Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
(Site créé et animé par Daniel Calin)

 

Grandir à l’école ?

 

 
Un texte de Claudine Ourghanlian
Enseignante spécialisée


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Publication originale  Ce texte a été initialement publié sur le site de Claudine Ourghanlian, liens & marges (enseignement spécialisé et culture). NOTA : Ce site n’est plus en ligne actuellement.

 

Dans un article récent(1), Daniel Calin s’interroge sur l’existence d’une souffrance ordinaire à l’école maternelle. Il en vient à formuler l’hypothèse que « les caractéristiques générales des pratiques de classe, dès la maternelle, impliquent chez tout enfant « normal » une souffrance plus ou moins vive. » Il observe deux formes de violences très généralisées à l’école :

J’ai été enseignante en maternelle, je le suis actuellement en CLIS 1(2). Entre deux, conseillère pédagogique de circonscription, j’ai observé des pratiques. Cette interrogation, cet effroi, je les partage.

Remarquons cependant qu’il y a déjà quelques décennies, Jacques Lévine tirait la sonnette d’alarme(3), la différence étant qu’il parlait alors au nom des enfants les plus vulnérables. Il défendait leur besoin d’autre chose que d’une structure-classe et invitait à réfléchir à la définition d’une maison d’école, plus favorable à la construction de l’enfant. Daniel Calin se demande aujourd’hui si l’école maternelle ne crée pas des facteurs de vulnérabilité à travers une organisation banalisée, rigidifiée, pour n’être plus qu’une organisation fonctionnant à vide. Dans trop de classes, l’enseignant se positionne comme pourvoyeur de tâches, énonceur de consignes, maître de la discipline, évaluateur. Accompagner l’enfant dans ses apprentissages devient accessoire, s’intéresser à ce qu’il est, à ce qu’il se demande, à ce qu’il fait spontanément relève du superflu. L’enseignant est là, omniprésent, mais trop peu dans un rôle d’étayage.

Pierre Delion(4) observe lui aussi « qu’en psychiatrie de l’enfant, il est extrêmement important de tenir compte de cette pépinière riche en décompensations psychopathologiques qu’est l’école ». Je ne jetterai la pierre à personne. Des cercles vicieux  (fonctionnement qui se rigidifie / professionnel dans l’empêchement de penser), on en a vu d’autres, le plus souvent en lien avec une maltraitance de ces professionnels et une réaction défensive de leur part. Mettre en accusation risquerait de faire passer de la rigidité à la sclérose.

Comment éviter la culpabilité pour réinvestir la responsabilité et le respect ?

C’est en accueillant des tout-petits, c’est-à-dire en ayant en tête et en cœur l’idée de vulnérabilité et de risque, que je me suis demandé comment leur fournir un environnement favorable : de quoi avaient-ils besoin ?

De quoi avaient-ils besoin ? Telle était ma question, je l’ai trouvée porteuse d’attention, de réflexion et de créativité et j’ai la faiblesse, aujourd’hui, de penser qu’elle peut l’être pour d’autres que moi, avec d’autres publics. Car toute classe accueille des fragilités et tout enfant, comme tout adulte d’ailleurs, risque à tout moment de basculer dans une situation de vulnérabilité.

Le concept de besoin m’a conduite aux travaux d’Abraham Maslow(5). Ce docteur en psychologie a abandonné l’approche béhavioriste et proposé une approche humaniste et respectueuse de la personne humaine très ancrée dans l’observation de la réalité quotidienne. La noblesse de tout individu tient, selon lui, à sa caractéristique principale d’être, quel que soit son âge, en train de devenir humain. Chacun cherche à satisfaire à la fois les besoins les plus physiologiques et des besoins supérieurs, ontiques.

Abraham Maslow est connu pour sa hiérarchie des besoins que d’autres se sont chargés de figer sous la forme d’une représentation pyramidale. Selon cette hiérarchie, lorsque les besoins physiologiques sont satisfaits (besoin de sommeil, de nourriture, besoin de soins...), ceux liés à la sécurité prennent de l’importance (protection, besoin d’ordre, de limites...). Lorsqu’ils ont à leur tour au moins partiellement satisfaits, les besoins d’appartenance et de vie sociale se manifestent. Puis l’appétit se tourne vers le besoin d’estime. Lorsque celle-ci est obtenue, l’individu peut chercher à s’accomplir, à être en accord avec soi-même. Lorsque le besoin d’accomplissement de soi est partiellement satisfait, l’individu s’ouvre alors à la recherche de véritables  nourritures de l’être  (besoin d’esthétique, de justice, de connaissance, de créativité, d’intégrité...).

Je n’ai pas l’intention de me référer strictement à cette approche, d’autant que je ne suis pas certaine d’être en accord avec toutes les propositions d’Abraham Maslow. Mais je l’ai mise en lien avec mon expérience professionnelle et ma réflexion personnelle pour tenter de lister et d’organiser les besoins de l’enfant d’âge scolaire tout en restant très consciente de la réduction qui s’opère dès que l’on cherche à catégoriser et à représenter spatialement le réel.

J’ai abandonné l’image omniprésente de la pyramide et je suis partie de l’idée (du postulat ?) selon lequel les différents types de besoins sont présents, à tout moment du développement. Un bébé n’a-t-il pas déjà besoin que ses ancêtres lui soient présentés ou d’être reconnu dans ses conquêtes ? Un élève de maternelle ne se pose-t-il pas, au même titre que ses aînés, des questions essentielles sur la vie ? Un grand du cycle 3 ne profiterait-il pas encore de moments de relation duelle ? Un collégien a-t-il dépassé le besoin d’être respecté dans son intimité et dans son silence ou celui d’être protégé contre une prise de risque irréfléchie ?

