Psychologie, éducation & enseignement spécialisé
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L’internat séquentiel, ou de l’internat à “l’alternat”,
quel outil pour l’éducateur, quels effets éducatifs ?

 

 
Étude d’éducateur spécialisé par Eric Furstos

Avant-Propos

Cet écrit m’amène à m’engager au plus proche de mon travail d’éduca­teur spécialisé...

Il s’avère, pour moi, riche en découvertes, en remises en question, en réflexions sur les autres, sur moi – plus largement sur une, des pratiques éducatives...

Le cheminement de ce travail s’inscrit dans une démarche globale d’approfondissement d’un positionnement professionnel en lien avec ma personnalité, en lien avec ma perception des besoins de l’Autre, de ma capacité à y répondre seul et/ou avec d’autres...

Il vient questionner, je crois, la dimension ma spécialisation d’éducateur...

Mais une spécialisation pourquoi et en quoi ?

Stéphane Vachon(1) explique qu’il n’y aurait peut-être pas de réelle recherche sans spécialisation...

Alors ma formation d’éducateur spécialisé n’aura-t-elle pas été l’espace d’une profonde recherche, personnelle puis professionnelle, individuelle et collective ?

Ne s’agit-il pas alors, d’approfondir un secteur d’intervention qui, même s’il est spécifique, pourrait peut-être permettre une élaboration d’une pratique éducative plus large ?

Il est ainsi question pour moi d’étudier, une problématique en lien avec le secteur d’exercice spécifique de ma pratique professionnelle qu’est l’internat.

Et c’est bien à ce moment, celui d’aller explorer ce qui pourrait être appelé, en détournant une expression de Georges PEREC “l’infra-internat”, que je comprends un peu mieux la citation de CONFUCIUS, “l’expérience est une lanterne que l’on porte dans le dos”.

En effet, j’ai commencé à travaillé en internat il y a maintenant plus de treize années, en faisant tout d’abord des remplacements dans une maison d’enfants à caractère sociale, puis en tant que stagiaire de contact dans ce même établissement.

Il s’agissait d’un internat pour enfants placés, souvent très longtemps, par le juge dans la cadre de l’assistance éducative et de la protection judiciaire. Les liens et les retours en famille étaient, pour beaucoup, inexistant ou restreints, tant nombre des situations étaient chaotiques.

J’étais amené plus tard à vivre une nouvelle expérience d’internat, différente, auprès d’enfants déficients mentaux, dans le cadre du stage long de ma formation de moniteur-éducateur.

Je rejoignais ensuite une autre maison d’enfants à caractère social, pendant 4 ans, avant de m’engager vers l’accompagnement d’enfants présentant des troubles du comportement et de la personnalité en institut de rééducation, avec une prise en charge éducative, pour une grande partie de ces enfants, en internat.

Treize années de travail en internat, 13 années au centre de séparations, d’accompagnements éducatifs au quotidien, de travail avec les familles, d’échecs, de difficultés, de progrès, de réussites, de “retissage de liens”, de retrouvailles parents-enfants, d’orientations, de départs...

Treize années d’expériences ! Mais qu’en dire, qu’en transmettre, qu’en penser, qu’en faire...

L’expérience est une lanterne que l’on porte dans le dos”(2).

Joseph Rouzel viendra alors rappeler que cette expérience ne suffit pas à elle seule, elle éclaire peut-être le chemin parcourue, mais pas celui qui se trouve devant.

Aussi, pour que cette lumière s’élargisse et puisse servir pour avancer, il nous faut réfléchir l’expérience, étudier son contenu, ses situations vécues, ressenties, perçues, la traverser d’apports théoriques, pour en construire des savoirs, des discours transposables quand cela est possible, transmissibles, des “savoirs faire”, peut-être des “savoirs être”...

Je me propose alors d’aller explorer un “pan” d’internat, quelques unes de ses “petites cuillères”, de ses effets, de ses objectifs pour ses usagers, à un niveau individuel et collectif, pour peut-être une nouvelle fois bousculer d’éventuelles certitudes, découvrir plus, par ce travail de distanciation et de recherche-spécialisation, que ce que je vois, ce que je crois...

Une nouvelle pierre à la construction de mon identité professionnelle...

 
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Introduction

L’internat se présente comme une modalité de fonctionnement commune à un grand nombre d’établissements destinés à accueillir des enfants ou des adolescents hébergés hors de leur milieu familial.

Il s’agira alors quasiment toujours d’une structure résidentielle d’éducation où “l’usager” est pris en charge, individuellement et dans un collectif, par des adultes qualifiés dans ce travail.

Dans le secteur social et médico-social, il répond à des indications particulières de placement, décidées par une autorité administrative ou judiciaire, ou demandées par un parent, une famille (voir, dans certains cas, par l’usager lui-même)...

Cependant, le terme internat reste un terme générique pouvant recouvrir une diversité de situations.

Et même si l’internat évoque toujours une situation de séparation du milieu d’origine pour l’usager, on ne peut parler d’un internat mais des internats.

En effet, le placement en internat dans une structure à caractère social, au titre de l’assistance éducative ou de la protection de la jeunesse par exemple, n’aura souvent pas, de fait, les mêmes visées sociales et éducatives qu’une orientation préconisée en internat, par la Commission Départemen­tale de l’Education Spéciale (nécessitant obligatoirement l’accord de la famille), pour un enfant déficient ou présentant des troubles du comporte­ment et de la personnalité... La symbolique des deux termes, placement et orientation, définit à elle seule une distinction déjà riche de sens...

Même si dans ces deux exemples, le quotidien peut rester jalonné par des actes et des situations similaires, la cause de la séparation n’engendrera souvent pas les mêmes enjeux relationnels, les mêmes spécificités d’accom­pagnements, les mêmes projets pour les “usagers”...

De même, une différenciation peut être raisonnablement faite entre les internats que l’on pourrait qualifier de “à temps plein” ou “à l’année” (touchant particulièrement les placements ASE ou judicaires), les internats de semaine (pour une grande partie des structures de l’Education Spéciale et du handicap) et l’arrivée progressive des internats séquentiels.

Aussi, au-delà de cette présentation élémentaire de l’internat (induisant l’idée d’une suppléance éducative, voire familiale) et de cette distinction importante dans ce terme générique, ma question, motivée par son “semblant” d’actualité, se porte sur l’avènement de plus en plus conséquent de cette “nouvelle” modalité d’accueil présentée sous le terme “d’internat séquentiel” (face à l’internat classique “à temps complet”).

En effet, à ce jour, de plus en plus d’établissements, pour le plus grand nombre, dépendant des orientations de la Commission Départementale de l’Education Spéciale (ne traitant donc légalement pas de situations de danger des mineurs ou d’assistance éducative...) s’ouvrent à cette “nouvelle forme” d’accompagnement éducatif...

