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Avenir de l’école : la messe est dite ?

 

 
Un texte de Sylvain Grandserre
Maître d’école (76)


Autre publication  Ce texte a été également publié sur le forum du site de Philippe Meirieu.
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Référence  Le texte ci-dessous est une réponse à une allocution prononcée le 20 décembre 2007 par Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, dans la salle de la signature du Palais de Latran à Rome.
 

Sur le grand cahier des opinions comptabilisant les incompétences supposées des enseignants, le Président de la République vient d’ajouter d’un coup de plume peu angélique une nouvelle doléance valant le détour, même si comme tous les chemins celui-ci mène à Rome, et plus précisément... au Vatican !

Au départ, il y a, après sa rencontre avec le pape, l’intronisation officielle le 20 décembre de Nicolas Sarkozy comme chanoine du Latran, étonnante cérémonie au cours de laquelle le président français a passé au Kärcher les fondements de notre république, dans la droite ligne de son livre sur le sujet (« La République, les religions, l’espérance »). Après s’être comparé aux religieux : « nous avons au moins une chose en commun, c’est la vocation. On n’est pas prêtre à moitié on l’est dans toutes les dimensions de sa vie, croyez bien qu’on n’est pas Président de la République à moitié », le président a montré sa bonne connaissance du dossier : « Je sais aussi que la qualité de votre formation, la fidélité au sacrement, la lecture de la bible et de la prière vous permettent de surmonter ces épreuves ». Pire encore, parlant de la séparation des églises et de l’état, il a ajouté avec sa compassion sélective habituelle : « je sais les souffrances que sa mise en œuvre a provoquées en France chez les catholiques, les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905 ». Enfin, vint le coup de grâce évoqué en introduction : « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ».

Ah, c’est qu’on le connaît bien ce fonctionnaire grisâtre sans espérance, incapable de sacrifier sa vie et qui, à l’instar de « l’homme africain », jamais ne s’élance vers l’avenir, jamais ne sort de la répétition pour s’inventer un destin (discours de Dakar 26/7/07) ! Alors, pour une fois, inversons les rôles et, à grand renfort d’imagination, voyons ce qu’aurait dit un autre Nicolas Sarkozy, radical-socialiste celui-là, à un président qui mériterait franchement de se faire sonner les cloches :

Dis donc toi qu’as fait ton droit, t’as pas bien compris ta leçon ou quoi ? Parce qu’entre c’que tu dis et c’que tu fais, y a la place pour faire passer toute la grande parade d’Eurodisney et l’public qui va avec ! Y a personne qui t’a expliqué qu’d’puis plus d’un siècle la République ne reconnaît, ne salarie ni n’subventionne aucun culte ? Mais qu’est-ce qu’elle fout M’ame Chabot ? C’est quand même toi, l’garant des institutions, non ? Alors qu’est-ce qui t’prend d’amuser la racaille intégriste ? Arrête de fréquenter Bigard et son « lâcher de salopes », oublie Clavier et ses imitations d’Jacouille, et file réviser l’article 1er d’la Constitution ! Tu verras qu’la République française est laïque, démocratique et sociale.

J’t’explique. « Laïque », ça veut dire qu’malgré ton ambition débordante, tu dois pas convoiter la place du pape, c’est un péché. Et puis d’toute façon, t’es nul en latin sans parler que côté séduction, ça t’obligerait à quelques abstinences contre nature. Tu dois aussi t’rappeler qu’la laïcité c’est la paix. Ensuite, « démocratique », ça signifie qu’tu peux pas tout commander tout seul tout le temps à tout l’monde. Normalement, toujours d’après cette foutue constitution, tu dois laisser ton Premier ministre ainsi qu’ses minis­tres gouverner un peu. Et puis, c’est pas toi qui fais les lois ! Quand l’peuple (people en anglais) refuse un traité de constitution européenne, c’est pas très démocratique de l’adopter quand même dans son dos. « Démocratique », ça veut dire aussi que tu dois lutter contre les injustices au lieu de féliciter Poutine pour des élections truquées, de vendre des armes aux dictateurs et de mettre en prison les enfants des sans papiers. Attention, même ton nouvel ami, le Guide touristique Kadhafi, t’a grondé l’autre jour ! Pareil pour tes déclarations sur le caractère inné du suicide ou ton ministère de l’identité-nationale-et-des-tests-ADN.

