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Théorie de l’extensio et révolte

 

 
Un texte d’Eugène Michel


 

Parler de révolte est délicat. Le mot peut être utilisé depuis une attitude philosophique individuelle jusqu’à la nécessité de se libérer collectivement d’une oppression insupportable. Nous n’évoquerons ici que les situations modérées d’empêchement de l’extensio.

La théorie de l’extensio décrit le développement individuel et collectif comme une inévitable extension du champ relationnel. Quatre étapes successives sont maintenant possibles : maternelle, familiale, collective et individuelle avec une extension qui va de la mère au village, puis au pays et au monde.

Et nous avons vu que cet extensio résulte de l’incessante survenue de l’inventus dans un habitus.

Bien entendu, tout n’est pas acquis d’avance. Le passage d’une étape à la suivante ne peut être réalisé qu’avec l’acquisition des outils relationnels adéquats. D’autre part, tout habitus est par définition un lieu de pouvoir puisqu’il s’agit d’obtenir les apports dont on a besoin. Les groupes et les individus sont en rivalité, des dominations s’installent. La première des dominations est d’ailleurs flagrante, c’est celle des adultes sur les enfants qui en dépendent entièrement.

En termes d’extensio, la question qui se pose est : le passage d’une étape à la suivante peut-il se faire dans l’harmonie ou bien le conflit est-il inévitable ?

La réalité, c’est que l’on constate un continuum depuis la douceur jusqu’à la violence lors des transitions d’une étape à la suivante. Les mères abusives, les pères et les employeurs dominateurs, les dictateurs ne laissent pas d’autre solution que le rejet inconditionnel quand leurs méthodes sont inacceptables, voire pathologiques.

À l’inverse, les mères attentives, les pères accueillants, les employeurs respectueux, les élus pacifistes se font un honneur d’accompagner les groupes et les individus dans leur épanouissement.

La théorie de l’extensio affirme que l’extension du champ relationnel est le principe fondamental de la vie. L’extension doit donc se réaliser d’une façon ou d’une autre. Si elle est bloquée dans le réel, elle pourra s’accomplir dans l’imaginaire, mais il faudra s’attendre au surgissement de protestations et de luttes qui seront d’autant plus intenses que la part d’inventus des groupes ou des individus sera amenuisée.

L’extensio implique d’échapper, grâce à l’inventus, aux dominations qu’installent les habitus de chaque étape du développement. Plutôt qu’une opposition frontale, on préfèrera une émancipation par la créativité.

Si l’on n’y parvient pas, trois types de révoltes sont observables : dans l’étape familiale, celle contre la mère et/ou le père ; dans l’étape collective, celle contre l’employeur et/ou la société ; dans l’étape individuelle, celle contre soi-même et/ou autrui.

Un exemple de révolte contre les parents est la crise d’adolescence. Celle-ci n’est pas inévitable. Lorsque les parents comprennent que leur rôle est d’accompagner le mieux possible leur enfant vers l’étape collective, un dialogue intelligent s’établit.

Dans l’étape collective, l’une des révoltes contre la société est ce qui a été appelé la lutte des classes. L’État a un rôle fondamental à jouer pour atténuer les inégalités et détecter les injustices.

Le problème le plus difficile actuellement – dans les pays où l’étape individuelle est bien avancée – nous paraît être le risque de révolte contre soi-même ou contre autrui. On assiste à une recrudescence de souffrances relationnelles dont les causes sortent des explications rationnelles facilement repérables dans les étapes précédentes. La question est si préoccupante qu’on apprend par exemple la création récente d’un « Observatoire national des suicides ». Il y a maintenant en France trois fois plus de décès par suicide que par accidents de la route.

Là encore, la recherche d’un équilibre entre habitus et inventus est indispensable. Et puisque l’étape individuelle est la plus récente, l’extensio implique que l’on s’interroge sur ce que pourra être l’étape suivante.

Loin de se complaire dans l’étape individuelle – ce qui finirait par générer un excès d’habitus – chaque individu gagnera à prendre conscience que son bonheur consiste à explorer – sans impatience ni idéalisme intransigeants – la suite du développement individuel et collectif.

En résumé, quatre types de révoltes nous guettent : contre la mère, le père, la société ou l’individu.

La recherche d’un affinement des quatre outils que sont les sens, les gestes, la parole et l’écrit sera le meilleur moyen d’éviter les crises frontales. Cette pratique des outils permettra de passer progressivement d’une étape à la suivante, sans précipitation, mais résolument.

Eugène Michel
Septembre 2013

 
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