“Nouvelle forme”... En fait pas vraiment, car elle semble être déjà utilisée depuis plusieurs années par le secteur pédopsychiatrique dans certaines interventions à visée thérapeutique.

Néanmoins, modalité somme-toute récente pour de nombreux établissements médico-sociaux...

Au centre de l’actualité du travail social, où le maintien du sujet dans le milieu d’origine doit être favoriser tant que possible, et dans cette évolution de l’action éducative renforcée par le loi de 2002, l’internat séquentiel peut peut-être trouver une place intermédiaire pour de nombreuses situations.

Cependant, même si on en entend parler de plus en plus, qu’est-il vraiment ?

Quelles pourraient alors être les raisons et les buts de cette nouvelle forme d’internat, les avantages et la portée de cet outil dans le processus d’accompagnement éducatif ?

Quels effets auront cette nouvelle forme d’internat sur l’action de l’éducateur spécialisé ?

Après avoir travaillé plusieurs années en maison d’enfants à caractère social, je suis éducateur, depuis 6 ans, dans un institut de rééducation auprès d’enfants souffrant de troubles du comportement, de la conduite et de la personnalité, orientés par la Commission Départementale de l’Éducation Spéciale (CDES).

À noter qu’en aucun cas il ne s’agit d’un établissement de placement d’assistance éducative ou de protection de la jeunesse. Sa mission, bien que recevant de nombreux enfants “socialement démunis” ou en “difficultés familiales sérieuses”, est un travail autour des troubles du comportement et des difficultés cognitives de ceux-ci.

Malgré un surcoût très important pour son fonctionnement et sa logistique, cet établissement a lui aussi opté pour la mise en place d’un “internat séquentiel” et de l’externat (pour une faible partie) pour l’accompa­gnement éducatif de ses “usagers”, abandonnant définitivement l’idée d’une prise en charge en internat uniquement “à temps complet” en 1999.

Si les motivations de départ sont clairement définies, il me semble aujourd’hui qu’elles sont loin d’être exhaustives...

Aussi, ce travail, s’appuyant sur des situations d’enfants accompagnés dans une alternance hebdomadaire entre famille et établissement, pourra peut-être m’amener à entrevoir d’autres effets de la mise en place de “l’internat séquentiel” ou “internat aménagé” pour les “usagers”, mais aussi pour les éducateurs.

Ou : de l’internat à “l’alternat” (contraction d’internat alterné), quel outil pour l’éducateur, quel but éducatif ?

Je me propose ainsi de développer ma recherche en 4 parties principales :

 
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La mise en place de l’internat aménagé dans l’établissement

1/ L’internat aménagé – Comment ? Pourquoi ?

La mise en place de “l’internat aménagé” dans l’établissement semble avoir été étroitement liée à son histoire, son évolution, ainsi qu’aux textes de loi auxquels il se réfère.

L’établissement a été jusqu’en 1994 un institut médico pédagogique accueillant pour plus de 80%, des enfants handicapés mentaux moyens et légers en “internat de semaine” (prise en charge classique, à cette période, dans ce type de structure), les autres enfants étant pris en charge en externat.

L’internat, préconisé par la CDES, semblait devoir répondre à trois indications précises :

Cette modalité de prise en charge fut donc utilisée pour ces “usagers” jusqu’en 1994, année où l’établissement changea d’agrément (devenant Institut de rééducation), dans le cadre de la rénovation des annexes XXIV(3), afin de répondre :

L’arrivée d’une nouvelle population d’enfants (TTC(4), échec scolaire grave, intelligence normale), avec une commande sociale ressentie comme plus ferme autour de l’autonomisation et du traitement des troubles sur un temps limité (de 2 à 4 ans), entraîna rapidement une remise en question, pour les professionnels, de l’accompagne­ment éducatif au quotidien et, par extension, des préconisations d’internat, ainsi qu’une nouvelle réflexion sur la mise en place et la portée des projets individualisés.

En effet, si pour l’institut médico pédagogique, les raisons d’admissions en internat pouvaient correspondre, hormis la question géographique, aux besoins liés aux handicaps mentaux spécifiques des enfants accueillis, il en était certainement autre pour ces “nouveaux enfants” aux troubles et aux pathologies d’origines sans doute différentes (carences éducatives, troubles psycho-affectifs, difficultés familiales et/ou sociales...).

De ces réflexions furent clairement redéfinis les critères de prise en charge en internat, en réfutant tant que possible les raisons qui n’eurent été que strictement matérielles comme l’éloignement géographique par exemple...

Les admissions en internat se virent progressivement réservées à des indications à visée éducatives et thérapeutiques.

Ces nouveaux critères devinrent alors :

Les troubles de comportement, souvent liés aux pathologies de la personnalité, semblaient, dans de nombreux cas, entraîner une lassitude et des conflits intra-familiaux. Ainsi, cette mise à distance devait aider à les résoudre. L’enfant lui-même, enfermé dans sa pathologie, pouvait se trouver dans l’incapacité d’accéder aux apprentissages éducatifs les plus simples, immobilisant son éducation à une autonomie dans les actes de la vie quotidienne. Aussi l’internat, pour un temps, pouvait peut-être permettre de débloquer ces situations.

Mais surtout, la redéfinition des missions de l’institut de rééducation permit de rappeler qu’aucune prise en charge d’enfant n’était possible dans des situations familiales et sociales graves, en l’absence d’une assistance éducative, d’un suivi judiciaire, voire d’un placement (dans ces situations particulières, l’établissement demandait ainsi un tiers).

Même si l’institut de rééducation, de part la spécificité des troubles de la population qu’il reçoit, est fréquemment confronté à des situations familiales très difficiles, se trouvant alors très souvent au carrefour du pédagogique, de l’éducatif, du soin et du social (avec, de fait, un risque de toute-puissance à devoir [pouvoir ?] tout traiter..), sa mission reste l’accompagnement de “l’usager” à partir d’une commande de l’Éducation Spécialisée.

En aucun cas, l’institut de rééducation est mandaté pour assurer une protection de mineurs relevant de l’assistance éducative ou de la protection judiciaire.

Un internat rééducatif n’est ni un milieu familial substitutif, ni une expérience de vie communautaire à visée pédagogique, il est un milieu thérapeutique...(6). Et même si les éducateurs ne sont pas des soignants, l’accompagnement éducatif pourra avoir des effets thérapeutiques...

Cette redéfinition permit ainsi à l’établissement de pouvoir sortir de ce risque de toute-puissance et de focaliser son action sur sa réelle mission autour des besoins des enfants accueillis.

