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Théorie de l’Extensio et botanique

 

 
Un texte d’Eugène Michel


 

La vie se définit par la reproduction multiplicative, ce qui implique le besoin d’apports, donc l’alimentation, puisque, sans apports, la division cellulaire réduirait indéfiniment la taille des cellules.

Le principe fondamental de la théorie de l’extensio affirme que l’évolution des êtres vivants et leur développement va dans le sens de l’élargissement de leur champ relationnel parce que cela réduit la dépendance par rapport à un environnement limité qui finit toujours par être défaillant dans son rôle de fournisseur d’apports.

Ce principe inclut bien sûr les végétaux. On peut d’ailleurs supposer que l’extensio sera plus facile à mettre en évidence chez les végétaux terrestres dont la propagation, liée à un substrat, est bien repérable visuellement.

Nous allons ici nous intéresser à l’évolution de la reproduction et de l’alimentation des plantes à partir de leur conquête de la terre ferme. Pour ce travail, nous nous servirons d’un ouvrage remarquable : La botanique redécouverte, d’Aline Raynal-Roques (Belin, 1994, 500 pages). Toute les citations données en italiques en proviennent.

Avant la « sortie des eaux », il faut imaginer un paysage terrestre absolument minéral. Partout, la roche s’étendait. La Terre était comme une Lune montagneuse et volcanique avec de grands lacs et mers d’eau douce ou salée. Selon les conditions de températures, l’évaporation devait provoquer des pluies génératrices de rivières.

La vie naquit dans les océans. Elle commença par des microbulles qui devinrent des bactéries dont la taille est de l’ordre du millième de millimètre. Schématiquement, pendant les premiers milliards d’années, les bactéries se répandirent sur la planète dans tous les milieux aqueux. Certaines d’entre elles, les cyanobactéries (algues bleues) inventèrent la photosynthèse. Il y a deux milliards d’années, les cellules à noyau apparurent, puis, il y a un milliard d’années les premiers végétaux avec une séparation des premiers métazoaires (éponges et placozoaires) il y a 800 millions d’années, menant à l’invention du neurone et la séparation entre vertébrés et invertébrés.

Il y a environ 450 millions d’années, la sortie des eaux par les Cryptogames – les plantes sans fleurs, qui ont encore besoin d’eau libre pour se reproduire – fut possible lorsque la photosynthèse augmenta le taux d’oxygène atmosphérique, qui lui-même généra une couche d’ozone protectrice des rayons solaires délétères.

Les mousses et les hépatiques, puis les algues vertes apparurent sur la terre ferme. Ces plantes ne peuvent se passer d’un environnement humide : leur sexualité implique la présence d’eau libre. Quant à leur alimentation, elle est nécessairement « autotrophe » puisque rien d’autre n’existe : l’organisme fabrique toutes ses molécules complexes à partir des minéraux environnants et des bactéries.

Les champignons (qui constituent un règne spécifique) – sans chlorophylle, et parasites des plantes – se propagèrent également, ainsi que les lichens qui sont formés d’une juxtaposition symbiotique d’algues et de champignons.

Bien entendu, les animaux ne se privèrent pas d’accompagner cette invasion terrestre. L’hétérotrophie – c’est-à-dire l’alimentation à partir d’autres êtres vivants – les caractérisent. Les animaux ne peuvent vivre sans les végétaux. Ni a fortiori sans les bactéries.

La première indépendance des végétaux vis-à-vis de l’environnement humide fut réalisée par l’invention, il y a environ 400 millions d’années, d’un appareil vasculaire permettant à l’eau de circuler entre les cellules. Les fougères n’eurent plus de limites.

Les Cryptogames vasculaires sont munis de racines qui puisent l’eau et d’un appareil conducteur grâce auquel les organes de l’individu diploïdes sont irrigués par la sève ; le végétal, aérien, peut atteindre une grande taille puisque des tissus de soutien accompagnent la vascularisation ; les premiers arbres furent les fougères, lycopodes, prêles géantes de l’ère primaire. (page 162)

Or, il faut bien avoir à l’esprit les incessantes fluctuations de la présence aqueuse. L’assèchement stoppe brusquement la reproduction. Si l’on considère que l’eau fait partie des apports liés à l’environnement, sa carence inévitable va permettre d’orienter l’évolution sur la terre ferme vers les systèmes qui s’émancipent de l’eau libre permanente. L’invention des racines représente à l’évidence un élargissement du champ relationnel pour obtenir les apports nécessaires.

Malgré la timide entrée en scène des Phanérogames, les Cryptogames dominèrent, en nombre et en diversité, le monde végétal jusqu’à la fin du Primaire (- 225 millions d’années). (page121)

Les gisements de houille par exemple donnent une idée de la richesse floristique et de la taille des plantes qui constituaient les forêts du Carbonifère (- 345 à - 280 millions d’années). (page 122)

Apparus il y a 350 millions d’années, les Gymnospermes marquent un progrès décisif par rapport aux Cryptogames vasculaires en ce que :

Les gymnospermes sont des arbres ou des arbustes représentés encore aujourd’hui par les pins, sapins, épicéas, cèdres, ifs, genévriers, ginkgo, thuyas, cyprès, etc. Chez les gymnospermes, le pollen est libéré dans l’atmosphère par des organes mâles pour féconder à distance les organes femelles. Les espèces sont soit unisexuées (plants mâles ou femelles), soit hermaphrodites.

