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Le Père Noël et l’accès au savoir

 

 
Un texte de Claudine Ourghanlian
Enseignante spécialisée


Publication originale  Ce texte a été initialement publié sur le site de Claudine Ourghanlian, liens & marges (enseignement spécialisé et culture). NOTA : Ce site n’est plus en ligne actuellement.
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« Ce n'est pas seulement pour duper nos enfants que nous les entretenons dans la croyance au Père Noël : leur ferveur nous réchauffe, nous aide à nous tromper nous-mêmes... »

Claude Levi-Strauss, « Le Père Noël supplicié », Sables, 1994

 

Le mythe du Père Noël repose sur la dissymétrie – d’adultes unanimes qui proposent une fabulation et d’enfants qui la reçoivent – ainsi que sur la réalité d’un environnement qui fait tout pour la conforter. Il s’agit toujours de prolonger le « bonheur » de la prime enfance, cette relation de sollicitude et d’émerveillement où le parent donne sans rien exiger en échange, comblé par un enfant-cadeau et préoccupé de le rendre heureux. Est offert à l’enfant qui commence à s’autonomiser un espace de bonheur imaginaire où il a le droit de profiter d’être petit car « il découvrira bien assez vite la réalité » et les contingences de la raison.

On a longtemps associé l’âge de 7 ans (celui de l’accès à la pensée opératoire et de l’importance des pairs) à l’âge de raison. Il n’est donc pas surprenant qu’il corresponde à l’âge moyen d’abandon de la croyance au Père Noël et d’apparition de doutes importants chez quasiment tous les enfants. Ainsi ce personnage est-il la divinité d’une classe d’âge : les 2-7 ans, ce qui correspond à une période marquée par l’extraordinaire développement du langage, la première socialisation collective et la traversée des conflits œdipiens. On observe pourtant un prolongement assez marqué de cette croyance chez les élèves de CLIS 1 et il n’est pas rare que des jeunes d’IMpro, à 16 ou 18 ans, ne remettent toujours pas en cause l’existence du débonnaire vieillard à barbe blanche.

 

1. Qu’est-ce que tu sais sur le Père Noël ? Quelques réponses de mes élèves

a. Le temps de l’illusion

Dans ma classe, une CLIS 1, Sina, 7 ans, très démunie sur le plan langagier, évoque ainsi le Père Noël « I donne un cadeau à z’enfants. Un cadeau : Cha’lotte aux fraises. Et je veux Titi. Pè Noë. » La question « qu’est-ce que tu sais sur le Père Noël ? », ne la conduit à mobiliser ni la dimension descriptive (un vieillard à barbe blanche et manteau rouge), ni la légende (concernant la fabrication des cadeaux par des lutins, le traineau volant tiré par des rennes, le passage par la cheminée...). Elle reste centrée sur la dimension gratifiante : il donne des cadeaux et pas à n’importe qui, il lui en donne à elle ! Par contre, ses camarades, Xavier (7 ans ½) et Kévin (10 ans) listent fièrement leurs connaissances. Ils dressent un portrait physique du personnage, soulignent sa gentillesse et relèvent quelques points de sa légende (le pôle Nord, le traîneau, les rennes, les lutins, ...).

Cécile, bientôt 8 ans, évoque un personnage magique : « Il peut faire la magie, se faire, je crois, invisible. Même il peut jamais mourir. Il a une barbe, un manteau rouge. Il donne des cadeaux aux enfants mais ceux qui sont pas sages, non ! Ceux qu’il connaît pas, il en donne pas. Je sais pas comment il les connaît. Peut-être, quand j’étais née, je savais déjà que Noël ça existait. Ou peut-être, quand j’ai grandi, qu’i’ z’ont dit... Je sais pas comment je savais que le Père Noël ça existait. Le Père Noël, lui, il sait tout. Moi je sais pas. Je pense qu’il est vieux parce qu’il a une barbe, je sais pas... » Ses questions et ses doutes ne portent pas sur l’existence du Père Noël mais sur l’origine des connaissances : origine magique ou transmission-révélation ? Elle ne peut pas croire en sa propre capacité à construire des connaissances, à faire des raisonnements.

b. Le temps de la croyance

Acia et Imène en sont au temps de la séparation qui est à proprement parler celui de la croyance : alors qu’elles se doutent que le Père Noël n’existe pas, elles affirment cette existence.

