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Aujourd’hui, si nous parlions orthographe ?

 

 
Des textes de Laurent Carle et Evelyne Charmeux
 


Publication originale  Ces textes ont été initialement publiés sur le blog d’Eveline Charmeux, dans deux billets datés respectivement du 31 octobre 2008 et du 3 novembre 2008. Ils sont reproduits ici avec l’aimable autorisation de leurs auteurs.
Autres textes d’Eveline Charmeux  Voir sur ce site les autres textes d’Eveline Charmeux, ainsi que La Tribune de Laurent Carle.

 

Aujourd’hui, si nous parlions orthographe... ?

par Eveline Charmeux

 

Et pourquoi pas ? Ayant à travailler sur l’orthographe pour mes étudiants en préparation du CRPE, j’ai eu à étudier la copie suivante d’un petit bonhomme de CE2 (écrite il y a quelque 25 ans...), copie fort intéressante, qui prouve que les problèmes d’orthographe de l’époque valaient bien ceux d’aujourd’hui, et dont l’analyse me semble de nature à pouvoir intéresser nos collègues et susciter un débat dépassant celui de l’orthographe...

Il s’agit de la copie du petit François CE2 en réponse à la consigne suivante : « Raconte l’histoire du petit chien qui ne savait pas aboyer »

François CE2

À la lecture de cette copie, deux choses frappent d’emblée :

1– François paraît bien loin d’être bête : son récit n’est pas mal bâti du tout, assez bien structuré, et vivant. Il a le sens du dialogue, qu’il sait ponctuer. Il a même une connaissance incontestable de certaines spécificités de la langue des contes : il utilise des passés simples, certes bizarres, mais placés à bon escient dans le récit.

2– En revanche, son orthographe n’est pas seulement remplie d’erreurs, elle est complètement étrangère au fonctionnement français des formes écrites de la langue.

On a la nette impression qu’il fabrique les mots qu’il écrit, non point en reproduisant ce qu’il en a vu, mais en appliquant des règles de correspondance entre ce qu’il entend et ce qu’il faudrait écrire, règles qu’il ne maîtrise absolument pas... Ajoutons qu’il ne prend aucunement en compte le statut grammatical de ces mots : hormis les formes “il fut bien déssu” et “il vit”, aucune marque spécifique du système verbal n’apparaît dans son texte.

Comment expliquer cela ?

Il est clair que François n’a vu que très peu de « choses écrites » et surtout qu’il n’a jamais été invité à observer comment ça fonctionne.

On sait aussi, par tous les travaux sur la psychologie des petits, combien sont déterminantes pour la suite de leurs apprentissages, les premières approches de ce qu’on leur enseigne.

Ce comportement scriptural de François peut donc être mis en relation avec la manière dont l’écrit lui a été présenté lors de ses premiers apprentissages.

Or, un apprentissage de la lecture, qui se fait à l’aide d’une méthode de type syllabique, où la combinatoire n’est pas le résultat d’une analyse de textes lus, mais produite par association de lettres, rattachées aux sons de la langue parlée, peut entraîner une telle représentation de l’écrit, chez un enfant. Surtout chez ceux où on lit peu à la maison et qui n’ont pas eu l’occasion de faire des découvertes personnelles sur les « choses écrites ».

Si l’on approfondit l’analyse, on peut aller jusqu’à dire que cette copie est bien représentative des conséquences possibles d’un enseignement de la lecture par le B.A.BA, non accompagné d’écrits vrais, – forme d’enseignement qu’il s’agit donc d’éviter, au moins au nom du principe de précaution !

On le voit très clairement : pour lui, l’écrit se fabrique à partir de ce que l’on entend à l’oral, – et c’est ce qu’on lui a dit à l’école. ... Et c’est parce que ces règles de transcription, qu’il a reçues de l’extérieur de façon abstraite et sans liens avec ses propres observations, lui ont laissé une impression de complexité insurmontable, que “le n’importe quoi” est devenu pour lui la seule solution, quand il s’agit d’écrire.

Seuls ont été repérés l’emploi des guillemets qu’il manie avec plaisir semble-t-il, ainsi que quelques mots : “chien”, “grand”, “bout”... En dehors de cela, la seule chose qu’il a retenue du peu qu’il a dû lire, c’est bien une diversité ingérable des graphies possibles, sans qu’on lui ait fourni le moindre GPS pour s’y orienter.

