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ULIS : des limites à l’inclusion ?

 

 
Un texte de Claudine Ourghanlian
Enseignante spécialisée


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Publication originale  Ce texte a été initialement publié sur le site de Claudine Ourghanlian, liens & marges (enseignement spécialisé et culture). NOTA : Ce site n’est plus en ligne actuellement.

 

Les dispositifs collectifs (classes et unités localisées pour l’inclusion scolaire) scolarisent environ un tiers des élèves handicapés fréquentant le milieu ordinaire, ceux pour lesquels les contraintes de la classe « tout venant » sont trop lourdes et dont les difficultés nécessitent des adap­tations pédagogiques importantes. Dans une logique inclusive, ils commencent à accueillir des élèves qui fréquentaient jusqu’ici les établissements du secteur médico-social et les acteurs politiques s’inquiètent que ce mouvement ne soit pas plus marqué. Alors pourquoi ces dispositifs, conçus pour favoriser et développer l’inclusion, questionnent-ils celle-ci ? Selon Serge Thomazet(1), « l’intégration a des limites, pas l’école inclusive ». C’est pourtant sous l’angle des limites que le problème est généralement posé.

Alors que j’enseigne en CLIS, dispositif collectif de scolarisation des élèves handicapés à l’école élémentaire, je choisis d’appuyer ma réflexion sur l’ULIS, dispositif du secondaire. Celui-ci étant plus sensible par le public adolescent accueilli et par une crispation plus grande sur la performance et la norme, le dispositif ULIS, qui renonce par ailleurs à l’idée de classe spécialisée, semble en effet susciter davantage de réactions. Les enseignants-coordonnateurs de ces unités questionnent la pertinence des orientations et dénoncent « une fausse  inclusion » qui violente trop d’élèves. Les enseignants des CLIS se demandent s’ils envoient leurs élèves les plus fragiles « au casse-pipe ». Quant aux cadres de l’Éducation nationale, ils commencent à établir des listes d’indicateurs visant « une orientation pertinente » vers les ULIS. Faut-il comprendre ces textes comme une amorce de réponse visant la régulation des procédures et pratiques d’orientation ? Il s’agirait alors d’adapter le public au dispositif... et donc de fixer des limites à l’inclusion.

Au lieu de s’interroger sur la pertinence des orientations, peut-être conviendrait-il plutôt de se pencher sur la pertinence d’un dispositif... Les ULIS telles qu’elles sont définies répondent-elles aux besoins de scolarisation des jeunes en situation de handicap ou font-elles de la scolarisation en milieu ordinaire une fin en soi ?

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Le dispositif ULIS : pour quel public ?

Le dispositif ULIS remplaçait, à la rentrée 2010, le dispositif UPI. Il répondait à la volonté politique affirmée par la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapée », et au principe qu’elle posait, celui d’une scolarisation des élèves handicapés se faisant prioritai­rement en milieu ordinaire, au plus près du domicile. À ce titre, il constitue l’une des modalités de mise en œuvre de la continuité du parcours scolaire et de l’accessibilité dans les collèges et lycées.

Les élèves de l’ULIS bénéficient d’enseignements adaptés dispensés en petit groupe par l’enseignant spécialisé-coordinateur et ont vocation à suivre certains cours dispensés dans une classe ordinaire de l’établissement, ou encore à bénéficier d’un enseignement pré-professionnel auprès d’une section d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA), selon des proportions qui varient souplement selon les besoins des élèves. Du fait du décalage entre les heures d’enseignement du coordinateur (18h + 2h ou 21h + 2) et le quota d’heures dû à un collégien (de 25 à 28h30) ou un lycéen (entre 30 et 40h), tout élève, quels que soient ses besoins, est en inclusion dans une classe ordinaire.