Acia, qui fêtera ses dix ans à Noël, évoque une rencontre avec une personne bien réelle : « Il est gentil. Il offre des cadeaux, il offre tout ce qu’il a. Il est joli avec sa barbe. Il porte les enfants. Il peut nous prendre dans ses bras pour qu’on lui dise ce qu’on veut à Noël. Il est assis sur une chaise, il prend des photos avec les enfants. Quand tu lui demandes quelque-chose, il le ramène. Il existe parce que je l’ai déjà vu. » Sa simple mention de l’existence du Père Noël montre qu’elle a entendu des aînés ou des pairs la remettre en cause. Elle a par ailleurs récemment formulé des doutes mais elle fait le choix de croire. Et de s’accrocher pour cela à l’image du Père Noël donnée par l’expérience plutôt qu’à celle donnée par la fiction.

Imène, bientôt 11 ans, n’hésite pas à se moquer de ses plus jeunes camarades, suffisamment « débiles » pour croire au Père Noël puis, quand les fêtes se font très proches, elle affirme haut et fort sa propre croyance : « Il est gentil, attentionné. Il apporte des cadeaux aux enfants, à tous les enfants. Il est vigilant, ça veut dire qu’il est très, très malin : il sait s’il faut passer par la cheminée, la porte ou la fenêtre. Il travaille avec des lutins ; il fait le tour du monde. Pour ceux qui sont sages ou pas sages, il les marque sur une liste mais il apporte quand même des cadeaux à ceux qui ne sont pas sages. Il existe parce que je voudrais bien le voir sur son traîneau avec ses rennes. » Lorsque je lui demande ce qu’elle ne sait pas et qu’elle voudrait bien savoir sur le Père Noël, elle met fin à un questionnement dangereux : « Je ne me pose rien. Je n’ai rien dans ma tête. » Cette presque jeune fille, intelligente mais qui revit à chaque instant le départ de son père (subi alors qu’elle avait 3 ou 4 ans) présente d’importants troubles du comportement. Elle a en permanence besoin de tester son pouvoir de séduction et semble avoir besoin de se raccrocher à un amour inconditionnel, ce qui lui semble plus sûr avec un personnage magique qu’avec sa propre mère. Elle ne peut pas « faire le deuil » du « plaisir de vivre » associé à l’enfance.

c. Le difficile effacement de la croyance

Gwenaël, 9 ans et demie, affirme d’emblée que le Père Noël n’existe pas. Il évoque les troublantes coïncidences de disparition et de réapparition d’adultes et d’apparition de cadeaux qui l’ont conduit à questionner son père. « Je lui ai posé la question ; c’était lui qui avait posé les cadeaux. Il a dit qu’il fallait que je ne le dise à personne. » Lorsque je lui demande ce qu’il ne sait pas et qu’il aimerait bien savoir sur le Père Noël, il indique « si le Père Noël a quel âge et aussi s’il a une longue barbe... – Tu dis que le Père Noël n’existe pas mais tu voudrais quand même savoir quel âge il a ... ? – J’oublie d’un seul coup qu’il existe pas, je redis de l’autre... Il faudrait que je croie un des deux. » L’imaginaire reste présent : les exigences de la raison et même le basculement de l’argument d’autorité (la révélation par le père), ont entraîné un affaiblissement de la croyance mais la quitter totalement reste difficile.

d. Savoir que le Père Noël n’existe pas

Dans ma classe sont scolarisés 11 élèves de 7 ans et demi à 11 ans et demi. Seuls deux d’entre eux sont fermes sur l’idée que le Père Noël n’existe pas. Pour l’un, la famille, musulmane, n’a pas contribué à diffuser la légende par souci d’orthodoxie religieuse. Elle l’a « protégé » de la croyance en lui révélant assez tôt que le Père Noël de ses camarades n’est qu’un père déguisé. Alors qu’il présente une forte crédulité, d’importants troubles de la pensée et un grand envahissement par le surnaturel, il peut évoquer ses connaissances sur le mythe sans vaciller.

