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Jeunes adultes, bien-être et créativité

 

 
Un texte d’Eugène Michel


Publication originale  Texte publié initialement dans la revue Lieux d’Etre, N° 41, hiver 2005.
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Difficultés

La probabilité actuelle pour un jeune adulte d’avoir connu au cours de son développement des moments problématiques est importante du fait de quatre éléments distincts.

D’abord, nous résultons de populations marquées par les souffrances du XXe siècle. Toutes les familles furent touchées. À travers la filiation, un passé encore récent traumatisant, mêlé de violences, épidémies, refoulement sexuel, dévalorisation des femmes, racisme, etc. perdure en chaque individu. Les conséquences psychologiques sur les jeunes via leurs parents et grands-parents sont indéniables.

Le second facteur est la sophistication croissante de notre édifice culturel. L’enfant acquiert progressivement, par étapes successives, des savoir-faire pour élargir sa relation au monde, à l’instar de la collectivité à laquelle il appartient. Chaque étape représente les fondations de la suivante. L’augmentation du nombre d’étapes multiplie les aléas. Un défaut d’acquisition de la parole, de l’écriture, ou de l’autonomie engendre une souffrance relationnelle mal identifiée qui provoque une souffrance psychique. Cette souffrance est de nos jours d’autant plus visible qu’elle contraste avec l’exigence de sociabilité.

Ensuite, troisième difficulté potentielle, on assiste à la diminution du nombre d’enfants par couple, à la réduction de la famille élargie et à l’obligation de réussite scolaire. Dans sa vie familiale, l’enfant devient dépendant d’un nombre restreint d’adultes, au moment où l’injonction scolaire se fait plus radicale. On peut imaginer l’impact des excès ou des insuffisances parentaux. Le manque de père (ou de son remplaçant) est ressenti fortement par les garçons, en particulier dans les familles issues de l’immigration.

Enfin, il convient d’ajouter à ces risques celui des traumatismes accidentels qui ne manquent pas de surgir au cours de toute existence et qui sont redoublés par la vitalité urbaine. Le confort physique accroît l’intensité de ces traumatismes chez des êtres moins aguerris.

Ce n’est donc pas un hasard si les souffrances psychiques semblent de plus en plus se répandre, et, dans de telles conditions, on conçoit mal qu’un équilibre de l’être puisse se produire spontanément. Il semble nécessaire que tout jeune adulte accomplisse un profond travail sur lui-même, de compréhension de son histoire personnelle, pour parvenir à une harmonie au demeurant plus accessible qu’autrefois.

 

Acquisition de l’autonomie

Les enfants se trouvent confrontés, depuis les années 70, à un nouveau risque parental. Ils ne sont plus élevés dans une famille élargie, avec oncles, tantes, grands-parents. Dès lors, les éventuels excès ou carences parentaux ne peuvent plus être compensés par la famille élargie. Non seulement la réduction de la famille consécutive à l’individualisation entraîne un risque de manque de transmission des savoirs éducatifs de base (maternage et paternage), mais la dépendance entière vis-à-vis d’un ou deux adultes laisse l’enfant à la merci de troubles éventuels ou de discours coercitifs. Cela au moment où la réduction du nombre d’enfants focalise l’attention des parents sur chacun d’eux.

De sorte que le défaut d’acquisition d’autonomie des enfants par rapport aux parents devient de plus en plus courant, entraînant angoisses récurrentes et reproches réciproques, pendant que l’obligation de « réussites » scolaire et professionnelle crispe les rapports affectifs.

Plus délicat encore, l’étape la plus récente est celle de l’individualisation provoquée par la maîtrise individuelle de l’écriture. Autrefois, chaque être organisait sa vie à l’intérieur d’une famille, puis d’un groupe social. Aujourd’hui, le jeune adulte se voit devant la nécessité, au-delà des participations familiales et collectives, de penser par lui-même, d’assumer individuellement son existence, de créer une histoire personnelle. Cette tâche ne va pas d’elle-même. Si certains jeunes y excellent, appréciant à sa juste valeur cet accroissement de liberté et d’autonomie, d’autres, soumis à des repères familiaux insuffisants ou excessifs, se retrouvent désemparés devant des challenges inaccessibles.

 

Conseils ou thérapies

Il est probable qu’aujourd’hui un continuum d’intensité de souffrance psychique s’installe dans la population : une minorité s’épanouit, une majorité présente un niveau de souffrance plus ou moins acceptable, une autre minorité souffre intensément.

Or, nous sommes à un moment frontière où la connaissance psychologique est en retard par rapport aux besoins. On en est encore à penser qu’un certain épanouissement de base existe et que seuls quelques êtres en souffrance particulière ont besoin d’une thérapie.

La conséquence est que la majorité des êtres subit, durant une vie de plus en plus longue, des conflits intérieurs tout à fait évitables qui empêchent tout réel épanouissement.

