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Modérer notre extensio !

 

 
Un texte d’Eugène Michel
 


 

La théorie de l’extensio stipule que l’extensio, c’est-à-dire le principe selon lequel l’évolution s’oriente vers l’élargissement du champ relationnel, est inhérent à la vie. Au fil de nos publications, nous avons mis l’accent sur les conséquences des défauts d’extensio : un enfant, un adulte à tout âge, un groupe social, une entreprise, un pays ne peuvent se passer d’extensio sans souffrir.

Or, ce ne sont pas seulement les défauts d’extensio qu’il convient d’analyser mais ses excès. On doit se poser la question : l’extensio ne finit-il pas toujours par s’emballer et provoquer des catastrophes ?

On connaît cette devinette : un nénuphar met une journée pour se dédoubler. Au bout de cent jours, il a couvert la moitié d’un lac. Combien de temps lui faudra-t-il pour occuper tout le lac ? La réponse est... un jour de plus. Le nénuphar aura besoin de cent fois moins de temps pour couvrir la même surface. C’est la fameuse loi d’accroissement exponentiel : 2, 4, 8, 16...

Les humains doivent s’en convaincre : s’ils ne peuvent échapper à une recherche de l’extensio et de son partage, la modération de l’extensio est également indispensable.

Individuellement, cela paraît évident. On évitera d’aller trop vite ou trop intensément d’une façon systématique, ou de s’enrichir à l’excès. Le philosophe Dany-Robert Dufour dénonce le vice de « pléonexie » qui consiste à vouloir posséder toujours plus : « Le principe pléonexique ayant, depuis les années 1980, triomphé sans partage, nous en sommes arrivés à la situation où, aujourd’hui, sur terre, trois cents personnes possèdent ensemble un patrimoine égal à celui... de trois milliards de leurs semblables. »(1)

Mais collectivement, la question est plus complexe. Les entreprises postulent qu’il faut croître ou périr. La compétition entre les groupes et les pays reste impitoyable. Explorer la planète Mars semble une priorité alors que la sécurité alimentaire n’est pas assurée partout.

Le meilleur exemple d’extensio humain désastreux est celui des empires. Ils finissent toujours par s’effondrer. Les deux guerres mondiales furent des affrontements aberrants des grandes puissances occidentales.

Les tentatives de modérer l’extensio collectif sont nombreuses. S’agissant de la démographie, la Chine décida il y a une quarantaine d’années de ne permettre aux couples de n’avoir qu’un enfant (2).

Dans le domaine économique, les lois antitrust tentent d’empêcher la création de monopoles. Le droit de la concurrence surveille les fusions d’entreprise et pénalise les abus de position dominante. Plus généralement, un débat idéologique oppose les partisans du laisser-faire à ceux de la régulation par les Êtats. Les crises récurrentes montrent l’absurdité de la première position.

La protection de la nature restreint l’extensio humain pour que l’environnement ne soit pas ravagé. Les dates et lieux de pêche et de chasse, les réserves naturelles, l’interdiction d’attenter aux espèces en voie de disparition en font partie. Notre pays vient de créer une « agence française de la biodiversité ».

Les quelques deux cents pays du monde commencent à comprendre qu’une concertation est indispensable, non seulement pour éviter les guerres – objectif de l’ONU – mais pour analyser les destructions de l’activité humaine. La solution n’étant pas trop difficile, les pays industriels ont réussi à s’entendre pour la préservation de l’ozone. La COP – conférence des parties – en est à sa 22e réunion pour essayer de ralentir le réchauffement climatique provoqué par les émissions de CO2.

Les signaux d’alarme se multiplient : surpopulation, réchauffement climatique, pollution de l’air, des mers et des sols, sixième extinction animale (3), épuisement des ressources naturelles, effondrement financier, risque nucléaire, etc. Les inquiétudes deviennent si nombreuses qu’on ne peut plus savoir lesquelles sont prioritaires. On s’aperçoit que le modèle d’extensio des pays occidentaux est impossible à généraliser à l’ensemble de la planète et qu’il importe de s’orienter vers un développement durable.

Le succès de l’extensio humain depuis l’invention de l’imprimerie et la révolution industrielle est appréciable : nous sommes plus nombreux, nous vivons plus longtemps et nous nous déplaçons beaucoup plus. Cependant cela semble nous mener directement vers un anéantissement digne de celui d’une colonie de bactéries. Notre boîte de Petri est certes grande – c’est la planète – elle n’en est pas moins circonscrite.

Disons-le sans détours : au regard de la théorie de l’extensio, si l’extensio des individus et des groupes, en tant que principe inséparable de la vie, doit nécessairement être encouragé et partagé, sa régulation par la modération et la diversification est également indispensable.

Avec un peu de réflexion et beaucoup de concertation, un extensio plus subtil et passionnant est possible. L’humanité prend peu à peu conscience des sept alertes mentionnées plus haut. L’obligation de réorientation est à l’évidence liée au fait que toute l’histoire du XXe siècle résulte de la manne pétrolière. Quand cette source énergétique offerte par les centaines de millions d’années de la croissance végétale sera épuisée, ainsi que le charbon et le gaz naturel, l’extensio humain devra se raviser. Avec un ralentissement dès maintenant pour éviter l’intoxication de la planète au carbone.

La théorie de l’extensio ne peut pas proposer de solution générique. Mais comme elle démontre que l’extensio résulte de la pratique des quatre outils neuronaux que sont les sens, les gestes, la parole et l’écrit, c’est de ce côté que l’on trouvera des pistes.

Si le genre Homo est né il y a environ deux millions d’années, ses inventions de la parole et plus encore de l’écrit doivent être considérées comme très récentes. Ainsi, nous nous trouvons par rapport à la pratique de ces deux outils dans une situation archaïque. Et, du fait de leur trop grande efficacité, les langages parlés et écrits nous entraînent vers l’anéantissement de notre écosystème, et donc nous-mêmes !

On peut en déduire que c’est par une amélioration de l’utilisation de ces outils, vers la modération et la subtilité, qu’un virage pourra s’effectuer. Mais d’abord, la prise de conscience que continuer à rivaliser en extensio à travers les villes, les pays et les continents nous mène au désastre semble indispensable. Le partage mondial doit devenir notre priorité... même s’il peut paraître impossible !

Eugène Michel
Avril 2017

 
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(1) L’individu qui vient... après le libéralisme, Dany-Robert Dufour, Folio essais, n° 612, 2015, p. 320.

(2) Immédiates et différées, les conséquences dramatiques de cette décision excessive sont décrites dans La Chine à bout de souffle, Isabelle Attané, Fayard, 2016.

(3) La 6e extinction, comment l’homme détruit la vie, Elizabeth Kolbert, La librairie Vuibert, 2015.

 
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