Elle permit surtout aux éducateurs en charge d’accompagner ces enfants d’évoluer dans un cadre déterminé.

Ainsi, dans un même groupe éducatif, 2 types de prise en charge furent proposées aux familles, l’internat (restant “de semaine”) ou l’externat.

Cependant, rapidement, les équipes éducatives se rendirent compte de l’inefficacité de ces 2 prises en charges “extrêmes” pour de nombreuses situations. L’internat s’avérait trop long ou peu adapté aux besoins de certains enfants ou familles. L’externat, pour beaucoup, apparaissait trop court pour un accompagnement efficient...

Puis, un “socle paradoxal” commença à questionner considérablement les équipes dans l’élaboration des actions autour de l’internat.

En effet, l’internat “à temps complet” ne semblait pas s’imposer pour de nombreuses situations. Même s’il restait nécessaire pour un travail spécifique, l’équipe éducative s’aperçut d’éventuels effets néfastes pour l’équilibre familial de l’enfant ou pour son intégration sociale dans son quartier par exemple...

Mais aussi, la difficulté pour de nombreux enfants à pouvoir reproduire, à l’extérieur, leurs acquisitions, amena l’équipe à réfléchir sur une autre manière de les aider à pouvoir transposer.

Une autre question singulière vint s’ajouter à ce “socle paradoxal” : dans la mesure où l’internat de l’institut de rééducation n’était pas une structure de protection répondant à un réel danger de l’enfant dans sa famille, la question se posa sur sa durée (à temps complet) pour tous.

Les annexes XXIV qui avaient initié le changement d’agrément, de structure et donc de population, vinrent enfin rappeler qu’elles ouvraient la voie à un travail sur un maintien de l’enfant en famille (et un réel travail de collaboration avec elle) et d’une intégration sociale tant que possible...

Ce “socle paradoxal” et ses multiples questions firent ainsi naître le projet de mise en place de l’internat aménagé dans l’établissement.

La préconisation de prise en charge en internat séquentiel devait alors répondre à 3 indications principales stipulées dans le projet individualisé de l’enfant :

L’internat aménagé vint aussi tenter de répondre à 3 grandes attentes éducatives :

Enfin, l’internat aménagé prenait tout son sens dans le projet individualisé de l’enfant en se concrétisant par un contrat “à durée détermi­née” (3 mois renouvelable) lors d’une rencontre avec l’enfant et sa famille, en évoquant clairement les besoins et les objectifs fixés.

À partir de 2000, l’internat aménagé devient la modalité principale d’accompagnement des “usagers” de l’établissement.

Même si l’internat “de semaine” continue à être proposé pour des situations difficiles demandant, pour un temps, une séparation plus longue, une “séparation de la famille parfois obligé pour permettre le traitement des troubles psychiques(7), il reste minoritaire et surtout momentané (en moyenne 1 à 3 mois).

L’externat peut souvent se transformer en internat aménagé, après une période de mise en confiance de l’enfant et de sa famille, ce, souvent à leur demande...

Il reste en l’état pour des situations d’enfants déjà placés en famille d’accueil, en MECS, ou pour des situations défavorables à une séparation (aussi minime soit-elle).

Néanmoins, dans les 3 cas de prise en charge cités, l’établissement propose, dans son cadre spécifique basé sur le quotidien, d’analyser les conflits que vit l’enfant et qui limitent ses possibilités.

Après cette analyse, l’équipe éducative propose à l’enfant “de nouveaux modèles relationnels, les moyens d’élaborer, puis de surmonter ses conflits et de reprendre un développement maturatif satisfaisant(8).

Charge à l’équipe, en partenariat avec la famille de trouver la modalité d’internat la mieux adaptée aux besoins de l’enfant.

2/ Situation-type d’un petit garçon, répondant aux objectifs de départ de la mise en place de l’internat aménagé dans l’établissement.

* “Jules, ou l’alternat pour expérimenter la transposition”

Jules était un petit garçon âgé de 7 ans quand il est arrivé dans l’institut de rééducation en 1998.

D’intelligence normale, il a été orienté dans l’établissement par la CDES pour des difficultés scolaires très importantes avec un comportement fluctuant du renferment sur soi à une agitation incontrôlable.

Il montrait, à son arrivée, une très faible autonomie dans les actes de la vie quotidienne, ce que sa mère confirmait, nous avouant continuer à le laver et à l’habiller tous les jours...

Jules témoignait aussi d’une très faible tolérance à la moindre contrainte ou la moindre frustration, par de nombreux et violents caprices, ceci pouvant expliquer en partie ses réticences à entrée dans les apprentissages scolaires.

Au niveau familial, Jules vivait seul avec sa mère, depuis la séparation de ses parents il y avait environ 1 an.

Même avant cette séparation, la mère nous expliquait que le père était très absent, s’occupant peu de Jules (s’occupant peu d’elle, de sa famille ???...).

L’internat se justifia alors par la difficulté, voire l’angoisse pour Jules de se séparer d’une mère omniprésente dans sa vie.

Relation fusionnelle, certainement amplifiée par l’absence répété d’un mari pour la mère et d’un père pour Jules, et de cette mère devenue, malgré elle, “trop bonne(9), dans l’incapacité de se sortir de “l’état d’adaptation totale au désir(10) de Jules.

Incapacité empêchant à cette mère et à ce fils, malgré eux, “la séparation pour apprendre - la séparation pour grandir(11), l’ouverture de ce dernier au monde extérieur, à la curiosité de l’apprentissage, “pour être curieux, il faut avoir été comblé, mais il ne faut plus l’être pour le rester(12).

L’internat se justifia aussi par la très faible autonomie de Jules relevée ci-dessus (certainement liée en grande partie à cette séparation difficile), et par le besoin de travailler avec cet enfant l’acceptation progressive de la frustration permettant une progression relationnelle et une intégration plus facile dans le collectif.

Jules fut donc admis en internat “de semaine” jusqu’en 1998 (année de la mise en place de l’internat aménagé dans l’établissement).

L’internat lui permit de découvrir progressivement que la séparation n’avait été, ni un abandon de sa mère, ni son propre anéantissement. Cette expérimentation positive et l’accompagnement éducatif au quotidien l’autori­sèrent à accepter peu à peu les règles de vie et à s’ouvrir aux apprentissages scolaires et éducatifs.

Jules fit alors de nombreuses et encourageantes acquisitions durant toute l’année.

Il avait peut-être, en partie réussi, “la double épreuve de l’école : la séparation et l’entrée dans une système de norme collective occasionnant une nouvelle structuration de lui-même(13).