Les enseignants spécialisés coordonnateurs des ULIS et les cadres de l’éducation nationale se rejoignent assez bien sur la définition du public qui pourrait profiter de ce dispositif. Les premiers réclament « des compétences minimales pour qu’un élève puisse entrer au collège ». Alors que celles-ci n’existent aucunement dans les circulaires nationales, certaines académies osent diffuser des « recommandations » qui appellent à la raison. L’académie de Toulouse préconise ainsi, dans une circulaire rectorale, d’orienter en ULIS des élèves dont les capacités de communication et d’autonomie sont compatibles avec l’adaptation à la vie d’un établissement. Elle juge aussi nécessaire qu’ils manifestent de l’intérêt pour les apprentissages et soient capables de leur donner du sens. Il serait également souhaitable qu’ils puissent tirer parti de l’inclusion en classe d’enseignement général et réfléchir à leur projet personnalisé d’orientation ! L’académie d’Orléans-Tours juge par ailleurs nécessaires les compétences disciplinaires du palier 1 du socle commun en lecture, écriture, calcul... Dans l’académie de Strasbourg, les ULIS 1 sont destinées soit à la scolarisation des élèves présentant une déficience mentale légère soit à celle de ceux qui ont des troubles spécifiques du langage, capables dans tous les cas d’avoir les conduites sociales qu’implique la vie de collégien. Même si cela est formulé de façon politiquement correct, les élèves dont la pathologie se traduit par des troubles du comportement ne sont d’une manière générale pas les bienvenus dans le second degré.

 

Et pour les autres ?

Ces recommandations semblent de bon sens, mais force est de constater qu’elles s’opposent aux volontés, politique et idéologique, selon lesquelles l’inclusion (admi­nistrative et physique) conduira nécessairement, avec le temps, à la participation et à la citoyenneté.

Elles se heurtent aussi à la complexité humaine, à la réalité multiple, « kaléidoscopique », des élèves. Que faut-il penser d’une jolie demoiselle de bientôt 12 ans, ne portant aucun stigmate, supportant très bien la vie en collectivité, capable d’échanger de façon simple avec ses camarades de la classe et de l’école ? Elle est désireuse d’apprendre et fournit beaucoup d’efforts. En revanche, ses capacités logiques et son ouverture sur le monde ou encore sa capacité à prendre des décisions correspondent à une moyenne section de maternelle, son entrée dans l’écrit à un milieu de CP. Faut-il envisager pour elle l’IME ? Ses compétences cognitives très limitées doivent-elles la couper de relations sociales qui l’enrichissent ?

Une année précédente, un nouvel élève m’était adressé deux mois après la rentrée des classes. Je devais d’emblée me soucier de son orientation puisqu’il appro­chait des douze ans. Ce garçon au vécu abandonnique, vif comme l’anguille, avait réussi à traverser 9 années d’école élémentaire sans se laisser rejoindre par les apprentissages et les tests psychologiques allaient dans le sens d’une déficience. Fallait-il l’orienter en établissement sur la base de ces constats, alors qu’il se montrait extrêmement autonome et débrouillard au quotidien, habile sur le plan technique, et était capable de se projeter vers un avenir professionnel ?

Si les ULIS ne correspondent qu’à une partie des élèves en situation de handicap, que faut-il en conclure ? Que les autres n’ont pas leur place au collège et doivent rejoindre les établissements spécialisés ? C’est ce que sous-entendent les restrictions d’accès aux ULIS suggérées par les rectorats. Des maîtres de CLIS qui hésitent entre la SEGPA et l’ULIS pour certains élèves, des parents qui demandent une orientation en ULIS à l’issue d’un CM2, des effectifs d’IME qui ne diminuent pas : voici qui illustre à quel point les ULIS ne touchent qu’une partie du public qu’elles ambitionnent de scolariser. Si les ULIS ne répondent pas aux besoins, il serait pertinent soit de faire évoluer le dispositif soit en imaginer un autre...

Il me semble qu’à l’origine des ULIS, il y avait de bonnes et généreuses idées, mais aussi l’oubli de certaines réalités. Concevoir un éventail de modalités d’inclusions correspondant aux besoins réels nécessite leur prise en compte.

