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Théorie de l’extensio et continuum biographique

 

 
Un texte d’Eugène Michel


 

La théorie de l’extensio analyse le développement individuel occidental comme le passage successif par quatre étapes d’élargissement du champ relationnel : étapes maternelle, familiale, collective et individuelle. Ces étapes se superposent en gigogne : chaque nouvelle étape ne supprime pas la précédente, simplement elle la relativise en ajoutant des éléments nouveaux. Il s’agit en particulier d’acquérir les quatre outils successifs de la neuronalité que sont les sens, les gestes, la parole et l’écrit.

Imaginer que le passage d’une étape à la suivante s’effectue nécessairement selon des ruptures radicales serait simpliste. Certes, des à-coups sont possibles en fonction des résistances rencontrées – à la façon de la tectonique des plaques – mais il faut s’attendre plutôt à un continuum : chaque nouvel outil émerge peu à peu du précédent qui lui-même continue de s’affiner.

Tout individu déroule une histoire qui réalise l’extension de la relation à autrui et au monde dans le cursus des quatre étapes. Cette histoire ne s’arrête jamais ; racontée, elle constitue une biographie.

Pour notre théorie, une biographie est la narration d’un extensio et de ses aléas. Quiconque parvient à revendiquer positivement sa biographie possède un atout majeur pour la projection dans l’avenir. Dans son fameux ouvrage La Névrose de classe (H&G Editeurs, 1987), Vincent de Gaulejac consacre un chapitre à la notion d’historicité individuelle. Il y écrit : « Il existe un lien étroit entre la capacité de l’individu d’intégrer son histoire et ses possibilités d’investir dans l’avenir ».

Ainsi, l’historicité, l’aptitude biographique de chaque individu serait un préalable à son épanouissement. Ou plus précisément, l’épanouissement résulte d’un dialogue permanent entre l’historicité et les décisions à prendre.

Cette assertion ne mériterait pas un article si nous ne voulions pas insister sur les lacunes de l’historicité. La biographie individuelle est si importante qu’il est prévisible que toute lacune, toute période refoulée chez un individu lui sera dommageable. Or, on a tendance à minimiser l’impact des zones d’ombre, jusqu’à le nier même puisque c’est justement le but de ce brouillage.

La théorie de l’extensio fait alors émerger la notion de « continuum biographique ». Nous définirons ici le continuum biographique comme la capacité de l’individu à se raconter à lui-même son histoire depuis son origine jusqu’à l’aujourd’hui sans occultations ni amnésie de périodes(1).

Le continuum biographique permet de vivre le présent sous une forme clarifiée, voire revendiquée, qui non seulement aide à assumer le présent, mais aussi à explorer l’avenir.

On peut en déduire que toute rupture du continuum posera problème et sera d’autant plus nocive que la période voisinera la naissance ou se prolongera.

La rupture de continuum va entraîner tout un pan de dysfonctionnement de la relation à autrui et au monde. En fonction de la ou des périodes concernées, l’acquisition des outils ou leur affinement seront plus ou moins gravement contrariés. Alors, l’extensio sera fragilisé ; la souffrance surgira, proportionnelle au problème non résolu.

Or, les risques de rupture du continuum biographique sont nombreux. Les traumatismes sont les plus fréquents. Ils peuvent être dus aux accidents, agressions et maladies. Mais ce peuvent être aussi les séparations, les deuils, les exils, le chômage de longue durée, les déménagements subis. Les silences et les non-dits ne feront qu’allonger la période de rupture du continuum.

Les événements nocifs ne génèrent pas obligatoirement une rupture de continuum si l’individu parvient à établir une narration. Mais il est à prévoir que leur survenue sera potentiellement plus dangereuse lors du passage d’une étape à la suivante ou s’ils réactivent une rupture précédente.

Chez toute personne, un mal-être inexpliqué et durable révèle une difficulté d’extensio dont l’origine se trouve dans le passé. Tout événement nocif, même symbolique, peut en être la cause. Mais sa formulation ultérieure n’apportera pas nécessairement un soulagement. C’est tout le fil de l’historicité qu’il faudra renouer. La théorie de l’extensio postule qu’une thérapie consiste à effectuer le long et patient travail de rétablissement du continuum biographique.

Eugène Michel
Mai 2014

 
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Note

(1) Une recherche sur le web de l’expression « continuum biographique » donne deux occurrences principales, en sociolinguistique et en didactique des langues ou des cultures : Muriel Molinié l’emploie pour caractériser le fait qu’en cas de mobilité internationale, de migration ou d’exil, le sujet vit une discontinuité à la fois culturelle et linguistique, qu’il va  chercher à combler en devenant notamment bi/ou plurilingue et en acquérant certains des codes culturels de la société d'accueil (cf. Molinié, 2002, Discontinuité socio-linguistique et cohérence biographique).  Cécile Goï fait de cette expression « continuum biographique » une notion importante de ses analyses des situations d'appropriation des langues et des processus interculturels en contexte migratoire, notamment pour les Elèves Allophones Nouvellement Arrivés (EANA). (cf. Goï, 2009, Réflexivité et plurilinguisme : de l’outil d’apprentissage à la cohérence du continuum biographique. Observations d’interactions entre jeunes plurilingues en milieu scolaire.

 
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Dernière révision : lundi 19 mai 2014 – 14:15:00
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