Néanmoins, lors d’une rencontre en fin d’année avec la mère, l’équipe apprenait que Jules ne montrait rien de ses progrès à sa mère, reproduisant ce qu’il avait toujours fait avec elle, incapable de lui montrer autre chose (peut-être dans une peur de perdre une place, sa place auprès d’elle), incapable de transposer ce qu’il avait appris, tant en classe qu’au niveau de la vie quotidienne (autonomie).

Le constat était que Jules progressait dans l’établissement, mais ne pouvait (ne voulait) généraliser chez lui, à l’extérieur...

Comme si l’équipe avait eu à faire à 2 enfants, celui qui évolue dans l’établissement et celui “de chez lui”.

L’équipe proposait alors à Jules, lors de la rencontre suivante avec sa mère, de pouvoir montrer à celle-ci ce qu’il avait appris et ce qu’il savait à présent faire, cela pouvant être très valorisant pour lui, tout en gardant sa place d’enfant auprès de sa mère. Jules accepta...

Mais cet exercice s’avéra difficile pour Jules, ce, uniquement pendant le week-end ou les vacances scolaires, comme un manque de soutien, de motivation, de désir (?)...

Comment aider Jules à généraliser ses acquis chez lui, alors qu’il avait accepté de le faire dans l’établissement ?

Peut-être en créant une forme de continuum, une continuité temporelle faisant moins rupture que le week-end après 5 jours passé dans l’établissement.

Cet aller-retour entre l’établissement et chez lui pouvait peut-être aussi lui apporter le sentiment d’un accompagnement et d’un soutien symbolique pour transposer...

Ainsi la mise en place de l’internat aménagé, cette année 1998, permit à Jules une nouvelle expérimentation, celle d’un aller-retour continu entre l’établissement et sa maison, avec des “micro-séparations” (2 nuits par semaine dans l’établissement) pour consolider des acquisitions ou approfon­dir autour de difficultés d’ordre relationnel – “la séparation ne devient structurante que si elle permet une réorganisation de soi à soi et de soi à l’autre(14) –, l’aidant à utiliser ces apprentissages à l’extérieur...

Mais cet aller-retour permit aussi de créer un climat de confiance et de mettre en place un réel travail de collaboration entre la mère et l’équipe.

Celui-ci indiqua implicitement à Jules un lien contenant et rassurant, afin de le soutenir dans ses efforts et sa progression, et de l’aider à quitter progressivement ses anciens schémas relationnels.

Cette collaboration put amener l’équipe à, peu à peu, aider la mère à modifier, elle aussi, des attitudes naturelles induites par les difficultés de Jules (surprotection ou conflits...).

L’évolution s’avéra, au bout de 2 années d’internat aménagé, bénéfique tant au niveau individuel qu’au niveau familial.

 
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Hypothèses d’autres effets bénéfiques de l’internat séquentiel dans l’accompagnement éducatif

Ou, l’internat séquentiel comme modalité de séparation spécifique peut-il favoriser l’évolution de l’enfant, ’évolution familiale... ?

Ce travail de recherche, de mise à distance, que je pourrais qualifier d“intra-spectif” de l’internat séquentiel, par l’approfondissement de la situation du petit Jules et l’analyse de 2 autres situations d”enfants, m’aura progressivement permis, comme j’en faisais l’hypothèse au début de cet écris, d’entrevoir, de découvrir, de déceler d’autres effets bénéfiques de l’internat aménagé, tant pour les enfants et leurs familles que pour les éducateurs.

Il va alors sans dire que le choix de l’analyse clinique des 2 situations suivantes aura été motivé par une progression (bénéfique) observée pour chaque enfant.

1/ Retour sur la situation du petit Jules

Comme pour de nombreuses situations familiales d’enfants accueillis dans l’institut de rééducation, la père de Jules était absent.

Etait-ce l’unique cause des difficultés de Jules ?

Je ne le pense pas, mais cette absence, évoquée même avant la “réelle” séparation des parents, aura, sans nul doute possible, participer aux problèmes relationnelle mère-enfant, à une perturbation du développement psychoaffectif de Jules, à un ensemble de manques et de déficits dans sa structuration psychique.

Le père est l’instance symbolique médiatrice opérant la séparation de la mère et de l’enfant, son absence réelle comme symbolique comporte donc des effets dommageables sur le développement de l’enfant...

Il me semble que dans cette situation d’absence paternelle, l’internat et les éducateurs, images identificatoires possibles pour Jules, ont pu remplir (d’autant plus simplement par une alternance continue “internat séquentiel-domicile” engendrée par “l’effet d’aller-retour” et le lien installé avec la mère) une fonction symbolique paternelle momentanée, médiatrice dans la “dyade mère-Jules”.

Ceci aura peut-être aidé, à une évolution de structuration psychique pour Jules, aidé aussi la mère à s’enfermer de moins en moins dans la relation duelle avec son fils, relation compliquée, amplifiée par la “patho­logie” de celui-ci...

Mais aussi, au delà de la transposition des acquis demandés à Jules, “l’effet d’aller-retour” lui aura permis un accès progressif à une verbalisation plus sereine chez lui, comme à l’internat, en parlant plus simplement, dans une “continuité contenante” de problèmes vécus chez lui la veille par exemple (“tiens hier, j’ai fais cela chez moi..”). Ceci aura certainement contri­buer à amener Jules à prendre conscience de certaines de ses difficultés, de les mettre au travail, ou tout simplement de s’ouvrir aux autres de façon plus authentique.

2/ Deux autres situations d’enfants pris en charge en internat séquentiel dans l’établissement, situations révélant chacune des effets bénéfiques.

* Paul : de l’impossible séparation au “manque suffisamment bon”

Paul est un jeune garçon âgé de 9 ans, à la personnalité immature et très fragile, orienté vers l’établissement par la CDES : pour un échec scolaire massif, dû, en partie, à une incapacité manifeste à vivre la “simple” sépara­tion imposée par l’école, pour un comportement décrit d’énigmatique par les enseignants, mêlé tour à tour de longues phases de pleurs, de mutisme, n’accédant difficilement que lors de courtes séquences à certains apprentissages et aux prémices d’une relation à l’autre...

À son arrivée, Paul était suivi en psychothérapie depuis plusieurs années, les progrès étaient lents et compliqués.

L’arrivée de Paul dans l’établissement fut très difficile pour lui, semblant renforcer angoisses et défenses archaïques.

Si l’admission de Paul se fit dans un premier temps en externat, à la demande des parents et plus particulièrement de la mère, l’ampleur des troubles et l’impossibilité ressentie fortement par l’équipe éducative de pouvoir accompagner cet enfant vers un processus favorable amenèrent celle-ci à proposer rapidement à la famille de mettre en place une séparation partielle, pouvant aider Paul à se sortir d’une “incapacité à symboliser l’absence”, bloquant pensées et désir de savoir, mais pouvant aussi les aider, par des “micro-coupures” nécessaires pour penser, à réajuster des liens devenant un peu plus compliqués chaque jour...