J’ai cependant conservé une représentation « étagée », cela pour deux raisons :

On m’objectera que je pars de généralités, d’un enfant théorique, et délaisse les singularités, ce qui est particulièrement malvenu pour une enseignante spécialisée, tenue de s’intéresser aux besoins particuliers de ses élèves, de les cerner et d’y apporter des réponses. Avancer l’existence de besoins « communs », ne conduit-il pas à simplifier à outrance et refuser les différences ? Je répondrai que tous les enfants, quelles que soient leurs ressources et leurs limites, ont la même tâche, grandir. L’école a donc pour vocation d’entretisser sa mission d’instruction et d’acculturation avec un accompagnement à grandir. J’ajouterai que « le même » peut se penser de façon étroite ou de façon large. Le penser de façon large à l’école autorise la diversité, le développement des potentialités dans leur singularité. Comment anticiper les conditions nécessaires pour aider un enfant à grandir et grandir un enfant ? C’est à ce questionnement que j’invite mes collègues car il me semble :

Ne revient-il pas à chaque professionnel d’interroger sa pratique et de se demander : ai-je négligé le besoin d’aller aux toilettes, celui de se rafraîchir, de dormir lorsque cela semble nécessaire ? Quelle réponse ai-je ou vais-je apporter au besoin de s’isoler ? Quels dispositifs peuvent répondre au besoin de se souvenir, à celui de connaître ses origines, à celui de définir sa personnalité ou de s’interroger sur de grandes questions fondamentales ?

On (les parents, les soignants, la hiérarchie...) reproche souvent aux enseignants de ne pas prendre en compte les besoins particuliers d’élèves pour lesquels les contraintes scolaires sont trop lourdes, de s’enfermer dans un empêchement ou un refus de penser des adaptations. Eux se sentent envahis par le sentiment d’impuissance et se retranchent derrière un « je ne sais pas faire, je ne suis pas formé » ou un « je dois aussi penser aux autres ».

J’estime qu’il faut d’abord s’être posé des questions très générales  (c’est quoi un enfant ? de quoi ça a besoin pour grandir ? et puis d’abord grandir ça veut dire quoi ? en quoi l’école a-t-elle un rôle particulier et complémentaire à jouer ?...) pour percevoir et prendre en compte les différences individuelles et pour imaginer des supports, des démarches qui ne pénalisent pas d’emblée les plus fragiles.

Il me semble aussi que se contenter, face à un enfant reconnu en situation de handicap par la MDPH, de penser des adaptations et des compensations en rapport avec ses incapacités, l’enferme dans une approche techniciste. Ne le réduisons pas au statut d’objet de nos interventions, aussi professionnelles soient-elles. Regardons-le aussi et même d’abord comme un sujet qui advient. Comme ses camarades, il a à grandir. Comme eux, l’ambivalence le saisit face à ce devenir à la fois si certain et si incertain. Comme eux, il a besoin qu’on le sécurise, qu’on l’accompagne, qu’on lui dévoile des chemins, qu’on l’encourage face aux obstacles et au sentiment de désorientation, tout en le laissant libre de découvrir d’autres chemins et de choisir ceux qui lui conviennent.

À la question « grandir c’est quoi ? », voici quelques réponses qui me sont venues :

Cette réflexion m’amène à proposer un « tableau »(6) des besoins de l’enfant pour grandir vis-à-vis desquels l’école partage, me semble-t-il, une responsabilité. Comme tout outil de travail, il ne vaut que par l’usage que l’on en fait. À chacun de se l’approprier, de le modifier, de le compléter pour le faire sien. Il propose un support de réflexion visant à assurer un bien-être suffisant mais aussi à favoriser le bien-devenir des enfants en s’adaptant mieux à leurs besoins (et non à leurs désirs). Il invite à penser pour cela un environnement suffisamment bon, à veiller à ce que l’institution ne soit pas génératrice, selon les craintes de Lévine, de sous-construction ou de dys-construction.

Miriam Rasse(7), psychologue et directrice de l’association Pikler Loczy France, définit ainsi la bien-traitance : « C’est un courant de pensée qui essaie de partir de la connaissance des besoins qu’ont les jeunes enfants pour se développer harmonieusement et de la façon dont ces besoins peuvent être pris en compte par leur famille et les professionnels qui s’occupent d’eux ». On peut juger le concept gnangnan, banal, inconsistant, déjà dépassé, opportuniste... L’idée de « favoriser l’épanouissement » est bien passée à la trappe des réformes de l’éducation nationale et nous sommes si bien formatés qu’elle nous semble déjà obsolète !

Avons-nous encore le droit de parler de « favoriser le développement optimal de chacun » ? Avons-nous encore le droit à une culture du questionnement et de l’ajustement qui ne vise pas uniquement la production d’élèves aptes à rester dans le rang ou dans la norme ou à répondre aux critères d’excellence déshumanisée mis en avant par notre société productive d’inégalités ?


Claudine Ourghanlian
Août 2011

 
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Notes

(1) Calin Daniel, La souffrance à l’école, L’erre, revue de la FNAREN, n° 26, octobre 2008, repris sur son site personnel Psychologie, éducation et enseignement spécialisé.

(2) CLIS 1 : classe d’inclusion scolaire située au sein de l’école ordinaire et scolarisant des élèves présentant des troubles cognitifs importants.

(3) Voir, par exemple : Lévine Jacques et Moll Jeanne, Je est un autre, ESF, 2000.

(4) Delion Pierre, Prendre un enfant autiste par la main, Dunod, 2011.

(5) Voir son site.

(6) Voir ce Tableau des besoins (format PDF).

(7) La Croix, 3/09/2003 : Bien-traiter un enfant, un enjeu d’humanité.

 
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Dernière révision : vendredi 31 janvier 2014 – 17:20:00
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