Ce qui confirme cette hypothèse d’explication, c’est qu’il a dans l’oreille, non pas la valeur sonore des lettres,, mais tout simplement leur nom : s’il écrit “eseilla” et “je lèse tomber”, c’est parce que, pour lui, il s’agit de la lettre “s”, qui ne peut correspondre qu’au son [s] : il ne se pose même pas la question.

A partir de là, la distinction "orthographe grammaticale/orthographe d’usage" n’a plus grand sens. Il puise, au petit bonheur, dans le réservoir très fouillis des relations graphies-phonies qu’il a retenues et il écrit les mots comme il peut, sans faire intervenir leur rôle grammatical, dont, au surplus, on ne lui a guère parlé lors de ses apprentissages premiers.

Comment aider François à s’en sortir, et quel travail mener en classe, à partir d’une telle performance ?

Si l’on admet cette hypothèse, trois propositions sont à éliminer d’emblée :

1– lancer François dans une correction monumentale de son texte, ce qui ne pourra que le dégoûter définitivement d’écrire à l’avenir...

2– diagnostiquer une "dysorthographie" et chercher à "soigner" ce type de maladie, ce qui serait très probablement une énorme erreur, surtout si l’on songe aux travaux sur les effets de l’étiquetage (le fameux effet Pygmalion) sur les possibilités de réussite des élèves.

3– prévoir du soutien pour lui en particulier.

Solution, désagréable pour lui, humiliante et, pour ces raisons, sûrement inefficace.

En fait, pour ce qui est de la copie, la seule chose à faire est de lui rendre cette copie réécrite de façon lisible, et sans commentaires sur l’orthographe, afin qu’il oublie au plus vite ses graphies fantaisistes, mais, surtout, sans oublier les remarques positives sur les qualités que la copie révèle et qui sont à la fois justes et nécessaires.

Pour ce qui est du travail d’aide à l’amélioration de ses performances à l’avenir, c’est tout un projet « orthographe » qu’il faut mettre en place, avec le reste de la classe, à qui cela ne peut que faire le plus grand bien.

L’objectif est évidemment de faire en sorte que les yeux de François (et des autres !) se « rouvrent sur le fonctionnement de la langue française en situation de communication à distance. Faire re-découvrir le fonctionnement de la langue écrite, cela ne peut se faire que par de nombreuses situations d’observation des textes qu’on lit en classe de lecture

L’orthographe, – il faudra bien qu’on finisse par l’admettre –, c’est la face visible de ces formes langagières, et elles sont conçues précisément pour les yeux. C’est pour cette raison qu’elles contiennent toutes sortes de balises visuelles, destinées à favoriser la compréhension à l’écrit, de telles balises n’ayant aucune raison d’apparaître à l’oral, puisque la situation suffit en général pour comprendre l’essentiel des informations.

À l’écrit, en revanche, seuls les mots permettent de le faire. Il est donc nécessaire qu’ils contiennent davantage d’informations et les lettres prétendument " superflues " sont là pour cela.

C’est pour cela qu’il est essentiel que les enfants apprennent à lire en observant des écrits « vrais », comportant les marques orthographiques qui permettent de comprendre.

Et qu’on ne vienne pas parler ici de « méthode orthographiques », notion ridicule : si c’est une méthode, ça ne peut être que mauvais !!

On apprend en situation véritable, pas autrement : on apprend à nager dans l’eau et non en dehors, et on apprend à lire dans les textes écrits en langue écrite, et non dans les « méthodes », orthographiques ou non !!

Ces observations du fonctionnement de l’écrit se feront en petits groupes, hétérogènes, avec ceux qui savent ou croient savoir : cela va les aider à asseoir un peu mieux ce qu’ils savaient un peu, et, contrairement à ce que d’aucuns pensent, revenir là-dessus ne leur fera nullement perdre du temps, au contraire.

Ces activités auront comme objectif de faire apparaître :

1– le rôle des marques orthographiques en lecture, avec, notamment, un travail sur les homonymes DANS LES TEXTES, et non de façon isolée (cent / sans / sang / s’en / ... etc).