Julien, 10 ans et demi, semble être le seul élève de la classe a être vraiment sorti de la croyance. Il investit ce passage comme un rite initiatique, a conscience d’un premier accès au monde des grands : « Je n’y crois pas parce que... parce que j’y crois pas. Le Père Noël il n’existe pas. Pourquoi ? C’est pour faire croire aux enfants. Le Père Noël c’est les parents qui se déguisent. Ils font ça pour faire croire aux enfants. Ils veulent faire passer un bon Noël à ses enfants, je crois. Moi avant j’y croyais mais maintenant j’y crois plus, mon cousin, i m’a dit. Après, mon frère y croit, il n’a que six ans, c’est normal. » Quand je lui demande de façon tendancieuse s’il y a des choses qu’il ne sait pas et qu’il aimerait savoir sur le Père Noël, il est bien loin du mystère et de la question d’existence : « Je me pose encore des questions : si je vais avoir tous mes jouets... »

 

2. Une croyance prolongée : du côté de l’enfant pourquoi, pour quoi ?

On peut penser que nos élèves, que la CDAPH a orientés vers des dispositifs ou des structures adaptés pour des enfants avec des troubles importants des fonctions cognitives, ne sont pas en mesure de remettre en cause cette croyance. Mais pour quelles raisons ?

a. Les difficultés cognitives

L’accès difficile à la pensée opératoire et rationnelle empêche de relever et de questionner les incohérences de la fabulation et des mises en scène. Le repérage dans l’espace et le temps, les concepts logiques et la connaissance du monde ne sont pas suffisants pour remettre en doute le fait que le Père Noël puisse caser des millions de cadeaux dans un traîneau tiré par une poignée de rennes et faire en une nuit le tour de la terre. Ces enfants et ces jeunes sont empêchés, par leur difficulté à faire des liens, de collecter et de croiser des faits pour parvenir à une conclusion logique. Ils croient d’abord à ce qu’ils voient et notamment aux cadeaux apparus sous le sapin ! Il y a ainsi une assez grande concordance entre leurs modes de raisonnement et les pressions de l’environnement familial et social.

b. Peu de concurrence des sources d’information

Par ailleurs, la réalité – toujours ségrégative quoi qu’on en dise – des dispositifs et structures de l’ASH les conduits à être peu confrontés à des camarades mieux équipés sur le plan cognitif. Pour les élèves de CLIS, ceux des autres classes ont rarement le statut de véritables camarades et les échanges investissent bien davantage les modalités du jeu et de l’action que celles du langage et du débat. Ils sont donc moins soumis que les autres à la contradiction et à la concurrence des sources d’information. Si un grand frère ou une grande sœur se sont laissés aller à la révélation, celle-ci a assez peu de chances d’avoir été reprise par un camarade d’école ou d’établissement.

c. Des raisons affectives

Il est facile d’attribuer ainsi à un « manque d’intelligence » une difficulté à interroger le mystère. Mais il ne faudrait pas négliger l’aspect inverse : les questions sur la conception, la mort – et, au delà, sur l’infaillibilité parentale – comme poussant l’enfant à éveiller son intelligence, à réfléchir et, notamment, à mieux distinguer le possible et l’impossible, le réel et l’imaginaire.

À côté des raisons cognitives, on ne peut pas négliger les raisons affectives.

d. Les parents détenteurs du savoir

Nos élèves ne peuvent pas, ne veulent pas, remettre en cause leurs parents comme source d’informations crédibles. Aussi sont-ils prêts à gober toutes leurs explications quant à la multitude de Pères Noël ou l’achat de jouets dans les magasins... Ces « autorités supérieures » détiennent le savoir absolu et sont là pour indiquer à l’enfant ce qu’il doit penser. Cela lui procure un sentiment de sécurité bien plus agréable que l’incertitude qui le gagnerait s’il devait utiliser sa propre pensée.

e. Amour et abondance

Ils n’ont pas forcément le projet de grandir et ne sont pas prêts à abandonner la relation miraculeuse qu’on leur offre, au moins en ce temps de Noël. Ils ont besoin de consommer, bouches, yeux, cœurs et mains grand ouverts, l’immense amour parental et de n’avoir aucune limite à « demander » tout ce qu’ils désirent. Le mythe les protège par ailleurs de l’inquiétude fondamentale liée à la nécessité de devoir partager l’amour de ses parents avec une fratrie. L’abondance (par rapport à l’ordinaire quotidien) qui caractérise Noël les assure de recevoir toujours beaucoup même s’ils n’ont pas « tout l’amour ».

