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Topique des utopies

 

 
Un texte d’Eugène Michel


 

Passé, présent, et avenir, l’être humain s’inscrit dans le temps. Au présent, chacun lutte pour se placer dans une situation dynamique agréable. Il s’agit d’harmoniser les trois grands domaines de relations au monde : la vie familiale, la vie collective, et la vie personnelle dans des conditions où l’imitation et l’exploration s’équilibrent de proche en proche. Au même moment, une bonne perception du passé et de l’avenir est indispensable pour se sentir bien.

Par rapport au passé, le modèle par étapes que j’ai élaboré décrit le développement individuel occidental comme passant successivement par les étapes maternelle, familiale, collective, et enfin individuelle. Chacun peut donc vers l’âge de vingt ans analyser son histoire en étudiant comment ses parents se sont rencontrés, comment ont été vécues les étapes maternelle et familiale – en particulier dans l’utilisation de la parole – puis collective – avec l’écriture – et enfin, à l’adolescence, comment s’est déroulée la prise de conscience du corps. Ces étapes correspondent à des « progrès », c’est-à-dire à un élargissement du champ relationnel pour moins dépendre d’un environnement limité qui risquerait d’être défaillant dans son rôle de fournisseur d’apports.

Quant à l’avenir, il devient source d’angoisse s’il n’est pas un minimum structuré. Nous fuyons les perspectives trop organisées où tout paraît prévu : rôle familial, rôle social, et faible part individuelle, mais également nous craignons l’insécurité et les ruptures. L’accumulation de savoir et de patri­moine, l’appartenance à des réseaux, les projets à court, moyen et long terme permettent de se donner un pouvoir prévisionnel plus ou moins important.

Si la tentative de vision au plus loin du passé s’appelle mythe, la projection au plus loin vers l’avenir est l’utopie. L’utopie existe parce qu’il n’y a pas de raison que nous arrêtions notre regard vers l’avenir. L’inventus neuronal – c’est-à-dire le besoin d’explorer intrinsèque au fonctionnement de nos neurones – porte notre imagination et nos rêves. L’utopie est le toit de notre maison imaginaire rassurante dans laquelle nous essayons de vivre avec enthousiasme.

Chaque étape du développement crée sa propre utopie. Chaque nouvelle utopie n’élimine pas la précédente mais l’atténue.

Pour l’étape maternelle, l’utopie est la fusion. À l’origine, le monde est un et il y retournera. Cette utopie étant la première, donc la plus archaïque, on peut supposer qu’elle est irréductiblement ancrée en chacun de nous. D’une certaine façon, nous pensons tous qu’il y aura une sorte de fin du monde où tout se réduira à une seule chose, on ne sait pas quoi bien sûr. L’utopie de l’unité devient problématique lorsqu’elle se prolonge dans l’étape familiale puisqu’il s’agit alors de contrôler les alliances, ou dans l’étape collective où l’on voit émerger des attitudes tyranniques, ou encore dans l’étape individuelle avec d’impossibles passions fusionnelles.

Pour l’étape familiale, l’utopie est la religion qui propose un modèle de famille idéale et une vie après la mort. En tant que première utopie portée par le langage, elle est la plus universelle et la plus dogmatique. Cette utopie ouverte sur la diversité permet de sortir de l’étape fusionnelle.

Pour l’étape collective, l’utopie est l’invention d’idéologies prometteuses d’eldo­rados. Le principe est que l’organisation législative et sociale parvien­dra à résoudre tous les problèmes humains. Les totalitarismes résultent directe­ment de cette utopie, en particulier lorsque l’étape familiale est niée.

Quant à l’utopie de l’étape individuelle, il s’agit de rester jeune et en bonne santé le plus longtemps possible puisque l’étape individuelle est carac­térisée par la prise de conscience du corps.

Enfin, dans mon modèle, une cinquième étape du développement serait en explo­ration. Elle verrait l’émergence de l’utopie artistique où chacun devient créatif dans un monde ludique, et de l’utopie développementale où chacun est solidaire d’autrui à l’intérieur d’une paix universelle et d’une éducation harmonieuse.

Fusion, religion, politique, corps, art et solidarité, nous avons ainsi classé six grandes catégories d’utopies. Le choix est vaste. On peut alors se demander si l’utopie n’est pas le critère essentiel pour la rencontre entre les individus. Dis-moi dans quel ordre tu classes tes utopies, je saurai, par comparaison avec mes préférences, quelle intensité notre relation pourra atteindre.

Eugène Michel
09 mai 2008

 
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