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Les pratiques intégratives des ITEP :
après la loi du 11 février 2005, quelles réflexions, quelles perspectives ?

 

 
Un texte d’Eric Furstos
Éducateur spécialisé


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La Loi du 11 février 2005 n’évoque plus significativement, dans son texte original, le terme « intégration » au bénéfice d’une nouvelle appellation peut-être moins ségrégative, celle du « projet personnalisé de formation » dans le cadre de « l’égalité des chances »...

Et pourtant, ce terme « intégration » me semble permettre de profondément souligner, pour des enfants dont la réalité des troubles les ont amenés à une exclusion du système scolaire ordinaire, l’idée-force d’un processus actif et progressif dans sa définition sémantique.

Durant ces trente dernières années depuis la loi d’orientation du 30 juin 1975, nous pouvons relever 573 fois le terme « intégration » sur plus de 15 lois, 57 décrets ou ordonnances, 114 circulaires, 40 arrêtés... 573 fois le terme « intégration » en 30 années de textes législatifs : jusqu’à la Loi du 11 février 2005, la volonté du législateur (traversée par plusieurs courants politiques, et surtout interpellée par nombre d’organisations, d’associations, de militants de terrains...) d’en faire un projet incontournable de l’accompagnement des personnes handicapées est évidente ! Elle aura été pour nombres d’ITEP, me semble-t-il, un objectif particulièrement important dans leurs actions spécifiques...

Aujourd’hui, les ITEP, comme de nombreuses institutions spécialisées, dans un fonctionnement « d’uniques » prises en charge en interne (dont le but est, tant que possible, une intégration...) pourraient être remis en cause par la Loi du 11 février 2005, au bénéfice du maintien, partiel ou total, comme défini dans les textes, dans une scolarité ordinaire, avec pour premier motif les effets pervers de ségrégation et de stigmatisation de l’institution spécialisée.

Mais les effets bénéfiques d’un accompagnement en établissement spécialisé semblent parfois plus grands pour nombre d’enfants en très grandes difficultés de repères et/ou en échec scolaire grave... Car, justement, c’est à partir du moment où le fossé se creuse entre l’enfant sans graves difficultés et celui qui les cumule qu’apparaît le phénomène de stigmatisation, précurseur d’exclusion...

Il s’agit alors bien, dans l’établissement spécialisé, d’un travail sur un temps donné, à une réadaptation à la vie scolaire, à la vie et la réalité sociale, pour une réconciliation de ces enfants avec le savoir et le rapport à autrui...

La Circulaire n° 91-302 du 18 novembre 1991 (Intégration scolaire des enfants et adolescents handicapés) B.O. n° 3 du 16 janvier 92 et B.O. n° 91-33 (Affaires sociales) du 6 septembre 1991, le rappelle clairement : « (...) Il demeure que l’élève doit être capable, d’une part, d’assumer les contraintes et exigences minimales qu’implique la vie scolaire et, d’autre part, d’avoir acquis ou être en voie d’acquérir une capacité de communication et de relation aux autres compatible avec les enseignements scolaires et les situations de vie et d’éducation collective. Le projet pédagogique, éducatif et thérapeutique, institué par la Circulaire du 29 janvier 1983, précise pour chaque élève intégré, les objectifs visés et les moyens mis en œuvre (...) ».

Alors, si la Loi du 11 février 2005 impulse l’idée-force et « universelle » d’une équité scolaire et sociale pour tous les enfants et adolescents (porteurs ou non de handicap), les expériences de terrain auxquelles j’ai pu participer m’amènent à me – nous – rappeler que l’intégration, ou aujourd’hui « le parcours de scolarité », qui ne serait pensé qu’uniquement vers un retour ou un maintien (même partiel) en milieu ordinaire (scolaire et social) comporte des limites clairement repérées :

– pour des enfants dont le « processus handicapant » est trop « invalidant », au moment où il est diagnostiqué, pour un retour même partiel dans le milieu scolaire ordinaire...
– pour des enfants dont la fragilité psychologique, l’autonomie défaillante, les troubles de socialisation, ne permettent pas d’ouvrir un projet d’intégration possible...

En effet, pour ces enfants, les souffrances psychiques, que peuvent engendrer une intégration ou un maintien, qui serait, en milieu ordinaire, en inadéquation avec leurs profondes difficultés, peuvent s’avérer parfois plus grandes et néfastes que les possibles bénéfices escomptés...