Cette demande permit à l’équipe de comprendre l’état de difficulté psychique dans laquelle la mère pouvait se trouver vis à vis de son fils.

En effet, elle était dans une ambivalence à accepter cette proposition marquant une “pensée sans issue” altérée par la problématique de Paul, dans une probable culpabilité à répondre favorablement à la séparation, et enfin certainement dans un attachement compliqué avec son fils.

Par ailleurs, l’équipe put observer une faible place du père dans cette relation...

La proposition de séparation s’en voyait d’autant plus justifiée !...

Néanmoins, il s’agissait bien d’une séparation graduelle, alternée, partielle.

Paul montrait trop de fragilité à pouvoir vivre une séparation plus longue.

L’expérience qu’il avait à entreprendre pouvait se faire petit à petit, dans un “aller-retour” peut-être plus rassurant malgré des transitions “nécessai­rement difficiles” (séparation et difficultés à élaborer, à symboliser pour Paul...) qu’une rupture vécue par cet enfant comme profondément destructrice.

La désadaptation avec la mère doit être progressive et mesurée, dans sa durée, à ce qui est supportable par l’enfant(15).

Il s’agissait de prendre profondément en compte “la notion de temps de séparation que l’enfant est capable de vivre sans se sentir anéanti sur le plan émotionnel et intellectuel rendant l’enfant inaccessible aux influences éduca­tives et renforçant alors les troubles du comportement(16).

Les parents, la mère (!), acceptèrent l’internat aménagé pour Paul (le lundi soir et le jeudi soir).

Les premiers soirs furent l’espace d’angoisses “terribles“ pour Paul...

Néanmoins, les temps de réassurance et de propositions d’autres modes relationnels que ceux mis en place dans sa famille, dans ce dispositif spécifique “d’allers-retours famille-internat”, l’amenèrent, malgré des phases difficiles, des états régressifs certainement vitaux, à faire l’expérience de pouvoir vivre en l’absence de ses parents, de pouvoir s’amuser avec d’autres, de pouvoir penser à autres choses, à lui...

L’effet “d’aller-retour” était progressivement son expérience du “FORT-DA” de FREUD : “je vis l’absence, mais je peux retourner chez moi...”

L’internat séquentiel s’averra ainsi pour Paul :

L’internat aménagé, par sa fonction d’éviter le “Z” présenté dans la notion de D. W. Winnicott (1971)(19), aura peut-être contribué à aider Paul à devenir, petit à petit, capable de supporter la séparation, car il pouvait à présent,“se représenter le parent en son absence...(20)

Après une année et demi d’internat aménagé, l’équipe éducative put noter des progrès importants de la part de Paul, tant au niveau de son processus d’autonomisation et de sa relation aux autres qu’au niveau instrumental et scolaire... Paul était peut être loin, mais il avait enfin la certitude que sa famille n’oubliait pas eu qu’il il pouvait alors travailler, vivre...

Ce “manque suffisamment bon”, dans un accompagnement respectueux de ses capacités du moment, l’aura certainement progressivement amené à sortir d’une répétition nuisible “pour laisser naître le désir de se tourner vers l’extérieur – objet, personne, savoir – pour dialoguer, vivre et penser”, “la capacité à supporter l’absence et la solitude conditionne l’accès à l’apprentissage(21)

Même si les progrès de Paul sont aujourd’hui important, je tiens à dire une nouvelle fois que cette progression fut difficile, marqué par de nom­breuses phases douloureuses.

Mais il semble bien que pour cette situation, l’internat séquentiel, impliquant des “petites séparations” et des “petites retrouvailles” par lesquelles l’équipe éducative peut mettre en travail les difficultés (expérience de la continuité du lien dans le temps), aura pu être un outil réellement adapté aux besoins et capacités de Paul au début de sa prise en charge dans l’établissement, comme aujourd’hui encore, pour une consolidation de son autonomisation....

* Martine : “j’ai jeté mon biberon, j’ai retrouvé mon lit...

Martine est une petite fille de 8 ans qui a été admise dans l’établisse­ment l’année dernière.

Elle a été orientée en éducation spécialisée pour des troubles importants du comportement et de personnalité l’empêchant toute poursuite du cursus scolaire ordinaire, mais aussi l’empêchant de vivre une vie sociale “adapté”.

À son arrivée, Martine a très rapidement témoigné de l’ampleur de ces difficultés (troubles relationnels, agressivité, angoisses multiples, intolérance à la frustration, toute-puissance, rigidité de fonctionnement et de pensée, agitation...).

Mais encore une fois, Martine témoignait elle aussi d’une grande difficulté de séparation d’avec sa mère, avec qui elle vivait seule depuis la séparation de ses parents deux années avant.

Cette difficulté de séparation semblait être à la source de nombreuses problématiques montrées par Martine, ceci étant relaté par de nombreux enseignants dès son entrée à l’école maternelle...

La relation de Martine avec sa mère, quoique pouvant être qualifiée de “fusionnelle” n’en n’était pas moins difficile et souvent conflictuelle.

La mère de Martine avouait toute son impuissance à pouvoir, aujour­d’hui, apporter des limites à sa fille.

Encore une nouvelle fois, dans cette situation, la présence réelle ou symbolique du père faisait semble-t-il défaut.

Même si le père de Martine continuait d’investir sa place, il semblait cependant mis, malgré lui (?) à l’écart d’une relation mère-fillette laissant peu de place à un 3e protagoniste, ce qui ne pouvait que renforcer l’aspect fusionnelle de celle-ci.

Mais surtout, l’histoire de Martine avait déjà été le théâtre d’une séparation certainement traumatisante engendrée par l’hospitalisation de sa mère, durant plusieurs semaines, alors qu’elle n’avait que 2 ans...

L’hypothèse d’une séparation brutale trop difficile et devenue finalement néfaste pour la petite fille était avancée par la mère elle-même, expliquant que les troubles de sa fille s’étaient installés suite à cet événement douloureux.

Comment pouvoir vivre une nouvelle séparation induite par la scolarisation, alors que le souvenir de celle qui a pu faire traumatisme vient peut-être révéler des angoisses insurmontables ? “Quand la mère est absente pendant une période qui dépasse une certaine limite... – le souvenir de la représentation interne s’efface...” (D. W. Winnicott).

Ainsi une nouvelle séparation peut être vécue comme une perte, pouvant, on peut le comprendre, laisser place à toutes formes de symptômes, toutes formes de comportement inadaptée... (Est-ce la cas pour Martine ?)