2– Le rôle des marques orthographiques sur la signification des autres mots de la phrase ou du texte, comme « les tours sont terminés » / « les tours sont terminées », ou « les voiles sont noirs » / « les voiles sont noires ».

3– Ensuite, on pourra travailler sur les correspondances phonies-graphies, à l’aide d’activités de classement de faits orthographiques, toujours dans des textes, sans se contenter de phrases (trop limitées), et, naturellement, jamais sur des mots isolés, en veillant à placer toujours les contre-exemples, indispensables à une compréhension véritable du fonctionnement, afin d’éviter toute mécanisation.

4– Parallèlement, on travaillera sur la manipulation du dictionnaire d’orthographe, de manière à rendre les élèves capables de l’utiliser en toute occasion d’écriture, avec comme objectif majeur d’installer chez les élèves le doute orthographique, et le réflexe de chercher des réponses dans de la documentation et non dans sa mémoire, dont on sait qu’elle est la chose du monde la plus infidèle...

Nourrir abondamment sa mémoire, mais apprendre à s’en méfier, c’est l’honnêteté, c’est la sagesse !

La morale de cette aventure ?

Comme le bon La Fontaine, qui se demandait : « quelle chose par là peut nous être enseignée ? », j’en vois deux :

* La première, c’est qu’une performance scolaire apparemment catastrophique ne l’est jamais complètement, et surtout n’a, pour l’immense majorité des cas, rien à voir avec une maladie. Elle est presque toujours le résultat d’un travail et d’un raisonnement, un peu faussés certes, mais qu’il faut essayer de comprendre et qu’il faut respecter, et dont il faut chercher l’origine dans la manière dont les choses lui ont été présentées auparavant.

* La seconde, que ce n’est pas avec du « soutien », même personnalisé, – je dirais surtout s’il est personnalisé : on n’apprend pas tout seul, même si un adulte est en face !! – qu’on résoudra les difficultés, mais en travaillant autrement, et avec tout le monde, en utilisant les interactions entre élèves, dont on sait qu’elles sont infiniment plus efficaces que l’aide, si dévouée soit-elle, de l’enseignant.

On sait tout cela depuis bien longtemps... Mais si, je vous l’assure !

Eveline Charmeux
31 octobre 2008

 
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Commentaire de Laurent Carle