 

Les réalités oubliées


L’école inclusive

Avant même de penser des dispositifs particuliers, il aurait été judicieux de penser l’école toute entière comme devant être inclusive. L’accueil d’élèves handi­capés dénonce la mauvaise qualité de nos établissements comme lieux de vie. Les écoles, les collèges, les lycées favorisent-ils la sérénité et l’épanouissement de tous ou sont-ils lieux de fatigue, de brimade, de stress et de compétition ? Les adultes de ces établissements se sentent-ils co-responsables de tous les élèves et sont-ils prêts à assurer la sécurité de tous – et donc des plus fragiles – dans la cour, les locaux ou aux abords du collège ? Recherche-t-on l’inclusion ou l’exclusion des élèves qui, sans être reconnus porteurs d’un handicap, présentent de graves difficultés d’apprentissage ou d’adaptation ? Il semble bien que l’on ait pensé l’inclusion des élèves en situation de handicap en se dispensant d’améliorer le système scolaire et sans se donner les moyens d’une école inclusive pour tous : on reste sur une réponse spécifique visant une population spécifique. Ce constat est fait par le rapport de l’IGEN sur les CLIS(2) : la diversité du public et des besoins que recouvre le terme « élèves handicapés » est telle qu’il devient urgent de faire de l’accueil et du parcours personnalisés les principes d’organisation de l’école.


S’interroger n’est pas « bloquer »

Toute réserve sur l’inclusion et ses modalités tend à être dénoncée comme résistance ou blocage au lieu d’être interprétée et prise en compte comme élément de réflexion permettant d’éviter la banalisation. Ce sont bien souvent les associations de personnes handicapées qui appellent à la banalisation du handicap. Elles pensent alors à toutes ces compétences qui demeurent invisibles, notamment dans le cadre de l’embauche, parce que le handicap occupe le regard, prend toute la place. Cette aspiration pourtant me paraît dangereuse car ce qui est banalisé, c’est ce qui n’interpelle plus, ce qui ne met pas en mouvement, ce qui ne se pense pas. Banaliser le handicap, c’est ce que cherche à faire l’école. Que la présence de jeunes handicapés dans les établissements scolaires ordinaires devienne « normale », je ne peux que m’en réjouir mais je repousse le terme de « banalisation » car la banalisation conduit à l’oubli. Or, il me paraît important de garder toujours à l’esprit les efforts d’adap­tation et la fatigue, les doutes, les blessures de l’estime de soi que l’inclusion génère pour les jeunes en situation de handicap et de ne pas oublier que des adaptations sont nécessaires pour éviter un coût personnel trop grand.


La zone proximale de développement

Les ULIS ont été conçues en une période de retour en force des idées de performance et de compétitivité. Il est bien entendu nécessaire de « tirer l’élève vers le haut » pour qu’il progresse, mais il est tout aussi nécessaire de veiller à ce que les situations et les apprentissages proposés soient maintenus dans sa « zone proximale de développement ». Les enseignants d’ULIS se sentent écartelés entre cette dernière exigence et le principe d’inclusion en classe ordinaire : une inclusion qui ne conduit pas à une réelle participation fait de l’élève un insecte figé dans un bloc de résine, figé dans sa différence aux autres.


Le projet global

Les promoteurs de l’école inclusive soulignaient la nécessité de personnes-ressources pour accompagner la scolarité, ils envisageaient notamment la présence de professionnels de la santé (orthophonistes, psychologues, ergothérapeutes...) dans les établissements scolaires pour permettre un éventail de solutions. La loi du 11 février 2005 tournait la page de l’éducation spéciale pour favoriser la complémentarité des interventions auprès de l’enfant ou de l’adolescent handicapé. Mais où est cette complémentarité ? Les élèves orientés vers un dispositif collectif d’inclusion (CLIS ou ULIS) bénéficient au mieux de soins insuffisants, trop souvent d’aucun soin. Souhaiter que les enfants et les jeunes qui grandissaient autrefois en établissement demeurent au cœur de la cité, c’est un souhait positif qui a déjà permis des avancées. Mais ce serait paresse de la pensée et ignorance des besoins éducatifs particuliers d’imaginer que, d’un coup de baguette politique, ils peuvent se passer d’un accompa­gnement éducatif et thérapeutique pour tirer profit d’un « tout pédagogique ».

