Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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Le sens des réformes

 

 
Un texte de Dominique Fontaine,
enseignant spécialisé chargé de l’aide à dominante pédagogique,
dans un secteur d’écoles privées sous contrat avec l’Etat, Mayenne (53).


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La nouvelle organisation de l’école qui se dessine rapidement répond probablement à des impératifs politiques et économiques. Mais se préoccupe-t-elle de la finalité de l’éducation ?


Des élèves en difficulté stigmatisés ?

Les nouvelles orientations ministérielles bousculent la donne dans le domaine de la remédiation des difficultés d’apprentissage chez les élèves de l’école primaire. Les nouveaux dispositifs sont essentiellement mis en œuvre en dehors de l’horaire d’enseignement obligatoire. C’est sur ce temps en plus qu’il convient d’aider individuellement chaque élève en difficulté. Dans le cadre de “l’aide personnalisée”, tous les enseignants des classes doivent prendre en charge les élèves concernés. À l’occasion des “stages de rattra­page”, des enseignants “volontaires” (payés en heures supplémentaires !) se proposent de remettre à niveau des élèves de CM1-CM2. La réponse doit être massive et intense. L’enjeu annoncé est de réduire le taux d’échec scolaire : “environ 15 % des élèves quittent l’école primaire avec de graves lacunes”, vient de rappeler le porte-parole du gouvernement, le 1er novembre 2008, dans la rubrique “clés actu” de son site internet. Cette réponse prend la forme de compensa­tions à apporter immédiatement aux difficultés constatées : elle se situe donc en aval des points de butée observés chez les élèves, notamment à travers les évaluations régulières. Les difficultés semblent perçues, à l’évidence, comme la conséquence d’un défaut de compréhension et/ou d’effort de la part de l’élève repéré. Dans un contexte pédagogique vu sous l’angle dominant de la transmission des connaissances, les rôles sont clairement établis : le maître donne ce qu’il sait et l’élève reçoit. À cet égard, les premiers mots du préambule du BO du 19 juin 2008 définissant les programmes de l’école primaire sont lourds de sens : “DONNER à chaque enfant les clés du savoir et les repères de la société dans laquelle il grandit est la première exigence de la République et l’unique ambition de l’école primaire.” Par conséquent, toute difficulté devient un retard d’acquisition, un défaut d’impression, une lacune à combler dans les plus brefs délais.

Les directives ministérielles questionnent fondamentalement la place de l’enfant et de l’élève dans la situation d’apprentissage. Il a été rappelé – à maintes reprises – qu’il fallait mettre fin aux tendances “psychologisantes” et rétablir le pouvoir, “l’auto­rité” (l’autoritarisme ?) du côté de l’enseignant. On ne peut que constater la cohérence entre le discours et les actes. Ces préten­dues innovations que constituent (par ordre d’apparition) les “nouveaux pro­grammes 2008”, les “stages de rattrapage” (pour les élèves de CM, pendant des périodes de vacances), “l’aide personnalisée” (hors temps d’enseignement obligatoire), les “nouvelles évaluations nationales CE1 et CM2” (plus outils de sélection que de prévention), ne sont finalement – de mon point de vue – que de véritables régressions parce qu’elles s’inscrivent dans une logique de mise à l’épreuve de l’élève : il lui est demandé de travailler plus pour réussir plus !


Des enseignants divisés ?

Du côté enseignant, le vent des réformes entraîne divers sentiments : confusion, incompréhension, rejet, malaise... On leur demande de se mobili­ser pour un dispositif contre lequel une majorité d’entre eux étaient sponta­nément opposés (les amenant à faire massivement grève au printemps 2008), ce qui ne va pas sans procurer un pénible conflit interne ! Les actions qui nous mobilisent vraiment ne sont-elles pas celles dont nous sommes les véritables auteurs ? La logique de transmission qui prévaut dans les dernières orientations (nouveaux programmes, dispositifs d’aide...) heurte les représentations de la plupart des enseignants. En l’état actuel, ces mesures sont vouées à l’échec. En bons fonctionnaires, les professeurs des écoles exécutent les heures et les tâches pour lesquelles ils sont payés. On peut douter de leur réelle mobilisation car ils subissent (une fois de plus !) des injonctions auxquelles ils n’adhèrent pas. Au-delà d’une simple résistance au changement (l’angoisse de la nouveauté), je crois lire dans le discours de mes collègues une résistance intellectuelle, la manifestation d’un conflit entre des demandes institutionnelles et des convictions individuelles, la conséquence d’un impensé pédagogique.

