Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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La question de l’adaptation de l’École
aux élèves à besoins particuliers

 

 
Texte de Philippe Cormier
Ancien responsable du Centre de formation AIS
Formateur à l’IUFM des Pays de la Loire
 


Origine du texte  Texte issu d’une conférence donnée lors d’une Journée de réflexion sur l’accueil des enfants à besoins éducatifs particuliers, organisée le 30 novembre 2005 par l’Union régionale des communautés éducatives.
Autres textes de Philippe Cormier  Voir aussi les autres textes de Philippe Cormier publiés sur ce site, ainsi que le livre de Philippe Cormier, Dominique Duguay, Emmanuelle Lesage, Gaëlle Pouille-Toutous, Christian Tillier, Élèves en difficulté (Le livre-je des aides spécialisées à l’école), L’Harmattan, Paris, 2011, préfacé par Yves de la Monneraye.

 


Nous sommes tous des personnes à besoins particuliers !

 

Pendant assez longtemps, j’ai été comme tout le monde ou presque, pénétré de la fausse évidence, cartésienne si l’on veut, qu’il fallait des classes spéciales, des institutions spécialisées, une « éducation spéciale » pour les enfants « différents ».

Aujourd’hui, de manière beaucoup moins simple, je suis devant une contradiction que je voudrais examiner avec vous.

L’intégration, et même le principe d’une seule école vraiment pour tous, d’une communauté scolaire incluant vraiment tous les enfants sans exception, d’une inclusive school, me semble tout à fait souhaitable et même, je serais presque prêt à dire : possible !

Mais en même temps je constate que l’École réelle, en France, n’y est pas prête, pas préparée, ou mal. Concrètement, je suis tenté de dire que l’intégration reste très difficile et limitée, et que « l’inclusion » n’est tout simplement pas possible dans l’état actuel de l’institution.

Je ne dis pas qu’il n’y a pas ici ou là des expériences réussies d’intégration.

Je parle dans une perspective de généralisation, telle qu’il deviendrait normal, naturel, ordinaire, de croiser les élèves « différents » dans les mêmes établissements, voire dans les mêmes classes que les autres – mais ici déjà, en parlant de « classe », j’hésite ; j’expliquerai plus loin pourquoi selon moi le cadre de la classe dans sa forme actuelle pose problème.

Par ailleurs la diversité des handicaps et donc des besoins spécifiques fait que ce qui est vrai pour les uns ne l’est pas pour les autres. On ne peut pas mettre toutes les formes de handicaps et de « besoins particuliers » sur le même plan. On peut être aveugle et réussir le concours d’entrée dans une grande école ; c’est une autre affaire si l’on est atteint d’un trouble de la personnalité ou d’une déficience mentale sévère. Scolairement, la ligne de partage est tracée essentiellement en fonction des capacités ou pour mieux dire, de l’efficience intellectuelle (sans négliger la sociabilité : comment intégrer des enfants présentant des comportements dangereux ? Ici se trouve sans doute la seule limite que l’on puisse assigner à l’intégration et à l’inclusion).

Je voudrais donc dire et montrer pourquoi, dans la situation actuelle, la généralisation de l’intégration dans un sens « inclusif » aurait ou aura pour effet de mettre beaucoup de monde en difficulté ou même en souffrance. Pour les mêmes raisons, je remarque que les intégrations actuelles sont souvent difficiles et le prix à payer peut en être élevé, au point qu’il n’est pas vain quelquefois de parler d’acharnement intégratif comme on parle d’achar­nement thérapeutique.

L’impossibilité, ou tout au moins la difficulté actuelle, est culturelle, mentale : je veux dire qu’elle procède des mentalités, des représentations ; elle se situe dans les têtes.

Il existe surtout actuellement des discours volontaristes « d’en haut », abstraits, idéologiques, et des discours associatifs également volontaristes, tout à fait respectables, mais qui les uns comme les autres analysent trop peu la réalité sur un mode critique, et sont trop peu conséquents, au sens où ils n’explicitent pas les conséquences de leurs prises de position.

 

I – Sans reprendre toute l’histoire, on sait que la France, jusqu’aux années 60-70, a fait un très bel effort de spécialisation : des établissements spéciaux adaptés à chaque type de handicap ; des prix de journée très respec­tables, à une époque de forte croissance où l’État-providence ne regardait pas à la dépense.