L’avidité est une caractéristique de mes élèves : ils ont une terrible angoisse d’abandon qui se manifeste au quotidien par la peur de manquer et la jalousie.

f. La pensée magique

Nos élèves ont aussi du mal à renoncer à la pensée magique, nécessaire à garantir leur toute-puissance. Ne pas ranger rennes volants et lutins bricoleurs dans la rubrique « impossible », c’est préserver un monde où ils peuvent eux-mêmes se transformer en supers-héros.

 

3. Une croyance prolongée : du côté des parents, pourquoi, pour quoi ?

Ces enfants et ces jeunes qui « croient » ont des parents qui permettent que la croyance se prolonge et se refusent à la révélation. Il n’est certes pas souhaitable de tout expliquer aux enfants afin que les silences et réponses évasives les conduisent à rechercher leurs propres éclairages. Mais que faire si l’énigme ne fait pas énigme, si le mystère n’est pas perçu ou s’il est rejeté ? Quand peut-on estimer que « le temps voulu » est venu d’écarter le voile, d’aiguiller la jeune personne ? Si la situation de conflit cognitif n’est pas suffisante pour ces enfants et ces jeunes entre leurs modes de raisonnement et le mythe transmis par la famille et l’environnement social, cela ne peut ni être directement relié aux défauts de l’équipement cognitif, ni l’être à des mécanismes de défense. Il convient aussi d’interroger cet environnement qui choisit de ne pas favoriser ce conflit.

a. Préserver de la désillusion

Mais comment admettre qu’un enfant fragile, ayant fait l’objet d’une reconnaissance de handicap, puisse cesser de croire au Père Noël, connaître la désillusion que ses parents ont connue à son égard ? Peut-on le priver de jouir de la vie, le menacer d’une cessation du plaisir ? Et surtout comment supporter qu’il découvre que ses parents ne sont pas des dieux, qu’ils sont faillibles et mortels ?

Le Père Noël qui revient, de façon rituelle, chaque année fonde ainsi un sentiment de sécurité et de continuité narcissique. Cette tradition culturelle institutionnalisée donne la possibilité au sujet d’asseoir son sentiment de permanence d’être au monde. En ce sens, on pourrait dire que de permettre à l’enfant de croire en la magie de Noël, c’est le sécuriser. On le rassure face aux incertitudes et aux obstacles de la vie ; on lui garantit qu’il y aura toujours accès à quelque chose de bon pour lui, même quand ses parents ne seront plus là. Selon Claude Lévi-Strauss, « La croyance où nous gardons nos enfants que leurs jouets viennent de l’au-delà apporte un alibi au secret mouvement qui nous incite, en fait, à les offrir à l’au-delà sous prétexte de les donner aux enfants. Par ce moyen, les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre, laquelle consiste d’abord à ne pas mourir. »

b. Réparer

On peut faire l’hypothèse que le prolongement de la croyance participe aussi d’un processus de réparation. Pour l’enfant ou le jeune, il s’agit de réparer la blessure narcissique qu’il a infligée à ses parents par son développement déviant. Pour les parents, il s’agit de se faire pardonner une faute : « qu’avons-nous fait pour que tu sois comme ça ? ».

En maintenant la croyance, les parents fixent aussi la rencontre avec le Sacré. En invitant les jeunes à prolonger le culte, ils maintiennent l’existence d’un personnage sacré susceptible d’intercéder entre l’humain et le divin pour qu’un miracle se produise et que soient affranchies les injustices et les lois du monde, dont celles qui conduisent à ce que leur enfant ait du mal à trouver sa place.

c. Relancer la convivialité familiale

Noël est la fête qui met l’accent sur l’intimité familiale bien d’avantage que le jour de l’an par exemple. L’attente cyclique du Père Noël (et celle de l’enfant Jésus) permet, lorsqu’il y a un enfant « inattendu », qui soucie, qui fatigue, qui déçoit, d’oublier sa différence pour retrouver un peu l’enfant espéré et imaginé.

