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Théorie de l’extensio – Résumé

 

 
Un texte d’Eugène Michel


 

Ma formation de biophysicien de la cellule m’a fait réfléchir depuis une quinzaine d’années à l’émergence de la vie et à son étonnante propagation.  Au fil d’articles publiés en revues et sur le web, j’ai proposé une théorie du développement qui a été publiée sous le titre de Théorie de l’extensio (Edilivre, 2012).

La vie est, au départ, la création d’un compartiment intérieur très simple, sorte de bulle-cellule, qui se différencie de l’extérieur par des échanges à travers une membrane semi-perméable. Aussitôt, cette bulle se dilate puis se dédouble en deux bulles semblables. La duplication spontanée, due aux tensions de surface, est à l’origine de la vie. Une bulle-cellule emplie d’eau grossit par incorporation d’apports, puis éclate en deux petites bulles identiques qui elles-mêmes se mettent à grossir, et ainsi de suite.

Or, il est évident qu’une reproduction démultipliée ne peut jamais s’effectuer rigoureusement à l’identique. Des différences apparaissent de façon inéluctable. Parmi les diverses bulles-cellules, certaines seront plus stables que d’autres, ainsi que leur descendance. Dès l’origine, la complexification(1) – aussi minime soit-elle – de cet intérieur n’a été possible que par la multiplication des bulles-cellules. L’évolution commence avec le principe même de reproduction duplicative.

La reproduction va non seulement entraîner la diversification mais aussi la juxtaposition cellulaire, qui, après intégration de variantes, va générer les êtres pluricellulaires(2). Chez les premiers animaux, l’invention du neurone sera capitale.

Après un temps de l’ordre du milliard d’années, la bulle-cellule devient un organisme qui prend une part active dans l’obtention des apports dont il a besoin. Plus exactement, l’évolution va favoriser les structures qui sont les plus efficaces pour obtenir leurs apports puisque celles-ci se dupliqueront plus vite.

En définitive, l’évolution s’orientera vers une extension du champ relationnel des êtres vivants pour moins dépendre d’un environnement limité dont la probabilité d’être déficient dans son rôle de fournisseur d’apports serait plus grande. Formulé ainsi, c’est le principe fondamental de la théorie de l’extensio.

Cette extension présente trois modes de mise en œuvre : par le nombre dans une même espèce, par la diversification des espèces vers tous les biotopes, par la complexification avec symbioses, commensalités et augmentation stupéfiante du nombre de neurones et de leurs connexions chez les animaux.

En complète interdépendance, deux grands choix de vie apparaissent : l’espèce est fixée sur un substrat nutritif ou nomade. Le second choix oriente l’évolution vers une analyse de l’environnement pour décider des meilleurs déplacements possibles, ce qui crée la neuronalité.

Mais que se passe-t-il chez les humains ?

En observant le développement juvénile, l’élargissement du champ relationnel est flagrant : l’enfant commence son existence dans le ventre de sa maman puis continue près d’elle ou de son substitut, ensuite il élargit son horizon avec la famille ou le petit groupe, puis il accède à la collectivité.

Quant à l’extension collective, elle est également évidente puisque l’être humain a essaimé sur toute la planète en sociétés qui sans cesse étendent leur rayon d’action.

L’originalité de notre théorie du développement est de démontrer que :

Il en résulte, pour la théorie de l’extensio, la description des quatre étapes chronologiques du développement : maternelle-sensorielle, familiale-gestuelle, collective-orale et individuelle-écrite. La religion se conforte dans l’étape familiale, la politique dans l’étape collective, le corps dans l’étape individuelle. Ces étapes se produisent en gigogne – chacune incluant la précédente – ce qui n’empêche pas la survenue de conflits intenses, véritables déchirements pour sortir d’une chrysalide.

Amour fusionnel, croyance métaphysique, système politique parfait, jeunesse perpétuelle, chaque étape génère une utopie. Les quatre utopies sont modulées diversement par les groupes et les individus. En particulier, d’une étape à la suivante, la croyance s’atténue en ce que nous avons appelé un « dualisme flou » et l’engagement politique perd ses bases idéologiques.

Le corps individualisé est la grande conquête actuelle en Occident à travers quatre domaines : la sexualité, l’esthétique, la santé, la pratique sportive, pour chacun desquels on peut observer des excès. La relation corporelle avec autrui et avec le monde, le confort sensoriel et la longévité deviennent des aspirations universelles.

Cette nouvelle étape – individuelle(3) – nécessite d’être bien préparée par les étapes précédentes car elle représente un accroissement d’autonomie par rapport à la famille et à la société d’appartenance. Dans le cas contraire, des errances surviennent. L’individu existe dès sa naissance, mais son histoire est d’élargir progressivement sa relation au monde, ce qui n’a pas de fin.

La théorie de l’extensio est une révolution. Pour la première fois, les diverses passions et aptitudes humaines se trouvent coordonnées selon un raisonnement purement logique, sans dogmatisme, ni clôture.

L’inventus(4) est l’un des concepts fondamentaux de cette théorie : l’extension du champ relationnel est rendue possible par l’invention d’outils nouveaux sélectionnés par l’évolution, puis par la créativité humaine, rendue elle-même possible par la plasticité neuronale. Et si la problématique d’obtention des apports est toujours nouvelle du fait même de l’extensio, c’est l’inventus qui apporte sans cesse des solutions.

L’habitus(5) – dans un sens bourdieusien élargi – représente la partie duplicative de l’existence, l’inventus sa partie exploratrice. L’un ne va pas sans l’autre. De sorte que l’on peut établir ce théorème de la théorie de l’extensio :


L’extensio résulte de l’incessante émergence de l’inventus dans l’habitus.


La marche est un bon exemple d’extensio : son habitus est donné par la sensation de verticalité (oreille interne), la détection du centre de gravité (voûte plantaire), la familiarité visuelle avec l’environnement et la coordination réflexe du mouvement ; son inventus est provoqué par l’objectif visuel, le déséquilibre volontaire vers l’avant et l’observation du terrain récepteur.

En définitive, l’extensio, c’est-à-dire l’extension du champ relationnel structurée par l’habitus et l’inventus, résume la pratique du corps dans sa relation à autrui et au monde qui elle-même dépend d’un affinement des sens, des gestes, de la parole et de l’écrit tout au long de la vie individuelle et collective. Il y a continuité, sans ruptures mystérieuses, entre toutes les formes de vie et selon tous les âges.

Eugène Michel
Mai 2014

 
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Notes

(1) Notion chère à Edgar Morin. L’hominisation est très bien décrite dans son  livre Le paradigme perdu : la nature humaine (Seuil, Points essais n° 109, 1979)

(2) Ce mécanisme logique est proposé par le biologiste Georges Chapouthier dans L’homme, ce singe en mosaïque (Odile Jacob, 2001).

(3) L’individualité contemporaine est explorée par de nombreux auteurs tels Luc Boltanski, Ph. Corcuff, B. Golse, J-C. Kaufmann, B. Lahire, F. de Singly, S. Tisseron.

(4) Pour le concept d’inventus, se rapporter à nos articles en ligne.

(5) Citons parmi les ouvrages présentant les travaux de Pierre Bourdieu : L. Pinto, G. Sapiro, P. Champagne, Pierre Bourdieu, sociologue, Fayard, 2004 ; P. Champagne, O. Christin, Mouvements d’une pensée, Bordas, 2004 ; P. Bonnewitz, Pierre Bourdieu : vie, œuvres, concepts, Ellipses, 2002.

 
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Dernière révision : mardi 06 mai 2014 – 12:45:00
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