Face à l’ampleur des difficultés de Martine, l’équipe éducative avait besoin de temps pour pouvoir accompagner cette petite fille dans un long processus de reconstruction d’un “Moi abîmé”...

Mais surtout ce temps se devait peut-être d’être alterné, afin de ne pas brusquer les choses et de rassurer tant que possible Martine dans cette nouvelle épreuve de séparation. Rassurer, tout en mettant en travail , comme pour Jules ou Paul, les difficultés montrées, vécues, rapportées dans “le lieu-internat”.

L’équipe éducative proposa alors à la mère, mais aussi au père, un internat séquentiel de 2 nuits par semaine.

L’internat, même séquentiel, la séparation, même partielle, sont une épreuve difficile (difficilement mais essentielle) pour les enfants.

Aussi, Martine aura-t-elle pu en témoigner violemment durant de longues semaines, avant d’accepter, par un maintien fort des limites, parfois une contention nécessaire qui l’auront paradoxalement sécuriser, ce nouvel “objet”...

Ce n’est qu’à partir de ces moments, “d’apprivoisement”, puis de mise en confiance progressif, amenés par une séparation graduelle (dans un “aller-retour” aux “micro-coupures” qui engage au travail...) que l’équipe aura pu commencer à “dénouer” des conduites inadaptées, à travailler à partir des régressions “pathologiques”, à accompagner Martine face à ses nombreux troubles ...

Au-delà de ses nombreuses difficultés, Martine montrait, au travers de 2 conduites singulières, sa problématique liée à “l’angoisse de séparation”. La première, certainement sous forme d’une fixation orale, étant la prise journalière de biberon remplaçant la nourriture solide (au sujet de laquelle elle présentait des troubles alimentaires très sérieux...) et pour laquelle la mère était dans l’impossibilité de s’opposer...

La seconde (sans doute lié à la première) étant de dormir dans le lit de sa mère (incapacité pour martine de réellement se séparer d’elle lors de ce moment angoissant, régression ?...).

Pour Martine, la stabilité de l’internat, liée à une alternance acceptable psychiquement pour elle, lui auront permis d’intégrer, petit à petit, la permanence symbolique de sa mère, “une permanence permettant l’attente, la tolérance à la frustration et à l’angoisse - assurant les possibilités d’une évolution ultérieure harmonieuse” (Malher 1971 / Golse 1992).

Aussi, c’est dans ce lieu, où aux enjeux relationnels moins forts – “moins contraint d’aborder des problèmes affectifs qu’un attachement à une figure parentale peut raviver...(22), mais aussi lieu de “contraintes médiatisées” par le groupe d’enfant devenant, au même titre que les éducateurs, un soutien projectif que Martine aura pu commencer à laisser, à abandonner des conduites “inadaptées”...

Au bout de quelques mois, les temps hebdomadaires passés à l’internat amenèrent progressivement Martine à se détacher de son biberon à la maison, ayant pu profondément (intra-psychiquement ?) qu’elle n’en avait pas réellement besoin...

Les troubles alimentaires restaient colossaux, mais un premier pas était semble-t-il franchi dans l’évolution relationnelle intra-familiale et Martine acceptait de grandir...

L’aller-retour de l’internat séquentiel l’amenait à pouvoir reproduire chez elle, dans une continuité temporelle, des nouveaux mode de fonctionne­ment, des acquisitions dans les actes de la vie quotidienne (autonomie, hygiène, respect de l’autre, de la parole de l’adulte...).

Les mécanismes de défense (surtout sous forme régressive) s’estompait pour laisser place à un processus, un changement favorable de Martine...

Dormir seule dans un lit à l’internat, hormis l’exercice et l’intégration de la différenciation, de l’interdit de l’inceste, de la différence de l’autre, et de la génération (avec sa mère), était devenu au fil des mois, moins angoissant. La “petite séparation”, et la mise en mots, par les éducateurs, de sentiments, de questionnements internes, d’affects semblaient apporté les effets escomptés...

Le groupe d’enfants montrait à martine le chemin d’une certaine norme sociale, qu’elle acceptait, peu à peu d’empreinter, soutenu par les adultes et la dynamique de groupe.

“L’effet aller-retour” faisait lien et l’amenait progressivement à transposer.

La collaboration avec la mère s’était intensifiée, aidant Martine à généraliser, aidant la mère à trouver une issue à l’impasse, réintroduisant le père dans la relation, l’éducation et la place auprès de sa fille.

Ainsi, pour la mère, l’internat séquentiel devenait un lieu de mise à distance, permettant de réguler l’ambiance familial à la semaine, la libérant, en même temps que Martine d’une relation “sans issue”...

Mais aussi il lui permettait, comme au père réintroduit dans sa fonction, de les réhabiliter comme parents réels (parents bien distincts de l’enfant) dont parle BERGER (à but thérapeutique)

Comme pour Jules, “l’effet aller-retour” permit, par sa continuité, d’aider Martine à parler de chez elle à l’internat, de vécus, de difficultés, l’amenant, par ce travail réflexif, à les repenser, à en élaborer quelque chose, et se découvrir un peu plus “de l’intérieur”, “l’élaboration, c’est amener l’usager à penser une difficulté ou un évènement, à en appréhender certains ressorts – c’est par un savoir sur soi que l’usager pourra se dégager de certains modes de fonctionnement...(23)

Aujourd’hui, comme pour les 2 enfants précédents, Martine témoigne de nombreux progrès.

Elle a pu découvrir, jour après jour, quelques bribes de son potentiel pour le réinvestir, gagner en estime de soi et en revalorisation narcissique...

Sa route est néanmoins encore longue, tant les difficultés, avec lesquels elle s’est construite jusqu’à ce jour, sont grandes.

Elle continue à être prise en charge en internat aménagé, ayant changé plusieurs fois de rytheme de nuits, dans un soucis d’adaptation à sa vie familiale et à son projet individualisé.

3/ “Mais l’internat aménagé, c’est aussi...”

L’internat séquentiel est donc une séquence (entre deux autres séquences en famille), privilégiée et spécialisée, pour repérer et travailler les troubles dont souffrent les enfants accueillis – “dans un cadre organisé, l’éducateur peut exploiter les situations de séparation, repérant certains dysfonctionnements relationnels ou sociaux, et à partir de là, tenter avec l’enfant d’y remédier...(24)

L’internat séquentiel, ce sont aussi des “micro-séparations” de la famille, pour un lieu cadré et contenant à même d’amener l’enfant à apprendre progressivement à entrer en relation avec d’autres... Ainsi Jacques, un petit garçon d’une toute-puissance déconcertante, aux troubles relationnels impressionnants viendra 2 soirs par semaine pour expérimenter la relation non dangereuse avec un groupe d’enfants plus restreint que dans la journée, donc certainement moins inquiétant pour lui... “les enfants ne vivent que dans le monde qu’ils ont connus et n’ont pas appris qu’il existe plusieurs façons de vivre, toutes légitimes(25) – “intégrer les désirs d’autrui en renonçant à la toute-puissance(26).

