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Théorie de l’extensio et psychanalyse

 

 
Un texte d’Eugène Michel


 

La théorie de l’extensio détermine quatre étapes du développement individuel, c’est-à-dire d’extension de notre relation au monde : les étapes maternelle, familiale, collective et individuelle. Ainsi, l’enfant naît de sa maman, puis il intègre la famille pour accéder ensuite à la collectivité, et enfin devenir pleinement individualisé dans un rayon d’action de plus en plus large.

Ces quatre étapes en gigogne ne sont pas flagrantes car le plus souvent on se situe préférentiellement dans l’une d’entre elles : les jeunes sont plutôt dans l’étape individuelle, ils s’émancipent de leur famille et fuient les contraintes collectives pour cultiver leur individualité ; les aînés se focalisent soit sur l’étape familiale avec les enfants soit sur l’étape collective avec l’ambition professionnelle. Quant à l’étape maternelle, elle concerne la maternité et la paternité.

Or, selon la théorie de l’extensio, ces étapes ont une base concrète qui est l’acquisition des « outils » de relation croissante avec le monde : les sens, les gestes, la parole et l’écrit, acquisition rendue possible par l’accroissement neuronal.

La psychanalyse s’accorde avec cette description du développement de l’enfant. Une éventuelle différence est que la psychanalyse a tendance à placer la parole et l’écrit dans le même concept de langage, alors que l’extensio distingue deux étapes très spécifiques.

Ensuite, la théorie de l’extensio prévoit que les excès ou carences d’apports qui peuvent survenir dès la conception de l’être entraînent des perturbations dans le développement. Là aussi, il y a accord avec la psychanalyse qui justement représente une démarche thérapeutique fondée sur la recherche par la personne souffrante des manques ou des traumatismes qu’elle a pu rencontrer.

Deux éléments priment en psychanalyse : d’une part, l’idée que la formulation spontanée par une personne de ce qu’elle a vécu et de ce qui en a résulté ne peut qu’être très partielle et, d’autre part, l’espoir que chacun puisse, par un travail de parole, se libérer d’une spirale de souffrance.

En déduction de l’idée des quatre outils, la théorie de l’extensio postule l’existence de quatre mémoires : la mémoire sensorielle, la mémoire gestuelle, la mémoire orale et la mémoire écrite. Et aussi bien de quatre pensées.

De sorte que l’extensio encourage à une généralisation de la psychanalyse : selon le moment des problèmes rencontrés par la personne, la théorie incitera à une attention plus intense portée sur les pratiques sensorielles, gestuelles, orales ou écrites.

On a bien là une correspondance avec la multiplication, au-delà de la psychanalyse, des types de psychothérapies.

L’obstacle majeur est celui du temps thérapeutique. L’extensio laisse penser que plus la perturbation est proche de la conception de l’individu, plus le travail à réaliser devra être continu – en particulier lors de carences ou excès affectifs.

Plus récemment, l’extensio a permis de proposer le concept de continuum biographique. Il s’agit de mettre en évidence l’importance fondamentale pour chaque individu de se raconter sereinement l’ensemble de son existence sans omissions ni ressentiments.

Pour la psychanalyse, ce nouveau concept – le continuum biographique – revient proba­blement à enfoncer une porte ouverte car n’est-ce pas là l’objectif primordial de la cure psychanalytique ?

De sorte qu’on peut dire que la théorie de l’extensio ne se trouve en aucune façon en contradiction avec la psychanalyse. Au contraire. La psychanalyse est en fait l’une des sources d’inspiration de l’extensio. L’ouvrage de Freud à l’intersection des deux démarches est Malaise dans la civilisation.

Freud disait qu’il reconnaissait une idée nouvelle aux résistances qu’elle soulevait. C’est bien ce qui arrive à la théorie de l’extensio. Alors qu’elle est une synthèse somme toute peu originale des connaissances dans divers registres du savoir actuel, elle rencontre des oppositions farouches.

Plus surprenant est la constatation que la psychanalyse, malgré son centenaire, continue à rencontrer des rejets.

Dans son ouvrage Pourquoi la psychanalyse ?, Elisabeth Roudinesco fait le point sur ces rejets récurrents de la psychanalyse. Elle s’inquiète en particulier d’une tendance à réduire au moléculaire le comportement humain. Le tout-génétique, hormonal ou médicamenteux lui paraît aberrant.

Pour la théorie de l’extensio, qui est une théorie neuronale, l’utilisation des psychotropes ne pourra jamais résoudre les souffrances psychiques existentielles. Les psychotropes apportent bien sûr un soulagement, en particulier dans l’urgence, mais il faut considérer que l’on joue avec le feu. En effet, la complexité très fine du fonctionnement synaptique par les neurotransmetteurs résulte d’une évolution sur environ un milliard d’années. Larguer globalement des molécules actives dans ce système ne peut que générer des effets secondaires problématiques.

D’autre part, l’édifice neuronal de l’adulte provient d’une interaction permanente avec l’environnement depuis le stade fœtal. En toute logique, seule une prise de conscience par l’individu du rétablissement relationnel à accomplir dans une démarche permanente aura des chances d’améliorer la situation.

On peut critiquer tel ou tel point de la psychanalyse, mais la rejeter globalement serait une absurdité. Les théories à visée scientifique connaissent toutes le même cursus : elles émergent grâce à une personne inattendue, rencontrent des résistances et des rejets, atteignent un apogée, puis se ramifient en multiples complexifications. Alors, tandis que le corpus initial laisse apparaître d’inévitables failles, lacunes et errances, les bases de la découverte deviennent si évidentes qu’elles sont intégrées presque anonymement dans le grand livre du savoir humain.

 

À lire :

 

Eugène Michel
Novembre 2014

 
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Dernière révision : dimanche 16 novembre 2014 – 12:40:00
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