Les adultes qui enseignent, qui gèrent, qui dirigent, qui forment, qui accompagnent, qui soignent, qui organisent, qui pensent le système scolaire français vivent leur rapport à l’élève semblable au rapport maître-esclave, contremaître-ouvrier, médecin-patient, ordre privilégié-tiers-état, majorité-minorité ethnique, classe dirigeante-peuple, commerce de grande surface-consommateurs, supérieur-inférieur, dominant-dominé. Par privilège acquis, dans l’école française on tourne le dos au tableau. Pour un fonctionnaire du système scolaire, les élèves, face au tableau, même majoritaires en nombre, sont mineurs par appartenance à la classe des hommes en miniature, individus inférieurs par définition. Ils ne sont pas en voie de croissance, ils sont de petits adultes incomplets, inachevés, imparfaits, défaillants même, comme tout être inférieur. Les maîtres sont d’anciens candidats qui, très jeunes, se sont distingués par leur supériorité génétique, élus de la sélection, élevés au rang de respectable notable, recrutés pour leur capacité à perpétuer le système à l’identique. Leur mérite les a fait entrer au paradis terrestre. Ce paradis est définitif. Ce mérite est valable une fois pour toutes. Ce qui est acquis est acquis. Rien ne peut le remettre en question. Pour un propriétaire terrien, la société esclavagiste est la société idéale, comme l’était la monarchie pour la noblesse de l’Ancien Régime. De même, le système scolaire français est idéal. Toute autre est inimaginable. Un maître qui se bat pour “l’école” " défend une place acquise par son « travail ». Maître ou enseignant, tout avantage acquis est de droit divin et définitif, comme le paradis. « Il n’y a pas d’autre modèle d’école ! » On ne peut donc lire les résultats de l’enseignement qu’à travers le viseur de la théorie de la défaillance de l’élève, défaillance volontaire ou involontaire. Mauvaise volonté, déficit intellectuel, déficit social ou trouble médico-psychologique, toutes explications intrinsèques au “sujet”. Seul, celui qui fait la queue pour entrer au paradis, candidat à une sainteté qui reste à conquérir, peut pécher. Comme son nom l’indique, le saint confirmé est parfait. « La classe supérieure, le corps enseignant au sens large, n’a rien à voir dans les dysfonctionnements scolaires. Il n’y a pas de dysfonctionnement. Les conséquences négatives de l’enseignement en France ne sont pas des ratés, mais ce qu’on veut qu’elles soient, le tri entre bons et mauvais. C’est parce que l’école fait bien et pour le mieux que les meilleurs réussissent et que chaque acteur-observateur est là où il se trouve aujourd’hui, au ciel scolaire ! Car c’est l’élève qui a obligation de réussite, pas l’enseignement ! » Nier cet aphorisme reviendrait à douter et à se disqualifier soi-même. Ce qu’un individu sain d’esprit ne peut envisager. Au lieu de conforter ces évidences, vous supposez une large part d’inefficacité didactique chez les enseignants du fait de leur incapacité à faire réussir tout le monde ou de leur incompétence professionnelle probable par insuffisance de formation. Hypothèse impliquant la responsabilité de tout le système, donc celle des acteurs non enseignants aux différents étages et dans les divers compartiments de l’organisation pyramidale. Vous voulez faire travailler les maîtres autrement, et avec tout le monde, en utilisant les interactions entre élèves, dont on sait qu’elles sont infiniment plus efficaces que l’aide, si dévouée soit-elle, de l’enseignant. Vous voulez rendre l’élève acteur de son apprentissage, coopérateur avec ses pairs, coévaluateur de ses progrès avec le maître, lui accorder une place centrale dans le dispositif, annulant toute prérogative magistrale. Vous êtes incroyablement pédagogiste. Vous voulez donner une formation pédagogique aux maîtres pour qu’ils soient moins doctes et plus guides. D’accord sur ce point avec la nouvelle politique scolaire du gouvernement, ils n’en ressentent aucunement le besoin. Vous tentez de semer le trouble dans la bonne conscience des enseignants et de ceux qui supervisent leur enseignement. Mais ça ne prend pas. Vous n’êtes donc pas crédible.

Laurent Carle
2 novembre 2008

 
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Travailler en classe AUTREMENT et AVEC TOUT LE MONDE...

par Eveline Charmeux
 

Peut-on être crédible avec un tel credo ? Malicieusement, L. Carle, dans son commentaire, s’est paré des plumes du paon “S.O.S. Education” et consorts, pour démontrer, de façon imparable, le caractère non seulement utopique, mais proprement scandaleux des propos du billet précédent. Ainsi poussée dans mes retranchements, il me faut éclairer ma lanterne et préciser, de façon aussi concrète que possible, ce que peut – et devrait – être une véritable réforme de l’école.

Ne nous y trompons point : l’école est au cœur d’une immense contradiction. Chargée de diffuser le savoir, elle est donc automatiquement amenée à diffuser du pouvoir.

Or, elle fut créée, à l’aube des temps dits civilisés, par des « qui avaient le pouvoir », et qui étaient évidemment des « peu enclins à vouloir le partager ».

Cette contradiction fonctionne depuis des siècles comme un « virus » au sein de l’Institution, dont l’effet consiste à contraindre l’Ecole à réussir... pas pour tout le monde, et en triant avec soin les élèves qui le méritent. Et ceci, bien sûr, à l’insu du plein gré des enseignants, pour reprendre une formule plaisante bien connue.

Mais je crois profondément qu’on aurait tort de voir là une fatalité, et plus encore de se résigner à ce que l’école ne réussisse que pour ceux qui n’ont pas vraiment besoin d’elle.

Même si cela doit prendre encore des décennies – ou plus –, il faut enfoncer le clou et redire avec obstination que nous, les enseignants, sommes plus libres que nous le croyons, et que, pour un coût très minime, des solutions sont à notre portée, que je résumerai par ces deux formules : travailler autrement et avec tout le monde.