C’est aussi un lieu de créativité, de jeux, d’expression que tous n’ont pas toujours la possibilité de vivre chez eux... Ainsi, c’est dans cet espace que Frédéric, un enfant mutique se sera révélé, sans être couper d’un lien important avec sa famille... Un espace d’“activité quotidienne que l’enfant découvre par lui-même et auxquelles il peut prendre part – amenant ensuite au travail de prise de conscience des difficultés...(27)

L’Internat séquentiel, c’est encore, par sa modalité de prise en charge aux transitions concrètes, un lieu spécifique d’apprentissage de la temporalité et de la projection dans le temps, un réel lieu d’expérience de la continuité du temps et du lien...

C’est surtout un lieu de relation, qui même s’il est toujours teinté de transfert, de projection, d’images identificatoires, reste différent, complémen­taire du lien familial, c’est ainsi, un réel lieu d’apprentissage, de réappren­tissage, de rééducation...

4/ Les effets bénéfiques de l’internat séquentiel observés pour les parents

Tout d’abord, la séparation alternée rappelle plus que d’autres modalité d’internat que les parents reste les premiers acteurs, les premiers accompa­gnants de l’éducation de leur enfant.

Elle favorise ainsi, si besoin en est, le maintien d’une place continuelle dans la famille et plus largement une intégration sociale (évitant le phéno­mène de stigmatisation de l’internat à temps complet).

L’internat séquentiel permet un éloignement momentané pouvant aider les parents à souffler, à se sortir d’une relation affective difficile (engendrée en grande partie par la pathologie de leur enfant).

Cet éloignement, au même titre que pour les éducateurs, peut servir à une prise de recul et de questionnement constructif autour des difficultés...

La séparation dans la semaine peut aider à réinvestir une situation ressentie comme désespérée par la famille, à réinvestir aussi certainement l’enfant et son éducation.

Elle peut amener, par “un angle de vue différent” (moins attaqué par le quotidien) à découvrir (redécouvrir) quelque chose de positif de l’enfant, à l’envisager autrement tout en offrant de nouvelles portes de sortie (...d’entrée !...).

La séparation séquentiel peut favoriser une certaine “maîtrise” (une dilution) de la culpabilité des parents vis à vis des troubles de leur enfant, de son échec scolaire et de son orientation spécialisée, culpabilité empêchant certainement les parents de penser leur enfant...

Enfin, l’internat séquentiel peut permettre (de part son éloignement suivi d’un retour) de retrouver une parole, un échange, “une relation pleine” entre les parents et l’enfant (en opposition à “la relation vide” évoquée par Maurice Berger, synonyme de collage)...

5/ Les effets sur l’accompagnement éducatif pour les éducateurs

L’internat séquentiel, par son dispositif spécifique impliquant de nom­breuses transitions appelle à un travail de partenariat et de lien étroit avec les familles, d’autant plus important pour un grand nombre d’enfants risquant de ressentir un désenracinement provoqué par “l’effet d’aller-retour” négatif, mobilisant pour d’autres de nombreux clivages...

Par la mise en place d’une prise en charge alternée, il affaiblie le risque de toute-puissance de l’éducateur au bénéfice d’une collaboration avec la famille.

L’alternance des prises en charge favorise une prise de recul des situations indispensable dans l’accompagnement éducatif, ceci pouvant permettre un réajustement de sa pratique, une meilleure compréhension de l’interaction relationnelle vécue...

L’internat séquentiel permet un réel travail individualisé, s’appuyant sur une adaptation plus grande aux réels besoins de l’enfant, le remettant aussi, de fait, au centre de son projet (partie prenante et acteur : transposition, compréhension de l’internat, contrat, objectif...)

De plus ce dispositif appelle à une évaluation plus régulière de ses effets pour chaque situation (donc un garantie de l’action menée).

L’internat séquentiel est un travail évolutif pouvant combattre une éventuelle routine négative sans toute fois détruire les temps essentiels du quotidien et la continuité de la prise en charge...

Enfin cette modalité de prise en charge permettrait de temporiser “la théorie de l’idéologie du lien” (impossibilité de penser la séparation enfant-famille)(28), laissant les professionnels hors d’un débat passionnel. La sépara­tion partielle a pour objectif le traitement des “liens négatifs” (traumatiques, désorganisateurs, participant aux pathologies...), et de favoriser, par l’aspect alternatif (“effet d’aller-retour”), les “liens positifs” ou en voie de bénéfices (liens permettant, à l’enfant d’organiser son monde interne, à la famille de trouver son équilibre...).

 
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Derniers propos... Dernière hypothèse...

Derniers propos de cette étude, car mon exploration autour de l’internat séquentiel, même si elle m’aura permis d’élargir ma représentation, et de peut-être mieux comprendre certains des effets de cette prise en charge, ne peut s’arrêter là...

Cette étude est logiquement limitée par la spécificité de l’établissement et des enfants observés, et ne peut alors généraliser automatiquement mes hypothèses et découvertes précises...

De plus, cette étude doit être pris en compte dans son contexte temporel (modalité de prise en charge récente) appelant à plus de recul pour une analyse fiable.

Elle se devra alors d’être revisitée, réanalysée avec le temps, l’expérience, pour d’autres situations...

Il sera tout aussi intéressant de l’observer pour d’autres établissements ayant opté pour cette forme d’internat, tout en alimentant l’analyse par d’éventuels apports théoriques et bibliographies spécifiques à cette pratique...

Néanmoins, ces “derniers propos” pour “proposer” une “dernière” hypothèse...

Tout au long ce travail, j’ai évoqué à plusieurs reprises “l’effet d’aller-retour” devant permettre à l’enfant fragile affectivement, de façon consciente et inconsciente, d’amener des vécus, des expériences douloureuses, des questionnements à l’internat, de les mettre petit à petit “en travail”, dans une réalité structurante, puis de les ramener chez lui, dans une fonction de généralisation...

L’internat séquentiel peut alors être un réel espace d’entre-deux (établissement-famille, mais aussi “dépendance affective à l’objet d’amour”- autonomie évoluante, et encore “illusion-désillusion”, “réalité intérieure-réalité extérieure”...).

