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À propos de la suppression programmée des RASED

 

 
Un texte de Claudine Ourghanlian
ancienne maîtresse E en RASED et CLIS TSL,
ancienne conseillère pédagogique ASH,
actuellement en reconversion D et de retour en classe : une prémonition face aux dérives ?


Autre publication  Ce texte a été repris sur le site de Philippe Meirieu (format PDF).
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La suppression des réseaux d’aides spécialisées est programmée : dans les 3 ans à venir, tous les maîtres E et G dispensant une aide aux élèves et aux enseignants en difficulté seront retournés en classe ordinaire ou se seront reconvertis dans une option préservée (celles du sensible collège et celles du handicap).

Ce sont 9000 enseignants qui ne sont pas “licenciés” mais sommés de revenir en arrière, eux qui avaient fait le choix de se spécialiser, c’est-à-dire de lâcher le connu, de se remettre en cause, de changer de repères pour s’investir.

Ils ne perdent pas leur emploi, mais ils perdent de fait leur “travail” auprès des élèves, auprès des enseignants et sur eux-mêmes. Leur “valeur” professionnelle est niée. Si leur indemnité devrait être maintenue (une misère) et si l’on prétend leur accorder un rôle de “personne-ressource”, le choix de mettre fin aux formations E et G montre bien qu’il ne s’agit pas d’une reconnaissance de valeur mais d’une aumône.

Ces enseignants sont de simples objets, entièrement soumis à la loi du marché et dont il est possible de se débarrasser sous prétexte qu’ils sont devenus encombrants dans une politique de restriction. C’est donc aussi leur statut de sujet qui est mis en cause, c’est dans leur subjectivité qu’ils sont attaqués. Ne doutons pas du coup porté à leur estime de soi et à leur investissement, de l’épuisement de leur capacité à recommencer, à trouver l’énergie nécessaire à l’élan. Je pense notamment à tous ceux qui sont actuellement en formation ou qui en sont depuis peu sortis.


Le fonctionnement et les dysfonctionnements des réseaux méritaient sans doute d’être questionnés, au regard des fonctionnements et dysfonction­nements des circons­criptions qui sont peu à avoir réellement intégré le RASED dans leur politique.

Mais a-t-on pris la mesure du rôle que ces réseaux jouaient à contenir les angoisses et les malaises des enseignants, les angoisses et les colères des parents ?

A-t-on une idée de leur énergie à mobiliser l’action et à stimuler la réflexion des équipes d’école en proie à la dépression ?

A-t-on pris la mesure du rôle de rouage, que jouaient ces enseignants spécialisés (les E notamment) et dont les IEN parfois abusaient, dans la compréhension et la mise en œuvre des nouveaux dispositifs (évaluations nationales, socle commun, PPRE, ...) ?

A-t-on suffisamment évalué le rôle qu’ils jouaient dans le dépistage des situations de handicap, leur rôle d’interpellation des équipes d’école, et de premier accompa­gnement de celles-ci comme des familles ?

A-t-on simplement essayé de cerner l’influence “à long terme” du rapport à l’école des élèves suivis par le réseau ? J’ai la faiblesse de penser que le RASED, s’il n’a pas permis la réussite de tous les élèves accompagnés, a évité le décrochage scolaire précoce de bien d’entre eux, leur a permis d’engranger quelques expériences positives relatives à l’école, ce qui leur servira de base pour devenir de jeunes parents investissant l’école pour leurs enfants... mais peut-être suis-je naïve ?


Je vais prendre le risque du pronostic : la suppression des RASED devrait conduire à une augmentation des demandes de reconnaissance de handicap dans les champs des troubles du comportement (par la disparition des maîtres G alors que le secteur pédo-psychiatrique est très insuffisant et par l’augmentation des élèves qui se sentiront lâchés dans un monde scolaire “hors de leur portée”) et dans celui des troubles du langage (par la disparition des maîtres E qui contribuaient fortement à l’apprentissage du lire-écrire des élèves les plus fragiles). Ce sont les deux domaines qui voient déjà le plus fort taux de “dossiers” n’aboutissant pas à une reconnaissance de handicap et qui posent le plus de problèmes, d’encombrement et de conscience, aux MDPH. L’augmentation devrait également toucher les départs en SEGPA alors que l’on observait un ralentissement ces dernières années.

Et je n’ose même pas parler du climat dans les écoles... Comment peut-on vouloir cacher que, si les réseaux n’ont pas atteint tous les résultats escomptés, c’est d’abord et avant tout parce que les enseignants des classes se sentent démunis face à la difficulté et que l’on retombe toujours dans un système de renvoi de celle-ci vers le spécialiste au lieu d’avoir une co-responsabilité et une réelle co-élaboration ? Imagine-t-on vraiment qu’en supprimant ces “spécialistes” et en obligeant les enseignants des classes à répondre eux-mêmes aux besoins des élèves en difficulté, ils vont d’un coup se sentir “compétents” face à toute situation ?


En faisant ce pronostic, je n’ai pas le sentiment de jouer à l’oiseau de mauvais augure. Des oiseaux assez noirs se penchent ces derniers temps sur les jeunes années de nos enfants, de nos élèves qui ne sont, somme toute, que des gouffres financiers.

Mais que penser d’une nation qui ne parie pas sur sa jeunesse ? Que dire d’une République qui abandonne son école ?

Claudine Ourghanlian
Octobre 2008

 
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Dernière révision : dimanche 16 février 2014 – 18:45:00
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