TRAVAILLER AUTREMENT

Les enseignants portent sur eux, par la formation qu’ils ont reçue depuis des lustres, le poids d’une tradition, devenue quasiment une seconde nature, selon laquelle faire la classe, c’est faire des cours. Des cours qui sont bâtis selon une organisation apparemment cartésienne, fort convaincante, qui convainc totalement une bonne partie de l’opinion publique, si bien que toute remise en question de cet ordre dégage le parfum de scandale que Laurent a si fortement analysé dans son commentaire.

Or, faire des cours magistraux qui prétendent transmettre les contenus à apprendre a pour effet d’être avant tout un excellent filtre social, destiné inconsciemment, mais réellement, à limiter les dangers d’une diffusion trop massive des savoirs.

Ceci pour deux raisons :

1– Ils exigent des élèves, d’avoir, pour en tirer profit, une attention auditive (du reste, on demande constamment aux élèves d’être attentifs et d’écouter...). Il leur faut donc avoir un « profil d’apprentissage » de type auditif, dont on sait qu’il est très rare dans la population, laquelle est majoritairement de type visuel.

2– C’est une parole qui reste largement abstraite, notamment pour les élèves appartenant à des milieux « ouvriers » – au sens de « qui travaillent de leurs mains » – et pour qui seul compte ce qui est « agi » de façon concrète. Elle élimine ainsi une bonne partie de la population scolaire... précisément celle que l’on ne souhaite pas voir ailleurs que là où elle est.

* Travailler autrement, cela signifie donc d’abord : faire travailler les enfants avant de leur « transmettre » ce qu’ils ont à apprendre, pour que ceux-ci puissent d’abord s’étonner, se poser des questions, et découvrir que ce qu’ils savent ou croient savoir, n’est peut-être pas aussi sûr qu’ils ne le pensaient. Il faut s’être posé des questions pour qu’une explication soit intéressante, et qu’elle accroche l’attention !

* Travailler autrement, c’est aussi prendre en compte les stratégies et croyances des élèves, si erronées soient-elles, comme j’ai tenté de le faire pour le petit François du billet précédent. C’est prendre les élèves au sérieux, et les traiter en partenaires respectables et dignes de notre aide. C’est savoir que leurs erreurs sont normales (s’ils savaient déjà, ils n’auraient pas besoin d’être à l’école !). C’est aussi avoir sur eux un regard positif : chercher à voir ce qu’ils savent et non ce qu’ils ne savent pas. Du reste, on sait bien que l’on ne peut apprendre que si l’on sait... que l’on sait déjà un peu. Ce que je ne sais pas du tout ne m’intéresse jamais.

* Travailler autrement, c’est encore redonner à l’évaluation sa véritable fonction, qui est de mesurer les progrès de l’élève et de permettre de réajuster le travail d’enseignement.

Toute évaluation devrait être suivie d’une régulation collective destinée à prendre des décisions pour la suite du travail : compte tenu des résultats observés, comment allons-nous travailler maintenant ? Sur quoi, prioritairement et sous quelles formes ?

Une évaluation n’a à comporter ni jugement sur la personne, ni jugement sur la performance. Ce qui est évalué, ce sont les compétences que la performance révèle. Et « corriger des copies », c’est repérer les indicateurs de compétences qu’elle contient, pour l’améliorer et développer les compétences, ce n’est pas poser une note justifiée par le nombre de « fautes » soulignées. Pour être utile à l’élève, la « correction » magistrale, la part du maître, devrait se faire  sur le brouillon avant édition. Après édition, après mise au propre, elle n’a d’utilité que pour le carnet de notes du maître. La notion de « valeur d’une copie » hors d’une situation d’examen n’a strictement aucun sens !

ET AVEC TOUT LE MONDE

Ce n’est pas en isolant les enfants, prétendument pour les « soutenir », qu’on les aidera à réussir.

Pour pouvoir vraiment travailler autrement, il faut enfin oser secouer un dogme absolu, celui du travail toujours individuel.

En classe, tout se fait individuellement, même le cours qui a l’air d’être proposé à toute une classe, est conçu en réalité comme si cette classe n’était qu’une seule et même personne : somme d’individus, monades identiques, réunis au coude à coude pour écouter, c’est plus commode pour le professeur, mais isolés dans l’acte d’apprendre... C’est du reste pour cela que l’hétérogénéité est si mal acceptée par la majorité des collègues.