Nos élèves, ces enfants pour qui la croyance dure « au-delà du raisonnable » peuvent vivre dans des familles, chaotiques ou immobiles, particulièrement préoccupées par la continuité et la stabilité. Grâce à Noël et à son vieillard rondouillard, toute famille peut échapper au réel et se réunir autour d’une réalité où se taisent les contingences du quotidien. Les difficul­tés sentimentales, médicales, financières, professionnelles, éducatives... n’existent plus. Le mythe de Noël construit un cocon qui protège des soucis et de l’angoisse. L’enfant qui ne se développe pas comme il était espéré, dont les difficultés d’adaptation et les comportements déviants révèlent une déficience ou des troubles psychiques, remet toujours en cause, d’une manière ou d’une autre, les liens familiaux. Dans ce cas, le sympathique bonhomme rouge éloigne aussi les peurs liées au désir de meurtre et au souci du devenir : « que va-t-il devenir quand nous ne serons plus là ? »

d. Garder « petit »

Le temps de la découverte que le Père Noël n’existe pas est un nouveau temps de séparation. Il produit nécessairement des changements dans les modalités de relation, les processus de régulation et les équilibres propres à la famille. « À la croyance au Père Noël est attachée une dimension de rite initiatique. Renoncer à la croyance c’est accéder au statut de grand et partager « le secret » avec ceux qui savent et entretiennent l’illusion et l’enchantement des petits » souligne Claude Lévi-Strauss.

Or, l’enfant « différent », celui qui présente une déficience intellectuelle ou qui est envahi par des troubles psychiques, est un enfant à l’autonomie plus ou moins menacée. Ses parents mettent en doute sa capacité à se débrouiller seul un jour. Ils se sentent par ailleurs tenus d’agir « pour son bien » et cela peut parfois devenir dévorant, abusif, intrusif, coercitif... Comme l’observe Simone Korff Sausse, « L’enfant handicapé est exposé plus qu’un autre à la symbiose. Il est vécu par les parents comme un morceau d’eux-mêmes dont ils ne peuvent ni se séparer ni imaginer qu’il pourra se détacher d’eux (...) « Puisque je n’ai pas pu te tuer, alors je te porterai en moi jusqu’à la fin de mes jours. », tel pourrait être le fantasme parental sous-jacent » (Figures du handicap. Mythes, arts, littérature, Payot, rééd. 2010).

 

Pour conclure : L’existence du Père Noël et l’autorisation à penser

Le Père Noël est un personnage incréé : rien ni personne n’évoque aux enfants ses origines. Alors qu’ils ont, pendant un temps, pensé sa croissance et son vieillissement, ils découvrent très vite sa qualité de vieillard éternel. En cela « y croire », c’est repousser l’idée que tout être humain est véritablement né d’un homme et d’une femme tout autant que celle de son inévitable finitude. Ce n’est pas un hasard si ce symbole de la générosité a choisi d’apparaître au moment où l’on fête une naissance singulière, celle d’un être issu d’une conception divine et destiné à renaître après sa mort. Seuls les innocents, ceux qui ne partagent pas le savoir, sont gratifiés et peuvent profiter de la plénitude du paradis de l’enfance. Si, pour la plupart des enfants, le secret qui entoure Noël provoque une insatiable curiosité et une enquête avec des explorations et des questions que les parents jouent à entretenir, d’autres ne s’autorisent pas à penser ou ne se sentent pas autorisés à le faire. Le problème, c’est que cette interdiction concernant Noël, qui peut paraître anodine, est, de fait une interdiction de grandir, de prendre le risque de la pensée et de la connaissance.

L’environnement humain de l’enfant, ce sont aussi ses enseignants, ses éducateurs. Eux aussi, entretiennent généralement la croyance, y compris chez de jeunes majeurs. Eux aussi, nous aussi, nous retranchons derrière l’idée d’un choix – et donc d’une responsabilité – qui revient aux parents. Pourtant, nous partageons avec eux la mission de tout mettre en œuvre pour favoriser l’accès à l’autonomie. Et, en tant que professionnels spécialisés, nous nous définissons entre autres par le pari de l’éducabilité cognitive. Alors pourquoi nous refusons-nous à favoriser l’accès à la vérité dans ce domaine où il y en a une ? Autorisons-nous vraiment ces enfants, ces jeunes à penser ?


Claudine Ourghanlian
Décembre 2010

 
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