelés.

La construction de la théorie de l’inconscient se poursuit tout au long de la vie et de l’œuvre de son inventeur, qui traque inlassablement la vérité. Tout clinicien qui s’appuie sur cette hypothèse est mû par cette même rigueur de ne pas savoir par avance ce qui est à découvrir. Il y a à ne pas reculer devant ce qui se donne à voir ou à entendre, tout en sachant que pour chacun d’entre nous, parfois ça résiste. C’est dire qu’inlassablement l’écoute du psychologue est aux prises avec cette quête de vérité d’une part et avec la possible rencontre de points de surdité et d’aveuglement d’autre part.

Lorsqu’il élabore sa théorie du complexe d’Œdipe, un pilier fondamental pour lui, une découverte capitale selon lui, qui le conduira à renoncer à sa théorie du traumatisme, Freud s’appuie sur la mythologie grecque. Le fils va tuer son père et épouser sa mère. Malgré sa grande érudition, Freud semble méconnaître un épisode fondamental de la malédiction des Labdacides. C’est en amont qu’il faut chercher comment Œdipe en arrive à tuer son père et épouser sa mère. Il y a cette malédiction prononcée par l’oracle auprès de Laïos (le père d’Œdipe) en lui interdisant de produire une descendance. Laïos a perdu précocement son propre père. Il trouve refuge auprès de Pélops, dont il séduit le fils, Chrysippe. À l’issue de ce viol pédophile, Chrysippe se suicide. L’interdit posé par l’oracle résulte donc d’une faute commise par Laïos. Freud omet cette part traumatique du mythe d’Œdipe. C’est ce que Marie Balmary appelle « la faute cachée du père » et qui constitue l’insu, l’impensé de la seconde topique freudienne. Pourquoi ce long détour aux origines de la psychanalyse ? Parce que malgré cette boiterie (Oidípous signifie « pieds enflés »), la théorie peut fonctionner. C’est aussi pour cela que chaque psychanalyste réinvente au travers de sa propre analyse la théorie. Il ne saurait y avoir de dogme ininterrogeable dans la théorie de l’inconscient.

La question des origines renvoie à l’idée du commencement, de l’antériorité, de la chaîne générationnelle. C’est en compagnie du personnage anthropomorphe du poussin noir nommé Calimero(1), que je souhaiterais conclure ma réflexion. La formule fétiche du héros (dont le couvre-chef est une coquille d’œuf brisée) : « c’est pas juste » nous conduit à en envisager la polysémie, puisqu’elle renvoie à la fois du côté de la justice, mais également sur le versant de la justesse. Effectivement, il est parfaitement exact d’affirmer que la vie n’est pas juste. L’épisode consacré à la naissance de Calimero est fort instructif. « Césarine, que se passe-t-il ? » s’exclame Ambroise Galettoni, occupé à jardiner. « Tu es père, voici ton héritier ! » lui rétorque sa femme. Et voulant accourir, Ambroise Galettoni se prend au sens propre un râteau. Les premiers mots à l’endroit de son fils seront de l’envoyer au diable. Mais clamés en retour par Calimero, le père leur apporte un démenti en prétextant que sa langue a fourché. Voilà l’entrée dans la vie de ce supporter de l’injustice, dont la mère pensait avoir le temps d’aller faire son marché avec la naissance de son poussin et dont l’éclosion l’a d’abord plongé dans la solitude et l’abandon.


La naissance de Calimero : https ://www.youtube.com/watch?v=UfSJFQ2MZnk.

 

Daniel Charlemaine
Paris, le 20 décembre 2019

 
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(1) Mentionnons que Calimero a d’abord été un personnage publicitaire destiné à vanter les mérites d’une lessive, qui allait lui rendre sa couleur jaune. Sa couleur noire résultait du fait qu’il était tombé dans la boue ou dans la suie en naissant.

 
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