Ainsi, dans et avec les lois en vigueur, les ITEP doivent, je pense, à ce jour, demeurer des espaces (de droit commun) ...

– pour des enfants maintenus ou intégrés partiellement en milieu ordinaire et qui ont besoin d‘un accompagnement momentanément spécialisé dans leur parcours scolaire et social
– mais aussi, pour les enfants (et leur famille) dont la réalité des difficultés ne permettent pas, un temps donné, le maintien (quel qu’il soit) en milieu ordinaire

... des espaces de droit commun où l’appel à des dispositifs innovants, des volontés institutionnelles et humaines peuvent créer, au fil des besoins et des possibilités, des actions adaptées au plus près des problématiques de chaque enfant (recherches d’intégrations scolaires avec conventions tant que possible ou prises en charge en interne pour les enfants les plus en difficulté, mais aussi accueils temporaires d’enfants en situation d’exclusion ou de rupture, accueils d’enfant du secteur pédo-psychiatrique...).

Les dimensions thérapeutique, éducative et pédagogique restent alors une particularité et surtout une légitimité de l’action des ITEP qui les inscrivent de façon claire et réglementée dans le système scolaire français.

Néanmoins, il reste pour ces ITEP à trouver tous les moyens de prendre et de tenir leur place dans la participation à des « actions de prévention, de repérage des troubles du comportement et de recherche de solutions adaptées pour les enfants, adolescents et jeunes adultes » présentant des difficultés importantes, scolaires et de comportement, conformément à l’article D. 312-59-2 alinéa 6, pouvant, dans un travail en amont, défini par ce cadre, éviter une orientation en établissement spécialisé, et freiner, voir enrayer le « processus handicapant ».

Cela fait partie, je crois, pour les ITEP, des dispositifs innovants à inventer pour maintenir leur place dans l’échiquier de l’éducation spécialisée...

Cette place à tenir doit alors continuer à se faire en collaboration, en réseaux, en partenariat, pour nous permettre, professionnels d’ITEP nous trouvant par définition au carrefour du pédagogique, de l’éducatif, du thérapeutique, du social, voire parfois du judiciaire, de partager les rôles, de responsabiliser tous les protagonistes impliqués autour des projets spécifiques (qu’ils soient pédagogiques, éducatifs, sociaux, médicaux, familiaux – mais aussi l’enfant lui-même), afin de préserver l’institution d’une éventuelle et souvent destructrice toute-puissance (les Lois de 2002 et 2005 viennent à juste titre, appuyer cela).

Aussi, si l’on parle de moins en moins, aujourd’hui « d’intégration » (même si ce terme reste inscrit clairement dans l’article D. 312-59-2 quatrième point du Décret 2005-11 du 6 janvier 2006 concernant les ITEP), pour parler, de plus en plus « d’égalité des chances », mettons-nous en opposition, d’un côté, l’action volontaire et réfléchie dans le parcours d’un enfant et de sa famille avec, de l’autre, la notion universelle d’équité ? Je ne le pense pas.

Comme je l’ai précédemment dit, mes expériences en ITEP me poussent, à ce jour, à être prudent quant à « l’insertion » de tous les enfants présentant des troubles graves du comportement dans le milieu scolaire ordinaire, cela, au-delà d’une pensée philosophique et solidaire d’égalité...

Il me semble d’ailleurs bien que la Loi du 11 février 2005 inciterait tous les professionnels du secteur à analyser justement effets bénéfiques et effets néfastes, mais aussi possibilités des pratiques « intégratives » pour chacun des enfants et des familles qu’ils accompagnent...

Enfin, il me paraît important de rappeler qu’au-delà, ou plutôt, au travers des lois qui jalonnent nos orientations, l’essentiel de l’action « pédago-éducative » n’est-il pas d’accompagner l’enfant à découvrir son propre parcours, à développer ses propres capacités de penser, de se penser, de faire des choix et de découvrir de nouveaux désirs...

Au lendemain des Lois 2000-2 et 2005-11, n’est-ce pas cela l’autonomie que d’être acteur de sa propre vie, de sa propre histoire, de son avenir... ?

Eric Furstos
Novembre 2006

 
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Dernière révision : samedi 18 janvier 2014 – 16:40:00
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