On va découvrir bientôt qu’il appartient à chaque être de faire le point sur son histoire au sortir de l’adolescence, c’est-à-dire vers ses 19-20 ans, ceci pour détecter les probables aléas rencontrés jusque-là. L’être passera en revue sa relation avec son corps en commençant par les fonctions élémentaires. Il inventoriera ses éventuelles difficultés avec la respiration, l’hydratation, l’alimentation, le sommeil, le mouvement, la sexualité.

Puis, en élargissant cette introspection vers la relation au monde, il s’interrogera sur sa vision des parents, des frères et sœurs, de la famille, des amis de la famille, des amis personnels, de l’entourage, du quartier, de la ville, du pays. Ensuite, l’être se demandera s’il parvient à développer une image positive de lui-même, de sa famille et d’autrui, et s’il réussit à construire des projets à court, moyen et long termes enthousiasmants.

L’être s’apercevra qu’il a un travail à accomplir sur lui-même et que ce travail est d’autant plus nécessaire qu’il y a résistances, reproches, ressentiments, symptômes. L’inconfort corporel, l’insatisfaction relationnelle, l’angoisse, les comportements incoercibles sont la signature d’un passé dont certaines étapes ont été plus ou moins manquées. Le cheminement thérapeutique a pour conséquence une exploration qui montre que notre relation avec notre corps et avec le monde reste encore très fragmentaire.

L’être analysera sa situation par rapport à ses trois dépendances principales : dépendance affective, économique et intellectuelle. Si nous sommes inévitablement liés à autrui par les sentiments (la famille, l’amour et l’amitié), par l’argent (le patrimoine et les revenus) et par la pensée (les valeurs et les idéologies), il importe qu’aucune de ces dépendances ne relève d’un nombre limité de personnes toutes puissantes ou déficientes.

 

Plaisir d’exister et créativité

Le plaisir forme l’essence d’un corps bien nourri, protégé par un habitat stable et s’estimant lui-même. Les étapes du développement individuel peuvent bien s’additionner en un édifice de plus en plus subtil, il n’est pas si complexe de les appréhender : sevrage, autonomie vis-à-vis des parents puis de la famille, avec épanouissement du mouvement et de la parole, puis autonomie vis-à-vis du groupe, avec conquête de l’écrit et de la créativité et accroissement de patrimoine et de savoir.

Ceci est aujourd’hui à la portée d’une majorité de la population. On ne voit pas pourquoi il faudrait encore attendre plusieurs générations pour que le bénéfice corporel entraîne un contentement psychique.

Hormis la bonne chère et la fête ritualisée, le plaisir fut longtemps tabou car il contrastait trop avec les difficultés d’existence collective. Aujourd’hui, l’attitude devant le plaisir a radicalement changé. On sait maintenant que l’épanouissement passe par le bien-être sensoriel, sensuel et intellectuel porté par une histoire relationnelle qui s’élargit avec l’âge.

On pourrait penser que l’allongement de l’espérance de vie donnerait aux êtres un recul suffisant pour relativiser les obstacles rencontrés. L’effet peut être inverse. La perspective d’une très longue vie met les êtres face à des responsabilités qu’ils ne se sentent pas nécessairement capables d’assumer. D’autre part, les souffrances non résolues ont des conséquences d’autant plus durables. Condamnés à mettre en œuvre une intelligence personnelle, les êtres pâtissent de plus en plus du moindre défaut de perspicacité.

Cependant, l’être comprend mieux qu’il n’a qu’une vie et que le meilleur exemple à donner pour les futures générations est celui de l’épanouissement. Il n’y a pas à se sacrifier pour rien ni pour personne, mais à conquérir intelligemment et très tôt une sérénité porteuse de projets, d’histoire, de nouveauté, à l’intérieur des inévitables luttes contre les résistances au changement.

Sous cet éclairage, le rôle de la créativité apparaît fondamental. Ce n’est pas un hasard si les jeunes adultes sont de plus en plus attirés par les activités artistiques et les métiers du spectacle. Le temps va bientôt venir où l’on s’apercevra que, pour les mêmes raisons que le jeu chez l’enfant, la créativité est indispensable chez le jeune adulte.

En tant que nécessité pour chaque individu, la créativité est un concept récent car elle fut d’abord réservée à des spécialistes ou à des rebelles. Aujourd’hui, on assiste à sa généralisation chez tout être. Elle se présente sous forme intellectuelle, sensorielle, relationnelle, comportementale, artistique ou sportive. Elle implique une part de prise de risques qu’il importe d’évaluer à l’aune de l’attention corporelle.

Il appartient aux aînés de prendre la mesure de ce bouleversement afin de rééquilibrer les scolarités et les vies professionnelles vers la créativité pour que l’écart se réduise – au lieu de se creuser – entre les aspirations des nouvelles générations et les activités rémunérées.

 

Eugène Michel
Hiver 2005
Tous mes remerciements à Daniel Calin pour ses écrits et pour son aide.

 
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