La pédagogie à contre-courant
C’est la faute à Meirieu !
Un texte de Sylvain Grandserre
Maître d’école
Une fois encore, il nous faudra donc remonter la pente du caniveau des idées reçues pour répondre à cette énième diatribe qui nourrit aussi dangereusement les débats que les farines animales ont alimenté les vaches folles. Ainsi apprend-on, au travers des attaques intempestives que subit Philippe Meirieu, que la pédagogie serait cette fois responsable des nouvelles violences scolaires ! On attend la suite avec impatience pour savoir ce qui, du tsunami ou des attentats du 11 septembre, lui sera reproché la prochaine fois. Mais puisqu’il est dangereux de laisser seule s’exprimer la « nébuleuse des tout-fout-le-camp », voici quelques éléments qu’il serait regrettable de taire :
1/ Ignorance ou malhonnêteté ? Difficile de dire ce qui dicte une explication aussi aberrante que celle d’attribuer à la pédagogie la responsabilité des violences actuelles. C’est parce que les pédagogues, ont usé à la marge de leur liberté pédagogique pour aller vers une pédagogie de la liberté (circulation, expression, communication, création, tâtonnement, recherche, responsabilité) qu’ils ont patiemment élaboré et mis en place des dispositifs pertinents : code de la classe, permis à points, réglettes, passeports de circulation, ceintures de comportement, monnaie de classe, réunion de coopérative, conseils d’enfants, boîtes aux lettres, brevets, contrats individuels de réussite, « métiers », médiateurs, tutorat, délégués, etc. De Janus Korczak à Fernand Oury, en passant par Célestin Freinet, c’est justement dans des situations où il n’était plus possible de travailler que sont nées les techniques salvatrices. Comment peut-on faire croire que nous aurions abusé de tout cela quand, pour tant d’enseignants, ces pratiques restent totalement inconnues ?
2/ Sur la forme ensuite : comme d’habitude, les tenants du savoir ne savent pas se tenir ! Pour dénoncer la prétendue responsabilité des pédagogues dans les violences scolaires, les rétropenseurs utilisent justement des méthodes qui fomentent celles dénoncées ! Le harcèlement, les tentatives de déstabilisation, l’insulte et les menaces : voici désormais le quotidien de ceux qui osent dire tout haut que le système scolaire souffre davantage de son conservatisme que de son modernisme. Une fois encore, entonnent « c’est la faute à Meirieu » ceux qui pourtant traitent immanquablement les gavroches de crétins...
3/ Si les professeurs perdent de leur splendeur, ils le doivent tout de même moins à des mouvements d’éducation populaire qui les encouragent et les soutiennent dans leurs innovations qu’à cette nouvelle vague rétrograde qui systématiquement les éclabousse d’une écume poisseuse et fétide. Oui, jour après jour, les bases de notre crédit sont sapées tant il est dit et répété, par ceux qui ont fait des studios médiatiques leur résidence secondaire, qu’à l’école on n’apprenait plus rien. Le doute s’installe, la méfiance est à l’œuvre, la suspicion bien présente à l’encontre d’enseignants fragilisés, livrés à la vindicte populaire. Sidérant quand on sait combien l’école reste bien souvent le dernier lieu de frustration où l’on peut exiger fort heureusement attente, patience, calme, respect, contrôle de soi, organisation, retenue, amélioration, le dernier endroit où l’on n’obtient pas tout, tout de suite, comme nous invite pourtant à le réclamer le monde extérieur. Et puis, a-t-on remis en cause le performant système scolaire finlandais en novembre 2007 après la dramatique fusillade dans un de ses collèges ?
4/ Que la société de consommation tout entière s’organise pour la seule satisfaction immédiate de caprices marchands ne semble pas choquer outre mesure... Que les jeunes passent en moyenne plus de temps devant un écran qu’en classe n’émeut pas grand monde... Que le chômage soit synonyme de misère et que le travail lui-même ne protège plus de la pauvreté semble une destinée imparable... Bref, toute la société pourrait partir à vau-l’eau, les apprentissages scolaires et les conditions dans lesquelles ils s’effectuent ne devraient pas s’en ressentir ? Ce négationnisme de la réalité sociale du pays est une des conditions du retour en grâce de l’ordre moral.
5/ Bien sûr, les anti-pédagogues ricaneront devant l’inventivité pédagogique puisque « l’école va de soi » et qu’il n’y aurait donc aucun détour à emprunter pour que le savoir – déversé dans des entonnoirs qu’il faudra ensuite faire porter à l’envers – s’impose. Pour eux ces réflexions ne sont que billevesées tant la solution coule de source comme nous l’explique fort sincèrement l’une de ces maîtresses qui ne doute de rien et rejette dans son école les outils coopératifs : (une « maîtresse clandestine » citée par M.T. Maschino, Parents contre profs, Fayard 2002) : « Je demande à mes élèves de rester immobiles et attentifs en classe (...) Je ne crains pas qu’ils s’ennuient (...) Mes punitions sont bêtes et méchantes (...) Je hausse la voix très fort et je dis des choses assez terribles pour que mes élèves en restent cois (...) Je peux donner des tapes sur les fesses de ceux qui ne se décident pas à s’asseoir correctement. Je secoue parfois les épaules de ceux qui sont trop agités pour entendre les réprimandes ». Effectivement, il y a des façons de procéder qui marquent plus que d’autres... Mais au moins voit-on mieux où se situent l’ambition bienveillante et l’exigence respectueuse.
Sylvain Grandserre
Mai 2008
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