Ne pourrait-on pas alors poser l’hypothèse que l’internat et sa spécificité d’alternance (passage de “l’un à l’autre” dans un cadre contenant, propice à l’expérience sécurisée) serait, en plus d’un espace médiateur entre l’école et la famille, une “aire transitionnelle d’expérience” pour l’enfant, comme le définit Winnicott(29), devant amené l’enfant à vivre illusion, désillusion, jeu et expériences, symbolisation (ou pourrait se jouer un “FORT-DA” pour Jules ou Paul tout en tenant encore la ficelle rassurante...), et à se reconstruire dans le réel (...), tout en étant aussi un espace privilégié de “pare-excitation”, par son rôle de contenant et par sa non reproduction du mode relationnel familial (ceci pouvant permettre une atténuation de certains troubles et une augmentation des capacité attentionnelle en classe)...

 
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Conclusion

Une nouvelle fois dans mon cheminent professionnel, ce travail spécifique de recherche m’aura permis, par une prise de distance essentielle, d’aller bousculer “un familier” et d’en découvrir, comme aimait à l’expliquer Maurice Blanchot, “de l’étonnant” , de la surprise, d’autres choses que les “simples évidences”...

Mais ce travail m’aura surtout amener à interroger ma pratique, mon environnement de travail afin, tant que possible, de réajuster mes actions...

Ainsi, l’observation profonde de situations dans le cadre de l’internat séquentiel m’aura amené à pouvoir définir cette modalité de prise en charge comme un réel programme éducatif, pour cet établissement, pouvant permettre d’adapter précisément les projets individualisés de chaque enfant accueilli en fonction de leurs besoins propres du moment, allant ainsi dans le sens de Michel Lemay : “mettre au point pour chaque enfant une approche thérapeutique suffisamment souple pour quelle puisses être rapidement modifier en fonction des besoins nouveaux(30).

Cependant, il m’est un nouvelle fois important de rappeler que cette modalité d’accompagnement ne peut être transposable à toutes situations d’admission en internat (placement ASE, justice, situations de danger, de carences graves ou orientations CDES...).

Si l’internat séquentiel, dans cet établissement, aura pu être un outil bénéfique dans la reconstruction de certains enfants accueillis, il doit rester une modalité d’accompagnement parmi d’autres, dans un authentique soucis de répondre aux besoins du sujet (internat plus long, externat...), à la condition que chacune d’elles puisse faire l’objet de bilan réguliers...

En effet, autant parfois, une seule nuit d’internat par semaine pourra aider à débloquer une situation compliquée, autant pour d’autre fois, la séparation devra être plus grande pour différentes raisons...

Au lendemain de la Loi de 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et dans la prolongation des annexes XXIV, l’internat aménagé semble pouvoir être un outil éducatif privilégié pour aider “l’usager” à devenir acteur de son projet, pour introduire la famille dans un réel partenariat, pour insuffler plus encore une adaptation toujours plus respectueuse des besoins de “l’usager”.

Pour finir, j’aurai tenté, par cette étude, de contenir à ma façon le paradoxe de l’avènement progressif des internats séquentiels dans le secteur de l’éducation spécialisée et du manque cruel d’écrits à ce sujet, en manipulant, parfois difficilement, une théorie plus large.

Cette recherche est donc loin d’être achevée, elle n’est certainement que les prémices d’une étude plus étayée...

Eric Furstos

 
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Bibliographie

 
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Notes

(1) Stéphane Vachon, professeur du Département d’Études Françaises à l’Université de Montréal.

(2) Citation reprise par Jozeph Rouzel dans son ouvrage Le travail d’éducateur spécialisé, Dunod, Paris, 2000.

(3) Annexe XXIV au décret 1956 – Circulaire du 30 octobre 1989.

(4) TCC : Troubles de la conduite et du comportement.

(5) Les séparations à but thérapeutique, Maurice Berger, Dunod, Paris, 1997.

(6) J’ai mal à ma mère, Michel Lemay, Éditions Fleurus Psycho-pédagogie, Paris, 1993.

(7) L’enfant et la souffrance de la séparation, Maurice Berger, Dunod, Paris, 1997.

(8) Psychopathologie de l’enfant, Daniel Marcelli, Masson, Paris, 1993.

(9) En référence à la théorie de la “mère suffisamment bonne” de D. W. Winnicott.

(10) De la pédiatrie à la psychanalyse, D. W. Winnicott, Payot, Paris, 1969.

(11) Qu’est-ce qu’apprendre, Françoise Coutou-Coumes, Article de Le Groupe Familial, n° 121, Octobre 1998.

(12) Qu’est-ce qu’apprendre, Françoise Coutou-Coumes, Article de Le Groupe Familial, n° 121, Octobre 1998.

(13) La première rentrée, les enjeux d’une prévention précose à l’école, Maryse Métra, E.A.P., 1999.

(14) Internat et séparations – des outils éducatifs ?, Richard Josefsberg, Éditions Érès, 1997.

(15) Qu’est-ce qu’apprendre, Françoise Coutou-Coumes, Article de Le Groupe Familial, n° 121, Octobre 1998.

(16) Les séparations à but thérapeutique, Maurice Berger, Dunod, Paris, 1997.

(17) De la pédiatrie à la psychanalyse, D. W. Winnicott, Payot, Paris, 1969.

(18) Article Deviens qui tu es..., Janine Fortin, ACRQ Web.

(19) Notion de D. W. Winnicott, Le temps d’absence (1971) : X minutes/sentiment d’existence du parent pendant absence + Y minutes/désemparement si toujours absence + Z minutes/angoisses et traumatisme, perte de continuité d’exister.

(20) L’enfant et la souffrance de la séparation, Maurice Berger, Dunod, Paris, 1997.

(21) Qu’est-ce qu’apprendre, Françoise Coutou-Coumes, Article de Le Groupe Familial, n° 121, Octobre 1998.

(22) L’amour ne suffit pas, Bruno Bettelheim, Éditions Fleurus, Paris, 1970.

(23) Internat et séparations – des outils éducatifs ?, Richard Josefsberg, Éditions ÉErès, 1997.

(24) Internat et séparations – des outils éducatifs ?, Richard Josefsberg, Éditions Érès, 1997.

(25) L’amour ne suffit pas, Bruno Bettelheim, Éditions Fleurus, Paris, 1970.

(26) Qu’est-ce qu’apprendre, Françoise Coutou-Coumes, Article de Le Groupe Familial, n° 121, Octobre 1998.

(27) L’amour ne suffit pas, Bruno Bettelheim, Éditions Fleurus, Paris, 1970.

(28) L’enfant et la souffrance de la séparation, Maurice Berger, Dunod, Paris, 1997.

(29) Jeu et réalité, D. W. Winnicott, Folio essais, Gallimard, Paris, 1975.

(30) J’ai mal à ma mère, Michel Lemay, Éditions Fleurus Psycho-pédagogie, Paris, 1993.

 
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Dernière révision : jeudi 09 janvier 2014 – 16:35:00
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