Aujourd’hui, c’est-à-dire depuis une trentaine d’années, la logique comptable des dépenses publiques a progressivement changé, commandée par le principe de diminution des coûts.

Il se peut que cette logique soit absurde, puisque la dépense, en économie, ce n’est rien d’autre que des emplois, de la demande solvable, de la consommation, de la croissance... Mais je ne suis pas venu faire un cours d’économie politique ! La logique d’aujourd’hui est un fait mondial qui nous entraîne tous et, comme disait Lénine, les faits sont têtus... Il faut donc faire avec, mais cela ne nous aide pas, car bien sûr, une intégration réussie a un coût.

La scolarisation des enfants à besoins particuliers dans l’École de tout le monde suppose en effet des formes diverses de suivi et d’accompagnement par des personnels compétents et formés, y compris des professionnels spécialisés. Le désengagement progressif de l’État nécessite que les collecti­vités territoriales prennent le relais, si l’on refuse le déclin de la vie publique – car il en va ici de la vie publique – si l’on se refuse à admettre que la scolarisation des enfants ne soit plus qu’une affaire privée. Je vois ici pour aujourd’hui et pour demain la nécessité d’un rapprochement entre les acteurs sociaux de proximité, les initiatives et les positions associatives d’une part, les ressources et les choix publics d’autre part. Mais public ne signifie sans doute plus service public et fonction publique uniformes et centralisés, étatiques, napoléoniens...

 

II – Venons-en aux « mentalités ».

On sait que celui qui est différent fait peur. En France, le cloisonnement ségrégatif apparaît rationnel, fonctionnel, nous mettant à l’abri les uns des autres... Les gens « normaux », si j’ose dire, sont à l’abri des « anormaux », et les « anormaux » sont à l’abri des « normaux ».

Devant cet état de fait, face à la ségrégation au quotidien, il faut être conscient que l’apprentissage de la différence et de l’altérité, le respect de l’autre tel qu’il est, même s’il a l’air bizarre, pas « comme nous », cet appren­tissage et ce respect sont affaire d’éducation, mais jamais réalisables une fois pour toutes : c’est une tâche indéfinie, sans cesse à reprendre.

Même lorsqu’on croit le combat gagné, on constate que beaucoup résistent, n’adhèrent pas à une intégration ou à une politique d’inclusion - qui n’est pas, notons-le une assimilation (où tout le monde serait pareil).

Point 1 Les résistances existent, premièrement pour des raisons primaires qui se ramènent à la peur de l’autre. Ces résistances se « rééduqueraient » assez facilement si elles n’étaient pas surdéterminées par d’autres, issues de l’édu­cation globale (génératrice de telle ou telle « mentalité » ségrégative), du fait de se sentir soi-même exclu socialement, culturellement, etc.

Cela n’empêche pas de les « travailler » inlassablement. Je pense ici bien sûr aux élèves des classes qui accueillent des enfants « différents ». Cet accueil suppose une préparation. Écouter, parler et se parler sont ici les meilleurs outils éducatifs, à condition d’apprendre à s’en servir mais surtout à condition d’être soi-même dans les dispositions d’accueil que l’on cherche à obtenir des autres (les élèves), ce qui suppose un certain type de relation pédagogique basé précisément sur l’écoute et le dialogue.

Point 2 Deuxièmement elles existent (ces résistances) pour des raisons secondaires, autrement dit à partir de ce qui se présente comme une double contrainte : vous devez intégrer, dit-on aux enseignants, mais sans remettre en question le système existant, en changeant le moins possible son fonction­nement, son organisation, ses contenus, etc. Et bien sûr, quelquefois sans moyens supplémentaires, sans aide.

Les enseignants résistent parce qu’ils sentent bien, sans toujours l’analyser, qu’on les piège dans une contradiction et ils disent : « on ne peut pas ». En même temps, quand bien même on les autoriserait à prendre les libertés nécessaires en termes d’organisation, de programmes, de progres­sions, pour s’adapter aux besoins particuliers des élèves, on constate qu’ils n’y sont pas prêts, qu’ils n’ont pas été formés au changement. Ils ne se sont pas construit les représentations alternatives nécessaires en fait de pratiques professionnelles, ils ne voient pas comment faire, comme s’il y avait dans les pratiques quelque chose d’immuable qui ne supportait pas la remise en question, quelque chose d’irreprésentable.