Il faut, toutefois, reconnaître que ces mesures conviennent à certains maîtres se retrouvant autour de l’idée que les connaissances s’empilent, qu’il y a des manques à combler. Ce sont les défenseurs d’une approche pragmati­que, quantitative, cumula­tive (plus d’exercices et plus de temps pour que les élèves apprennent enfin !). Oui mais voilà : on ne construit pas ses apprentis­sages comme on construirait sa maison ! Eduquer, enseigner, apprendre restent des actes pas totalement maîtrisables parce que fondamentalement humains. Il y aura toujours des ratés, tant du côté des parents, du “maître” que des enfants/élèves...

Et si ces ratés avaient un sens ?... Et si chacun – parents, professeurs, élèves – disposait d’un espace de médiation pour élaborer une autre posture par rapport à l’autre et par rapport au savoir (la culture) ?... La ligne de fracture qui apparaît dans le peuple des enseignants semble se dessiner à partir de la représentation que chacun se fait de la place accordée à l’enfant dans la situation d’apprentissage. Ce sont des questions de nature éthique qui se posent à leurs consciences individuelles (aux inconscients ?) : l’élève est-il à mettre en position d’objet / récepteur ou bien de sujet / acteur ? L’élève est-il le coupable désigné ou bien l’auteur involontaire de ses erreurs ? L’enfant a-t-il la liberté de refuser une aide instrumentale tournée vers les apprentissa­ges pour signifier que le blocage se situe ailleurs ?

La logique de division n’est pas prête de se renverser avec les dernières “mesures” annoncées. Il est question de verser des primes à certains personnels : 400€ à chaque enseignant de CE1 et CM2 pour les récompenser du travail fourni dans le cadre des évaluations nationales, 600€ pour un directeur d’une école d’au moins 10 classes pour la mise en place de l’aide personnalisée... Il faut réhabiliter le travail et le mérite ! La logique du résultat est – par conséquent – convoquée. Le guide pratique distribué aux parents à la rentrée rappelle (p. 95) : “Dorénavant, l’inspection des ensei­gnants mettra l’accent sur les acquis des élèves et leur rythme de progression par rapport aux objectifs nationaux, en prenant en compte la situation de chaque classe et de chaque école.”


Des enseignants spécialisés menacés ?

Sans même s’appuyer sur une évaluation nationale des actions effec­tuées par les RASED (= réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), le gouvernement vient de décider – dans le cadre du vote du budget 2009 – la “sédentarisation” de 3000 enseignants spécialisés dans les classes “ordi­naires”, sur des “postes fléchés” (= en lieu et place d’enseignants prenant leur retraite). À en croire les bruits sortis de la réunion qui s’est tenue au Minis­tère de l’Education Nationale, le 16 octobre 2008, il ne s’agit là que d’une première étape. En effet, les inspecteurs d’académie auraient reçu pour mission de réaliser l’opération “suppression des RASED” en trois ans.

Le dispositif des aides spécialisées met en œuvre des actions essen­tiellement à but préventif par rapport au risque d’installation dans l’échec scolaire. Il intervient au niveau de l’adaptation de l’enfant à l’envi­ronnement scolaire et du fonctionnement de l’élève en situation d’appren­tissage. Il n’intervient pas dans l’urgence car, préalable­ment à toute prise en charge, il ne peut faire l’économie :

La difficulté est inhérente au processus même de l’apprentissage. Elle est entendue dans une approche à la fois globale (dimensions physiologique, cognitive, affective / sociale) et singulière (chaque élève a une façon originale d’appréhender les relations, les “objets de savoir”).

Les enseignants spécialisés sont ignorés de tous les courriers ministé­riels de rentrée, leur avenir se trouve fortement menacé à moyen terme. Je m’inquiète :