Les SESSAD apportent une réponse partielle au renversement opéré par la loi de 2005 et permettent de mobiliser hors des IME des savoirs professionnels pluriels et complémentaires. Partielle car, d’une part, seules quelques CLIS et ULIS sont adossées à un établissement ou à un SESSAD. Partielle car, d’autre part, seuls quelques enfants, adolescents et jeunes bénéficient à titre individuel d’un accompa­gnement par un SESSAD (un seul dans ma CLIS de 12 élèves) et cela sur un temps très réduit. Dans le champ mental, seuls les éducateurs spécialisés viennent sur les établissements scolaires Le plus souvent, ils assurent une simple liaison avec l’enseignant et l’AVS en venant une fois par mois observer l’enfant et en participant aux équipes de suivi de la scolarisation.

Une autre demoiselle de ma classe supportait la collectivité, mais n’accédait pas à la communication : elle répondait toujours de façon décalée aux questions qu’on lui posait et revenait en boucle sur ce qui la rassurait, notamment les couleurs des voitures et les gâteaux au chocolat ! Elle entonnait des refrains publicitaires en pleine classe, se faisait vomir à la cantine, touchait sa poitrine naissante et celle des femmes qu’elle rencontrait en disant « femme ». Les inclusions, même en sport, généraient de l’angoisse et provoquaient le retrait car elle ne comprenait pas le sens des activités proposées, les buts des jeux... Par contre, elle déchiffrait parfaitement, lisait, écrivait, ordonnait les nombres... et fonctionnait ainsi sur de nombreux apprentissages mécaniques. Son seul suivi consistait en une séance hebdomadaire d’orthophonie. Ses parents se sont toujours opposés à une orientation en établissement, convaincus, à juste titre d’ailleurs, que l’orientation en IME entraînerait une quasi-absence de scolarisation. Cette adorable demoiselle a donc fait son entrée au collège à la rentrée suivante sans que soit posée la question de sa capacité réelle à répondre à ses besoins  et même tout simplement à assurer sa protection physique et psychique !

Bien des jeunes en situation de handicap, notamment ceux qui présentent des TED, des troubles psychiques ou /et des troubles du comportement auraient besoin d’un emploi du temps beaucoup plus souple que ce que leur propose les CLIS et les ULIS. Le rapport de l’IGEN déjà évoqué avance que l’amélioration de la qualité de la démarche inclusive ne se fera pas sans un aménagement du temps, un respect du droit à des moments de tranquillité et de lenteur. Je pense quant à moi que la présence d’un éducateur spécialisé permettrait une offre de temps diversifiés et autoriserait l’élève à basculer sur des temps éducatifs quand le cadre scolaire, même adapté, devient insupportable, avive l’angoisse, provoque l’envahissement ou la violence.


L’unité

Les limites du concept d’intégration ont été dénoncées et notamment l’esprit ségrégatif qu’il continuait à transmettre malgré lui. Mais l’intégration c’est aussi « ce qui fait tenir ensemble ». Bien des élèves des CLIS ont peu de contenance psychique et le caractère « enveloppant » de la classe, la continuité assurée par l’enseignant, tentent de limiter l’éclatement lié au court passé souvent chaotique, aux difficultés cognitives, au morcellement des prises en charge. Les inclusions en classe ordinaire ne se font pas d’emblée, mais de manière progressive après que l’enfant s’est posé, a pris ses repères, a construit un sentiment d’appartenance. Elles se font le plus souvent dans une classe de référence, toujours auprès du même enseignant. Au collège, l’éclatement du fonctionnement, la multiplication des lieux et des personnes, représentent une épreuve pour tous les élèves. Ils l’abordent avec anxiété, mais aussi avec l’enthousiasme de se sentir grandir. Michèle Tallandier constate : « Cependant, pour un certain nombre d’entre eux, le monde du collège ne va pas leur permettre de continuer à se construire, mais va plutôt les « détricoter », comme si un maladroit avait oublié d’arrêter la dernière maille de l’ouvrage. Ils vont comme se défaire et n’avoir de cesse d’attaquer le monde qui les entoure et qu’ils ressentent comme responsable de leur mal être »(3).