 

III – L’origine d’un tel blocage n’est pas tant individuelle que culturelle, historique, idéologique, institutionnelle, politique, héritée en premier lieu de la conception « scolastique » de l’École – d’une École originellement élitiste, n’instruisant qu’un très petit nombre de personnes. Ce modèle d’origine s’est conservé très diversement selon l’évolution politique et religieuse des peuples. En France, à la puissance instituante de l’Eglise s’est substituée assez brutalement la puissance instituante de l’État républicain avec sa spéci­ficité égalitariste inspirée du cartésianisme et des Lumières, via la figure fondatrice de Condorcet. L’Allemagne luthérienne a connu une autre évolu­tion, basée sur d’autres valeurs, et ainsi des autres peuples (ces derniers temps, la Finlande est souvent citée en exemple).

Assurément, l’intégration européenne, la mondialisation, l’affaiblisse­ment de l’idéal républicain, l’individualisme etc., sont en train de changer la donne, mais l’institution scolaire, comme l’ensemble de la société française, a tendance à se crisper sur son identité passée en décomposition...

Chez nous, trois facteurs ont joué et jouent encore un rôle prééminent :

  1. La militarisation napoléonienne de l’École, combinée avec
  2. Le principe d’égalité républicaine (égalité de droit et des droits), et
  3. Le principe cartésien (qui a largement influencé les Lumières au siècle suivant) que l’esprit, la pensée, le sens commun, la raison, l’intelligence, sont potentiellement égaux chez tous les humains, puisqu’ils sont res cogitans, immatérielle, « la chose du monde la mieux partagée ».

La militarisation étatique a donné une fonction publique centrali­sée, uniforme, plutôt rigide, très hiérarchique, à tendance bureau­cratique, mais par ailleurs dévouée à sa mission de service public. Ces caractéristiques se sont perpétuées dans l’École républicaine.

Les mêmes causes, conjuguées au riche héritage scolaire de l’ancien Régime, en particulier dans les collèges de jésuites qui ont formé l’intelli­gentsia révolutionnaire, ont donné des cursus scolaires uniformes, rigides, indifférenciés, mécaniquement progressifs, ne tenant pas compte de la diversité humaine, alors que l’on passait de plus en plus à un enseignement « de masse ».

Une organisation par classes qui découpe la population scolaire en paquets d’une trentaine, avec le critère : même âge, même niveau, même programme.

Et que dire des programmes et de leur uniformité plus que jamais inadaptée à la diversité hétérogène des publics fréquentant l’École ? Ils font l’objet en France de furieuses querelles idéologiques, mais sur la base d’un consensus : il faut des programmes d’apprentissages (en effet, je distingue les programmes d’apprentissages et leur traduction en progressions didactiques, des programmes d’examens ou de concours).

Un système scolaire aussi rigide et uniforme, formellement égalitaire (la fameuse égalité des chances), est en réalité fortement hiérarchisé et inégalitaire, basé sur la sélection par l’échec, précisément parce qu’il ne peut ni admettre idéologiquement sans renier ses principes, ni prendre en compte pratiquement la diversité d’un public qui n’est plus celui du passé, non plus que la demande sociale qui a également changé. On peut montrer que le caractère linéaire et hiérarchique des cursus est mécaniquement générateur d’échec, puisqu’il est pyramidal et vertical, et que c’est la réussite à l’École Polytechnique qui lui sert de norme, et cela dès l’école maternelle.

Dans cette machine, les enseignants ne peuvent que se sentir coupables s’ils n’ont pas « fait le programme » et parcouru les 34 semaines de cours, en se conformant à une logique d’empilement impressionnante : par exemple en sixième on étudie les Assyriens et les Hébreux et en classe terminale l’époque contemporaine... Découpage du temps historique qui ne tient aucun compte du temps de l’élève, comme c’est pourtant facile à comprendre depuis un siècle que l’on étudie la psychologie de l’enfant !