Il y a 250 millions d’années les cataclysmes telluriques changèrent les conditions extérieures et provoquèrent une destruction massive qui permit aux Gymnospermes de s’imposer aux Cryptogames. C’est l’époque de la disparition des trilobites.

Puis, pour les mêmes raisons (- 65 millions d’années), purent se propager les Angiospermes qui avaient commencé d’apparaître 35 millions d’années plus tôt.

Les Angiospermes sont les plantes à fleurs vraies, édifices complexes et étroitement spécialisés ; ce sont aussi les plantes à fruits vrais, organes dans lesquels les graines sont encloses et qui justifient l’étymologie du nom de la Division. Contrairement aux Gymnospermes, elles présentent des modes de vie extrêmement variés : arbres, herbes à durée de vie courte ou à vie longue ; leurs possibilités adaptatives sont donc immenses. (page 191)

Notons bien que le rôle de l’environnement comme fournisseur d’apports est fondamental dans l’évolution des êtres vivants. Ses variations offrent des perspectives nouvelles aux mutations génétiques :

Il semble établi que les crises évolutives sont liées à des bouleversements affectant les conditions qui règnent à la surface de la Terre. Inversement, il semble que les formes les plus primitives actuellement connues, comme les Crinoïdes ou le Cœlacanthe, aient été découvertes dans des milieux dont l’écologie est restée pratiquement stable tout au long des ères géologiques. (page 113)

La séquence chronologique Cryptogames – Gymnospermes – Angiospermes n’est pas sans nous rappeler les quatre étapes du développement des animaux liés à l’accroissement du nombre de neurones que la théorie de l’extensio décrit. Mais, bien sûr, les végétaux n’ont pas de neurones. Ils n’en ont pas besoin puisqu’ils ne se meuvent pas selon une modalité perception sensorielle → décision musculaire. Il faut plutôt comparer ladite séquence à l’invention de la quadripédie, et, comme nous allons le voir plus loin, à la protection accrue de l’embryon chez les animaux, avec l’évolution vers une fécondation sans exposition à l’extérieur de l’organisme.

Mais, les animaux étant hétérotrophes, dès le départ, ils coévoluent avec les végétaux. À tel point qu’Aline Raynal-Roques peut établir des parallèles étonnants :

Gymnospermes et Reptiles avaient réussi à s’éloigner de l’eau originelle, mais on pourrait dire, de façon imagée, que leurs stratégies biologiques n’étaient pas encore au point. Ils disparurent, ensemble et pour des raisons assez comparables, à la fin du Secondaire. Seules quelques-uns de leurs formes subsistent encore. (page 114)

Comme les Gymnospermes, presque tous les dinosaures disparurent il y a 65 millions d’années. L’emploi du mot « stratégie », même d’une façon « imagée », nous paraît ici périlleux. L’évolution n’a pas d’intentions spécifiques. Simplement, elle s’oriente vers une complexification à la faveur des mutations et variations de l’environnement. Les formes les plus simples sont des étapes obligées vers les plus complexes. Et elles subsistent toujours en partie.

Et, notant la simultanéité de la réduction de la taille, de l’adaptabilité et de l’amélioration de la protection des embryons et de leur alimentation chez les Angiospermes et les Mammifères :

C’est encore pour des raisons comparables que les Angiospermes et les Mammifères se développèrent, avec un semblable succès, pour donner au monde vivant la physionomie que nous lui connaissons. (page 115)

La comparaison de l’économie de moyens pour la fécondation est flagrante : les poissons répandent leur frai à tout va à l’instar des Gymnospermes pour le pollen ; puis la copulation est inventée et les Angiospermes profitent de la livraison du pollen par les insectes.

Aline Raynal-Roques remarque que la coévolution des plantes et des animaux s’est amplifiée avec l’arrivée des Angiospermes :

La progression évolutive est devenue une, on ne peut plus dissocier celle des plantes de celle des animaux, mais on ne peut jamais dire si l’un des groupes s’adapte préférentiellement à l’autre ; il semble plutôt que les deux mouvements évolutifs convergent. (page 283)

En d’autres termes, l’extensio des plantes est inséparable de celle des animaux. C’est en définitive ce que nous avons établi dans notre article Théorie de l’extensio et continuité de la vie (septembre 2011).

Dans cet article, nous avions décrit l’extension de la vie selon trois grandes modalités qui apparaissent successivement en s’ajoutant les unes aux autres : d’abord, le nombre ; puis, l’expansion ; et enfin, la recherche d’efficacité.

Le nombre est bien sûr évident chez les bactéries, puis chez les algues. Ensuite, avec la création des racines et de la sexualité aérienne, on peut dire que l’expansion des plantes terrestres devient majeure. Enfin, nous avons vu que les Angiospermes améliorent considérablement l’efficacité de leur développement par rapport aux Gymnospermes.

L’histoire évolutive des plantes nous propose un panorama remarquable de l’élargissement du champ relationnel. Les racines qui envahissent le sol, les frondaisons qui s’élancent vers la lumière, les fleurs qui se font féconder par les insectes, les fruits qui dispersent les graines grâce aux animaux, au vent ou à la flottaison démontrent clairement ce qui peut nous sembler moins flagrant chez les animaux, règne pour lequel notre regard ne peut être extérieur puisque nous en faisons partie.

Eugène Michel
Juin 2015

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Dernière révision : mercredi 01 juillet 2015 – 14:50:00
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