Ainsi l’épreuve enrichit et forme les uns mais bloque les autres, ceux que la difficulté et le groupe engloutissent ou poussent à revivre les fantasmes archaïques de démembrement, sur des mécanismes défensifs. Les objectifs de protection des personnes handicapées ont certes maintenu trop longtemps une éducation séparée, doit-on pour autant rejeter toute idée de protection ? La circulaire sur les ULIS prévoit des temps de regroupement dans un lieu spécifique autour d’objectifs d’apprentissage qui ne peuvent être travaillés en classe ordinaire. Mais il n’est aucunement fait mention de l’unité comme lieu permettant « de faire unité » pour des élèves dont la fragilité s’exprime par un éclatement (TED, troubles psychiques, troubles du comportement...)


Les droits de l’enfant

Les dispositifs collectifs d’inclusion questionnent aussi les droits de l’usager. En matière de handicap, on parle beaucoup de la reconnaissance du droit des familles à prendre des décisions concernant leur enfant – droit qui leur a été, il est vrai, si longtemps dénié –, mais on parle bien peu de responsabilité parentale ou encore des droits de l’enfant qui est pourtant le principal usager de l’école. Le 6 novembre 2008, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)(4) recomman­dait d’être vigilant à ne pas faire du droit à la scolarisation un droit absolu afin d’éviter de placer en milieu ordinaire des enfants trop fragiles pour lesquels cette inclusion, loin d’optimiser les progrès scolaire et la socialisation, pourrait être préjudiciable. Mais comment fait-on pour concilier le bien de l’enfant, et la demande des parents  quand ils semblent ne pas converger ? Et qui est ce « on » qui pointe une dérive, un danger, réintroduit la notion d’intérêt de l’enfant  et appelle à la prise en compte de la globalité de son développement ? L’inspectrice ASH, co-présidente du pôle enfants de la MDPH de mon département, estimait récemment que le rôle de la MDPH était d’accompagner les parents dans leurs projets, pas de les discuter. Il nous revenait à nous, professionnels de proximité, de transmettre une information préoccupante à la cellule départementale, si nous jugions que l’absence de soins menaçait le déve­loppement de l’enfant...

La circulaire 82-2 et 82-048 du 29 janvier 1982(5) évoquaient déjà, de façon explicite, l’importance d’un choix exprimé par la famille et de l’élaboration conjointe du projet avec tous les partenaires, dont les parents. Depuis, la réflexion des services et des établissements sur le travail avec les parents n’a cessé d’avancer. Si l’exercice de l’autorité parentale ne va pas de soi dans le cas d’un enfant handicapé, les professionnels observent que reconnaître aux parents cette pleine autorité les inscrit dans un projet de vie avec cet enfant, projet indispensable pour l’engager dans une dynamique de vie et de croissance. La loi du 11 février 2005 élargit les droits des familles : qu’est-ce qui, dans cette loi, vient garantir que le désir parental, mêlé de souffrance, prenne en compte la réalité du handicap ? Qui s’assure que ce qui est mis en place ne renforce pas le mal-être, les défenses et les limitations ? Qui veille à ce que l’enfant bénéficie des accompagnements qui peuvent lui permettre de tirer profit de sa scolarité ? L’équipe de suivi de la scolarité est sensée assurer un rôle de veille, mais elle ne le joue effectivement que lorsqu’elle se réunit régulièrement, lorsque l’enseignant-référent ne se contente pas d’être secrétaire, lorsque le médecin scolaire est présent et lorsqu’il y a des partenaires de la scolarisation. Autant dire que l’on tend vers le jamais...

