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Il (n’) y a (pas si) longtemps, plus de 25 ans tout de même, beaucoup de sourds étaient considérés, au niveau du grand public comme chez de nombreux professionnels travaillant auprès d’eux, comme « caractériels » ou « semi-caractériels ». La littérature savante, certains ouvrages de « psychologie du sourd » par exemple, autant que les réalités institutionnelles, celles des établissements spécialisés fermés et dans lesquels la langue des signes était peu utilisée quand elle n’était pas interdite, confortaient ces idées reçues.

J’étais responsable d’une partie d’un « Institut pour Déficients Auditifs », avec des classes spécialisées à l’intérieur de l’institution. L’une des rares activités scolaires hors des murs de l’institution était l’apprentissage de la natation, qui se pratiquait dans une piscine municipale, avec des maîtres-nageurs de cette piscine, et en même temps que des classes d’enfants « ordinaires ». Un jour, un enseignant que je connaissais, qui accompagnait sa propre classe à la piscine et qui s’y était trouvé dans les mêmes horaires que la classe de jeunes sourds accompagnée par sa propre enseignante, m’interpelle : « Dis donc, ils ne seraient pas un peu caractériels, tes jeunes sourds ? ». Et de m’expliquer en quoi il trouvait leur comportement plutôt inadapté socialement. Mais, dans ce qu’il me décrivait comme inadaptation sociale qu’il excusait en l’attribuant à la surdité, je ne trouvais pour ma part rien qui puisse trouver son origine dans la déficience auditive.

Il n’en restait pas moins que cette interpellation interrogeait. Effectivement, dans l’institution, il y avait de la « violence » : nombreux étaient les enfants qui maîtrisaient mal leurs émotions, qui étaient sujets à des colères, qui « pétaient les plombs ». Mais, à y regarder de plus près, certains d’entre eux avaient des comportements tolérés dans l’institution (« les sourds, c’est comme ça », affirmaient des professionnels aguerris), mais qui mis en lumière dans un environnement ordinaire étaient socialement étranges, voire intolérables. À cela beaucoup de raisons certainement, dont les moindres n’étaient pas celles de l’inadaptation de l’institution à leurs besoins (de communication en particulier) et de l’expérience du monde clos institutionnel.

Ce qui était problématique était aussi l’aveuglement institutionnel quant à ce que cela produisait, et qui était « normal pour un sourd ». Presque personne à l’intérieur de l’institution fermée ne se rendait compte des anomalies existantes, produite dans et par l’institution. Les choses allaient de soi. Cette interpellation fut à l’origine d’une réflexion qui aboutit rapidement à une délocalisation des classes spécialisées en établissement scolaire ordinaire, ce qui deviendra ce qu’on appelle aujourd’hui les unités d’enseignement externalisées. Même si l’ambition de l’époque n’était pas celle de l’inclusion d’aujourd’hui, la part de « vivre ensemble » de ces dispositifs permettait une « normalisation » des savoir-être, attitudes et comportements, se substituant au « hors-normes » de l’institution.

Si, comme dans n’importe quelle population, certains élèves sont plus ou moins adaptés aux normes collectives du vivre ensemble, il s’est trouvé que ce changement d’environnement a modifié un certain nombre d’attitudes chez ces élèves, là où on attribuait naturellement ces attitudes à la déficience. C’est l’exil dans l’institution qui produisait des comportements « caractériels ».

 
Un texte de Jean-Yves Le Capitaine
22 décembre 2017

 
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