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Théorie de l’extensio : prendre le temps du corps

 

 
Un texte d’Eugène Michel
pour C. Carlicchi


 

La théorie de l’extensio affirme que la vie élargit sans cesse son champ relationnel pour ne pas dépendre d’un environnement limité qui finit toujours par être défaillant dans son rôle de fournisseur d’apports. Cet élargissement s’effectue par l’acquisition successive de quatre outils du corps : les sens, les gestes, la parole et l’écrit.

De sorte qu’au regard de la théorie de l’extensio, prendre le temps du corps, c’est être vigilant sur ces quatre outils.

 

Les sens

La présence sensorielle est la base de notre existence. Inséparable de l’eau liquide, la vie crée un mouvement dans le mouvement. Dans ces deux mouvements, notre corps analyse en permanence son état et son environnement grâce à des capteurs sensoriels.

Prendre le temps du corps, c’est d’abord devenir très attentif aux diverses perceptions sensorielles. Voir, entendre, goûter, sentir, toucher créent l’éveil après le sommeil. Simultanément, les sensations corporelles intérieures délivrent leur message d’alerte ou de bien-être.

Pour l’extensio, nous dirons que « grandir » consiste à augmenter en priorité tout au long de la vie la présence sensorielle au monde et à soi-même.

 

Les gestes

Nous définirons le geste comme un mouvement volontaire sophistiqué. Marcher, courir, danser, faire du sport, agir sur soi, sur autrui ou sur un objet sont des gestes. De même, les expressions du visage et les postures corporelles.

Si l’éveil post-sommeil commence par les sens, il continue par les gestes. Une journée réussie est celle où les gestes ont représenté un accomplissement de l’ensemble du corps. On gagne à ne négliger aucune articulation, aucun muscle. C’est en fait toute notre physiologie qui résulte d’une bonne pratique gestuelle.

Notre goût pour la vie et notre relation au monde sont directement dépendants de la qualité de nos gestes.

 

La parole

La parole est la première accompagnatrice des sens et des gestes, dont elle découle. On peut dénombrer trois situations différentes : je parle à autrui, autrui me parle, je me parle à moi-même. L’art de la parole consiste à utiliser ces trois situations d’une façon agréable.

La non-maîtrise du discours intérieur – en particulier lors de propos auto-dévalorisants ou culpabilisants – et le mutisme induisent une grande souffrance. Le corps éprouve un tel besoin de paroles que moins on parle à autrui, plus on se parle à soi-même.

Pour se confier et pour réfléchir, il faut écouter et oser dire. Donner la parole et la prendre. Et se parler à soi-même avec bienveillance. Tout au long de la vie, il est possible de progresser dans l’art délicat de la conversation avec soi-même et avec autrui.

 

L’écriture

Datant d’environ cinq mille ans, l’écriture est l’invention la plus récente du corps humain. Nul n’ignore son importance dans notre société. L’illettrisme est devenu un handicap considérable.

Comme pour la parole, on trouve trois situations : j’écris à autrui, autrui m’écrit, je m’écris à moi-même. Contrairement au discours intérieur excessif, l’excès d’écriture à soi-même est rare. La règle est plutôt la carence. On se trouve la plupart du temps dans l’abondance d’écriture d’autrui. Nous vivons dans une société qui fait une promotion intense de la lecture et du respect des écrits juridiques et professionnels.

Les adolescents le savent : le journal intime est très utile. Il permet de réfléchir et de mémoriser. Utilisé sans excès, il aide à comprendre et à progresser. Mais combien d’adultes tiennent encore un journal ? La grande faiblesse actuelle reste de ne pas s’écrire à soi-même.

A minima, toutes les autres formes courtes – poèmes, nouvelles, articles... – peuvent aussi être pratiquées.

« Qu’est-ce que je lis ? Qu’est-ce que j’écris ? » sont deux questions fondamentales que l’on oublie trop souvent de se poser. L’écriture est l’alliée intellectuelle et ludique de la parole.

 

Le secret de l’aventure

Les sens, les gestes, les mots prononcés, pensés ou écrits représentent la réalité quotidienne de notre corps. Prendre le temps du corps, c’est faire attention à chacun de ces outils dans leur diversité et leur complexité.

Les mettre en œuvre chaque jour le mieux possible, sans oublis ni excès involontaires, en essayant de progresser dans la relation avec autrui et avec le monde apporte une forme de sagesse. Le résultat est l’élargissement continuel de notre relation au monde, qui procure une sensation de bien-être. L’existence corporelle, étonnante invention provenant d’une évolution de plus de trois milliards d’années, peut alors être une délectation.

Hier, aujourd’hui, demain, quelle est mon histoire ? Avec qui ? Les quatre outils corporels créent la mémoire, le sentiment, la compréhension et le jeu. Prendre le temps de bien sentir et bien bouger, bien utiliser les mots parlés et écrits apporte épanouissement et aventure.

Eugène Michel
Décembre 2012

 
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Dernière révision : samedi 25 janvier 2014 – 17:10:00
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