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Vers une police pédagogique ?

 

 
Un texte de Sylvain Grandserre,
Maître d’école
Enseignant en pleine légitime défense !


Autre publication  Cet article a été également publié sur le site de Philippe Meirieu (format PDF).
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« La liberté pédagogique ce n’est pas la liberté de faire n’importe quoi ».

G. de Robien, le 5 janvier 2006
 

Depuis que lui sont apparues une nuit des hordes de dyslexiques – comme d’autres ont cru voir des soucoupes volantes ou la vierge Marie – le ministre de l’Édu­cation Nationale est entré en croisade contre toute méthode de lecture qui ne serait pas purement syllabique. Il l’a affirmé : de la sylla­bique, rien que de la syllabique. Les autres font sans doute n’importe quoi !

On peut s’étonner que le moins diplômé des ministres de l’Éducation, que l’on ne savait pas expert en pédagogie, s’autorise à contredire les ensei­gnants, les formateurs et les chercheurs quant au choix des méthodes d’en­seignement. Est-ce au ministre de la santé de décider comment on opère ? Certes, la précédente décision d’interdire la méthode globale revenait déjà à déclarer illégale la saignée dans les hôpitaux...

Mais si la décision est ridicule, elle n’en est pas moins dangereuse. Car après une ingérence fortement connotée idéologiquement dans les contenus et les cursus scolaires (rôle prétendument positif de la colonisation, retour de la Marseillaise pour seule réponse aux incivilités, recul de l’âge de scolarité obligatoire), voici venu le temps des interdictions.

La liberté pédagogique est un fondement de l’institution scolaire. Les programmes et objectifs sont nationaux, mais leur mise en œuvre en vue d’une acquisition par les élèves relève d’un savoir-faire et de stratégies propres à chaque enseignant. Ce qui fit dire à Jean Jaurès : « On n’enseigne pas ce que l’on sait, on n’enseigne pas ce que l’on veut, on enseigne ce que l’on est ». Le ministre oublierait-il que l’on ne devient enseignant qu’après un long parcours de sélection ? Sait-il que l’organisation des apprentissages demande réflexion, recherche, tâtonnement, élaboration, analyse, inno­va­tion ? S’il voulait donner des ordres auxquels tous obéiraient le petit doigt sur la couture, il lui fallait choisir un autre ministère...

À l’heure où le ministre veut dicter sa méthode de lecture à des dizaines de milliers d’enseignant(e)s, on peut se demander à quelle armée de clones il croit avoir affaire. Comment compte-t-il contraindre autant d’enseignants à se renier ? Croit-il sérieusement qu’ils vont demain affirmer le contraire de ce qu’il leur a fallu patiem­ment expliquer aux parents et élaborer dans leurs classes ? Comment veut-il imposer dans l’enceinte scolaire une méthode archaïque justement abandonnée pour cause d’inefficacité ? Contrairement à ses amis politiques, les maîtres et maîtresses d’école préfèrent la conviction à la versatilité, l’engagement à la trahison.

D’un point de vue pédagogique, cette obligation d’utiliser la méthode syllabique est aussi une nouvelle attaque portée à l’école maternelle. Tout le travail qui y était fait de familiarisation, de repérage et de prise d’indices (prénoms, jours, mois, titres d’albums, etc.) serait menacé sans qu’on puisse raisonnablement le remplacer par le laborieux apprentissage mécaniste recommandé. Est-ce à dire que la lecture démarrera en même temps que l’école obligatoire au CP ? Voudrait-on faire pourrir la maternelle sur pied que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

La liberté pédagogique ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Contraire­ment à ce qui a été dit avec Luc Ferry, l’école n’est pas malade de trop d’inno­vations ou d’un trop grand épanouissement des élèves, mais au contraire d’un manque d’oxygène et de souffle. Cette nouvelle décision ne peut que nous asphyxier davantage. C’est beaucoup pour un corps enseignant qui supporte déjà chaque année des décisions obsessionnelles de fermetures de classes, l’entassement compulsif des petits de maternelle, la dispari­tion assumée d’adultes dans les établissements et la frénésie des réformes.

Mais c’est d’autant plus amer à boire que ces décisions émanent d’un gouverne­ment qui non seulement ne considère plus l’éducation comme une priorité, mais en plus semble y renoncer de jour en jour. Rappelons les scandaleuses suppressions de classes même dans des académies dont les effectifs... augmentent ! Les annonces d’un meilleur encadrement des jeunes... tout en renvoyant vers l’ANPE les aides éducateurs et autres surveillants ! La prétendue lutte contre le chômage tout en déclarant comme N. Sarkozy : « Jamais il n’y a eu un tel effort de non remplacement des emplois publics »...

Pour une fois, il a bien raison : jamais il n’y a eu un tel effort... de destruction.

Espérons qu’à l’heure où on leur demande de jouer du pipeau dans l’orchestre du navire de l’Éducation Nationale, les enseignants sauront réagir contre les naufrageurs montés à bord. L’iceberg que l’on veut nous faire percuter pour que tout le monde saute dans les chaloupes de l’enseignement privé et autres officines de cours particuliers ne risque pas de fondre ! La politique du ministre est impossible sans la complicité, la servilité et la docilité de celles et ceux qui ont fait le vœu d’éduquer le mieux possible la jeunesse de ce pays.

Si le « mammouth » semble encore en hibernation, le ministre devrait tout de même se méfier des coups de plume des premières hirondelles.

Sylvain Grandserre
Janvier 2006

 
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