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Maternelle Blues
Times they’re a-changing...

 

 
Un texte proposé par Julos
 


Un texte proche  Sur une thématique proche, voir le texte de Sylvain Grandserre, Jeunes profs et vieilles méthodes.

 

J’ai rendu mon tablier il y a deux ans, soit deux rentrées scolaires. Trente-huit ans d’exercice. Trois ans de collège (5e transition), 15 ans d’élé­mentaire, 20 ans de maternelle. J’ai pensé un temps écrire un livre ; j’avais le titre « L’école au corps et au cœur ». Et puis, le doute s’est insinué... bof... un livre de plus ? pour dire quoi de plus ? à quoi bon... Une lente addiction aux forums et aux blogs a fait le reste.

Si aujourd’hui j’ai envie d’aller plus loin dans ma contribution au débat sur l’école, c’est avant tout pour saluer le combat de celles et ceux qui, sur le terrain, résistent encore au déclinisme ambiant, aux vents de folie rétrograde qui soufflent fort et par rafales, depuis une bonne dizaine d’années, sur l’ensemble du système public d’éducation, de la maternelle à l’université. Je les salue tous, anonymes ou personnalités emblématiques (ils se reconnaî­tront, les uns comme les autres) pour leur courage, leur ténacité, leur huma­nisme militant. Mais comment les aider ? En témoignant, peut-être ? Avec réalisme et sans nostalgie, en tout cas... si possible. La récente publication du rapport d’Alain Bentolila sur l’école maternelle a suscité de nombreuses réactions critiques que je partage amplement. C’est d’ailleurs la goutte de trop, pour moi, la tonalité générale de ce rapport, où je n’ai reconnu en rien l’école maternelle, quittée il y a deux ans. Mais il est vrai que les choses vont vite, quand il s’agit de détruire et si lentement quand on veut construire. C’est ce que je voudrais illustrer ici, car il est possible que ce type de témoignage puisse être édifiant et utile à quelques-uns.

La « mater E.V » dont je vais parler n’existe déjà plus. Car depuis un an, c’est désormais une école maternelle classique, avec une organisation par sections, commune à la majorité des écoles, et une pédagogie dont la philo­sophie et l’ambition commence avec le programme officiel et s’achève avec... le programme officiel, édité par le ministère de l’éducation nationale. Autre­ment dit, si l’on n’est pas parent d’un enfant scolarisé dans cette école, ou enseignant exerçant dans cette école, la mater E.V n’a guère d’intérêt pour qu’on s’y attarde plus que cela. L’école maternelle dont je veux parler est née il y a 33 ans, en 1975, lorsqu’une jeune enseignante en prend la direction, accompagnée de deux collègues, elles sont toutes trois membres du GFEN. À l’époque, l’école ressemble à ce qu’elle est redevenue aujourd’hui, ou à peu près : une école grise, sans éclat, sans vie. Les grandes sections, notamment, ressemblent, déjà en 1975, à des « petits CP ». Une dynamique novatrice se met alors progressivement en marche. Des contacts se nouent (le GAPP, les ASEM, les animatrices du CLAE, la Maison de l’Enfance du quartier, la biblio­thèque municipale, la PMI, le CMPP, les assistantes sociales, la Sauvegarde à l’Enfance...), des alliances se créent (l’IEN, l’équipe de circonscription, le service municipal à l’Enfance, des parents de l’APE...), les pratiques pédagogi­ques évoluent (ateliers dans les classes, décloisonnements interclasses, mise en place d’une gestion coopérative avec création de conseils d’enfants, création d’une bibliothèque d’école avec prêt de livres et animations autour du livre), un travail d’équipe s’instaure (concertations hebdomadaires en plus des conseils de maîtres et conseils d’école). Il aura fallu dix ans pour qu’un nouveau cap soit défini, en 1985. Trois stages d’équipe de 2 semaines, répartis sur trois années, se fixeront l’objectif de réorganiser le projet d’école autour de la mise en place conjointe d’une BCD et de classes multi-âges. Parallè­lement, l’informatique fait son entrée dans l’école, concentrant d’abord les ressources dans une salle spécifique, puis s’intégrant peu à peu de façon complémentaire dans les classes. Après 20 ans de travail d’une équipe stable, motivée et cohérente, l’innovation, la réflexion, la concertation, l’auto-évaluation deviennent les principales valeurs sûres d’une culture d’établisse­ment de ce type. Ce nouveau chapitre novateur, dont la phase expérimentale durera entre 5 et 8 ans, fut vécu au début par certains comme une révolu­tion ! Parfois douloureuse. L’équipe, vieillissante, se renouvela, se rajeunit... De nouveaux équilibres se mirent en place. Puis, l’heure du départ sonna pour les plus anciens, année après année. Jusqu’au jour où le rapport entre jeunes et vieux s’inversa...

Et c’est ainsi que ce qui fut un combat autant qu’une passionnante aven­ture cessa, faute de combattants. 1975/2006 : fin du voyage.

Je ne m’attarderai pas sur la « restauration pédagogique » qui, en moins d’une année scolaire, réduisit en cendres l’ex mater E.V... Mais souligner les temps forts peut être instructif : d’abord, les multi-âges, ingérables paraît-il, puis la BCD, trop luxueuse et trop lourde à gérer, enfin le travail d’équipe, les concertations hebdomadaires, inutiles ou ennuyeuses... et, surtout, en dehors du temps de service (de 17 à 18h30). Passons sur les détails : relations personnel enseignant/personnel de service, parents / enseignants, enfants / enfants, enfants / enseignants, etc... Car, là aussi le changement de ton est de rigueur...

Ma propre fille est professeur des écoles depuis quelques années ; elle enseigne actuellement en maternelle et je suis encore suffisamment au fait des réalités pour ne pas considérer que toutes les écoles maternelles ressem­blent fatalement à ce que je viens de décrire dans le paragraphe précédent. J’ai cependant de vives inquiétudes pour l’avenir, à la lecture de certains dossiers, tel dernièrement celui du Monde de l’Éducation, dont Sylvain Grandserre s’est fait l’écho ici-même, avec sa pertinence coutumière (voir Jeunes profs et vieilles méthodes). Puisse mon témoignage accroître la vigilance et l’envie de résister de tous ceux, parents ou enseignants, qui sont engagés sur le terrain afin que l’École Maternelle soit préservée, autant que faire se peut, des effets dévastateurs de certaines valeurs en vogue aujour­d’hui : individualisme, rentabilité, conformité...

Salut et fraternité
Julos
Mercredi 16 janvier 2008

 
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