Les exercices, les interrogations au tableau, les productions, tout doit être fait tout seul, et surtout sans regarder sur le voisin, faute impardonnable et sévèrement punie... !

Or, ainsi organisé, le travail devient, lui aussi, un filtre social parfait : ceux qui réussissent, ce sont les « meilleurs », ou plus précisément, ceux qui ont chez eux suffisamment de richesses culturelles et langagières, pour avoir acquis des stratégies et des repères, que les autres ne peuvent avoir. Hormis de rares exceptions qui confirment en général la règle (la richesse en question vient alors d’ailleurs... mais pas de l’école !), les difficultés et les échecs se retrouvent toujours du même côté de la Société, même si ce détail est délibérément enfoui sous des explications d’ordre personnel, – bien commodes et bien dé-responsabilisantes pour le système – travail insuffisant, « paresse » et « dons » absents.

C’est cette habitude qu’on peut – et qu’on doit – modifier, pour admettre qu’un moment d’apprentissage ne peut être efficace que s’il est conçu comme une situation-problème à résoudre en petits groupes, hétérogènes de préférence, où les différences qui séparent les enfants vont être, à la fois source d’enrichissement pour chacun d’eux, et lieu de construction de leur personnalité.

Contrairement à une opinion mal bâtie, mais fort répandue, c’est en travaillant avec d’autres que chacun se forge une personnalité propre.

C’est aussi là que la confiance en soi peut se construire, sans laquelle nulle réussite individuelle n’est possible.

Il faut, en effet, y insister : ce qui doit être individuel, c’est le résultat, pas le travail pour l’obtenir.

Le travail de groupe, à condition d’être organisé avec la plus grande rigueur, est encore le lieu où peuvent se construire l’esprit de coopération et la maîtrise des stratégies à mettre en œuvre pour aider les autres, compétences qui font si cruellement défaut à notre génération.

Mais surtout un lieu de responsabilité réelle, mais partagée, le travail de groupes – et la classe coopérative, et toutes les autres formes de « travail ensemble » – permet de s’approprier petit à petit cette responsabilité : c’est lourd et souvent traumatisant, la responsabilité... Il est donc essentiel qu’elle soit d’abord partagée pour que les enfants apprennent à l’assumer.

Contrairement à ce qu’on semble croire, la responsabilité ne pousse pas automatiquement comme la barbe au menton des garçons : elle doit s’apprendre, et c’est loin d’être facile. Comme l’Ecole n’a jamais prévu cet apprentissage, et qu’elle s’est toujours bornée à l’imposer, rien d’étonnant à ce que les adultes que nous sommes aient tant de mal à se comporter en êtres responsables !

Rien de tout cela n’exige de grands frais, d’autant plus que, mises en place, ces pratiques économiseraient les deux heures de « soutien personnalisé », si inutiles et très probablement nuisibles à la majorité de ceux qui vont en « bénéficier »

M’objecte-t-on que les collègues auraient besoin d’être aidés pour effectuer de tels virages ? Qu’à cela ne tienne ! Ce pourrait parfaitement être le rôle des collègues spécialisés – les RASED –, dont la tâche serait beaucoup plus efficace auprès des enseignants qu’auprès des élèves. Au lieu de les supprimer, décision stupide et criminelle, c’est à l’aide – très personnalisée, cette fois – des enseignants qu’il faudrait les inviter à se consacrer : en classe, on a TOUS besoin d’un regard extérieur sur ce qui se passe, on a besoin d’un spécialiste qui sache analyser les réactions des élèves, on a besoin de quelqu’un qui ait d’autres idées sur la manière d’aborder les contenus à enseigner.

L’isolement de l’enseignant dans sa classe est une des causes majeures de l’échec scolaire. Pour les enseignants aussi, c’est ensemble qu’il faut travailler.

C’est la nouvelle mode, aujourd’hui, dans les médias, que de faire état d’actions exemplaires de solidarité, ici ou là... Excellente chose, dont le rôle est peut-être de tempérer un peu la formidable école d’égoïsme qu’est notre société libérale...

Avouez que ce ne serait pas mal, que cette mode envahisse un peu l’Education Nationale... !

Eveline Charmeux
3 novembre 2008

 
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