 

IV – Dans ces conditions, comment accueillir sereinement des enfants différents, des élèves à « besoins particuliers » ? On ne peut pas les mettre au fond de la classe et les oublier ! On ne peut pas non plus leur donner un enseignement ou des cours particuliers en même temps que l’on fait la classe aux autres. On l’a vu, la difficulté est bien moins grande quand il s’agit d’élèves performants, capables de « suivre » et de réussir, autrement dit quand leur handicap ne les arrête pas dans leur adaptation scolaire, sous réserve de quelques aménagements qui ne remettent pas en question le système. En fin de compte l’intégration est possible quand c’est pour l’essentiel l’élève qui est capable de s’adapter au système et au cursus scolaires, et non l’inverse.

J’ai conscience d’avoir un peu noirci le tableau, parce que la réalité est plus diverse et colorée que mon regard schématique et gris, et surtout parce qu’elle repose sur des personnes, sur des compétences, sur des intelligences, dont beaucoup savent heureusement s’adapter, humaniser leur ensei­gnement, trouver des compromis entre le système et les êtres vivants qui peuplent leurs classes.

 

V – À l’approche de ma conclusion, je voudrais tout de même pouvoir esquisser une réponse à la question posée au début : quelles sont les conditions que je dirais conséquentes de l’accueil par l’École des enfants à besoins particuliers, et je pense en premier lieu aux enfants déficients ou souffrant de troubles mentaux, ceux pour qui c’est le plus difficile ? Cette réponse risque de paraître un peu utopique, ou même beaucoup, mais en même temps je n’en vois pas d’autre dont on puisse s’inspirer ; ce que je souhaite, c’est qu’on y trouve des pistes concrètes, même si on ne peut pas tout mettre en pratique jusqu’au bout. Ma réponse, c’est une École différente de l’École actuelle, qui soit une École de la différence.

Point 1 Une École centrée réellement (et non pas de manière abstraite et idéologique) sur les élèves et sur leur développement propre, et non sur les programmes et les cursus standardisés.

(Je pense ici en particulier au caractère contradictoire ou à tout le moins incohérent de la loi Jospin de 1989, qui a certes voulu mettre l’élève au centre du système éducatif, ce qui représentait une belle intention, mais qui n’a pas su ou pu en tirer les conséquences en termes d’organisation et de contenus. Cela aurait entraîné en effet la remise en question du « modèle républicain » dont nous sommes si fiers malgré son caractère mythique.)

Dans le contexte actuel, il n’est pas complètement impossible de proposer explicitement aux élèves de la classe un tel recentrage, de sorte premièrement que chacun comprenne mieux qu’il travaille pour soi et non pour la société anonyme de l’École ; deuxièmement, que chacun admette mieux le traitement différencié des élèves, et spécialement des élèves « à besoins particuliers ».

Point 2 Une École sans programmes autres que les programmes des examens terminaux (socialement inévitables, nécessaires et légitimes). Tant que les enseignants ne seront pas libérés de l’assujettissement des programmes d’apprentissages, ils ne pourront pas centrer leur pédagogie sur les appren­tissages des élèves plutôt que sur la transmission des contenus. Cela ne signifie pas, bien entendu, l’abandon de tout objectif, mais justement, un objectif détermine une visée, une démarche propre à un sujet, tandis qu’un contenu prédéterminé et massif impose des acquisitions normalisées, linéaires et à marche forcée, et j’ajouterai anonymes et dépersonnalisées. Il est essentiel ici de distinguer les objets de savoirs référé à la Science, à la culture... et la construction de ces savoirs par des sujets.

Dans le contexte actuel, il importe d’en parler, d’examiner le programme avec les élèves, de le hiérarchiser, d’envisager des priorités, d’accepter que tous les élèves ne le maîtrisent pas au même degré et à la même vitesse. À cette condition, le rapport au programme peut être dédramatisé avec des enfants souffrant d’un handicap, et avec leurs parents.

Point 3 Une École qui soit un espace commun mais pas uniforme, une École où l’on puisse progresser à sa vitesse, où l’on ne « redouble » pas, où cette notion de redoublement n’ait même pas de sens.

Dans le contexte actuel, on conviendra que la présence d’un élève handicapé dans une classe puisse correspondre davantage à un objectif de socialisation avec sa classe d’âge, celle où il pourra se faire le plus facilement des camarades, qu’à un niveau scolaire. On ne peut pas reléguer un élève de 14 ou 15 ans en classe de sixième ! Cela rend nécessaire un dialogue avec la classe, afin que les performances scolaires soient le cas échéant relativisées, y compris sous l’angle de l’évaluation et de la notation. C’est aussi l’occasion d’encourager la coopération et l’entraide chez les élèves.