Voici quelques mois, j’ai lu sur le Net la profonde réflexion du papa de Guillaume, enfant polyhandicapé. Il s’interrogeait sur les liens entre la vulnérabilité de son enfant et sa responsabilité de père. Son rôle, il le concevait ainsi : accepter cette vulnérabilité et cependant faire passer son enfant de la dépendance à l’autonomie, lui transmettre une liberté, le faire accéder à une certaine capacité à choisir sa vie. Au nom de cette liberté, ce papa évoquait une lutte nécessaire contre les sentiments de culpabilité et de dépossession pour permettre l’inscription d’un tiers dans la relation éducative. Il écrivait avec lucidité : « Certes, nous avons l’expérience du quotidien, nous avons cette expertise que produit l’alchimie des jours ; cependant, les professionnels apportent cette distance nécessaire qui peut donner de l’espace à vivre à nos enfants. Nos projets de vie, tel que nous le demande la MDPH, peuvent les étouffer, un peu comme ces parents qui poussent leurs enfants à devenir médecins parce qu’eux-mêmes n’ont pas su l’être »(6).

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Le secteur médico-social a ces dernières décennies construit cette fonction de tiers indissociable d’une fonction d’accompagnement. Dans le nouveau modèle inclusif promu par l’Éducation nationale, qui les assure ? Pas la MDPH, présentée quasi-unanimement par les familles comme un simple bureau d’enregistrement. Pas les enseignants-référents qui rencontrent au mieux les familles deux ou trois fois dans l’année. Pas les professionnels du libéral, qui se contentent souvent d’une approche parcellaire de l’enfant en invoquant les nécessaires limites de leur champ pro­fessionnel. La fonction de défenseur des enfants a été supprimée au plan national.

Alors comment ne pas rêver au plan départemental ou académique d’une autorité, indépendante de l’Éducation nationale comme de la MDPH, missionnée pour défendre les intérêts des personnes handicapées mineures ou sous tutelle ? Cette autorité assurerait une fonction de veille, interrogerait voire dénoncerait des décisions prises par la CDA sur la base d’éléments insuffisants, un projet qui lui semblerait aller à l’encontre de ses intérêts présents ou du devenir commun à tout enfant : s’auto­nomiser au mieux pour pouvoir un jour former son propre projet, quitter le foyer parental, avoir une vie professionnelle et sociale...

L’avenir se bâtit aujourd’hui sur les rêves de demain... J’aimerais voir derrière le dispositif ULIS une utopie faisant avancer la société. Je constate pourtant qu’en fixant des exigences trop grandes, en voulant se rapprocher d’un modèle d’excellence, l’Éducation nationale conduit ses acteurs à définir des limites de pertinence et d’accès et donc à attaquer, de l’intérieur, le modèle inclusif.

Claudine Ourghanlian
Décembre 2012

 
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Notes

(1) Serge Thomazet, « L’intégration a des limites, pas l’école inclusive », in Revue des sciences de l’éducation vol. 34 n° 1, 2008.

(2) Rapport 2011-104 de septembre 2011 : « Les classes pour l’inclusion scolaires (CLIS) en 2010 ».

(3) Michèle Taillandier, « Collège et violence : espace de construction ou d’éclatement ? », in Imaginaire et Inconscient, 2004/4 (n° 4), Érès.

(4) CNCDH, « Projet d’avis sur la scolarisation des enfants handicapés », adopté à l’unanimité en Assemblée plénière le 6 novembre 2008.

(5) Intitulée « Mise en œuvre d’une politique d’intégration en faveur des enfants et adolescents handicapés ».

(6) Cédric Gicquel, « Éthique de la responsabilité, point de vue d’un père », sur le site du collectif Plus digne la vie, page consultée le 26/12/2012.

 
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