Jeunes profs et vieilles méthodes
Un texte de Sylvain Grandserre
Maître d’école en Seine-Maritime
Malgré un détestable tohu-bohu médiatique, une majorité de jeunes professeurs des écoles voit encore dans le RMI du lire-écrire-compter un contrat de dupe (54 %). Qu’ils se rassurent : contrairement à une idée reçue, Jules Ferry aussi s’opposait à cette vision minimaliste (discours d’avril 1881) !
Pourtant, la crispation est indéniable. L’école, impuissante à corriger les révoltantes inégalités de départ, subit, comme toute forme d’autorité, de violentes remises en cause. S’y ajoute un climat délétère qui impose la prudence : « puisque l’école, abandonnée aux khmers rouges (L. Lafforgue), ça doit être de la sueur et des larmes (A. Finkielkraut), appelons à la délation d’enseignants réfractaires (SOS éducation) pour lutter contre une épidémie de dyslexie (G. de Robien) qui fabrique des crétins (J.-P. Brighelli) qui ne sauront ni lire ni compter (M. Le Bris) sans l’intervention d’une maîtresse clandestine (R. Boutonnet) » ! Bonjour l’ambiance !
Ces prédictions d’apocalyptiques faisant écho au discours politique sur le mérite, paralysent les novices. Pire, voilà les Français bien plus prompts qu’eux à plébisciter activités en petits groupes, dispositifs d’accompagnement, travail en équipe et innovation pédagogique ! Un comble...
Car, socialement éloignés du quotidien sordide de bien des élèves, certains imaginent leur future classe comme une terra incognita pour conquistadors ! Dès lors, l’angoisse du néophyte n’est plus l’efficacité mais la crainte légitime d’être débordé. S’érige alors une tolérance zéro, bunker interdisant l’accès au savoir par la différenciation pédagogique (autonomie, recherche, expression, coopération, tâtonnement).
Le désengagement est à la mode : politique, syndical, pédagogique. Erreur de se croire ainsi à l’abri quand c’est justement cet enfermement prétendument neutre qui expose et fourvoie ! Mais cette tétanie s’explique : avec un programme scolaire, inflationniste et mutant, à faire passer en milieu hostile, la rigidité séduit, donnant l’illusion de maîtriser à la fois des troupes trop nombreuses et leurs apprentissages. Fantasme qui ignore la réalité : pourquoi les enfants sont-ils curieux... et pas les élèves ? Croit-on qu’ils apprendront « à l’insu de leur plein gré » ?
De son côté, l’innovation est maintenue dans un rôle d’Arlésienne. Aux curieux d’agir en autodidactes. Mais quand, comment, avec qui ? Tout pousse au repli les jeunes recrues porteuses elles aussi de conceptions erronées. Car si le gendarme a sa tactique, l’instit a sa didactique ! Surtout qu’un nombre croissant a d’abord pu songer au CAPES, projetant sur le primaire une culture disciplinaire qui ignore souvent l’élève. « Un professeur sachant professer doit savoir enseigner sans... gamin » ! Même en maternelle ?
Enfin, j’avoue une profonde sympathie pour les « méthodes qui ont fait leurs preuves » : Robin, Ferrer, Korczak, Montessori, Freinet, Oury ! Car les autres vieilles recettes n’ont souvent apporté qu’un écœurement durable. Toute nostalgie serait donc un aveu d’amnésie ou bien la volonté de détourner en amont le cours de l’histoire pour alimenter des moulins à paroles qui préfèrent ne pas poser les questions auxquelles ils ne savent pas répondre.
Sylvain Grandserre
Janvier 2008
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