Point 4 Une École sans classes, dans laquelle bien sûr on travaille avec des groupes d’élèves, mais avec des groupes constitués sur d’autres bases que : même âge, même programme, même niveau normalisé. Une École que j’oserai dire à la carte, où l’on puisse individualiser les parcours d’apprentis­sages, ce qui suppose une offre d’ateliers, de projets, de groupes constitués en fonction d’objectifs communs etc.

Dans le contexte actuel, les décloisonnements et la pédagogie de projet ne peuvent que favoriser l’implication d’un élève handicapé dans des activités de groupes, où c’est la complémentarité des tâches qui est favorisée, ce qui peut permettre à chacun et particulièrement aux plus démunis de trouver une place et de se sentir utile.

Point 5 Une École avec des enseignants qui ne fassent pas qu’enseigner mais qui surtout fassent travailler les élèves de façon diversifiée.

Dans le contexte actuel, il est important que l’enseignant ne privilégie pas le cours magistral et la relation frontale avec les élèves, mais organise sa classe et sa présence dans l’établissement de telle sorte que les échanges individualisés et avec des petits groupes soient possibles. Ce type de relation relativement individualisé est indispensable pour aider un élève handicapé à garder sa place, à se sentir en sécurité et à ne pas décrocher des apprentis­sages dans lesquels il a pu s’investir.

Point 6 Une École où l’enfant déficient mental ou sensoriel ou moteur ait tout naturellement sa place comme les autres, ni plus ni moins que les autres, avec cependant le suivi et l’accompagnement spécifique nécessaires.

(Ce suivi et cet accompagnement requièrent des personnels spécialisés et dans la mesure du possible (en particulier géographique) le regroupement dans un même établissement de plusieurs enfants affectés par le même type de handicap.)

Point 7 Une École, par conséquent, où l’enfant « différent » trouve sa place et puisse accomplir un cursus scolaire, dès lors que ce ne serait plus LE programme qui ferait loi, ni la progression standardisée en découlant, mais à l’inverse la progression propre à chacun, ce qui n’implique aucunement l’indi­vidualisation des situations d’apprentissage et la disparition du travail dans des groupes.

Progression propre à chacun ne signifie pas absence d’objectifs ou absence d’ambition, car l’ambition n’est pas que tout le monde apprenne et sache la même chose en même temps, mais au contraire objectifs et ambitions sur mesure, cursus adapté aux projets et aux capacités personnels.

Objectifs et projets supposent un suivi, ce qui implique pour chaque élève un enseignant référent, spécialisé ou non dans le cas des élèves handicapés. S’il n’y a plus lieu, dans une École « inclusive », de parler de « projet d’intégration », il n’en reste pas moins que la notion de projet personnel et personnalisé (et non pas de « programme », même « personna­lisé »... ) reste plus que jamais pertinente.

En dehors des pratiques de quelques mouvements pédagogiques, l’École que je décris n’existe pas. Mais après tout, une utopie est une idée régulatrice qui peut donner des objectifs à un combat pour une École faite enfin pour les élèves tels qu’ils sont et non plus centrée sur l’abstraction des contenus écrits d’avance.

L’École républicaine, avec ses classes de perfectionnement et, à côté, toutes les institutions d’éducation spéciale, est en train de disparaître, et ce qui prendra sa place est encore bien incertain. Il ne sert à rien de copier les bons élèves de l’Europe, les Finlandais ou les Danois ; même en nous en inspirant, c’est à partir de nous-mêmes, en faisant évoluer nos propres institutions et nos propres pratiques, que nous pouvons changer. Actuelle­ment, cette évolution reste aveugle, tâtonnante, défensive, inconséquente, voire incohérente, peureuse, contradictoire, chaotique ! C’est dans ce contexte qu’il nous faut construire une École de la diversité, capable d’accueillir la différence, avec l’idée que tous les élèves sans exception sont des élèves à besoins particuliers ! On ne peut pas offrir aux élèves différents ce que l’on n’est pas capable d’offrir aux autres, c’est-à-dire à tous.

Philippe Cormier
Mars 2006

 
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