Dans l’enseignement privé, les postes occupés par les enseignants spécialisés ne sont peut-être pas aussi protégés qu’on nous le laisse entendre. Les intentions affichées par le Secrétariat Général de l’Enseignement Catho­lique laissent planer quelques inquiétudes. La commission ASH du SGEC prône auprès du Ministère de l’Education Nationale un profil d’enseignant spécialisé assez éloigné de ce que je vis dans ma pratique quotidienne et – surtout – très éloigné de mes convictions. Ayant déjà abandonné l’idée de se doter de “postes G” (aide à dominante rééducative du RASED), cette commission estime que le travail du “maître E” se situe au plus près des appren­tissages. Voici un extrait hautement significatif de la “note relative à l’aide aux élèves ayant des difficultés à l’école primaire” jointe au courrier que le secrétaire de l’Enseignement Catholique, M. Eric de Labarre, a adressé au directeur de cabinet du ministre de l’Education Nationale, M. Philippe Court : “La recherche de complémenta­rité, face aux difficultés des élèves, n’induit pas forcément un développement excessif des ressources spéciali­sées. On peut imaginer des maîtres complémentaires, formés, qui pourraient assurer des actions pédagogiques ciblées au sein des classes avec leurs collègues dans des pratiques de co-intervention. Dans le cadre des 108h, ces maîtres seraient sollicités pour animer les équipes, rechercher des solutions adaptées, concevoir des scénarios de soutien et d’aide. Ils recevraient en formation initiale un bagage commun aux enseignants du premier comme du second degré, autour des concepts et des aides possibles dans les écoles. Ils suivraient ensuite des modules complémentaires par type de difficulté (troubles spécifiques du langage, etc.), dans le cadre de la formation continue.”


Elle présente ce “maître E” (aide à dominante pédagogique du RASED) :

La Circulaire 2002-113 du 30 avril 2002 (concernant les dispositifs d’adaptation et d’intégration scolaires dans le 1er degré) a pris un sacré coup de vieux en 6 ans ! Ce glissement opéré par nos propres responsables institutionnels semble perçu positive­ment par le directeur de cabinet du ministre de l’Education Nationale, si on se fie à ce qu’il écrit dans sa lettre réponse datée du 30 juillet 2008 : “Les procédures de co-intervention et de complémentarité que vous évoquez m’apparaissent comme des formules tout à fait positives qui ne peuvent qu’être encouragées.” Et voilà : l’enseignant spécialisé “itinérant” et “inutilement coûteux” sera “sédentarisé” dans une classe ordinaire. Il pourra faire profiter à ses collègues de son expérience complémen­taire, dans le cadre d’actions de remédiation en co-intervention, particulièrement sur les temps d’aide personnalisée ! Sa prime exceptionnelle de 68,61€ par mois sera un signe de reconnaissance de son expertise !


Conclusion

De ma place d’enseignant spécialisé, je rencontre des enseignants en difficulté, des parents en difficulté, des enfants / élèves en difficulté. Je redoute les logiques actuellement mises en place dans l’école primaire : logique économique dans un secteur dépourvu de produits marchands, logique de mise à l’épreuve des individus, logique de division des personnels, logique de transmission des connaissances, logique du résultat et de l’excellence qui stigmatise... Dans un tel contexte, je crains les crispations individuelles des protagonistes de la scène scolaire.

Pour respirer, prendre un peu de hauteur, je voudrais citer Albert Jacquard. Dans un ouvrage intitulé À toi qui n’es pas encore né(e), publié en 2002 chez Gallimard, il nous livre sa vision éclairante sur la finalité de l’éducation : « Les efforts pour comprendre sont souvent fatigants, épui­sants ; leur justification est la satisfaction que finalement ils procurent. J’espère que l’école te l’apprendra. C’est là son rôle premier. Elle est là pour participer à la mise au point de l’outil qu’est l’intelligence en te faisant surmonter, aux moments de doute, l’impression décourageante que tu n’es pas capable d’aller plus loin. N’oublie pas de rechercher le bonheur que procure une compréhension nouvelle apportant un lien supplémentaire entre toi et le monde. En augmentant ta représentation du monde, c’est toi-même que tu crées. Le système éducatif doit être cohérent avec la spécifi­cité humaine, c’est-à-dire la capacité de métamorphose de chacun en une personne au moyen des matériaux apportés par la rencontre avec les autres. L’accès à la possibilité d’être éduqué, sorti de soi-même, doit être offert à chacun comme un droit résultant de son apparte­nance à notre espèce...

Il s’agit d’organiser la rencontre particulière entre l’enfant et lui-même par la mise en mots de l’action effectuée. De nombreux enfants sont le reflet de l’attente de leurs parents, victimes d’un amour destructeur qui ne respecte pas leur identité d’enfant, de personne... Conduire l’enfant à être sujet de son désir, permettre à l’élève de devenir sujet dans l’élaboration de sa pensée, d’accéder à plus d’autono­mie, redonner du pouvoir sur sa propre action, bref construire une identité de sujet agissant et libre... »

Dominique Fontaine
Le 20 novembre 2008

 
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Dernière révision : mercredi 19 février 2014 – 18:40:00
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