Enfin, « sociale », c’est un peu plus compliqué à t’expliquer. Par exemple, quand t’étais hors-la-loi en refusant de construire dans ta commune les 20 % de logements pour les moins riches, t’étais pas très « social »... Pareil, quand t’as multiplié d’un seul coup d’un seul ton salaire par trois. Cherche bien, tu l’as fait d’autres fois avec ta nuit aux Champs-Élysées, ton yacht à Malte, tes vacances de milliardaire aux USA, tes avions privés et tout le tralala. Même quand tu fais profiter tes amis de tes largesses en les emmenant au stade, au restaurant, chez l’pape ou en leur faisant cadeau d’un bouclier fiscal comme l’été dernier, t’es toujours pas social. Crois-moi, tes CRS, c’est un autre bouclier qu’ils nous envoient quand on essaie de te l’dire. Faudrait qu’t’en parle à Johnny, i’t’chantera tout ça. Enfin, arrête de nous sortir le grand « je » chaque fois qu’tu parles, on est dans la vraie vie terrestre nous, pas dans ton paradis de paillettes, gourmettes, Fouquet’s, jets et star­lettes. Tu veux noter tes ministres à c’qu’i paraît mais toi, pour ton agression cléricale, c’est le conseil de discipline direct pour haute trahison !

Plus sérieusement, l’instituteur de la République, attaché à la recherche de la vérité et non à la perpétuation des croyances, qui préfère les Hommes debout plutôt qu’à genou, qui refuse les fatalismes et autres déterminismes, n’en est pas moins laïque dans toutes les acceptions que couvre ce terme. Il est tolérant parce qu’il se souvient que dans les moments les plus dramati­ques de notre histoire, des hommes et des femmes ont lutté côte à côte sans se poser la question de leurs croyances, sans chercher à distinguer « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas », comme disait Aragon. Il sait, malgré des divergences profondes sur les motivations, que d’autres tentent de faire le bien autour d’eux. Et puis, il n’oublie pas que les grands criminels du XXe siècle, Hitler, Staline, Pol Pot ou Mao, n’ont pas eu besoin de l’opium du peuple pour expédier une partie de l’humanité dans leur enfer.

En tant que pédagogues, il faut aussi contester une vision des apprentis­sages qui prétend se faire par la délivrance de la bonne parole du haut de notre chaire. On n’apprend qu’avec le pouvoir de douter. Or la religion a la faiblesse des certitudes, émanant même de responsables prétendument incontestables et infaillibles. Voilà pourquoi cette vision est incompatible avec ce que le pédagogue met en place comme le tâtonnement expérimental ou la recherche documentaire. Il ne confond pas l’erreur et la faute, autorise l’expression, la communication, la création, l’accès direct aux connaissances, ne craint pas le débat et les initiatives. On s’amusera au passage en constatant que quelques autoproclamés « républicains » vou­draient pourtant que l’on procède en classe comme à la messe, à coup de leçons ex cathedra où seule compterait la parole sacrée du maître !

Enfin, être laïque ce n’est pas comme on le dit trop souvent « respecter les religions » puisqu’on tue en leur nom et que la somme des interdits courant sur cette planète nous laisserait tout juste le droit de respirer, et encore, sur un pied et par le nez ! C’est au nom de dieu que l’on enferme, voile, torture, impose les mariages ou lapide. Au nom de dieu que l’on a freiné l’avancée de la science et de la médecine ou encore que l’on laisse parfois se propager le sida. Au nom de dieu, que l’on fait exploser un ado­lescent avec sa ceinture de dynamite ou que l’on explique de part et d’autre les attentats du 11 septembre, même si de toute évidence la religion sert parfois de prétexte pour asseoir d’autres pouvoirs. Mais être laïque, ce n’est même pas « respec­ter les croyances », car jusqu’à preuve du contraire, elles ne sont fondées sur rien d’autre qu’un mélange de superstitions et d’explica­tions antalgiques. Bien sûr, les légendes religieuses et leurs rituels ances­traux peuvent avoir un rôle apaisant dans les moments difficiles, mais marcher avec des béquilles s’avère dangereux quand on peut s’en passer. Non, dans sa pratique profes­sionnelle, l’enseignant doit simplement respecter la sincérité des croyances, c’est-à-dire l’honnêteté intellectu­elle de celui qui s’engage sur ces voies (voix ?) explicatives. Ni plus ni moins. C’est cette position ferme mais bienveillante qui permet de travailler avec toutes les familles auprès de tous les enfants (et avec tous les collègues !), pour l’acquisition d’un savoir qui encourage chacun à être totalement libre de ses choix intellectuels et spirituels, pour désirer une vie avec ou sans maîtres, avec ou sans dieux. Et ça, Monsieur le Président de la République, ni le pasteur ni le curé n’en seront jamais capables.

Sylvain Grandserre
Janvier 2008

 
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Bibliographie de Sylvain Grandserre

 
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Dernière révision : jeudi 20 février 2014 – 18:20:00
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