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Théorie de l’extensio et travaux de Vygotski

 

 
Un texte d’Eugène Michel


 

Nous avons vu dans des articles antérieurs que notre théorie de l’extensio s’inscrit à la suite des travaux de Norbert Elias qui se réfèrent à une « loi fondamentale sociogénétique » et à l’élargissement de l’«unité de survie ».

Un autre chercheur peut être rapproché de la théorie de l’extensio, il s’agit du russe Vygotski (1896-1934).

La théorie de l’extensio affirme que le développement humain passe par des étapes rendues possibles par l’acquisition successive de quatre outils précis : les sens, le geste, la parole et l’écrit. Vygotski dit en substance la même chose. Il insiste sur l’importance de l’acquisition des « outils », dont le langage, pour les étapes du développement.

On retrouve également un lien entre le développement individuel et les acquis collectifs avec la « loi de la double formation » (nous n’avons pu déterminer si cette expression est de Vygotski lui-même ou produite par ses commentateurs) : une aptitude de l’enfant serait d’abord une activité collective extérieure, puis elle s’intérioriserait. Dans Pensée et langage (1997, p. 235), Vygotski cite une « loi génétique supérieure » du psychologue américain Arnold Gesell (1880-1961) (Gesell venait d’être traduit en russe) : « Tout développement présent est fondé sur le développement passé. Le développement n’est pas une simple fonction, entièrement définie par x unités d’hérédité plus y unités de milieu. C’est un complexe historique, reflétant à chaque stade donné le passé qu’il inclut ». On est très proche de la loi fondamentale sociogénétique d’Elias qui affirme que « chaque individu doit parcourir pour son propre compte en abrégé le processus de civilisation que la société a parcouru dans son ensemble » et du second principe de la théorie de l’extensio : « le développement individuel reproduit dans ses grandes lignes le développement collectif ».

La relation entre Elias et Vygotski a été perçue par les chercheurs. Elias peut très bien avoir lu Vygotski, puisqu’un article de celui-ci paraît en allemand en 1929 : « Die genetischen Wurzen des Sprechens und Denkens » mais aussi en anglais la même année : « The Problem of the Cultural Development of the Child ».

Pour la langue française, l’expression « loi fondamentale » paraît pesante, proche du pléonasme. Mais l’expression allemande est « Grundgesetz ». Elle remonte au moins au 19e siècle. E. H. Weber et Fechner proposent leur « loi fondamentale de la psychophysique » (« psychophysische Grundgesetz ») qui établit une relation mathématique entre stimulation et sensation. En 1908, le sociologue Max Weber critique l’extension économique de cette loi par Brentano. On notera qu’Elias étudia avec Max Weber dans les années 1920. Cependant, Elias le dit lui-même, sa « loi fondamentale sociogénétique » (« sociogenetische Grundgesetz ») est une dérivation de la « loi fondamentale biogénétique » d’Haeckel (« biogenetische Grundgesetz »).

Il faut bien se rendre compte que la génétique était à cette époque une science toute nouvelle qui devait bouleverser les sciences humaines. D’autre part, la physique faisait également des progrès considérables. L’idée de trouver des « lois » dans le développement culturel ne surprend donc pas.

Si aujourd’hui la théorie de l’extensio affirme que l’enfant repasse, pour des raisons neuronales, globalement par les mêmes stades d’acquisitions techniques que la collectivité à laquelle il appartient, nous dirons qu’il faut se garder d’une généralisation excessive sous forme de « loi ». La vie est ainsi faite que de nombreuses modulations sont possibles, en particulier en cas d’handicaps ou d’obstacles à la transmission inventive. La théorie de l’extensio décrit d’ailleurs ce degré de liberté avec son 3e principe : « L’individu explore sans cesse une suite ou des variantes au développement collectif ».

À ce propos, nous trouvons un autre point commun entre Vygotski et la théorie de l’extensio.

Le concept créé par Vygotski de « zone proximale de développement » (ZPD) n’est pas sans rapport avec la notion de « champ relationnel » de la théorie de l’extensio car le champ relationnel est généré par l’acquisition des outils spécifiques. Vygotski définit la ZPD comme le lieu où l’enfant augmente ses aptitudes à partir de ce qu’il sait déjà faire à condition d’être accompagné par un adulte. Il faut espérer que la pédagogie contemporaine se place dans cette ZPD. Un écart insuffisant ou trop grand provoque le désintérêt du public concerné.

Pour la théorie de l’extensio, la ZPD correspond à la frontière du champ relationnel toujours en extension. Son importance est capitale car il s’agit du lieu d’application de l’inventus. Dans ce lieu d’apprentissage / exploration, l’enseignant transmet par imitation, mais aussi par incitation à la spontanéité et au raisonnement explorateurs. Au-delà de l’habitus d’un savoir précédemment acquis, l’élève ne peut pas imiter servilement. Il faut qu’il s’aventure dès qu’il lui semble qu’une exploration est possible, c’est-à-dire dès que la logique n’impose pas une solution unique. Et même dans ce cas, la rapidité et la facilité d’exécution entreront en jeu.

Eugène Michel
Février 2012

 
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Bibliographie

 
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Dernière révision : mercredi 19 février 2014 – 17:40:00
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